Accueil » Quand Le Point cherchait à instrumentaliser le CEP

Par Tassot Dominique

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Le magazine Le Point, dans sa version électronique du 29 mars, s’est fendu d’un article de deux pages pour attaquer Alexandra Henrion Caude :

Alexandra Henrion Caude ou la vaccination selon Jésus. Dans son best-seller « Les Apprentis sorciers », la généticienne développe des arguments scientifiques contre les vaccins à ARN. Mais ce propos cache une thèse profondément religieuse. Publié le 29/03/2023 à 13h00.

Même si cet article de circonstance n’a aucun mérite qui lui vaudra de rester dans les Annales du journalisme, il convenait de le signaler ici, car c’est en se référant au CEP que l’auteur tente de déconsidérer la généticienne, sans avoir à critiquer son livre par des arguments rationnels. Il s’agit donc d’une classique attaque ad hominem1. En voici un extrait :

« Que ferait le Christ s’il était humainement parmi nous ? » La question ne vient pas du Pape, ni d’un évêque ou d’un quelconque prêtre qui aurait toute licence d’en appeler à Jésus pour s’adresser à la communauté des croyants. Non, elle est d’Alexandra Henrion Caude, une ancienne chercheuse qui a pris sa retraite anticipée de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en 2019. Cette généticienne s’est fait connaître du grand public par son hostilité aux mesures sanitaires durant la pandémie. Elle est devenue une figure de proue du mouvement antivax et complotiste. Ces propos sur le Christ ont été tenus en 2021 lors d’une conférence sur le Covid-19 auprès d’une organisation catholique intégriste dont nous reparlerons plus loin. En effet, nous allons le voir, la Dr Henrion Caude a depuis longtemps délaissé la blouse blanche.

Elle a revêtu les habits d’une nouvelle croisade contre les forces du mal, qui, selon elle, menacent l’humanité à coups de PMA, de droit à l’avortement et, bien sûr, de vaccins à ARN messager. Preuve de cette mission divine qui lui incombe, elle assure que sa décision de quitter l’Inserm s’est imposée à elle, car « inspirée de Dieu ».

[…] Ces derniers jours, la généticienne agite la presse et les réseaux sociaux avec la sortie de son livre : Les Apprentis sorciers – Tout ce que l’on vous cache sur l’ARN messager. Un incroyable succès de librairie et en tête des ventes sur Amazon. Il s’est écoulé, en dix jours, à plus de 15 000 exemplaires, selon son éditeur Albin Michel, qui, en prévision, a déjà décidé de faire grimper le tirage à 75 000. Ce manifeste reprend inlassablement les arguments anti-vaccinalistes développés pendant la pandémie et largement démentis par la communauté scientifique.

L’ouvrage, s’adressant à un large public, peu enclin à s’abreuver d’eau bénite, ce n’est donc pas dans ces pages que se trouve le Saint-Esprit qui imprègne tant la pensée d’Alexandra Henrion Caude. Elle n’a pas non plus exprimé ces idées-là lors de l’entretien que nous avons eu avec elle le 16 mars. Il faut plutôt s’intéresser à ses interventions auprès du cercle restreint de catholiques intégristes. Selon le contexte, un même sujet peut donc avoir deux versions : l’une scientifique, l’autre profondément religieuse.

Mais dès qu’elle s’adresse directement aux catholiques, et plus particulièrement aux plus fondamentalistes, Alexandra Henrion Caude change d’horizon. Sa conférence – que nous évoquions plus haut – était organisée par le Centre d’études et de prospective sur la science (CEP). Organisation créationniste radicale. Ce « centre », en apparence féru de connaissances scientifiques, est en réalité une organisation créationniste radicale qui se fait fort de « rétablir un pont nécessaire entre la foi et la science ». Dans les faits, le CEP s’appuie sur une lecture littérale de la Bible. La Genèse serait le récit historique et authentique de la création du monde. L’évolution des espèces est donc un mensonge et la Terre a été créée par Dieu en sept jours, il y a quelques milliers d’années.

Le raisonnement semble donc le suivant : 1/ Alexandra Henrion Caude se présente comme généticienne, donc comme une scientifique, valant à son livre un beau succès de librairie (ce qui semble déplaire à la direction du magazine Le Point, mais on ne saura pas ici pourquoi). 2/ Alexandra Henrion Caude est un personnage double : elle met en avant sa qualité de chercheur titré et reconnu par ses pairs, mais c’est en réalité une chrétienne fondamentaliste qui s’est révélée comme telle en intervenant au colloque du CEP à Orsay, en 2021. 3/ Le CEP, anti-évolutionniste, est ipso facto « en dehors de la science » (de la science reconnue et consensuelle), donc Alexandra Henrion Caude n’a aucun droit pour revendiquer une quelconque autorité scientifique.

