Deux savants devant le fait religieux

Par Dominique Tassot

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Résumé : Carrel et Einstein, contemporains, connurent tôt la gloire scientifique, durent l’un et l’autre traverser l’Atlantique pour mener à bien leurs travaux, mais abordèrent la religion de manière radicalement opposée. Homme du vivant, Carrel languit après la vie invisible à venir ; homme de l’inerte, Einstein prêche une « religion cosmique » impersonnelle, et n’attend de la mort que le néant. On notera au passage comment ses convictions lamarckistes ont amené chez Carrel ces formules qui lui valent aujourd’hui en France un ostracisme immérité. On en déduira aussi comment le christianisme, en transcendant les différentes « cultures », peut rétablir entre les groupes humains le respect et l’amour mutuel qui s’imposent aux fils d’un même Père.

Même lorsqu’elle s’en défend – comme aujourd’hui – la démarche scientifique demeure, en partie du moins, une recherche de la vérité. Sous ce rapport elle ne peut éviter le fait religieux, qu’il s’agisse d’une confrontation ou d’une simple rencontre, d’une interrogation ou d’une réelle collaboration.

On en trouvera dans ce numéro un double témoignage d’autant plus significatif qu’il s’agit de deux chercheurs presque contemporains, Prix Nobel, et dont la vocation scientifique n’eut rien de religieux. De plus tous deux trouvèrent aux Etats-Unis une terre d’accueil ; dès 1906 pour Carrel (à l’Institut Rockefeller de New York) ; en 1933 pour Einstein (à l’Université de Princeton). Enfin l’un comme l’autre furent marqués par une pensée évolutionniste fraîchement victorieuse, encore sur sa lancée, triomphant d’autant mieux qu’elle n’était pas encore venue butter sur la rigidité de faits contraires. Darwin comptait sur les paléontologues à venir pour déterrer les « chaînons manquants » qui seraient venus couronner son hypothèse. Et comme l’on croit volontiers ce qu’on souhaite, il fallut attendre un siècle pour que Simpson se décidât à affirmer qu’il était inutile de chercher plus longtemps les intermédiaires nécessaires à la théorie et que l’évolution avait dû procéder par sauts. Ce n’est pas ici le lieu d’insister sur l’incohérence conceptuelle de cette évolution « saltationniste ».

Remarquons en passant que, cinquante années plus tard, le grand public imagine toujours une évolution graduelle, car c’est la seule crédible : si l’on passe sans transition d’un type d’organisation à un autre, à quoi bon parler d’é-volution ? Surtout, pourquoi dès lors refuser au nom de la science la création par Dieu de types bien distincts ? Il n’existe plus de différence logique entre les sauts évolutionnistes brusques et les actes divins faisant exister les espèces. La seule différence demeure le postulat philosophique : naturalisme pur et dur d’un côté ; reconnaissance du facteur surnaturel de l’autre.

Carrel est de ces rares scientifiques qui affirment haut et clair l’influence et l’importance du surnaturel.

Devant la guérison miraculeuse de Marie Bailly à Lourdes, il déclarait au Nouvelliste de Lyon (10 juin 1902) : « La science doit se tenir en garde constamment contre la supercherie et la crédulité. Mais il est de son devoir de ne pas rejeter les faits par cela seul qu’ils semblent extraordinaires et qu’elle demeure impuissante à les expliquer ».1

Mais il restait tenté d’appliquer la méthode scientifique à tous les domaines, y compris ceux qui la dépassent. Dans son Journal, au 22 mars 1943, on note : « Le but de la vie est la sainteté et non la science. Mais la sainteté ne peut pas, sans l’aide de la science, organiser et conduire la vie. La tâche de la science est de permettre aux hommes d’atteindre la sainteté » ; et le 27 février, cette phrase plus naïve encore : « L’intelligence humaine, dirigée par l’esprit et les méthodes de la science, est selon toutes vraisemblances capable de sauver la civilisation de l’Occident »2.

