un pseudo-scientifique hybridé et adaptatif

Par: Pr Pierre Rabischong

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SCIENCE ET TECHNIQUE

« Les rationalistes fuient le mystère pour se précipiter dans l’incohérence. »(Bossuet)

                        

Résumé. Ne pas croire à l’évolution, pour Jean Staune, signale soit une insuffisance cérébrale, soit un blocage mental (qu’il nomme « effet Gell-Mann »). Or il est difficile de présenter Pierre Rabischong, ancien Doyen de la Faculté de médecine de Montpellier, comme un farfelu ou un minus habens, d’autant qu’il fut naguère invité par la Fondation Templeton qui subventionne l’association dirigée par Jean Staune, l’UIP. Il en fait donc « un des leaders français de l’Intelligent design », version douce, donc en deçà du seuil pathologique, de « l’obscurantisme antiévolutionniste ». On trouvera ci-après les commentaires que  La science en otage  a inspirés au Pr Rabischong.

J’ai eu l’occasion de connaître personnellement Jean Staune qui m’avait invité à participer à un workshop organisé le 4 mai 2004 à l’Institut de Paléontologie Humaine avec l’aide de la Fondation John Templeton. J’avais fréquenté cet Institut pour y travailler avec mon maître et ami le Pr Henri Vallois, l’éminent anthropologue bien connu des spécialistes, durant mon certificat d’Anthropologie en 1958. Aussi ce fut pour moi une agréable occurrence de retrouver ce lieu prestigieux dirigé alors par le paléontologue Henri de Lumley.

John Templeton est né en 1912 dans le Tennessee. Durant la grande dépression américaine de 1932, il entre à l’Université de Yale, mais son père lui annonce qu’il ne pourra plus payer ses études, ce qui, dit-il, « fut décisif pour moi ». Il décide donc de subvenir lui-même à ses besoins, en cumulant trois emplois différents et en travaillant durement jour et nuit y compris les samedis-dimanches.

Il intègre l’Université, obtient un diplôme en droit et devient l’un des plus talentueux financiers de son époque en créant sa propre compagnie, à Wall Street, et un des plus importants fonds d’investissement international. Puis, à l’âge de 80 ans, il vend son propre fonds mutuel à son concurrent le plus puissant, « Franklin Resources » en Californie. Muni de cette somme importante, il décide d’en consacrer une grande partie au progrès dans l’information spirituelle, dont il comprit très tôt l’insuffisance et la nécessité de développer des recherches dans le domaine de la religion. « La joie, disait il, vient de donner et non de recevoir ». De ce fait, la John Templeton Foundation a soutenu financièrement plus de 300 projets, créé un « Institut de recherche sur l’amour sans limite » (Research on Unlimited Love). Mère Theresa fut la première, en 1973, à bénéficier du Prix Templeton distribué chaque année à des personnes ayant fait preuve d’une grande originalité dans une recherche ou une découverte visant à mieux comprendre Dieu et les réalités spirituelles (la somme obtenue par les heureux bénéficiaires est plus élevée que celle du prix Nobel).

 La réunion de mai 2004 avait pour thème  Issues in Evolutionary Biology, avec une particulière attention aux problèmes de convergence dans l’évolution et au modèle du « gène égoïste » (selfish gene) dans la sélection naturelle, en ignorant volontairement les critiques concernant l’évolution, ce qui serait, écrivaient-ils en préambule, une forme de créationnisme. Ainsi étaient posées d’entrée les règles de la discussion et, de ce fait, je me suis trouvé le seul à ne pas croire dans l’évolution en faisant ma présentation : Programming in Evolution, dans laquelle je m’efforçais d’expliquer que la vie sous toutes ses formes ne pouvait s’être faite seule sans une aide extérieure, et donc qu’il valait mieux parler de programmisme plutôt que d’évolutionnisme. Bien entendu, cette proposition ne rencontra pas l’écho favorable que j’espérais parmi un aréopage fait de darwiniens purs et durs du style de Jean Chaline de Dijon qui, de façon totalement fantaisiste, stipule un changement important de notre espèce (Homo futurus) dans huit-cent-mille ans, de Ludovico Galleni de Pise, Anthony Trewawas d’Édimbourg ou Anne Dambricourt-Malassé de Paris.