Pour défendre Alexandra Henrion Caude, il conviendra de noter, d’emblée, qu’un bon conférencier adapte son discours à l’auditoire. Alexandra la croyante se présente dans son livre comme catholique, il n’y a donc aucune duplicité de sa part à intervenir en cette qualité au colloque d’une association dont la revue porte en épigaphe la formule « tout reconsidérer dans le Christ ». Simplement, elle transmet à ce public, sensibilisé à la dimension religieuse du monde, des considérations qui n’avaient pas leur place dans un livre destiné au grand public. Ajoutons que le PowerPoint de sa conférence venait d’être présenté à Rome, à la demande du Vatican, devant un auditoire très certainement indemne de toutes les dérives dont Le Point accuse le CEP pour le marginaliser. Enfin, il n’a jamais été demandé aux conférenciers qui interviennent lors d’un de nos colloque de souscrire à tous les articles des buts statutaires de l’association : ce sont leur qualité et leur compétence pour traiter le sujet imparti qui justifient leur présence au micro du CEP.

Quels sont maintenant les propos scandaleux que le journaliste a retenus après audition de la conférence ?

Mais revenons aux propos d’Alexandra Henrion Caude. Sa thèse sur la modification génétique de l’homme par le vaccin ARN s’éclaire dans le discours qu’elle tient auprès des fondamentalistes du CEP : « Je crois que l’évolution de l’homme, c’est celle-ci [elle montre, derrière elle, une représentation de la fresque de La Création d’Adam au plafond de la chapelle Sixtine, NDLR], c’est celle qui nous fait passer de cette création que nous avons reçue, finalement, à des modifications génétiques et des interfaces homme-machine qui progressivement nous modifient. La modification génétique, on y est, c’est l’ARN. » Traduction : la technique transforme l’homme, création de Dieu. Et d’agiter tout l’épouvantail transhumaniste : « On ne va pas vous traiter du Covid. On va plutôt vous injecter un ARN messager de virus qui va vous augmenter. » Un véritable récit faustien, où l’homme devient Créateur. Plus loin, elle insiste sur la dimension sacrée de la Création en reprenant le déroulé de la fécondation humaine, la rencontre de l’ovule et du spermatozoïde pour le biologiste, « la rencontre avec votre Dieu créateur » pour Alexandra Henrion Caude. C’est d’ailleurs à ce moment de sa conférence que, dans une envolée lyrique, elle demande ce que le Christ aurait fait s’il avait été « humainement » parmi nous : « Se serait-il camouflé le visage avec un masque dans le Temple ? Se serait-il tenu à distance des personnes malades ou saines ? Éloignerait-il les foules qui affluent tout près de lui ? N’aurait-il pu embrasser sa maman, de peur de la contaminer ? N’aurait-il plus guéri ni le muet ni l’aveugle avec sa propre salive ? Se serait-il fait injecter avec des lignées dérivées de fœtus avortés ? Aurait-il accepté la logique transhumaniste qui augmente l’homme au niveau génétique en le mélangeant à une espèce virale ? » En d’autres termes, la politique sanitaire en période de pandémie ne devrait pas s’appuyer sur la science, mais sur une lecture à la lettre de la Bible.

Son jugement juge le juge. Critiquer le transhumanisme serait donc un signe sûr d’arriération mentale. Mais comme le journaliste ne peut ici que protester en déchirant ses vêtements, il va chercher la caution intellectuelle d’une vieille connaissance : Jacques Arnould.

La réalité de l’évolution ne fait plus débat dans la communauté scientifique, ni même au sein de l’Église : « Jean-Paul II, en 1996, a prononcé un discours devant l’Académie pontificale des sciences, dans lequel il invite très clairement les catholiques à reconnaître le fait de l’évolution »2, rappelle Jacques Arnould, théologien, historien des sciences et ancien dominicain. Quant à l’âge de la Terre, il est estimé à environ 4,5 milliards d’années… Cette posture du CEP n’étonne pas le théologien : « Ils ont toujours ce désir de faire concorder les textes bibliques avec la science, quitte à la critiquer quand elle ne correspond pas à leur vision du monde. » Une manie visant à prouver l’existence de Dieu, que Jacques Arnould critique vigoureusement dans son dernier livre : Dieu n’a pas besoin de « preuves », paru en février dernier chez Albin Michel3.