C’est minimiser la blessure irréductible héritée d’Adam, à laquelle il n’est qu’un remède, qu’une Porte de salut, qu’un unique Rédempteur. Et le nom de science ne pourra jamais prétendre à ce rôle messianique, si ce n’est d’une science au service du seul Messie.

Ici se trahit le lamarckisme* de Carrel, influencé par Bergson qu’il cite souvent3 et pour lequel : « Plus nous approfondirons la nature du temps, plus nous comprendrons que durée signifie invention, création de formes, élaboration continue de l’absolument nouveau. »4

On comprend ainsi l’intérêt de Carrel pour le fascisme mussolinien, où il voyait une organisation sociale novatrice plus conforme au modèle organique et capable d’aménager le territoire italien (l’assèchement des marais), de faire partir les trains à l’heure et de lutter contre la mafia5.

La mode est aujourd’hui de débaptiser les rues Alexis Carrel, en raison de son goût pour la hiérarchie (hiérarchie des individus, des régimes politiques, etc…), présenté comme contraire à notre conformisme démocratique. Le Professeur Lépine, qui avait fait un stage à l’Institut Rockefeller en 1938, note à ce propos : « L’Homme cet inconnu », traduit en 20 langues, fut à l’époque un grand événement de librairie. La traduction française, qui fut dirigée par Mme Carrel, présente malheureusement dans sa version quelques différences avec le texte original en anglais. Coïncidant avec la montée dans le monde du nazisme, certaines phrases, exprimant des opinions tranchées comme cela était habituel chez Carrel mais insidieusement détachées de leur contexte, semblaient justifier, au nom de théories biologiques, la mystique raciale, alors que cette attitude était à l’opposé de la pensée de Carrel. Cette interprétation abusive a certainement contribué au malentendu et à entretenir l’équivoque sur les positions politiques de Carrel »6.

Il faut ici ajouter que les préjugés que Carrel tirait de son évolutionnisme lamarkiste, se retrouvaient alors tout aussi bien chez les darwiniens américains, et même aggravés chez eux par leur croyance en une sélection naturelle éliminatrice.

Darwin avait écrit à ce sujet : « Quiconque a vu un sauvage dans son pays natal n’éprouvera aucune honte à reconnaître que le sang de quelque être inférieur coule dans ses veines ».7

Edwin G. Conklin, professeur de biologie à Princeton de 1908 à 1933, et en 1936 Président de la toujours très influente Association Américaine pour l’Avancement de la Science, écrivait en 1921 : « La comparaison d’une race moderne avec le Néandertalien ou l’Homme de Heidelberg montre que toutes ont changé, mais les races négroïdes ressemblent plus étroitement à la souche originelle que les races blanche ou jaune. Cette considération doit conduire ceux qui croient en la supériorité de la race blanche à s’efforcer de préserver sa pureté et à établir et maintenir la ségrégation des races, car plus elle se maintiendra, plus grande sera la prépondérance de la race blanche »8. Le Mahatma Gandhi, souvent présenté comme un défenseur de l’égalité entre les hommes, distinguait volontiers la caste des brahmanes qui était la sienne, des autres hindous, et surtout des Kafirs, les noirs sud-africains pour lesquels il n’avait aucune considération. On lira à ce propos les citations suivantes tirées du journal Indian Opinion (qu’il avait lancé pour défendre les droits de la minorité colorée dans la colonie du Cap où il était avocat). Le 28 février 1905 alors qu’une loi ( un « bill ») venait de réglementer la possession d’armes à feu par les Noirs et les Indiens : « L’Indien britannique ne mérite aucune des restrictions imposées aux autochtones pour le port d’armes à feu. La race supérieure peut bien demeurer telle en interdisant l’armement des autochtones , mais existe-t-il le moindre vestige d’une justification pour l’interdire aux Indiens britanniques ? ». La superproduction d’Hollywood sur Gandhi montre qu’il fut arrêté pour être monté dans un wagon réservé aux blancs.

