Lettre sur les Juifs de Chine

Par le P. Jean-Paul Gozani

, , ,

Résumé : Il survit dans le nord de la Chine un petit nombre de Juifs issus d’une ancienne diaspora. On les confond souvent avec les Musulmans venus des Indes sous la dynastie Yuan. Le P. Gozani, jésuite missionnaire, fut reçu parmi eux (sans doute en sa qualité de lettré) et décrit leur religion. Témoignage instructif et émouvant, si l’on pense que ces Juifs, malgré leur isolement géographique, surent préserver l’essentiel de leur culte durant plus d’un millénaire.

Du P.Jean-Paul Gozani, Missionnaire de la Compagnie de Jésus, au P.Joseph Suarez, de la même Compagnie. A Cai-song-fou, capitale de la province de Honan à la Chine, le 5 décembre 1704.

Mon Révérend Père,
P.C.

Après avoir passé deux mois à la visite des chrétientés de Kaei-te-fou, de Loye-hien, et de Fon-keou-kien2 , où par la miséricorde de Dieu la religion s’établit de jour en jour, je trouvai à mon retour les deux lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Je vous remercie de m’avoir mandé des nouvelles de votre santé, et de m’avoir appris l’heureuse découverte que vous avez faite dans vos archives de pièces importantes3 pour l’éclaircissement de la vérité.

Pour ce qui regarde ceux qu’on appelle ici Tiao-kin-kiao, il y a deux ans que j’allais les voir, dans la pensée que c’étoient  des juifs, et dans la vue d’y chercher l’ancien Testament depuis que vous m’avez marqué que je vous ferois plaisir de m’informer de ces gens-là, j’ai obéi à vos ordres, et je l’ai fait avec tout le soin et l’exactitude dont je suis capable.

Je leur fis d’abord amitié ; ils y répondirent, et ils eurent l’honnêteté de me venir voir. Je leur rendis leur visite dans leur Li-paï-sou  (leur synagogue), où ils étoient tous assemblés, et où j’eus avec eux de longs entretiens.

Je vis leurs inscriptions, dont les unes sont en chinois et les autres en leur langue. Ils me montrèrent leurs Kims (livres de religion), et ils me laissèrent entrer jusque dans le lieu le plus secret de leur synagogue, où il ne leur est pas permis à eux-mêmes de pénétrer. C’est un endroit réservé à leur Cham-Tiao (chef de la synagogue), qui n’y entre qu’avec un profond respect.

Il y avoit sur les tables treize espèces de tabernacles, dont chacun étoit environné de petits rideaux. Le sacré Kim de Moïse (le Pentateuque), étoit refermé en chacun de ces tabernacles, dont douze représentoient les douze tribus d’Israël, et le treizième, Moïse. Ces livres étoient  écrits sur de longs parchemins, et pliés sur des rouleaux. J’obtins du chef de la synagogue, qu’on tirât les rideaux d’un de ces tabernacles, et qu’on dépliât un de ces parchemins, ce qu’on fit. Il me parut être écrit d’une écriture très nette et très distincte. Un de ces livres fut heureusement sauvé de la grande inondation du fleuve Hoamho ou fleuve jaune, qui submergea la ville de Cai-song-fou, capitale de cette province. Comme les lettres de ce livre ont été mouillées, et qu’elles sont presque à demi-effacées, ces juifs ont eu soin d’en faire faire douze copies, qu’ils gardent soigneusement dans les douze tabernacles dont je viens de parler.

On voit encore en deux autres endroits de cette synagogue plusieurs anciens coffres, où ils conservent avec soin un grand nombre de petits livres, dans lesquels ils ont divisé le Pentateuque de Moïse, qu’ils appellent Takim, et les autres livres de leur loi. Ils se servent de ces livres pour prier ; ils m’en montrèrent quelques-uns, qui me parurent être écrits en hébreu, les uns neufs, et les autres vieux et à demi-déchirés. Tous ces livres sont conservés avec plus de soin que s’ils étoient d’or ou d’argent.

Il y a au milieu de leur synagogue une chaire magnifique et fort élevée, avec un beau coussin brodé ; c’est la chaire de Moïse, dans laquelle les samedis et les jours les plus solennels, ils mettent le livre du Pentateuque, et en font la lecture. On y voit aussi un Van-sui-pai, ou tableau, où est écrit le nom de l’Empereur, mais il n’y a ni statues, ni images.

