Partager la publication "L’authenticité du Suaire selon la mathématique appliquée. Étude comparative du calcul des probabilités"
Par Fernando Lagrifa Fernandès
Fernando Lagrifa Fernandès1
Résumé : Blaise Pascal fut peut-être un des premiers savants à exprimer la prise d’une décision en termes d’un calcul de probabilités. Yves Delage, professeur de biologie à la Sorbonne, appliqua le premier cette méthode au Saint-Suaire : le 21 avril 1902, il y a 100 ans, il présentait à l’Académie des Sciences une communication fondée sur 5 caractéristiques (faits exceptionnels, particularités hautement significatives et coïncidence d’irrégularités). Ces 5 facteurs permettaient une approche logique de l’authenticité du Linceul comme linge funéraire ayant enveloppé le corps de Jésus-Christ. Depuis lors, de nombreux érudits ont prolongé les calculs d’Yves Delage et il paraît opportun d’analyser la recherche ainsi poursuivie durant un siècle. La présente étude fait la synthèse de 25 calculs publiés et conclut à une probabilité de 1 sur 196.560.000.000.000. que l’homme du Linceul ne soit pas Jésus. Ainsi, comme d’autres l’ont déjà affirmé (Lentini, Fossati, etc.), nous avons la certitude morale de l’authenticité du Saint-Suaire de Turin.
Du point de vue scientifique et technique, le Linceul de Turin se présente comme un problème. Or la plupart des conclusions scientifiques portant sur de tels phénomènes complexes sont des jugements de probabilités.
Des spécialistes, regroupant les différentes disciplines concernées, décomposent les faits étudiés, élaborant ainsi des théories explicatives. Mais ces théories ne constituent pas en elles-mêmes la substance des choses.
Quand les spécialistes déclarent aboutir à des conclusions, leurs affirmations doivent être prises dans le sens suivant : certaines théories publiées constituent simplement une interprétation de certains événements ou phénomènes ou faits, interprétation établie en terme de probabilités.
Par cette remarque préliminaire, nous voulons souligner que les réponses exigées des scientifiques, notamment dans le cas du Saint-Suaire, peuvent tout simplement ne pas être certaines à 100 %.
La science n’a pas encore donné et ne pourra peut-être jamais apporter une réponse définitive à une question qu’il revient aux historiens d’étudier et, si possible, de trancher. Mais on ne parviendra sans doute pas ainsi à une certitude absolue.
Ainsi la « preuve scientifique » à 100 % s’avère chose impossible. Car en réalité, selon sa nature philosophique propre, la science ne se propose jamais de prouver quelque chose ; ce serait une erreur méthodologique de contraindre la science dans un rôle de décideur qui ne saurait lui revenir.
Tournons-nous maintenant vers les jugements de probabilités.
Blaise Pascal (1632-1662) dans ses Pensées fut un des premiers savants à exprimer le problème des décisions en terme de calcul de probabilités. Aujourd’hui le rôle de cette mathématique appliquée croît constamment et fait même l’objet de diplômes universitaires spécialisés.
Or le 28 mai 1898, avec la découverte d’une image photographique mystérieusement imprimée sur le Linceul, s’ouvrit une épopée scientifique : Secondo Pia rendit présent le visage et le corps de quelqu’un. Sur la plaque de verre, par l’inversion du noir et du blanc, le « négatif » se fît « positif » et révéla un portrait.
Deux choses doivent être rappelées ici. Tout d’abord que la découverte de cette image sur le Suaire fut si inattendue que, durant des années, on crut à un truquage, à un tour de magie, et une polémique s’ensuivit. Ensuite que des personnalités de premier plan se sont prononcées sur la valeur et l’authenticité de ce portrait.
Les polémiques se poursuivent, exprimant toujours le scepticisme et les préjugés de leurs auteurs. Parmi les témoignages favorables, citons :
– Paul Claudel : « La découverte photographique est si importante que je n’hésite pas à l’appeler une seconde résurrection ». Et encore : « Plus qu’une image, il s’agit d’une présence ».
– Daniel Rops : « Visage ineffable, plein de beauté et majestueusement surhumain. »
– Le pape Pie XI : « Cette photographie vaut bien plus que n’importe quelle recherche. »
S’ajoute désormais un siècle de travaux scientifiques multiples. Parmi ces recherches, un chapitre me semble mis à l’écart par de nombreux savants et, de ce fait, trop ignoré du grand public.
