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Par Devicque Bernard Dr

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In memoriam : André Gernez (1923-2014)

Le Dr André Gernez est parti pour l’autre monde le 8 janvier dernier. C’était un honneur pour le CEP de le compter parmi ses correspondants en qualité de « membre actif ». Nous avions rendu compte de la dernière distinction reçue par lui dans le numéro 62. Rappelons ici qu’André Gernez, plus jeune bachelier de France (par dérogation ministérielle), fut médecin militaire à 21 ans et engagé en 1944 dans les Forces Françaises, puis commença dès sa démobilisation une brève mais brillante carrière de chercheur à l’Institut Curie. Mais ce fut dans le cadre intellectuellement libre de son cabinet de radiologie-cancérologie à Roubaix qu’il put donner libre cours à une pensée à contre-courant de plusieurs « dogmes » de la médecine universitaire.

André Gernez avait compris que la santé du corps requérait celle de l’âme. En 2010, il nous envoyait le résumé d’une communication sur la biologie du phénomène religieux faite en 1980 à l’Académie des Sciences et qui avait débouché sur une conférence à la Sorbonne. Il considérait la religion comme une fonction vitale inscrite dans le génome. Il y écrivait, avec son style à la fois ramassé et imagé si caractéristique : « Pour l’être théotropique qu’est l’homme, refuser Dieu serait nier le soleil pour une tête de tournesol […]. Le refoulement, la contrainte ou l’inéducation sont, pour la fonction religieuse, ce qu’il en est pour toute autre fonction, un facteur de déséquilibre biologique. »

Il voyait donc dans les lois anticléricales des années 1900 un facteur ayant favorisé les maladies neurologiques, notamment l’Alzheimer. Ce grand esprit n’avait cependant pas échappé au matraquage évolutionniste et aux chronologies longues, ce qui ne permit sans doute pas à ses intuitions théologiques de prendre tout leur envol. Reste que cette activité inlassable en faveur des patients nous semble la plus belle œuvre de miséricorde qu’un médecin puisse donner. Ne doutons pas que le Sauveur usera envers lui de cette même mesure de miséricorde dont il avait usé envers son prochain (cf. Mt 7, 2).

Pour faire découvrir cette personnalité si attachante, nous avons demandé au Dr Bernard Devicque, qui l’a bien connu, de retracer ici à grands traits les principales thèses d’André Gernez.


À propos d’André Gernez et de ses travaux

Dr Bernard Devicque1

C’est dans les magasins de La Vie claire que je découvris, dans les années 70, les ouvrages politiquement et surtout médicalement incorrects d’auteurs non conformistes au moment même où je commençais mes études de médecine2.

C’est ainsi que je découvris, entre autres, Les charlatans de la médecine, livre de C. V. d’Autrec. Troublé, je le mis de côté, pour me concentrer d’abord entièrement à mes études. De même pour les livres d’André Gernez. C’est plus tard, étant déjà avancé dans mes études, que je relus tout un été le premier ouvrage d’André Gernez intitulé Néo-postulats biologiques, puis trois autres – complémentaires – sur la carcinogénèse, ses lois et la possibilité des traitements3.

ANDRÉ GERNEZ, LE CANCER ET LE VIEILLISSEMENT

Jamais, même plus tard au cours de mes études approfondies de cancérologie, je ne retrouvais autant d’esprit de synthèse que dans ses livres : théoriques certes, mais résultant d’une réflexion en profondeur à partir de données expérimentales et/ou épidémiologiques validées et de principes établis de biologie générale.

En deux mots et pour faire simple, Gernez s’intéresse à chaque colonie cellulaire différenciée (cellules de l’estomac, du système lymphatique par exemple) et lui attribue une « réserve quiescente » de cellules souches capable de régénérer les tissus jusqu’à une certaine limite. En effet, une programmation génétique fixe la durée de vie maximale de l’espèce : 120 ans environ chez l’homme4. Cette programmation est fondamentalement conditionnée par la limitation du nombre possible de divisions cellulaires dans les lignées cellulaires saines : soixante-dix divisions, croissance et organogenèse comprises.

Cette réserve quiescente invisible (ensemble des cellules entre deux divisions) s’épuise donc avec le temps et le vieillissement, caractérisé par la « raréfaction sénile des parenchymes » à son stade ultime5. C’est à la fois le nombre de cellules souches et le nombre de divisions cellulaires encore possibles qui se raréfient avec le temps et l’âge.