Le fait est exact ; mais voici comment Gandhi commenta la relaxe prononcée par le juge : « La cour a décidé que les Kafirs n’ont pas le droit de voyager en tramway. Et suivant le règlement des trams les passagers mal-vêtus ou ivres ne peuvent monter dans les voitures. Ainsi, grâce à la décision de la Cour, seul des Indiens (ou des « hommes de couleurs », colored people) bien mis et propres, à l’exclusion des Kafirs, peuvent désormais voyager en tram » (Indian Opinion du 2 juin 1906).(Nb. Le mot « Kafirs », ou « Cafre », nom arabe, désigne les noirs non musulmans vivant au sud de l’Equateur ; il s’agit ici des Bantous, Zoulous ou Matabélés qui habitent l’Afrique du Sud). Et le 24 décembre 1903, toujours dans Indian Opinion, Gandhi appuie publiquement le courant nationaliste blanc qui était en progrès : « Nous croyons à la pureté de la race tout autant qu’ils nous semblent y croire. Seulement nous pensons qu’ils serviraient mieux leurs intérêts, qui nous sont aussi chers qu’à eux-mêmes, en défendant la pureté de toutes les races et non d’une seule d’entre elles. Nous aussi croyons que la race blanche d’Afrique du sud devrait y être la race dominante. » Ces quelques citations suffirent à montrer que les vétilles reprochées à Carrel – dans un ouvrage dont il n’a pas dirigé la traduction – ne font qu’illustrer une fois de plus la parabole de la paille et de la poutre. On notera en passant qu’un portrait de Gandhi était accroché au mur dans le bureau d’Einstein (cf. Kouznetsov, op. cit., p.240.)

Dans la même veine, Jules Ferry déclarait devant la Chambre des Députés, le 28 juillet 1885 : « les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures ».

Il ne faisait que suivre une pensée déjà formulée par Voltaire, le grand adversaire du christianisme à la veille de la Révolution Française. Dans son Traité de Métaphysique, au chapitre V intitulé « Si l’homme a une âme », il se demande comment classer les « animaux nègres » par rapport aux autres animaux : « Que rencontrai-je de différent dans les animaux nègres ? Que puis-je y voir, sinon quelques idées et quelques combinaisons de plus dans leurs têtes, exprimées par un langage différemment articulé ? Plus j’examine tous ces être, plus je dois soupçonner que ce sont des espèces différentes d’un même genre (…)

Enfin je vois des hommes qui me paraissent supérieur à ces nègres, comme ces nègres le sont aux singes, et comme les singes le sont aux huîtres et aux autres animaux de cette espèce. »9

On le voit, s’il fallait débaptiser tous les monuments publics élevés à la gloire des écrivains ou des savants influencés par les préjugés de leur époque, la tâche serait coûteuse pour les deniers municipaux !..

La religion quelque peu scientiste de Carrel, ouverte à l’invisible, ne demandait qu’à s’épanouir en culte intérieur du vrai Dieu, qu’à s’enflammer au contact de l’amour divin. Le 10 novembre 1938, il note dans son carnet de Méditations : « Seigneur, prenez la direction de ma vie, car je suis perdu dans l’obscurité. Tout ce que votre volonté m’inspirera de faire, je le ferai. Il faut, Seigneur, s’approcher de vous en toute pureté et toute humilité » ; et le 25 décembre 1939 : «  O mon Dieu, combien je regrette de n’avoir rien compris à la vie, d’avoir essayé de comprendre des choses qu’il est inutile de comprendre. La vie ne consiste pas à comprendre mais à aimer, à aider les autres, à prier, à travailler. Faites, ô mon Dieu, qu’il ne soit pas trop tard ».10

Celui qui, à 68 ans, comprend ainsi que son devoir est d’aider les autres, est un des rares hommes – hormis les saints – que l’on puisse qualifier sans crainte de bienfaiteur de l’humanité. C’est l’assassinat du Président Sadi Carnot, en 1898 à Lyon11, qui lance cet interne à l’Hôtel-Dieu sur la voie de la recherche : il s’insurge contre le fait qu’on ne sache ni ne puisse faire de sutures vasculaires. En 1912 ses avancées sur la chirurgie des vaisseaux, les transplantations et greffes d’organes et la culture in vitro des tissus, lui valent, à 39 ans, le premier Prix Nobel de Médecine décerné à un savant vivant hors de l’Europe. En 1914-1918, il s’attaque au traitement des plaies de guerre et met au point, aidé par le chimiste Henry Drysdale Dakin, un soluté antiseptique toléré par les tissus : l’eau de Carrel-Dakin12.