Il s’agit de l’étude commencée sous la direction du Pr Yves Delage en 1902, à Paris. Sa communication à l’Académie des Sciences constitue un moment historique. Il concluait en effet que, à considérer le calcul des probabilités, le Suaire de Turin était le linceul ayant enveloppé le corps de Jésus-Christ.
Les autres hypothèses (soit la possibilité qu’il s’agisse d’un autre crucifié présentant les mêmes marques significatives telles que la couronne d’épines, la plaie au cœur, les traits physionomiques, etc…,) ne possédaient qu’une probabilité inférieure à un sur dix milliards.
Cette communication tourna au scandale !1 Aujourd’hui, cent années plus tard, l’épisode reste d’une vivante actualité. Ce fut le 21 avril 1902 dans le même salon où, quinze ans plus tôt, Pasteur avait présenté son vaccin contre la rage2. Sous le titre « L’image du Christ visible sur le Saint-Suaire de Turin », Delage exposait les travaux effectués dans son laboratoire et sous sa direction, par Paul Vignon et par René Colson, professeur à l’Ecole Polytechnique. Devant une assistance attentive, nombreuse et qualifiée, il montra que la photographie du Linceul était anatomiquement parfaite jusqu’aux moindres détails.
Il insista sur l’absence de toute trace de pigments colorés sur le tissu et souligna la nature très particulière de l’image. Pour illustrer son exposé, il l’accompagna de projections photographiques. Delage conclut sa communication en affirmant que l’image portée par le Saint-Suaire était celle de Jésus-Christ, créée par un processus physico-chimique particulier lors de son séjour au tombeau.
Depuis 1902, de nombreux chercheurs, médecins ou non, ont développé ce travail précurseur d’Yves Delage, le prolongeant et l’approfondissant sans jamais remettre en cause sa conclusion, d’authenticité.
Un siècle plus tard, il semble utile de reprendre et de confronter les différents calculs de probabilités qui furent publiés.
Chaque chercheur présente une approche particulière et isolée ; aussi l’étude comparée et la synthèse de ces calculs permettra-t-elle d’en tirer toute la valeur mathématique et philosophique.
On s’est appuyé ici sur les travaux publiés par P. Vignon, P. Barbet, L. Fossati, P. de Gail, G. Ricci, B. Barberis, T. Zeuli, S. Rodante, J. Etxeândia, L. Schiatti, A. Legrand, G. Tessiore, K. Stevenson et G. Habermas, S. Lentini, R. Sorgia, I. Wilson, le P. Filas, Donovan, B. Bonnet-Eymard, B. Bollone, J. Leysen, J. Espinosa et quelques autres.
Nous avons vu comment Delage avait observé la marque des blessures révélées par la photographie du Suaire, notant leur perfection anatomique, sans le moindre indice de fraude. Selon les faits empiriques, le Linceul se confirme être un objet archéologique véritable : un authentique Linceul qui enveloppa le corps d’un crucifié, présentant des signes évidents de rigidité cadavérique (Barbet, Moedder, Judica-Cordiglia, Willis, Sava, Bucklin, etc…).
Il s’agit sans aucun doute d’une pièce de lin archéologiquement datée : tissée sur un métier utilisé en Palestine à l’époque de Jésus-Christ. Cette datation est confirmée par l’étude des pollens et par la phyto-géographie, par la paléographie et par l’empreinte probable de pièces de monnaies émises au temps de Pilate.
Jointe à ces preuves d’authenticité du Suaire, l’observation du corps (après étude statistique des signes particuliers communs à l’homme du Linceul et à la personne de Jésus) permet de mettre en équation la probabilité de cette identification.
Considérant ces coïncidences (traits communs, détails particuliers, irrégularités, caractéristiques significatives et exceptionnelles), Delage concluait à une probabilité de un sur dix milliards.
Par la suite, quelques auteurs proposèrent des calculs donnant une probabilité supérieure, mais toujours inférieure à 1 : 10.000.000. (J.H. Heller).
Adoptant « une position volontairement sceptique », amplifiant à dessein tous les éléments contraires, Stevenson et Habermas aboutissent (dans leur livre « Verdict sur le Suaire » ) à une probabilité de 1 sur 82.944.000. Ils concluent toutefois qu’il n’y a « aucune possibilité pratique » pour que l’homme enseveli dans le Linceul ne soit pas Jésus. De son côté Antoine Legrand arrive à une estimation de 1 sur1.000.000.000 et R . Sorgia décuple cette improbabilité à un sur dix milliards, soit le même chiffre qu’Yves Delage.