Leur synagogue regarde l’occident, et quand ils prient Dieu ils se tournent de ce côté-là, et ils l’adorent sous les noms de Tien, de Chamtien, de Cham ti, de Teao-van-voe-tche, c’est-à-dire, Créateur de toutes choses ; et enfin de Van-voe-tchu-tcai (Gouverneur de l’univers). Ils me dirent qu’ils avoient pris ces noms des livres chinois, et qu’ils s’en servoient pour exprimer l’Etre suprême et la première cause.

En sortant de la synagogue, on trouve une salle que j’eus la curiosité de voir. Je n’y remarquai qu’un grand nombre de cassolettes. Ils me dirent que c’étoit le lieu où ils honoroient leurs Chim-gins, ou les grands hommes de leur loi. La plus grande de ces cassolettes, qui est pour le patriarche Abraham, le chef de leur loi, est au milieu de cette salle. Après celle-là, sont celles d’Isaac, de Jacob et de ses douze enfants, qu’ils appellent Chel-cum-pai-se (les douze lignées ou tribus d’Israël) ; ensuite sont celles de Moïse, d’Aaron, de Josué, d’Esdras, et de plusieurs autres personnes illustres, soit hommes, soit femmes.

Quand nous sortîmes de ce lieu-là, on nous conduisit en la salle des hôtes, pour nous entretenir. Comme les titres des livres de l’ancien Testament étoient écrits en hébreu à la fin de ma Bible, je les montrai au Cham-Kiao : il les lut, quoiqu’ils fussent assez mal écrits, et il me dit que c’étoient les noms de leur chin-kim ou Pentateuque. Alors prenant ma Bible, et le Cham-kiao son Beresith (c’est ainsi qu’ils appellent le livre de la Genèse), nous confrontâmes les descendants d’Adam jusqu’à Noé, avec l’âge de chacun d’eux, et nous trouvâmes entre l’un et l’autre une parfaite conformité. Nous parcourûmes ensuite en abrégé les noms et la chronologie de la Genèse, de l’Exode, du Lévitique, des Nombres et du Deutéronome, ce qui compose le Pentateuque de Moïse. Le chef de la synagogue me dit qu’ils appeloient ces cinq livres Beresith, Veelesemoth, Vaicra, Vaiedaber e Haddebarim, et qu’ils les divisent en cinquante-trois volumes : la Genèse en douze volumes, l’Exode en onze volumes, et les trois livres suivants en dix volumes chacun, qu’ils appellent Kuen.

Ils m’en ouvrirent quelques-uns, et me les présentèrent à lire ; mais ne sachant pas l’hébreu, cela fut inutile.

Les ayant interrogés sur les titres des autres livres de la Bible, le chef de la synagogue me répondit en général qu’ils en avoient quelques-uns ; mais que les autres leur manquoient, et qu’il y en avoit qu’ils ne connoissoient pas.

Quelques-uns des assistants m’ajoutèrent qu’il s’étoit perdu quelques livres dans l’inondation du fleuve Jaune, dont j’ai parlé. Pour compter sûrement sur ce que je viens de rapporter, il seroit nécessaire de savoir la langue hébraïque.

Ce qui me surprend davantage, c’est que leurs anciens rabbins aient mêlé plusieurs contes ridicules avec les véritables faits de l’Ecriture, et cela jusque dans les cinq livres de Moïse. Ils me dirent à ce sujet de si grandes extravagances, que je ne pus m’empêcher d’en rire ; ce qui me fit soupçonner que ces juifs pourroient bien être des tamuldistes, qui corrompent le sens de la Bible. Il n’y a qu’un homme habile dans l’Ecriture et dans la langue hébraïque, qui puisse démêler ce qui en est.

Ce qui me confirme dans le soupçon que j’ai formé, c’est que ces juifs m’ajoutèrent, que sous le Min-chao, ou la dynastie de la famille de Taming, le père Fi-lo-te (c’est le P. Rodriguez de Figueredo) ; sous le Chin-chao, ou la dynastie de la famille aujourd’hui régnante, le P.Ngen-li-ke (c’est le P.Chrestien Enriquez, desquels la mémoire est ici en vénération), allèrent plusieurs fois à leur synagogue pour traiter avec eux ; mais comme ces deux savants hommes ne se mirent pas en peine d’avoir un exemplaire de leur Bible, cela me fait croire qu’ils la trouvèrent corrompue par les tamuldistes, et non pas pure et sincère comme elle étoit avant la naissance de Jésus-Christ.