En 1930, avec l’ingénieur-aviateur Charles Lindbergh, il réalise une pompe à perfusion (« cœur artificiel ») qui anticipe peut-être sur un futur où la médecine pourra « retirer du corps l’organe malade, le traiter plus énergiquement qu’à l’intérieur de l’organisme, puis le réimplanter au patient »13.

A contrario, on peut se demander quels bienfaits l’humanité retirera jamais des travaux théoriques d’Einstein.

Certes sa gloire humaine est toujours bruyamment entretenue, mais Einstein meurt dans un sentiment tragique d’insatisfaction. Suite au suicide de son collègue et ami Paul Ehrenfest, en 1933, il note que souvent, de nos jours, des hommes remarquables quittent la vie de leur propre gré et d’ajouter : « Ceux qui ont bien connu (Paul Ehrenfest), comme il me l’a été accordé à moi, savent que cette personnalité sans tache est tombée principalement victime d’un conflit de conscience qui, sous une forme ou sous une autre, n’est épargné à aucun professeur universitaire qui a dépassé la cinquantaine »14. Lors de cet aveu significatif, Einstein a 54 ans.

Le même esprit torturé se manifeste encore dans cette lettre à son ami intime (et traducteur) Solovine, en mars 1949 : « Vous vous figurez que je regarde avec une calme satisfaction l’œuvre de ma vie. Mais vue de plus près, la chose se présente tout autrement. Il n’y a pas une seule notion dont je sois convaincu qu’elle tiendra ferme, et je ne suis pas sûr d’être généralement sur la bonne voie ».15 A ce trouble intérieur s’ajoute l’effet d’une opposition publique, surtout liée à ses prises de positions politiques ou religieuses. Selon son biographe soviétique : « Il était un « rouge » pour les réactionnaires16. Des membres du clergé et des « pères de famille » protestaient dans la presse contre les déclarations publiques d’un « réfugié » qui cherchait à « priver les Américains de leur Dieu personnel »…

Néanmoins tout son travail à Princeton confirmait ce que les gens avaient pressenti depuis 1920 : que l’intention d’Einstein était de présenter une image rationnelle et objective du monde, dépouillée de tout anthropocentrisme et de tout mysticisme, et de prouver la puissance de la raison dans la nature ».17

L’extrait qu’on lira du petit ouvrage « Comment je vois le monde » confirme cette intention. Mais il faut, pour le bien comprendre, la traduire en langage chrétien.

Cet « anthropocentrisme » refusé par Einstein, n’est autre que la religion biblique : l’univers y est créé comme un habitacle pour l’homme. Ainsi, au quatrième jour, Dieu dit « Qu’il y ait des luminaires dans le firmament du ciel pour séparer le jour et la nuit, qu’ils soient des signes, qu’ils marquent les époques, les jours et les années, et qu’ils servent de luminaires dans le firmament du ciel pour éclairer la terre » (Gen : 1 ;14-15). Quant au « mysticisme », c’est ici la croyance en un Dieu qui écoute l’homme et qui l’aime au point de l’introduire après la mort dans Son intimité.