Nos recherches bibliographiques sur plusieurs dizaines d’auteurs n’ont donné que trois résultats en deçà du chiffre de Delage. La plupart de ces calculs de probabilités aboutissent en fait à des chiffres astronomiques :
– Bruno Barberis : un sur deux milliards ;
– T. Zeuli : un sur deux cent vingt-cinq milliards ;
– G. Tessiori : un sur deux cent quatre-vingt milliards ;
– Baima Bollone : un sur mille milliards ;
– Donovan : un sur deux cent quatre-vingt-deux mille milliards ;
– S. Rodante : un sur neuf cent soixante mille milliards.
Mais les chiffres les plus élevés publiés par des spécialistes en calcul des probabilités, atteignent des valeurs stupéfiantes :
– Carreño Etxeândir, sindonologue espagnol bien connu pour l’exhaustivité de ses ouvrages, écrit : « Ni la Magna Carta, ni la Déclaration d’Indépendance, ni un billet de mille dollars, ni aucun document au monde ne présente autant de garanties d’authenticité que le Linceul. Son calcul donne un sur cinq mille millions de millions (0,2 x 10-15). »
– Le Père Filas, universitaire américain connu pour avoir identifié l’empreinte de monnaies romaines sur le Linceul, aboutit à 10-26 !
– Madame Leysen, spécialiste belge, trouve même 10-46 !
En présence de tous ces calculs, nous allons faire une étude composée, mais par défaut. Au lieu de prendre dix facteurs, ou plus, nous nous limiterons à sept :
1. L’homme du Saint-Suaire eut l’honneur d’être enseveli dans un très beau linceul de lin. Combien de crucifiés (criminels, esclaves, ou autres condamnés à mort) auront échappé au sort commun et reçu pour leur sépulture un splendide et riche linceul ?1 Admettons une probabilité de 1 sur 150.
2. Selon la loi, nul ne pouvait être condamné à une double peine et les crucifiés (condamnés à mort) n’étaient pas flagellés.
Le Linceul nous présente un cas exceptionnel de flagellation systématique (sur tout le corps) suivi d’une mort en croix. Quelle peut être la proportion de cette insolite flagellation d’un crucifié ? Admettons : 1 sur 6.
3. Le seul cas historique connu de couronnement d’un condamné à mort est celui de Jésus-Christ. Pour quelles raisons et à combien de condamnés le tribunal aurait-il fait porter une couronne d’épine ? Peut-être 1 sur 1300.
4. Les crucifiés étaient généralement attachés avec des cordes (réutilisées) et non cloués (les clous ne servent qu’une seule fois). Admettons ici quand même une probabilité de 1 sur 3.
5. L’homme du Linceul n’eut pas les os brisés. C’était pourtant la manière normale d’achever les crucifiés en arrêtant leurs souffrances (et de mettre un terme au travail des exécuteurs). Pour s’assurer de la mort, le soldat donna un coup de lance, geste rarement attesté. Probabilité : peut-être 1 sur 7.
6. Il est impossible de détacher un pansement sans rompre des fibrilles du sang coagulé. Or ce phénomène se constate sur l’ensemble des blessures de ce linceul. De plus nous savons, par étude chimique, que ce cadavre est demeuré enveloppé dans le Suaire pendant environ 36 heures. Les écoulements de sang post mortem confirment la mort clinique.
Pourtant aucun signe de décomposition ne se rencontre. Probabilité d’un tel phénomène : 1 sur 200.
7. Enfin, considérons l’extraordinaire beauté de cette image du corps, et particulièrement le visage fascinant et sublime. Loin de tracer les traits d’un criminel, il offre au contraire une face miséricordieuse, majestueuse et noble, qui impressionne même les intellectuels et les artistes. Un visage transcendant qui convient au Christ. Probabilité : 1 sur 40.000.
Conclusion : la probabilité statistique de rencontrer ensemble ces divers critères s’obtient par une simple multiplication :
1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | |||||||
______ | x | ______ | x | ______ | x | ______ | x | ______ | x | ______ | x | ______ | = | ______________________ |
150 | 6 | 1.300 | 3 | 7 | 200 | 40.000 | 196.560.000.000.000 |
Soit donc une probabilité de 1 sur 196 mille milliards. Ou encore : s’il s’était opéré 196 mille milliards de crucifixions, il est probable qu’un seulement de ces crucifiés ressemblerait à Jésus-Christ.
