Partager la publication "La Finalité dans la Science"
Par le Cardinal Christoph Schönborn
« Les rationalistes fuient le mystère pour se précipiter dans l’incohérence » (Bossuet)
La Finalité dans la Science1
Résumé : Dans Le Cep n° 33 nous avions signalé l’importance de la tribune libre publiée dans le New York Times le 7 juillet dernier par le cardinal Schönborn, archevêque de Vienne, ancien professeur de théologie à Fribourg, rédacteur principal du Cathéchisme de l’Église Catholique, et longtemps considéré comme successeur possible du cardinal Ratzinger à la Congrégation pour la doctrine de la Foi. Pour la première fois depuis un demi-siècle, un homme d’Église en vue contestait la théorie de l’évolution, du moins sous sa forme néo-darwinienne qui est la seule enseignée. Les réactions fusèrent aussitôt, tant dans la grande presse (Le Figaro du 15 juillet, par exemple) que dans les revues religieuses. En particulier un physicien américain, spécialiste des particules, connu pour avoir publié un livre sur la foi et la physique moderne, Stephen M. Barr, écrivit dans First Things un long article critique. Pour lui, le « hasard » évoqué par la théorie darwinienne de l’Évolution ne contredit pas le gouvernement de l’univers par Dieu.
En répondant à S. Barr, le cardinal Schönborn prolonge la critique de la science qu’il avait amorcée dans le New York Times. Il montre comment les vérités supérieures de la raison, établies par la philosophie, sont plus certaines que les vérités scientifiques. En contestant le monopole de l’autorité intellectuelle, que les scientifiques s’étaient arrogé depuis un bon siècle, cet article rétablit a contrario la supériorité de l’autorité enseignante de l’Église, ce qui ne manquera pas de rejaillir, outre l’évolution, sur un grand nombre de débats contemporains.
En juillet 2005, le New York Times a publié mon bref essai « Découvrir la finalité dans la nature. » La réaction fut extraordinaire, mais pas extraordinairement positive. Dans la livraison d’octobre 2005 de la revue First Things, Stephen Barr me fit l’honneur d’une réponse sérieuse assez représentative de la réaction de nombreux catholiques.
Je crains cependant que Barr ait mal compris mon argument et peut-être pas bien saisi la question de savoir si l’intelligence humaine peut discerner la réalité de la finalité dans le monde des êtres vivants.
D’après l’article de Barr et d’autres réactions, il semble que mon argument a été fort mal compris. Dans Découvrir la finalité dans la nature, j’avais dit:
L’Église « affirme que par la lumière de sa raison l’intelligence humaine peut facilement et clairement discerner la finalité dans le monde naturel, y compris celui des êtres vivants. »
« Toute explication qui nie ou cherche à rejeter l’évidence aveuglante de la finalité en biologie, est de l’idéologie, pas de la science. »
Citant notre Saint Père feu Jean-Paul II: « L’évolution des êtres vivants, dont la science cherche à déterminer les étapes et à discerner le mécanisme, montre une finalité interne qui soulève l’admiration. Cette finalité, qui oriente les êtres dans une direction dont ils ne sont pas responsables, nous oblige à supposer un Esprit qui est son inventeur, son créateur. »
Citant encore Jean-Paul II: « Contre tous ces indices de l’existence de Dieu Créateur, certains opposent le pouvoir du hasard ou les mécanismes propres à la matière. Parler de hasard à propos d’un univers offrant une organisation aussi complexe de ses éléments et une finalité de sa vie aussi merveilleuse reviendrait à renoncer à toute explication du monde tel qu’il nous apparaît. En fait, ceci reviendrait à admettre des effets sans cause. Ce serait une abdication de l’intelligence humaine, qui refuserait ainsi de penser et de chercher une solution à ses problèmes. »
