En hommage à Georges Salet (1906-2002)

Par Dominique Tassot

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Résumé : Le décès de Georges Salet, le 17 mai dernier, nous fait un devoir d’évoquer la figure de ce polytechnicien qui a tenté de vivre pleinement ses convictions chrétiennes comme sa carrière scientifique. Fortement opposé à l’évolutionnisme, puis aux dérives de la théologie teilhardienne (avec le bulletin  De Rome et d’ailleurs ), il voulut encore batailler pour l’authenticité du Linceul de Turin. Mais sa spécialisation en Mécanique fut peut-être un obstacle à une bonne appréciation des processus chimiques liés à la datation par le carbone 14. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvions faire moins que de rendre un hommage public à l’un des auteurs de « l’Evolution régressive » (1943).

En 1975, se promenant par un bel après-midi dans les rues ensoleillées du vieil Annecy, le signataire de ces lignes fouillait les casiers d’un bouquiniste. Il tomba sur un livre jauni au titre insolite  « L’Evolution régressive », donné en 1943 par les Editions Franciscaines de la rue Marie Rose, à Paris. L’ouvrage était préfacé par Eugène Raguin, professeur de géologie à l’Ecole des Mines de Paris, qui n’hésitait pas à écrire : « Constatant, comme la plupart des personnes ayant étudié ces questions, un abandon total ou partiel du système transformiste par les leaders des sciences de la vie, j’ai toujours été choqué de voir cependant continuer, dans l’instruction de la jeunesse, l’enseignement des doctrines transformistes, présentées comme une synthèse définitivement acquise au patrimoine intellectuel de l’humanité ».

Les auteurs, tous deux polytechniciens , Georges Salet (pour la partie scientifique) et Louis Lafont (pour la partie théologique) pointaient les faiblesses, les erreurs, voire les fraudes à l’œuvre dans la préhistoire évolutionniste couramment admise, et montraient comment une préhistoire compatible avec les vérités théologiques (la Chute) et les données bibliques (le Déluge) fournissait une lecture cohérente des faits de la paléontologie et de la biologie. Une « évolution » avait bien eu lieu, mais régressive, menant d’un état parfait de la Création (un Adam doué de la science infuse, ignorant la maladie, vivant dans une richesse végétale permettant le végétarisme primitif de tous les animaux, etc…) à l’état déchu dont nous connaissons trop bien les dysharmonies.

Ce livre fit une impression indélébile : il démontrait par l’exemple comment la science la plus minutieuse, passée au crible d’une logique toute mathématique, se conciliait (et même appelait) les énoncés les plus contestés de la foi chrétienne. Ainsi l’harmonie de la pensée, l’unité retrouvée des deux grand ordres de vérité, n’était pas à chercher dans le compromis -toujours boiteux- entre des énoncés foncièrement divergents, mais dans l’éclairage supérieur de la vision biblique du monde. Ainsi la pierre rejetée par les « bâtisseurs »1 de la culture moderne, le message concentré dans la Genèse et dans le Décalogue, demeurait bien la clé d’une unité retrouvée de l’intellect, d’un « nouveau moyen âge » (pour reprendre l’expression de Berdiaeff). Non content de tracer la voie, ce livre signalait des écueils et posait des règles de conduite : on le verra ici dans l’article « la Collaboration de la Science et de la Théologie ».

Bien sûr, certains aspects de l’Evolution régressive appellent des compléments. Les auteurs ignoraient tout des « théories de la terre jeune » qui se sont diffusées, dix ans plus tard, à partir des Etats-Unis. Professeur de mécanique rationnelle au Conservatoire National des Arts et Métiers2 après une brillante carrière d’Ingénieur Général du Génie Maritime, Georges Salet resta toujours persuadé d’une sorte d’impeccabilité de la chose enseignée. Il admettait bien les tâtonnements de la recherche et les insuffisances de savoir ou de raisonnement chez les scientifiques, mais pour lui -hormis dans le cas de l’Evolution (qui d’ailleurs n’a pas toujours fait l’objet d’une enseignement didactique obligatoire et noté aux examens comme aujourd’hui)- les théories validées par les manuels et l’Université pouvaient être acceptées en toute confiance.

Ce préjugé malheureux comporte pour nous une forte leçon : il montre les limites et les contradictions inévitables même chez les esprits les plus brillants, ce qui est encore une manière de donner raison à l’évolution « régressive », et surtout de nous rappeler que l’humilité doit accompagner même la conviction des certitudes dans la vérité3.

Certitude dans l’existence d’une vérité absolue, fondée sur l’absolu de l’intelligence divine ; mais défiance envers notre capacité personnelle à saisir et à exposer tous les traits d’une vérité entrevue plutôt que possédée.