La cellule tumorale est définie comme mutée avec un potentiel de division cellulaire non régulé supérieur à celui des cellules saines ; la carcinogénèse (apparition de quelques cellules tumorales) est permanente : une procédure périodique préventive vient normalement l’éradiquer et empêcher la cancérisation (apparition d’une tumeur maligne cliniquement détectable et évolutive) qui ne survient qu’après plusieurs années de vie cachée…

La colonie néoplasique fait ainsi figure de suppléance ou vicariance dans un tissu appauvri. Cet épuisement de la réserve quiescente est la « voie finale commune » de la cancérisation et la cause essentielle de tous les cancers ; il y a donc unité du phénomène cancéreux. Et ce phénomène n’est pas seulement cellulaire mais surtout tissulaire, c’est-à-dire le propre d’une colonie cellulaire.

Pour prévenir le cancer, il suffit de ralentir la mise en cycle et l’épuisement de cette réserve, donc de ralentir la vitesse du vieillissement. À l’inverse, tous les agents cancérigènes (promoteurs ou initiateurs qu’ils soient chimiques, physiques ou viraux) agissent par une action directe ou indirecte d’épuisement de cette réserve de la lignée cellulaire cible. L’hormone de croissance à l’âge adulte stimule à tous les stades de son développement la croissance tumorale.

André Gernez a décrit une étio-pathogénie du cancer en général, c’est-à-dire la relation (et les mécanismes du lien) entre les causes variées et la manifestation unique de la tumeur proliférante, qui se manifeste bien sûr de façon variable selon le tissu intéressé, tout en expliquant le vieillissement : cancer et vieillissement sont liés certes mais surtout ont la même cause.

Cette idée de cellules souches de réserve quiescente dans tous les tissus n’a pu lui venir qu’après la mise à mal du postulat du double cycle cellulaire, postulat couramment admis à l’époque et qu’il a contesté.

Ce postulat voulait que, des deux cellules filles d’une cellule-mère, chacune assure les fonctions de division ultérieure et aussi des fonctions différenciées ; cela était supposé à tort du fait que, lorsqu’une cellule se divise, elle apparaît dépourvue de ses attributs fonctionnels, donc différente des .cellules qui l’entourent. Alors André Gernez a dit : « ce n’est pas la même » !!! Pour Gernez une seule cellule fille garde le pouvoir de se diviser dans les tissus normaux : celle-là est génératrice ; l’autre se différencie, travaille et meurt stérile : elle est fonctionnelle, un peu comme dans une ruche où seule la reine a la mission de pondre.

Ces travaux (mémoires remis à l’Académie des sciences dès 1966) lui ont valu des distinctions, des jalousies et des barrières. Dès 1979 lui fut remis, par l’Union mondiale pour la protection de la vie à Salzbourg, le prix Schweigart en même temps qu’à Konrad Lorenz, le célèbre éthologue prix Nobel. En 2007, la médaille d’or de la Société d’encouragement au progrès lui fut décernée, confirmée en 2012 sous forme de grande médaille d’or.

Les jalousies venaient même du plus haut gratin de la recherche médicale en cancérologie puisque mes maîtres à Villejuif, dès 1980, auxquels je parlais des travaux de Gernez, me citaient « un [simple] médecin généraliste de Roubaix », ce qu’il n’était nullement. André Gernez souffrit de ne pas recevoir un accueil attentif de la part de la Faculté, même s’il eut aussi des défenseurs éminents.

J’ai rencontré personnellement André Gernez (en 1986) à Cannes où il lui plaisait de passer quelques jours de repos l’hiver. Depuis lors, je fus son fidèle correspondant, c’est-à-dire que je recevais tous les mois – parfois plus souvent – des dossiers de réflexions, propositions sur différentes pathologies et thèmes de ses réflexions et cela jusqu’en décembre 2013, un mois avant sa mort survenue à 91 ans le 8 janvier 2014.

ANDRÉ GERNEZ ET LES MALADIES DÉGÉNÉRATIVES ET LE RESTE…

Bachelier à 15 ans, sa carrière et ses théories reflètent une intelligence particulièrement pénétrante cherchant à élucider les contradictions et à proposer des solutions à des situations pathologiques ou des problèmes de santé publique. Dans cette démarche il reconsidérait, revisitait les dogmes couramment admis dans le domaine de la biologie. Après le cancer, il devait imaginer des mécanismes étio-pathogéniques pour de nombreux fléaux et maladies dégénératives précoces ou tardives liées pour la plupart au vieillissement.