Citant le Catéchisme: « L’intelligence humaine est assurément déjà capable de trouver une réponse à la question des ‘origines. L’existence de Dieu le Créateur peut être connue avec certitude par ses œuvres grâce à la lumière de la raison humaine. (…)Nous croyons que Dieu a créé le monde selon Sa sagesse. Il n’est le produit d’une nécessité quelconque, d’un destin aveugle ni du hasard. » (CEC 286, 295)
Me référant à l’enseignement de l’Église sur l’importance et la portée de la métaphysique: « Mais à l’époque moderne, l’Église catholique est dans l’étrange situation de défendre fermement la raison également. Au 19ème siècle, le Premier Concile du Vatican enseignait à un monde récemment séduit par <la mort de Dieu>, que par l’usage de la seule raison, l’homme pouvait connaître la réalité de la Cause non causée, du Premier Moteur, le Dieu des philosophes. »
Mon argument ne reposait ni sur la théologie, ni sur la science moderne, ni sur « la théorie de l’intelligence intentionnelle. » Pour la théologie, bien que la capacité pour l’esprit de saisir l’ordre et la finalité de la nature soit adoptée, assumée et portée à de nouveaux sommets par la Foi, cette capacité précède la Foi, comme le montre clairement Romains 1 : 19-20. Pour la science, la règle et la méthode sont telles, que la finalité, plus précisément les causes formelles et finales chez les êtres naturels, sont délibérément exclues de sa conception étriquée de la nature.
En réalité, mon argument reposait sur la capacité naturelle de l’intelligence humaine de saisir les réalités intelligibles composant le monde naturel, y compris, très évidemment, le monde des êtres vivants. Rien n’est intelligible, rien ne peut être saisi dans son essence par notre intelligence, sans avoir été d’abord ordonné par une intelligence créatrice. La possibilité de la science moderne est fondamentalement basée sur l’existence préalable d’une intelligence créatrice qui fait que le monde naturel est ce qu’il est. Celui-ci n’est rien d’autre qu’un intermédiaire entre des esprits: l’esprit sans limite du Créateur et notre esprit humain limité. Res ergo naturalis inter duos intellectus constituta : « la chose naturelle est constituée entre deux intelligences », comme le dit saint Thomas.
Bref, mon argument était fondé sur un examen attentif du témoignage de l’expérience quotidienne; en d’autres mots, sur la philosophie.
Beaucoup de lecteurs vont sans doute être déçus. À tort ou à raison, il semblait que mon article initial traitait uniquement de la science, de la connaissance réelle, tangible et factuelle du monde matériel. Mais maintenant je reconnais parler la langue de la philosophie de la nature, cette manière démodée de comprendre le réel, qui disparut rapidement dans les oubliettes intellectuelles après l’arrivée de la nouvelle science de Galilée et de Newton. La philosophie survit, dit-on, seulement comme un méta-discours de la science moderne, n’apportant aucune connaissance positive par elle-même. En somme, je parais admettre que mon article était une sorte d’argument sans signification, ou au mieux subjective, tirée d’une discipline abandonnée et discréditée.
J’espère sincèrement que pour les lecteurs de First Things je n’ai pas besoin de répondre à cette caricature moderne de la philosophie. La philosophie est « la science du sens commun » qui assure notre saisie la plus fondamentale et la plus certaine de la réalité. Et, manifestement, c’est la connaissance philosophique de la réalité qui a le plus grand besoin d’être défendue à notre époque.
Aujourd’hui, le dualisme esprit-matière domine la conception chrétienne de la réalité. Par « dualisme esprit-matière » je vise la façon de concevoir la réalité physique d’après les prétentions réductrices de la science moderne (c’est-à-dire, le positivisme), associée mystérieusement à une croyance dans les réalités immatérielles des esprits humain et divin connues seulement par la foi (c’est-à-dire, le fidéisme).