Ces juifs, qu’on appelle à la Chine Tiao-kin-kiao, soit qu’ils soient tamuldistes ou qu’ils ne le soient pas, gardent encore plusieurs cérémonies de l’ancien Testament ; par exemple la circoncision, qu’ils disent avoir commencé au patriarche Abraham, ce qui est vrai ; les azimes, l’agneau pascal, en mémoire et en action de grâces de la sortie d’Egypte et du passage de la mer Rouge à pied sec ; enfin le sabbat, et d’autres fêtes de l’ancienne loi.

Les premiers juifs qui parurent à la Chine, ainsi qu’ils me le racontèrent, y vinrent sous le Ham-chao4 ou la dynastie des Han.

Ils étoient dans les commencements plusieurs familles ; mais leur nombre étant diminué, il n’en reste présentement que sept, dont voici les noms : Thao, Kin, Che, Cao, Theman, Li et Ngai. Ces familles s’allient les unes aux autres sans se mêler avec les Hoei-hoei, ou Mahométants, avec lesquels ils n’ont rien de commun soit pour les livres, soit pour les cérémonies de leur religion ; il n’y a pas même jusqu’à leurs moustaches qui ne soient tournées d’une autre manière.

Ils n’ont de Li-paï-sou (synagogue) que dans la capitale de la province de Honan. Je n’y ai point vu d’autel, mais seulement la chaire de Moïse avec une cassolette, une longue table et de grands chandeliers, avec des chandelles de suif. Elle a quelque rapport à nos églises d’Europe ; elle est partagée en trois nefs ; celle du milieu est occupée par la table des parfums, la chaire de Moïse, et le Van-sai-pai ou tableau de l’Empereur, avec les tabernacles dont j’ai parlé, où ils gardent les treize exemplaires du Chin-Kim de Moïse. Ces tabernacles sont faits en manière d’arche, et la nef du milieu est comme le choeur de la synagogue ; les deux autres sont destinées à prier et à adorer Dieu. On va tout autour de la synagogue par le dedans.

Comme il y a eu autrefois, et qu’il y a encore aujourd’hui parmi eux des bacheliers et des Kien-sens (degré différent de celui de bacheliers), je pris la liberté de leur demander s’il honoroient Confucius : ils me répondirent tous, et même leur chef, qu’ils l’honoroient de la même manière que les autres lettrés gentils de la Chine l’honorent, et qu’il assistoient avec eux aux cérémonies solennelles qui se font dans les salles de leurs grands hommes. Ils m’ajoutèrent qu’au printemps et à l’automne , ils rendoient à leurs ancêtres les honneurs qu’on a coutume de leur rendre à la Chine, dans la salle qui est auprès de la synagogue.

A la vérité ils ne leur présentoient pas des viandes de cochon, mais d’autres animaux ; et dans les cérémonies ordinaires, ils se contentoient de présenter des porcelaines pleines de mets et de confitures, ce qu’ils accompagnoient de parfums et de profondes révérences ou prosternements.

Je leur demandai encore, si dans leurs maisons ou dans la salle de leurs morts, ils avoient des tablettes en l’honneur de leurs ancêtres. Ils me répondirent qu’ils ne se servoient de tablettes ni d’images, mais seulement de quelques cassolettes.

Il faut cependant en excepter leurs mandarins, pour lesquels seuls on met dans le Tsutsam (salle des ancêtres), une tablette où leur nom et le degré de leur mandarinat sont marqués.

Pour ce qui regarde les noms dont ils se servent pour exprimer la cause première, je vous en ai déjà parlé, et vous le verrez encore plus distinctement dans leurs inscriptions que j’ai fait copier, et que je vous envoie. J’espère que vous en tirerez de bonnes lumières. A l’égard de leur bible, je l’emprunterai, car je les vois assez disposés à me la prêter, et je la ferai aussi copier. Si vous souhaitez quelqu’autre chose, je vous prie de me le faire savoir. Je suis, etc.

P.S. : Je vous prie de remarquer, mon révérend père, que ces juifs, dans leurs inscriptions, appellent leur loi Yseslas-Kiao (la loi d’Israël ). Ils me dirent que leurs ancêtres venoient d’un royaume d’Occident, nommé le Royaume de Juda, que Josué conquit après la sortie de l’Egypte, le passage de la mer Rouge et le voyage dans le désert ; que le nombre des juifs qui sortirent d’Egypte étoit de soixante Vans (six cent mille hommes).