Pour les précoces, il s’attacha à la schizophrénie, à la myopathie et à l’allergie chez l’enfant, cette dernière étant attribuée par lui à un défaut d’exposition aux antigènes habituels dans la période de tolérance immunitaire. Idée qui d’ailleurs a été confirmée par des études épidémiologiques récentes (d’où l’intérêt de ne pas naître dans un milieu stérile).

Pour les maladies dégénératives liées à l’âge, il s’est intéressé à l’athérosclérose (considérée comme une tumeur bénigne de la paroi artérielle), au SIDA (qu’il a considéré comme une maladie de la sodomie liée au système immunitaire du rectum, inadapté à cette finalité…).

Ajoutons la maladie d’Alzheimer (dont il rappelait une prévention possible par de faibles doses de vin et d’alcool !), la maladie de Parkinson et la sclérose en plaques.

Il voyait dans un excès persistant après l’âge adulte de l’hormone de la croissance – considérée dès lors comme inutile – un rôle favorisant de nombreuses maladies dégénératives dont le traitement apparaissait de ce fait simple : réduction de la sécrétion endogène, par une irradiation sélective à faibles doses, de l’hypophyse (glande endocrine sécrétant à la fois l’hormone de croissance et des hormones régulatrices).

Il avait élargi sa réflexion au-delà de la biologie pour s’intéresser à une théorie de la croyance en général et de la religion, dont il faisait une « fonction limbique », atrophiée par les lois anticléricales du début du XXe siècle. Cette atrophie dans l’enfance était jugée par lui responsable de l’épidémie actuelle à un âge plus avancé de la maladie d’Alzheimer. Il avait aussi écrit une théorie de la lumière ridiculisant les orgueilleux prétendant fixer une vitesse limite à la lumière.

Photo André Gernez

En perdant André Gernez, j’ai perdu un correspondant épistolaire discret, chaleureux, enthousiaste que je qualifierais d’« étio-pathogéniste » de génie, multipliant – sa vie entière – les démarches pour faire connaître, tester et vérifier puis appliquer ses idées.

Qui sait où il nous attend, avec sa coupe de champagne et sa cravate rouge, pour une conclusion rapide elliptique (dont il avait le secret) sur son dernier voyage ?

En attendant peut-être de ses nouvelles par un courrier du Paradis, les lecteurs du CEP seront intéressés – je pense – par la définition analogique et biologique de la Trinité… qu’il m’avait adressée.

Tout André Gernez se retrouve dans la dernière phrase de ce mot adressé à un incrédule :

Vous êtes réservé sur mon adhésion à un Dieu « simultanément unique et en trois personnes » qui constituerait à vos yeux une incohérence.

Ma concierge, enceinte de jumeaux, présente une situation banale de l’existence de trois personnes nettement individualisées et consubstantielles en une entité unique, à laquelle on délivre une seule carte d’identité, d’électeur et de crédit.

Cette structure trinitaire ne fait problème pour personne, quoique ma concierge n’ait que des pouvoirs limités à l’immeuble ; ferait-elle problème à Dieu qui les a tous ?

Vous-même êtes constitué de trois codes génétiques personnalisés et consubstantiels, ceux de vos géniteurs et le vôtre. De cette combinaison trinitaire résulte l’homme, unique, que vous êtes.

Madame de Gelis disait : on s’étonne trop de ce que l’on voit rarement, et pas assez de ce que l’on voit tous les jours.


1 Cancérologue.

2 La chaîne de magasins La Vie claire était encore dirigée par son fondateur Henri-Charles GEOFFROY, gazé de 1914 et affirmant s’être rétabli par l’alimentation naturelle.

3 Le cancer : la carcinogénèse mécanisme et prévention ; Le cancer : lois et règles de la cancérisation ; Le cancer : dynamique et éradication, Éd. de La Vie claire.

4 Ndlr. Notons que cette limitation est déjà donnée dans la Bible, cf. Gn 6, 3.

5 Dans cet exposé, en première approximation, les mots tissus, colonie cellulaire, parenchyme peuvent pris pour synonymes : ensemble organisé de cellules.

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