Remarquons encore ceci :
– La population mondiale est inférieure à 10 milliards d’habitants
– la probabilité de gagner à la fois le gros lot à la loterie, la bonne carte au hasard sur un jeu de 40 cartes, au lancer des dés et à pile ou face, est inférieure à 1 sur 5 milliards.
– Un calcul plus fouillé ne peut que renforcer cette conclusion, les approximations ayant toujours été faites par défaut.
De plus nous avons laissé de côté bien d’autres particularités du Linceul et notamment la tridimensionnalité de l’image. Il s’agit pourtant d’un fait véritablement exceptionnel dont l’étude a soulevé chez les spécialistes du STURP une liste de 85 questions dont beaucoup restent et resteront peut-être sans réponse… Or il est manifeste que cette image avec sa problématique est associée à la personne de Jésus-Christ : un lien éventuel avec les circonstances de Sa résurrection a été défendu à maintes reprises dans les congrès de sindologie.
Considérant l’évaluation permise par le calcul mathématique des probabilités, la question de l’authenticité du Saint-Suaire se trouve définitivement réglée. Déjà la critique et la synthèse épistémologiques (si bien analysées au Symposium de Rome en 1993 par Upinsky) avaient éclairé ce problème d’une manière irréversible.
Mais, une fois confirmée l’authenticité avec l’identification de l’homme du Linceul, aujourd’hui donc, après cent années de recherches scientifiques, il ne subsiste aucune raison de douter encore de l’authenticité d’ensemble du Saint-Suaire.
Déjà Pierre Barbet, dans la première moitié du siècle passé, avait considéré que : « du point de vue anatomo-physiologique, l’authenticité du Saint-Suaire est une vérité scientifique ».
En se fondant sur le calcul probabiliste, J. Espinoza disait : « La probabilité (que l’homme du Linceul ne soit pas Jésus) est si insignifiante qu’en pratique c’est comme si elle n’existait pas. »
H. Thurston, se réfèrant aux signes particuliers qui permettent l’évaluation statistique, souligne : « Depuis la création du monde, ces détails n’ont pu se rencontrer chez aucune autre personne.»1
Giulio Ricci, après une vie entière dédiée à l’étude du Saint-Suaire, considère qu’il s’agit « d’un auto-document… authentifié par Pilate » et qualifie le Linceul de « carte d’identité ».
Pour Upinsky, l’identité de l’homme du Linceul est « aussi certaine que celle d’un individu connu par ses empreintes digitales ».
Lentini et Fossati en viennent même à parler du calcul des probabilités comme d’une voie qui -moyennant l’usage de la logique et le constat empirique des faits- nous conduit à une véritable « certitude morale ».
En conclusion, je propose que ce centenaire de l’identification mathématique de l’Homme du Linceul soit l’occasion d’un juste hommage international envers Yves Delage.
1 L’auteur préside le Centre Portugais de Sindologie. Ingénieur, il est aussi connu comme journaliste catholique et animateur d’émissions de radio.
1 Ndlr. Marcelin Berthelot, grand chimiste mais anticlérical forcené, alors Secrétaire de l’Académie des Sciences, ôta la communication de son confrère des compte-rendus de séance, fait inouï ! Delage, pourtant agnostique, en fut profondément affecté et finit par quitter Paris pour se consacrer à la station océanographique de Roscoff. Il avait eu cette phrase mémorable : « Je n’ai point fait œuvre cléricale parce que cléricalisme et anticléricalisme n’ont rien à voir dans cette affaire. Je considère le Christ comme un personnage historique, et je ne vois pas pourquoi on se scandaliserait qu’il existe une trace matérielle de son existence » (Revue Scientifique du 31 mai 1902).
2 Ndlr. En réalité le vaccin de Pasteur n’a presque pas été utilisé. De plus, il faut savoir (et Pasteur le savait) que, dans cinq cas sur six, la morsure par un chien réellement enragé, ne provoque pas la rage. Ce fait réduisait à néant les bulletins de victoire de Pasteur, son essai ne portant que sur un seul cas négatif, celui du petit Meister !.. (Nous reviendrons sur cette histoire dans un prochain numéro).
1 Ndlr. Le tissage d’un tel linceul en chevrons représentait 4 à 5 mois de travail, soit l’équivalent, aujourd’hui de 35.000 FF (plus de 5.000 Euros).
1 Cité par Ian Wilson, « Le Suaire de Turin », p.63-64.