Ils me parlèrent des livres des Juges, de David, de Salomon, d’Ezéchiel, qui ranima les ossements secs et arides ; de Jonas, qui fut trois jours dans le ventre de la baleine, etc. ; d’où l’on peut voir qu’outre le Pentateuque, ils ont plusieurs autres livres de l’Ecriture sainte.

Ils m’assurèrent que leur alphabet avoit vingt-sept lettres ; mais que dans l’usage ordinaire, ils ne se servoient que de vingt-deux. Ce qui s’accorde avec ce que dit saint Jérôme ; que les Hébreux ont vingt-deux lettres, dont cinq sont doubles. Je leur demandai comment ils appeloient leur loi en chinois ; ils me répondirent qu’ils appeloient Tiao-kin-Kiao, pour signifier qu’ils s’abstiennent de sang, et qu’ils coupent les nerfs et les veines des animaux qu’ils tuent, afin que tout le sang s’écoule plus aisément.

Les gentils leur donnèrent d’abord ce nom, qu’ils reçurent volontiers, pour se distinguer des mahométans, qu’ils appellent Tee-mo-kiao.

Ils nomment leur loi Kou-kia (l’ancienne loi) ; Tien-Kia (la loi de Dieu, ou la loi d’Israël). Ils n’allument point de feu, et ne font rien cuire le samedi ; mais ils préparent dès le vendredi tout ce qui leur est nécessaire pour ce jour là. Lorsqu’ils lisent la Bible dans leur synagogue, ils se couvrent le visage avec un voile transparent, en mémoire de Moïse, qui descendit de la montagne le visage couvert, et qui publia ainsi le décalogue et la loi de Dieu à son peuple.

J’ai oublié de dire qu’outre la Bible, ces juifs chinois ont encore d’autres livres hébreux faits par les anciens rabbins ; que ces livres, qu’ils appellent San-tço, si je ne me trompe, et qui sont pleins d’extravagances, contiennent leurs rituels, et les cérémonies dont ils se servent encore aujourd’hui. Ils me parlèrent du paradis et de l’enfer, d’une manière peu sensée. Il y a bien de l’apparence qu’ils ont tiré du talmud ce qu’ils en disent.

Je leur parlai du Messie promis dans les écritures. Ils furent fort surpris de ce que je leur en dis ; et sur ce que je leur appris qu’il s’appeloit Jésus, ils me répondirent qu’on faisoit mention en leur Bible d’un saint homme nommé Jésus, qui étoit le fils de Sirach ; mais qu’ils ne connoissoient point le Jésus dont je voulais leur parler.

Voilà, mon révérend père, ce que j’ai appris de ces juifs chinois. Ce qu’il y a de certain, et sur quoi vous pouvez compter, c’est : 1°. Que ces juifs adorent le créateur du ciel et de la terre, et qu’ils l’appellent Tien, Chan-ti, Chan-tien, etc., comme il paroit évidemment par leurs anciens paifam et paipiens, ou inscriptions. 2°. Qu’il est constant que leurs lettrés rendent à Confucius les honneurs que les autres chinois gentils ont coutume de lui rendre dans la salle de ce philosophe, comme j’ai déjà dit. 3°. Qu’il est sûr, comme vous le pouvez voir de vos yeux dans leurs anciennes inscriptions que je vous envoie, et comme ils me l’ont tous dit unanimement, qu’ils honorent leurs morts dans le Tsutam ou salle des ancêtres, avec les mêmes cérémonies dont on se sert à la Chine ; mais sans tablettes, dont ils ne se servent pas parce qu’il leur est défendu d’avoir des images ou choses semblables.

4°. Qu’il est certain que dans leurs inscriptions, il est fait mention de  leur loi, qu’ils appellent la loi d’Israël, de leur origine, de leur ancienneté, de leur descendance, de leurs patriarches Abraham, Isaac, Jacob, des douze tribus d’Israël, de leur législateur Moïse, d’Aaron, de Josué, d’Esdras, du Chim-Kim, ou Pentateuque, qu’ils ont reçu de Moïse, et qui est composé des livres du Beresith, de Veel – Semoth, de Vaicra, de Vaiedaber, et de Haddebarim, livres qu’ils appellent, quand ils sont joints ensemble, Taura, et saint Jérôme Tora.