Ainsi, bizarrement, Georges Salet se refusa à réviser les durées géologiques couramment acceptées entre les deux guerres. Il ne voulut pas prendre en compte les expériences de Guy Berthault ni les travaux de Marie-Claire van Oosterwyck, pourtant si cohérents avec ses propres convictions anti-évolutionnistes. Ne lisant pas l’anglais, il resta en dehors des publications scientifiques qui nourrissaient ce débat fondamental.

On le vit clairement lors de la datation au radiocarbone du Linceul de Turin. Les études scientifiques sur le Linceul avaient débuté il y a cent ans à la Sorbonne, sous la direction d’Yves Delage4 avec les travaux précurseurs de Paul Vignon. A ces études de physique-chimie, Pierre Barbet ajoutait plus tard des travaux de physiologie et d’anatomie et Gérard Cordonnier, ingénieur du Génie maritime comme Georges Salet, se fit avant la guerre le propagateur de l’approche scientifique du Linceul de Turin : il donna plus de cent conférences à ce sujet dans la France entière !

En 1989, G. Salet ne pouvait donc rester à l’écart du débat : il était convaincu de l’authenticité du Saint Suaire ; et voilà qu’un directeur au British Museum, Michaël Tite, concluait une expertise officielle en datant le Linceul du Moyen Âge ! Dans ce conflit entre l’intime conviction du scientifique croyant et la solidarité réflexe du professeur avec l’autorité universitaire, G. Salet ne vit de salut que dans l’hypothèse d’une fraude, condition certes suffisante mais non nécessaire de la contradiction apparente.

La circonstance incitait pourtant à un recul critique à l’égard des hypothèses nombreuses et souvent fragiles dans cette étrange alchimie qui transforme une analyse délicate en date de calendrier. Georges Salet s’y refusa. La défense des principes employés dans la radiodatation devint pour lui une sorte de devoir moral.

Il y employa toute son autorité scientifique au sein du CIELT5 et ce fut une cause de paralysie pour un organisme dont la mission devrait appeler le débat scientifique (débat assez limité -il est vrai- dans le fonctionnement de la science en France).

Cette divergence ponctuelle n’ôte rien à la reconnaissance et à l’estime que nous portons à un homme qui a mis sa pensée au service d’une défense éclairée de la foi. Les nombreux articles publiées sous le pseudonyme de Michel Martin dans le bulletin De Rome et d’ailleurs, en font un modèle de vigueur et de lucidité pour l’intellectuel chrétien. Nul doute que ce labeur de vingt années lui sera compté : « en pratiquant la vérité qu’on sait, on mérite celle qu’on ignore », écrivait jadis Paul Bourget.

Car les jours de la radio datation, eux-aussi, sont comptés. Dans le prolongement des articles fondamentaux donnés par Marie-Claire van Oosterwyck dans Le Cep n°1 à 3, le présent numéro reproduit d’intéressantes mises au point suite à la publication -en novembre 2001- d’un fort ouvrage d’Yves Coppens et Pascal Picq intitulé « Aux origines de l’humanité ». Or les fossiles africains qui sont aujourd’hui présentés comme nos « ancêtres », sont datés par la méthode potassium-argon. Il faut quand même savoir que les ossements fossiles ne contiennent pas le potassium ou l’argon nécessaires à la mesure. On va les chercher dans la lave « la plus proche », et celle-ci se trouve parfois à plusieurs kilomètres de la roche où le fossile est enfoui !

Puis on fait l’hypothèse que l’argon mesuré provient de la décomposition du potassium radioactif. Ainsi, connaissant le rythme de désintégration, un calcul simple permet de savoir depuis combien de temps le potassium a commencé de se transformer en argon. On est ainsi ramené au problème suivant : un homme entre dans une cabane abandonnée et voit une chandelle qui brûle.

Question : depuis combien de temps l’occupant est-il parti ? Chacun comprend que la réponse est impossible : il ne suffit pas de mesurer la vitesse de combustion de la chandelle, il faudrait aussi connaître sa longueur initiale. C’est la « remise à zéro » de l’horloge.

Coppens et Picq en ont bien conscience et ils écrivent : « Quand les cendres encore chaudes se déposent, l’argon s’échappe. L’horloge atomique est alors remise à zéro. Puis les cendres se refroidissent. Le potassium 40, radioactif, se désintègre en argon. Mais, cette fois, le gaz demeure dans les cristaux de lave » (p.243).