Celle-ci a émis une hypothèse qui l’a fait traiter de créationniste par Guillaume Lecointre, ce qui n’a rien d’étonnant venant de cet inconditionnel rigide du darwinisme, car elle pense qu’existe une sorte de logique interne, un « attracteur » spécifique au niveau du sphénoïde (os de la base du crâne), qui conditionnerait les différents types de structures identifiables en six étapes, depuis les singes jusqu’à l’homme, chaque étape se trouvant en rapport avec le degré d’enroulement du tube neural primitif. Bien qu’elle soit une excellente anthropologue capable de faire des mesures d’une grande précision, elle confond ici l’effet et la cause. De plus, elle était à cette époque secrétaire de l’Association Teilhard de Chardin, ce qui la mettait également dans une position délicate. Jean Staune a d’ailleurs fait avec elle son DEA de paléontologie, sur la contraction cranio-faciale, lequel lui valut une mention « assez bien » peu glorieuse.  

Au cours de ce workshop, l’actuel président de la Fondation, fils du fondateur, et Paul Wason, responsable des programmes firent état d’un budget de 5,5 millions de dollars pour un nouveau programme de recherche sur l’étude de la vie, pour lequel ils demandèrent à l’assistance des suggestions de thèmes à développer. En ce qui me concerne, je proposai de faire un appel d’offres international pour tous les laboratoires de biologie expérimentale, en offrant un prix de 3 millions de dollars à celui qui réussirait à provoquer expérimentalement, en laboratoire, le passage d’une espèce à l’autre (du style : « je vous donne un reptile, faites-moi un oiseau ! »). J’ajoutai que la Fondation aurait toutes les chances de conserver ses finances, tant la tâche s’avère impossible. En effet, jusqu’à présent, personne n’a réussi à démontrer cette filiation interspécielle qui est pourtant la base de la théorie de Darwin revue et corrigée, laquelle stipule qu’à coup de mutations aléatoires (c’est-à-dire non prévisibles et donc non programmables), triées par une sélection naturelle détectant des avantages, on peut expliquer toute la séquence historique de l’apparition des espèces. Les travaux de Morgan sur la drosophile qui a subi plus de 400 mutations par des rayonnements, ont abouti à ce résultat : la drosophile est toujours la drosophile, sans que personne n’ait réussi à créer une autre espèce de mouche.

Comme le disait avec humour le grand biologiste Pierre-Paul Grassé : il ne faut surtout pas prendre comme exemple la drosophile ou les bactéries, si l’on veut démontrer la réalité de l’évolution.

Jean Staune est un personnage intéressant qui a très vite compris que la meilleure façon d’être universitaire était de créer sa propre université, ce qu’il fit en 1995 avec l’Université Interdisciplinaire de Paris (IUP), dont il reste le secrétaire général. Avec cet instrument à disposition, il a organisé de nombreuses réunions et colloques. Il consacre beaucoup de temps à la lecture et à l’écriture et déclare en toute modestie : « je pense faire partie des 10% de citoyens français les mieux informés. » De ce fait, il a publié et diffusé largement des livres écrits par lui dont, en 2007,  Notre existence a- t- elle un sens ? , un énorme pavé de 533 pages où tout est passé en revue : Le réel ; D’où venons-nous ? Où allons nous ? Sommes-nous ici par hasard ? Qui sommes-nous ? Dans un foisonnement buissonnant et dissonant, une permanente acrobatie de mots et d’images fait sauter le lecteur de la théorie quantique au Big-bang en passant par un principe anthropique super fort, la religiosité cosmique ou les évolutions de l’évolution. On réalise qu’il se comporte plus en journaliste curieux de tout qu’en vrai scientifique. Il jongle avec l’hégémonie du darwinisme, passe en revue toutes les hypothèses et leurs auteurs : les darwiniens, les non darwiniens faibles, ceux au sens fort qui représentent la biologie évolutionniste non darwinienne avec l’auto-organisation, les logiques internes et les macromutations canalisées, les néo-lamarckiens, l’évolution quantique, l’Intelligent design, les créationnistes de la terre vieille et de la terre jeune. Il affirme avec force un credo qui n’est pas celui de la religion catholique à laquelle il dit pourtant appartenir : « L’évolution est un fait et toutes les preuves existent pour démontrer que, si l’on remonte la longue suite de nos ancêtres, on trouvera bien un singe, puis un poisson, puis un invertébré et enfin une bactérie. D’où l’absurdité de la seule alternative à l’évolutionnisme, le créationnisme, c’est-à-dire l’idée selon laquelle il y aurait eu des créations séparées des différentes espèces qui peuplent la terre.» (p. 208)

Et d’ajouter : « Aucun scientifique ayant une position officielle dans les sciences de la vie n’est créationniste.» (p. 215) 