Einstein n’attendait rien de l’au-delà. En 1916, alors gravement malade, il reçut la visite de la femme de Max Born. Hedwig Born se décida à lui demander s’il ne craignait pas la mort : « Non, répondit-il, je me sens tellement une partie de tout ce qui vit que je ne suis pas du tout concerné par le commencement ou la fin de l’existence de qui que ce soit dans ce flux éternel ».18 En 1933, il laisse sa seconde épouse, Elsa, incinérer sa fille aînée. Il déclare un jour à son collaborateur Léopold Infeld : « La vie est un spectacle passionnant. J’y prend du plaisir. C’est merveilleux. Mais si je savais que je dois mourir dans trois heures, cela ne m’impressionnerait guère. Je penserais à la meilleure façon d’utiliser ces trois dernières heures, puis je rangerais tranquillement mes papiers et je m’éteindrais en paix ».19

Ce mélange d’épicurisme et d’irresponsabilité est bien en harmonie avec ce que nous savons de sa vie privée. Il battait sa première épouse Mileva Maric (son vrai nom hongrois étant Marity).

Or cette brillante élève de Minkowski et fut peut-être co-auteur de la théorie relativiste (mais Einstein a brûlé le manuscrit)20. Il trompa Mileva avec sa cousine Elsa. « Une fois marié avec la cousine, il la battit et la trompa à son tour… Son plus jeune fils était pensionnaire d’une clinique psychiatrique. Non seulement il n’allait pas le voir mais il refusait de lui écrire. Il avait une fille illégitime. Il n’a pas voulu la reconnaître »21.

Sur une suggestion du financier Alexandre Sachs, le « pacifiste » Einstein était intervenu personnellement auprès des Roosevelt, le 2 août 1939, pour que l’Administration soutînt et accélérât la mise au point de la bombe atomique afin qu’elle puisse servir dans la guerre contre l’Allemagne.

Pour la suite, il déclara qu’il n’avait fait que signer la lettre qu’on lui présentait ; mais le physicien qui était venu le voir, Szilard, affirma qu’Einstein l’avait dictée en allemand.

Lorsque l’Allemagne fut vaincue, il écrivit à Roosevelt afin d’empêcher le bombardement atomique des villes japonaises, mais la lettre se trouvait encore fermée sur le bureau de Roosevelt lorsque ce dernier mourut, le 12 avril 1945.

« Oui, j’ai pressé sur le bouton ! », confiait un jour Einstein à Antonina Vallentin22. Il y avait là matière à faire douter celui qui considéra le bouddhisme comme plus rationnel et plus conforme à l’esprit scientifique, que la religion révélée. Lorsqu’il mourut, le 13 avril 1955, son testament était déjà connu : aucune cérémonie officielle ; une incinération discrète sans nul rite religieux. Alors que Carrel se montra d’un bout à l’autre comme tendu vers la vie, Einstein resta torturé intérieurement jusqu’à une mort où il voyait un simple anéantissement « et aussi un soulagement »23.

Ainsi la « religiosité cosmique » vantée par Einstein s’achevait, elle aussi, dans le néant d’un moi périssable. Pas plus que le salut collectif, le salut individuel ne peut se rencontrer dans la seule science. Alors comment insérer le message de l’Evangile dans une culture qui s’est constituée en dehors du christianisme, puisque la science moderne s’est développée en rupture avec la vision biblique du monde ?

Comme aux premiers temps de l’Eglise, l’article de Yaya Bari renoue sur ce point avec une dialectique platonicienne qui s’appuie sur les vérités enchâssées dans la sagesse traditionnelle des divers peuples, pour s’élever  tout d’abord aux vérités philosophiques, puis aux vérités théologiques et mystiques. Peut-on gagner en universalité, ce qu’on perd en particularité ?

Voltaire considérait la Bible comme « le livre sacré des Hébreux », indigne donc d’inspirer les pensées des peuples colonisateurs de l’Occident24. Or, puisque les peuplades sauvages25 ne sont pas formées de primitifs (reflets de nos lointains ancêtres), mais de décadents (isolés par les circonstances des civilisations issues de Babel), on doit retrouver au tréfonds de toutes les croyances les grands traits des dix premiers chapitres de la Genèse, fussent-ils déformés ou lacunaires. Ainsi s’ouvre la possibilité de convertir à l’unique Messie l’ensemble de ces « cultures », mais à conditions qu’elles aussi brûlent, parmi ce qu’elles ont adoré, tout ce qui dépare en l’homme cette image de Dieu dont il hérite en naissant et tout ce qui dépare cette ressemblance à Jésus-Christ, que sa mission terrestre est d’atteindre.