Or l’hypothèse est fausse : les laves contiennent de l’argon provenant du magma, qui reste emprisonné lors de l’éruption. C’est pourquoi les échantillons prélevés lors des éruptions contemporaines indiquent, comme âge apparent, des centaines de milliers voire des millions d’années !.. Les mesures faites à la demande de Guy Berthault sur le mont Saint-Helens (ce volcan qui a explosé en mai 1980 aux Etats-Unis) varient de 340.000 ans pour le feldspath à 2 millions huit cent mille ans pour le pyroxène, deux composants distincts pourtant tirés des mêmes échantillons !…

Guy Berthault écrivit donc à Yves Coppens à ce sujet, on en lira le texte dans la rubrique « Les dessous de la Préhistoire », et transmit sa note à un correspondant russe. Elle fut alors communiquée à deux spécialistes, le chef de la section « volcanisme » au Musée de la Terre, Constantin Scripko, et le chef du groupe de géochronologie isotopique à l’Université de Moscou. E. Kolesnikov, dont les remarques précisent et confortent l’affirmation que « l’horlorge » potassium-argon n’est pas remise à zéro lors de l’éruption. En effet, la lave issue du magma reste un corps visqueux dont le gaz argon ne peut s’échapper librement ni en profondeur en raison des très fortes pressions , ni lors de l’éruption car la cristallisation des minéraux commence bien avant leur arrivée à l’air libre.

La chronologie longue des paléontologues s’avère donc bâtie sur un château de carte. Il n’en est que plus navrant de voir tant de chrétiens encore séduits par le mythe de l’évolution.

Dans « Hasard et certitude », Georges Salet avait bien montré l’impossibilité -pour un brin d’ADN- d’apparaître par le seul effet d’un « hasard organisateur ».

En réponse à Jacques Monod, Prix Nobel de Médecine, dont le livre à succès, « Le Hasard et la Nécessité », défendait un évolutionnisme athée, G. Salet opposait la loi de Borel : au-delà d’un certain seuil d’improbabilité, un événement doit être considéré comme impossible. G. Salet montrait facilement que la combinaison par le hasard d’un gène ou encore l’apparition d’une nouvelle fonction par mutation, étaient des milliards de fois plus improbable que le seuil d’impossibilité6.

Certes nous savons que toute forme remonte à une intelligence créatrice et, dès lors, ce genre de calcul peut nous sembler dérisoire. Mais il s’agissait alors de retourner contre le savant athée les propres armes de la science dont il s’enorgueillissait.

Dix-huit mois après son lancement, G. Salet eut connaissance du Cep et s’y abonna. Puis il demanda à recevoir tous les numéros depuis l’origine7, tout en connaissant nos points de divergence.

Lors du naufrage de l’Erika, nous lui rappelâmes l’excellent article qu’il avait rédigé en mai 1980 sous le titre évocateur : « Marée noire et Rogations ». En effet, deux ans presque jour pour jour après la dislocation de l’Amoco Cadiz, le 16 mars 1978, un pétrolier malgache, le « Tanio », se coupait en deux au large des côtes bretonnes. Après de sages considérations sur l’action de Dieu sur les forces naturelles telles que le vent et la pluie, G. Salet concluait : « Pour éviter le renouvellement d’une catastrophe comme celle de l’Amoco Cadiz en 1978, on a dépensé des milliards pour établir un centre de surveillance et de secours des pétroliers et pour acheter des pompes, des barrages, des détergents, des coagulants,etc… Et malgré cela, en moins catastrophique qu’il y a deux ans, certes, la marée noire est revenue. Alors je dis : sans remettre en cause les sages précautions prises, ne devrait-on pas aussi rétablir en France la procession des Rogations ? »

Sur ce terrain encore, le combat de Georges Salet mérite toute notre sympathie et il nous revient , en y pensant, ce verset du psaume 112 : « La mémoire du juste vivra éternellement »


1 En citant le psaume 118 : « la pierre rejetée par  les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle », Jésus évoque d’abord son rejet par les dirigeants du peuple juif, eux qui venaient de rebâtir le temple de Jérusalem (cf. Matthieu 21,42 et Marc 10, 12). Mais il est inévitable aujourd’hui de transposer ce rejet du Christ aux nouveaux bâtisseurs, ces « maçons » attelés depuis trois siècles au grand’œuvre qu’est la construction d’une République universelle cimentée par le culte de la raison humaine.

2 G. Salet a enseigné la Mécanique dans plusieurs Ecoles Supérieures d’Ingénieurs, en particulier la Mécanique, fort difficile, des solides déformables.

3 On relira avec profit l’article de Jacques de Beausoleil, L’humilité du scientifique, dans Le Cep n°2.

4 Cf. Le Cep n°19, p.42.

5 Centre International d’Etudes dur le Linceul du Turin, fondé à Paris à l’issue du Symposium qui en septembre 1989, avait relancé le débat scientifique sur le Saint-Suaire en relativisant la valeur et la portée de la datation lancée dans la grande presse dès octobre 1988.

6 Hasard et Certitudes, Ed. scientifiques Saint-Edme, Paris, 1972 (une réédition chez  Téqui est annoncée pour la fin de cette année ).

7 Une telle commande rétrospective reste possible : les numéros épuisés sont reproduits par photocopie en petites séries.

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