Une autre variété de son credo flexible est : « Je crois que Dieu a créé les lois de la nature, que ces lois génèrent en elles-mêmes des choses telles que la table des éléments qui permet de classer les atomes, la structure des cristaux de neige, ou les archétypes des diverses formes d’êtres vivants, et que ce sont ces lois et ces archétypes qui guident l’évolution » (p. 352). Il annonce une Nouvelle Théorie de l’Évolution, la NTE, « sans savoir sur quoi elle reposera » (p. 322), en affirmant que « nous aurions besoin d’un Einstein de la biologie ». Il fait une liste de nouvelles directions de recherche irréalisables en terminant par le grand défi qui attend la NTE : 

« 1. Déterminer les espèces qui ont une capacité à évoluer et celles qui l’ont perdue ; 2. Déterminer, pour celles ayant encore cette capacité, quel pourrait en être le stade futur ; 3. Et, enfin, trouver le moyen, s’il existe, de déclencher le mécanisme permettant l’évolution de l’espèce vers l’état prédit.» (p.336) 

On reste confondu devant ces élucubrations fantaisistes qui montrent à l’évidence que Jean Staune n’est pas un biologiste. Bien sûr, il n’est pas fait mention dans ce livre des propos que j’ai développés dans mon livre Le Programme Homme paru aux PUF en 2003 et que j’avais dédicacé pour Staune et certains membres de la fondation Templeton. Ceci montre aussi qu’il s’agit d’un opportuniste qui ne s’intéresse qu’à ceux qui soit le critiquent agressivement du style de Lecointre (voir le site web de Staune pour apprécier), soit peuvent lui donner une bonne image comme cette photo d’un Staune à genoux devant Jean Paul II avec un maintien postural caractéristique du bon apôtre.

Son dernier livre  La Science en Otage, paru fin 2010, le fait gloser avec abondance sur tout, c’est-à-dire sur une grande quantité de sujets pour lesquels il n’a pas de compétence reconnue, tels que le réchauffement climatique (avec une blague de mauvais collégien quand il parle de débat qui « tourne allègre »), le nucléaire, la grippe H1N1, les OGM. Il s’attaque aussi à des membres de notre groupe : Guy Berthault et Dominique Tassot.

Concernant Guy Berthault, il dit, ce que nous pensons tous, que « c’est un homme intelligent, poli et, surtout, ayant de la suite dans les idées » (p. 26). 

Il en expose les idées et les démonstrations expérimentales sur la formation des couches sédimentaires où la vitesse du flux porteur et la granulométrie des particules jouent un rôle plus important que le temps, ce qui peut permettre, dans l’analyse des strates d’un facies sédimentaire, d’y voir des couches superposées apparues en même temps, contrairement à l’hypothèse classique de Lyell ; mais Staune croit pouvoir en conclure : « Ainsi le créationnisme de la terre jeune peut-il être considéré comme une théorie du doute systématique » !

Bien entendu, il occulte les faits qui pourraient renforcer les découvertes de Guy Berthault, lequel n’a jamais voulu polémiquer, et en particulier ses travaux avec des équipes russes de qualité, publiés dans des revues officielles, ainsi que les articles de Jean de Pontcharra, physicien chercheur au CEA de Grenoble qui a critiqué avec beaucoup de pertinence les méthodes de datation, dont celle au Potassium/Argon. Toutes ces recherches ont fait l’objet d’un colloque à l’Université de La Sapienza, à Rome, en 2008, et d’un workshop organisé en 2009 au CNR de Rome (l’équivalent du CNRS) sous la direction de Roberto de Mattei, vice-président du CNR, avec la publication d’un livre : Evoluzionismo : il tramonto di una ipotesi (Evolutionisme, le déclin d’une hypothèse), dont bien entendu Jean Staune n’a pas fait mention, sans doute aussi par ignorance volontaire.

Dominique Tassot est également cité, mais comme membre du CESHE (Cercle d’études scientifiques et historiques) alors que, depuis 13 ans, il a créé et anime le CEP (Centre d’Etudes et de Prospective sur la Science), dont la revue trimestrielle Le Cep a pourtant été envoyée gratuitement à Staune jusqu’en 2004. Celui-ci argumente sur deux points particuliers du livre À l’image de Dieu de Dominique Tassot : la poussière lunaire et la décroissance du champ magnétique terrestre. Il estime tragique une grave désinformation du public et le risque pour les jeunes apprenant la vérité de « rejeter non seulement le créationnisme, mais aussi la foi chrétienne que ces arguments prétendaient soutenir ».

On ne peut s’empêcher de rire en lisant cette phrase, car Staune, qui se dit chrétien et même catholique, ne prêche guère pour sa paroisse et la lecture de ses livres n’est sûrement pas pour les jeunes un encouragement à persévérer dans la foi ou à se convertir, s’il le faut, à la religion chrétienne.