Mais la raison humaine est bien davantage que la simple connaissance « scientifique » positiviste. En fait, la vraie science est impossible à moins que nous ne saisissions d’abord la réalité des essences et natures, qui sont les principes intelligibles du monde naturel. Nous pouvons avec beaucoup de profit étudier la nature en utilisant les outils et techniques de la science moderne. Mais n’oublions jamais, comme quelques savants modernes l’ont fait, que l’étude de la réalité par des méthodes réductrices conduit à une connaissance incomplète.
Pour comprendre la réalité comme elle est, nous devons revenir à notre connaissance pré- et post- scientifique, la connaissance implicite dans laquelle baigne la science, la connaissance qu’après examen critique nous appelons philosophie.
Stephen Barr m’accuse de confondre deux choses très différentes: la modeste théorie scientifique du néo-darwinisme (qu’il définit « l’idée que le ressort de l’évolution est la sélection naturelle agissant sur des variations génétiques aléatoires ») et ce qu’il appelle l’affirmation « théologique » que l’évolution est un processus « non guidé, non planifié ». « Ceci, dit-il, constitue le faux-pas capital de l’article du cardinal Schönborn. »
Supposons un instant que j’ai effectivement commis une erreur. Y a-t-il une excuse, une raison pour mon erreur ? Barr, traitant le darwinisme avec beaucoup de délicatesse, n’en dit rien. Mais il aurait pu en dire beaucoup. Il aurait pu citer des douzaines de pages de savants darwiniens faisant de telles affirmations « théologiques », avec intrépidité et sans aucune restriction, affirmant que l’évolution par variations aléatoires et sélection naturelle est un processus non guidé, non planifié.
Beaucoup de ces affirmations se trouvent dans les manuels et les journaux scientifiques, et pas simplement dans les articles pour le grand public. Je laisse à d’autres la compilation complète de ces citations. J’ai fait une modeste contribution de trois citations dans ma récente catéchèse sur la création et l’évolution dans la cathédrale St Étienne de Vienne. Voici l’une de ces trois citations, celle du savant américain Will Provine: « La science moderne suppose sans exception que le monde est organisé strictement en accord avec les principes déterministes ou le hasard. Il n’existe absolument aucun principe prémédité dans la nature. Il n’y a pas de dieux ni de forces intentionnelles rationnellement détectables. »
Barr prétend que de telles affirmations « théologiques » sont séparables d’une science du néo-darwinisme plus modeste. J’accorde qu’il y a une différence entre une science modeste du darwinisme et les grandes affirmations métaphysiques fréquemment faites en son nom. Mais laquelle des deux est la plus exactement appelée « néo-darwinisme » sans aucune restriction, comme je l’ai fait dans mon article ?
Je concède volontiers qu’une version métaphysiquement modeste du néo-darwinisme serait potentiellement compatible avec la vérité philosophique (et donc l’enseignement catholique) sur la nature. Si le darwinien, adoptant l’intention de Descartes et de Bacon de comprendre la nature uniquement selon les causes matérielles et efficientes, étudie l’histoire des êtres vivants et déclare qu’il ne peut voir aucun principe actif d’organisation de toutes les substances vivantes (causes formelles) ni aucun plan réel, dessein ou intention dans les êtres vivants (causes finales), j’accepte son point de vue sans surprise. Cela est évidemment compatible avec la vérité vraie que le monde des êtres vivants est saturé de formes et de finalité, car il n’est pas surprenant que la science réductionniste ne puisse pas reconnaître les aspects de la réalité qu’elle exclut – ou cherche à exclure – par le choix même de sa méthode.
Mais la biologie moderne, cherchant à rester fidèle à ses principes fondateurs, réussit-elle à exclure la considération rationnelle de la cause finale ? Une façon de saisir ce problème est d’examiner la notion d’ « aléatoire » et le rôle qu’elle joue dans la biologie évolutionniste moderne.