D’une culture comme « contenu » (que les anthropologues accueillent sans esprit critique), on s’ouvre ainsi à une culture comme « attitude » (que les civilisés ont aussi à mériter, à assumer et à parfaire). Les capacités à l’abstraction mathématique induisaient une inégalité manifeste entre les groupes humains, et ce fut une des causes, avec l’évolutionnisme, de la hiérarchisation des races. Mais devant la capacité à aimer, tous les peuples retrouvent une égalité foncière, celle des fils du même Père.

Les martyrs du Japon ou de l’Ouganda n’avaient fait qu’entrevoir les merveilleux édifices de la théologie rationnelle, mais ils comprirent parfaitement l’essentiel de la Révélation.

Plus encore que la traduction de la Bible dans toutes les langues, c’est leur sacrifice qui nous démontre l’universalité du message de Salut.


1 cf. Préface du Pr. Pierre Lépine, dans Alexis Carrel, l’ouverture de l’homme, sous la direction de Yves Christen, Ed. du Félin, Paris, 1986, p.28.

2 Dr Alexis Carrel, Le voyage de Lourdes, Plon, 1949, pp.140-141.

* Lamarck (1744—1829), spécialiste des mollusques, avait imaginé que les organes pouvaient se déformer avec l’usage jusqu’à se transformer complètement avec le temps et les générations : il évoquait la girafe dont le cou se serait allongé à force de brouter les feuilles des arbres !.. Cette idée que des efforts individuels successifs peuvent aller jusqu’à modifier la nature des êtres, est rester ancrée chez les penseurs  marxistes. De là le succès de Lyssenko. Mais elle continue de toucher bien des penseurs politiques.

3 Le fait est d’autant plus remarquable que Carrel lisait très peu, considérant qu’on apprend plus des hommes que des livres.

4 Henri Bergson, L’évolution créatrice, Alcan, Paris, 1927, p.11.

5 Lorsque les Américains débarquèrent en Sicile, ils s’assurèrent ainsi sans difficulté les services de la Mafia.

6 Pr. Pierre Lépine, op. cit., p.12.

7 Ch. Darwin, La descendance de l’homme et la sélection sexuelle, trad. E. Barbier, Reinwald, Paris, 1881, p.678.

8 Felwin G. Conklin, The Direction of Human Evolution (Scribner’s, New York, 1921, p.34.)

9 Voltaire, Œuvres complètes, annot. Louis Moland, 52 tomes Garnier, 1877-1879, t. XXII, p.210.

10 Dr Alexis Carrel, op. cit., p.149 et p.151.

11 La veine-porte sectionnée par le poignard de Caserio , Sadi Carnot expire sur un canapé de la Préfecture devant le corps médical impuissant.

12 Toujours en usage, mais sous le nom contracté d’eau de Dakin.

13 R. Jarwik « Le cœur artificiel ». In Les Nouveaux moyens de la médecine. Pour la Science, Belin, 1983, p.160.)

14 B. Kouznetsov, Einstein, sa vie, sa pensée, ses théories. Marabout universitaire n°128, 1967.

15 Ibid., p.235.

16 Ndlr. Dans le langue marxiste, « réactionnaire » qualifie tout ce qui s’oppose ou déplaît à la direction du parti communiste.

17 B. Kouznetsov, op. cit., pp.240-241.

18 Kouznetsov, op. cit., p.326.

19 Ibid., p.327.

20 Anna Alter. On a encore oublié Madame Einstein. « Libération » des 7 et 8 avril 1990, p.24.

21 Delfeil de Ton. Nouvel Observateur du 5-11 août 1993.

22 Kouznetsov, op. cit., p.314.

23 Ibid., p.327.

24 On sait que la fortune du sire de Ferney provenait en bonne partie du commerce des esclaves, rapportant alors souvent bien plus de 100 % par cargaison.

25 C’est-à-dire, étymologiquement, celles qui vivent dans les forêts (silva).

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