Je suis personnellement mentionné (p. 43) à propos des gènes homeobox, mais par une citation extraite de la revue Fideliter, destinée à un public religieux, alors que j’ai longuement développé cette argumentation dans mon livre Le programme Homme, publié aux Presses Universitaires de France. Staune pense, soutenu fortement par Chaline, que le fait de retrouver des gènes architectes homeobox responsables de l’architecture des structures embryonnaires aussi bien chez la mouche, la souris ou chez l’homme est une « preuve » que tous ces êtres vivants ont un ancêtre commun, ce qui à l’évidence est une hypothèse non démontrée et plaide plus en faveur d’un constructeur unique de tout le système vivant. Staune l’explique d’ailleurs lui même très bien en disant, dans le paragraphe précédent, que « c’est peut être simplement parce que le créateur, après avoir inventé ce système déjà très perfectionné, n’a pas jugé nécessaire d’en inventer un autre. »[1]

En sautant les chapitres consacrés à des domaines où Jean Staune n’est que le rapporteur de propos compilés dans l‘abondante littérature trouvée sur les moteurs de recherche d’Internet, on arrive à sa conclusion où, modestement, en forme de tables de la Loi, il énonce 7 préceptes à suivre et où il veut faire de la théorie de Darwin un cas particulier d’une théorie plus vaste qui serait le « structuralisme » auquel il a consacré un livre particulier. Il cite abondamment Vincent Fleury (dont la soi-disant approche nouvelle de l’origine des êtres vivants est cependant hautement critiquable) et s’obstine à affirmer l’existence d’un ancêtre commun.

Il évoque les phénomènes de convergence chers à Simon Conway Morris et appelle à la rescousse Goethe et Geoffroy Saint-Hilaire pour finalement proposer une nouvelle théorie hybride de l’évolution canalisée. Tout cela montre bien la capacité de Jean Staune à modifier son enveloppe intellectuelle et conceptuelle au gré des circonstances, comme le fait si bien le caméléon quand il y a danger pour lui.

Le point positif qui mérite d’être souligné est que Jean Staune, dans son hyperactivité comme directeur de collection aux Presses de la Renaissance, a favorisé la traduction en français et la diffusion de l’excellent livre de Michael J. Behe, La boîte noire de Darwin. L’Intelligent Design.  C’est le livre d’un authentique scientifique, biochimiste de très grand talent, que tous ceux qui parlent d’évolution devraient avoir lu. S’appuyant sur des faits scientifiques incontestables, il démontre brillamment la validité du concept de dessein intelligent, renforcé « par chaque nouvel exemple de machinerie moléculaire élégante et complexe ou par chaque système dont la science démontre qu’elle se trouve à la base de la vie » (p. 360).L’énorme avantage de cette édition française de 2009 est de comporter un chapitre de réflexions faites plus de dix ans après la publication initiale en Amérique (1996). À l’inverse de Jean Staune, Behe est un scientifique et non un philosophe, ce qui explique sa position critique, aujourd’hui, aux États-Unis, entre les fondamentalistes créationnistes et les darwiniens purs et durs, et son absence d’élucubrations théoriques douteuses car il sait se cantonner exclusivement au domaine scientifique.

Notre conclusion peut tenir en deux questions et deux réponses : 1. Le monde vivant, avec sa complexité de plus de trois millions d’espèces connues et classées, peut-il s’être fait, même dans une période longue, seul, sans intervention extérieure, par des mutations aléatoires ou éventuellement canalisées, triées par la sélection naturelle ? Notre réponse est clairement : non, ce qui peut justifier l’existence d’un Constructeur puissant et intelligent, quoiqu’invisible et muet (ce qui à coup sûr respecte notre liberté de penser qu’il n’existe pas, mais crée le problème difficile de sa reconnaissance par les scientifiques).

2. Le passage d’une espèce à l’autre (filiation interspécielle) dans une longue chaîne évolutive a-t-il été démontré scientifiquement et reproduit expérimentalement ? Notre réponse est également : non, ce qui enlève toute crédibilité à la théorie de Darwin (avec ses variantes), basée sur le passage progressif d’une espèce à l’autre à partir d’un ancêtre commun. Il faut donc espérer que le petit groupe que nous formons autour de ces idées de base pourra dans l’avenir être mieux compris et suivi, afin d’aller vers une harmonie de vie plus enrichissante et optimisante que l’actuel chaos d’idées et de théories dont les livres et les positions successives de Jean Staune sont la parfaite illustration.


[1] Ndlr. Cette question des gènes homeobox est encore, chez les évolutionnistes, une application erronée de l’homologie à une structure dont la forme s’explique tout simplement par la fonction. Relire à ce sujet l’article de Jean-François Moreel : « Ressemblance ou descendance : homologie ou analogie fonctionnelle », in Le Cep n° 53, pp. 13-19.

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