Nos lecteurs savent déjà que le véritable « concordisme », dans le mauvais sens du terme, consiste à dénaturer les dogmes et à torturer les versets bibliques pour les rendre compatibles avec les énoncés, supposés apodictiques, de la dernière théorie scientifique en vogue. Il est d’ailleurs navrant de penser que les théologiens seront les derniers à quitter le radeau en péril de l’évolutionnisme : à la différence des scientifiques, aptes à retourner leur veste sans états d’âme, eux devront alors revoir toute leur religion, pénible mais inéluctable déchirement que nous aimerions pouvoir leur éviter…

Après avoir exécuté la catholique par l’habile recours à un ancien dominicain (dont on apprend par ailleurs qu’il collabore régulièrement au Point), vient l’estocade finale, assénée au nom d’Axel Kahn qui fut le directeur de thèse d’Alexandra Henrion Caude, mais semble avoir coupé les ponts lorsque son ancienne élève s’est dissociée du discours officiel sur le COVID :

En mai 2021, le grand généticien Axel Kahn – décédé en juillet de la même année – décrivait ainsi son ancienne étudiante en thèse : « Alexandra Henrion Caude a été une chercheuse brillante, puis a quitté l’Inserm et développé des thèses complotistes en contradiction avec ses pairs. Je n’ai pu l’expliquer que par une évolution intégriste puis sectaire de mon ancienne thésarde. » L’élève avait déposé une plainte en diffamation contre son maître, avant de la retirer, apprenant qu’il était très malade. Aujourd’hui, elle le remercie dans son livre et le considère comme son mentor. Axel Kahn, apôtre infatigable de la science, aurait-il apprécié un tel hommage ?

Nos lecteurs ont ici tous les éléments pour apprécier les comportements respectifs des deux personnes, jadis intellectuellement proches. Qu’Axel Kahn (1944-2021), juif athée, membre du Conseil Consultatif national d’éthique de 1992 à 2004, ait été sollicité en 2021 pour « recadrer » la chercheuse n’a rien de surprenant. Mais il nous revient en mémoire une anecdote en faveur de sa droiture scientifique. Le 30 janvier 2007, nous étions réunis, Axel Kahn, Jacques Arnould, trois autres invités et moi-même sur le plateau de l’émission télévisée Ce soir où jamais animée par Frédéric Thaddeï. En citant Descartes et Newton, je pus glisser l’idée – qui en réalité n’est pas une idée mais un constat historique – que la science européenne devait sa naissance à l’association de la logique grecque avec le concept biblique de « création ». Le dominicain Jacques Arnould s’opposa aussitôt, considérant que les domaines de la foi et de la science devaient rester séparés, mais Axel Kahn, sans être sollicité, me donna raison sur ce point.

Ce n’est pas ici le lieu de réfuter les considérations avancées par le magazine pour discréditer le CEP. Mais il importait de bien voir, à cette occasion, comment la tactique imparable, qui consiste à toujours éviter les débats de fond, condamne le journalisme à l’insignifiance. Le CEP n’a pas vraiment été « instrumentalisé », si ce n’est comme un épouvantail à usage ponctuel ; c’est plutôt Le Point qui nous semble être instrumentalisé, asservi en vue d’un objectif politique dont ses lecteurs n’auront pas tous les éléments pour en bien juger.


1 L’on serait tenté d’écrire ad mulierem si le substantif latin homo n’avait pas justement déjà – à la différence de vir – le sens d’un collectif désignant tant les femmes que les hommes.

2 Un important « Courrier des lecteurs » publié dans Le Cep n° 60, juillet 2012, p.92, relate ce qui s’est réellement passé lors de cette séance de l’Académie pontificale des Sciences.

3 Livre qui – le titre l’indique assez – vise à réfuter l’ouvrage Dieu, la science, les preuves. L’aube d’une révolution (Paris, Trédaniel, 2021), écrit par Olivier BONNASSIES & Michel-Yves BOLLORÉ ; cf. Le Cep n°98, mars 2022. Faire de l’apologétique serait-il, aux yeux de Jacques Arnould, un péché aussi grave que l’antiévolutionnisme ?

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