La notion d’ « aléatoire » est évidemment très importante. L’erreur technique au cœur de mon analyse du néo-darwinisme, dit Barr, est que je ne comprends pas comment le terme « aléatoire » est utilisé par la biologie darwinienne. « Si le mot <aléatoire> implique nécessairement l’idée que certains événements ne sont pas <dirigés> en ce sens qu’ils échapperaient à la Providence divine, nous devrions condamner pour incompatibilité avec la foi chrétienne beaucoup de la physique, de la chimie, de la géologie, de l’astronomie modernes ainsi que la biologie », écrit-il.
« Ceci est évidemment absurde. Le mot <aléatoire> tel que la science l’utilise, ne veut pas dire sans cause, sans dessein, ou inexplicable; il signifie sans corrélation. Mes enfants aiment regarder les plaques d’immatriculation des voitures que nous croisons sur l’autoroute, pour voir de quel État elles proviennent. La séquence des États montre un côté aléatoire: une voiture du Kentucky, puis du New Jersey, puis de Floride, etc. parce que les voitures sont sans corrélation: savoir d’où provient cette voiture ne nous dit rien sur la provenance de la suivante.
Et pourtant, chaque voiture se trouve à cet endroit, à ce moment, pour une raison. Chaque voyage est programmé, guidé, par quelque carte et quelque horaire. »
Je suis certes d’accord avec beaucoup de ce que dit Barr, et j’apprécie son charmant exemple. Je voudrais cependant suggérer qu’il oublie peut-être quelque chose à propos de la biologie moderne. Tout d’abord, nous devons observer que le rôle de l’aléatoire dans la biologie darwinienne est tout à fait différent de son rôle en thermodynamique, théorie des quanta et autres sciences naturelles. Dans ces sciences, l’aléatoire exprime notre incapacité à prédire ou connaître le comportement précis des parties d’un système (ou peut-être, dans le cas du monde des quanta, certaines propriétés intrinsèques du système). Mais dans tous ces cas, le comportement « aléatoire » des parties est inscrit et assujetti dans une structure conceptuelle hautement mathématique et précise de l’ensemble, structure qui rend ordonné et intelligible le comportement d’ensemble du système.
L’aléatoire de la biologie darwinienne n’est rien de cela. C’est simplement l’aléatoire. La variation par mutation génétique est aléatoire. Et la sélection naturelle est également aléatoire: les propriétés de l’environnement en perpétuel changement, qui dirigent l’évolution par la sélection naturelle, ne sont également corrélées à rien, selon les darwinistes. Pourtant, de cette pagaille inintelligible et sans contrainte émerge, deus ex machina, le monde ordonné avec précision et extraordinairement intelligible des organismes vivants. Et ceci est le cœur de la biologie néo-darwinienne.
Quoi qu’il en soit, revenons à l’exemple des plaques d’immatriculation et voyons ce que nous pouvons en apprendre. Supposons que la famille Barr décide un voyage vers le sud à partir de leur maison dans le Delaware, et, tout en écoutant un bref discours introductif sur le véritable sens de l’aléatoire, les enfants commencent à noter l’État de chaque plaque. Au bout de quelques heures, les enfants font une pause et livrent le rapport suivant: Bien que chaque plaque de voiture semble être sans corrélation avec la précédente ni avec la suivante, ni avec quoi que ce soit de l’environnement immédiat, les données peuvent néanmoins manifester un schéma.
Au début, presque toutes les plaques venaient du Delaware. Un peu plus tard, la majorité passa au Maryland. Quelques heures plus tard il y eut une forte hausse des plaques du District de Columbia, faisant jeu presque égal avec les plaques du Maryland. Peu de temps après, les plaques de Virginie devinrent la majorité. Maintenant ils constatent une augmentation dramatique des plaques de Caroline du Nord. Y a-t-il là un schéma ? Y a-t-il une raison à laquelle on puisse penser pour ce schéma ?
Le biologiste darwinien considérant l’histoire de la vie fait face à une question rigoureusement analogue. S’il a une vision très étroite de la variation supposée aléatoire qu’il voit, il peut bien être impossible de la corréler à quelque chose d’intéressant, et la variation demeure ainsi simplement inintelligible. Il exprime alors son ignorance de tout schéma dans la variation par le mot assez respectable « d’aléatoire. » Mais s’il prend du recul et regarde l’ensemble de la vie, il voit un schéma évident, à vrai dire une organisation imposante. Les variations réalisées au cours de l’histoire de la vie sont exactement celles qui étaient nécessaires pour produire le jeu complet des plantes et animaux qui existent aujourd’hui. En particulier, il y eut la variation exactement nécessaire pour entraîner le grand coup d’évolution aboutissant à l’être humain. Si ce n’est pas là une corrélation puissante et pertinente, alors je ne sais pas ce que pourrait être une preuve contre le hasard dans l’esprit d’un observateur.
Certains pourraient objecter que ceci est une pure tautologie, pas un savoir scientifique, que j’ai présumé la conclusion, « truqué le jeu », etc. Mais ce n’est pas vrai. J’ai simplement rapproché deux faits indiscutables: l’Évolution s’est produite (du moins nous le présumerons, pour les besoins de cette analyse) et notre biosphère actuelle en est le résultat. Les deux faits sont parfaitement corrélés. Les faits ne sont pas des tautologies simplement parce qu’ils sont indiscutablement vrais. Si le biologiste moderne veut ignorer cette corrélation indiscutable, je n’y ai pas d’objection. Il est libre de définir sa science avec des règles aussi étroites qu’il le trouve utile pour obtenir un certain genre de connaissance.
Mais il ne peut pas ensuite faire demi-tour et nous demander, à nous qui ne sommes pas contraints par son auto-limitation méthodologique, d’ignorer les vérités évidentes de la réalité, telle que la nature clairement téléologique de l’évolution.
Revenons sur un mot révélateur de Barr. Il se réfère à ma compréhension prétendument trop large du néo-darwinisme comme étant une incursion injustifiée de la théorie dans le domaine de la « théologie ». L’usage de ce mot signifie-t-il que nous ne pouvons connaître la réalité de la téléologie dans le monde des vivants, que par référence à la vérité révélée ? Cela signifie-t-il que la raison humaine ne peut saisir sans aide, l’ordre évident, le dessein et l’intelligence manifestés si clairement par les vivants ? Cela signifie-t-il que nous rendons un culte à un Dieu injuste qui, comme l’enseigne Romains 1, 19-20, punit ceux qui ne respectent pas la loi naturelle, loi dit saint Paul, qu’ils ne peuvent manquer de reconnaître par l’ordre manifeste de la nature ?
L’article de Barr traite assez longuement la question de la finalité en biologie, mais il n’affirme pas clairement que la raison peut saisir la réalité de la finalité sans l’aide de la foi. Si ma lecture est correcte (et j’espère me tromper), Barr a ici suivi l’immense majorité des commentateurs catholiques de l’évolution néo-darwinienne, qui discutent volontiers sa compatibilité avec les vérités de foi, mais qui se soucient rarement de savoir si et comment elle est compatible avec les vérités de la raison.
Maintenant que le rôle du fidéisme est apparent, je puis peut-être utilement revenir à la question de la signification essentielle du mot « néo-darwinisme ». Si, comme beaucoup semblent le croire, le néo-darwinisme constitue une hypothèse valable de rejet de la finalité au niveau de la raison humaine, mais n’est sauvé de conclusions finalement erronées que par l’intervention de la théologie, alors il semble que ma définition large est entièrement justifiée. Si la raison est incapable de saisir la réelle téléologie2 dans les vivants et dans leur histoire, alors le néo-darwinisme – évidemment incapable de prendre en compte des vérités théologiques- peut véritablement être qualifié de théorie affirmant, selon les mots de mon article initial, que l’évolution est » un processus ni guidé ni planifié de variations et de sélection naturelle aléatoires. »
Ce que tant de catholiques semblent penser, pour autant que nous puissions le conclure avec nos intelligences humaines non assistées, et même selon la version « métaphysiquement modérée » du néo-darwinisme, est qu’il n’existe pas de plan réel, de dessein ou de finalité dans les vivants, et absolument aucune orientation de l’évolution; cependant nous savons par la foi que ces choses sont vraies. En d’autres termes, un néo-darwinisme « métaphysiquement modéré » n’est pas si modéré, après tout. Il signifie un darwinisme n’entrant pas en conflit avec la connaissance de la réalité telle qu’elle est connue par la foi seule. Dans le débat sur la finalité dans la nature, sola fides (la foi seule) prend un sens entièrement nouveau.
La science moderne par elle-même peut bien être incapable de comprendre les vérités-clés de la nature qui sont serties dans la théologie et la morale catholiques. Et la théologie proprement dite ne livre pas non plus ces vérités-clés. Antérieurement à la science et à la théologie, il y a la philosophie, la « science du sens commun ». Son rôle en ces matières cruciales est indispensable.
Revenons au cœur du problème: le positivisme. La science moderne commence par exclure a priori les causes formelles et finales, puis elle analyse la nature avec la méthode réductrice du mécanisme (causes matérielles et efficientes), et elle déclare alors que les causes formelles et finales sont manifestement irréelles, et que sa méthode de connaissance du monde corporel a la priorité absolue sur toutes les autres formes de connaissance humaine. Étant mécaniste, la science moderne est également historiciste: elle prétend que la description complète de l’histoire des causes matérielle et efficiente d’une entité donne une explication complète de l’entité elle-même; en d’autres termes, comprendre comment une chose est produite, est similaire à comprendre ce qu’elle est. Mais la pensée catholique rejette la dichotomie appliquée au monde naturel et retient au contraire une vision holistique de la réalité basée sur toutes les facultés de la raison et sur toutes les causes évidentes dans la nature, y compris les causes « verticales » de formalité et de finalité.
Certains peuvent objecter que mon article initial du New York Times était trompeur car on pouvait trop facilement le prendre pour un argument sur les détails de la science. En fait, je m’attendais à quelque incompréhension initiale. Même s’il avait été possible en mille mots de rédiger un texte extrêmement nuancé sur les relations entre la science moderne, la philosophie et la théologie, le propos aurait sans doute été rejeté comme « pure philosophie » ne faisant pas le poids pour contester l’hégémonie du scientisme. Il était d’une importance cruciale de revendiquer en faveur de la finalité dans la nature sous une forme qui ne fût en rien inférieure à un argument « scientifique » (au sens moderne). En réalité, mon argument était supérieur à un argument « scientifique » puisqu’il était basé sur des principes et vérités plus certains et plus permanents.
Le monde moderne a grand besoin d’entendre ce message. Ce qui passe souvent pour de la science moderne, avec sa lourde accumulation de matérialisme et de positivisme, est simplement une vue erronée de la nature sur des points essentiels. La science moderne est souvent, selon les mots de mon article, « de l’idéologie, pas de la science. » Les problèmes créés par le positivisme sont particulièrement nuisibles dans les implications fortement anti-finalité tirées de la théorie de l’évolution de Darwin. Devenue la nouvelle « philosophie première » du monde moderne, elle donne une description totale et fondatrice de la réalité allant bien au-delà du fondement justifié par la science réductrice et descriptive sur laquelle elle est basée. Mon article était destiné à sortir les catholiques de leur sommeil dogmatique à propos du positivisme en général et de l’évolutionnisme en particulier. Il semble y être parvenu.
1 First Things 159 (Janvier 2006) pp. 34-38. Traduction française autorisée par First Things et réalisée par Claude Éon.
2 Téléologie =finalité.