Vous pouvez regarder comme certain, ce que je vous ai dit du temps auquel ces juifs sont venus s’établir à la Chine, et tout ce qui est contenu dans les inscriptions dont je ne sais que sur leur rapport, et que je n’ai mises ici que pour vous faire plaisir, il ne faut s’en servir qu’avec précaution ; parce que dans la conversation j’ai trouvé ces juifs des gens peu sûrs et sur lesquels il ne faut pas trop compter.

Remarques sur la lettre du P.Gozani

Voici quelques réflexions qu’on a cru devoir ajouter pour l’éclaircissement de la lettre précédente.

I. La synagogue dont parle le P.Gozani, est fort différente de celles que nous voyons en Europe, puisqu’elle nous représente plutôt un temple qu’une synagogue ordinaire des juifs. En effet, dans la synagogue de la Chine, le lieu sacré, où il n’est permis qu’au grand-prêtre d’entrer, nous marque assez naturellement le Sancta Sanctorum où étoit l’arche d’alliance, la verge de Moïse et celle d’Aaron, etc. L’espace qui en est séparé, représente l’endroit où s’assembloient les prêtres et les lévites dans le temple de Jérusalem, et où l’on faisoit les sacrifices. Enfin, la salle qui est à l’entrée, où le peuple fait sa prière, et où il assiste à toutes les cérémonies de la religion, ressemble à ce qu’on appeloit autrefois le vestibule d’Israël : Atrium Israelis.

II. Les inscriptions en langue hébraïque qu’on voit sur les murailles de la synagogue de la Chine, marquent que les juifs de ce pays là gardent sur ce point la même coutume qui s’observe dans les synagogues d’Europe. Mais les incriptions de nos juifs ne sont que les premières lettres de certains mots qui composent une ou plusieurs sentences.

Telle est celle-ci, exprimée par ces quatre lettres, Schin, Joth, Beth, He : « Au temps de la prière, il est bon de se tenir dans le silence »5 .

III. Pour ce qui est des tabernacles, ou des tentes de Moïse et des douze tribus, cela est particulier aux juifs de la Chine. On ne voit rien de semblable dans les synagogues d’Europe.

Il y a seulement du côté de l’orient  une espèce de coffre ou d’armoire, où l’on enferme les cinq livres de la loi.

IV. Les petits livres, que les juifs chinois conservent, sont apparemment les cinquante-trois sections du Pentateuque, que les juifs d’Europe lisent tous les samedis, l’une après l’autre, dans leurs synagogues. Ils les partagent avec tant de justesse, que chaque année ils lisent les cinq livres de Moïse.

V. On ne doit pas s’étonner que les juifs de la Chine se tournent vers l’occident, lorsqu’ils font leur prière ; au lieu que nos juifs regardent l’orient. La raison de cette différence est que parmi les juifs, c’est une loi très ancienne de se tourner au temps de la prière du côté de Jérusalem. On en voit un bel exemple dans le livre de Daniel (ch. 6, v. 10). Or, Jérusalem qui, à l’égard de l’Europe est située à l’orient, à l’égard de la Chine est située à l’occident. D’ailleurs, il est certain que le temple de Jérusalem étoit disposé de telle sorte, que les Israélites faisant leurs prières, étoient tournés vers l’occident, et les juifs de la Chine suivent peut-être cet usage.

VI. Ce qui suit dans la lettre du P.Gozani est très important6 . Nous y apprenons que les juifs chinois adorent Dieu sous le nom de Tien, c’est-à-dire, sous le nom du Ciel, et que dans la langue chinoise ils ne donnent point à Dieu d’autres noms, que ceux qui sont en usage à la Chine.

Ce qui fait voir combien est défectueux le raisonnement des personnes qui ont prétendu prouver l’idolâtrie de la nation chinoise, sur ce que les chinois appellent Dieu, le Ciel. Car on sait que les juifs ne sont pas moins éloignés de l’idolâtrie que les chrétiens mêmes. Ainsi, supposé que les Chinois n’attachassent au mot Tien que l’idée du ciel matériel, et que ce fût cette substance visible qu’ils adorassent sous ce nom ; les juifs dans la crainte de paroître idolâtres comme eux, n’auroient jamais attaché au même mot l’idée du vrai Dieu, ils eussent employé quelqu’autre terme pour l’exprimer.

Puis donc que les juifs, aussi bien que les mahométans chinois, qui ne reconnoissent, comme les juifs, pour vrai Dieu, que le Seigneur du ciel, en parlant aux gentils du Dieu qu’il faut adorer, l’appellent tien, c’est une preuve que les chinois gentils entendent eux-mêmes sous ce nom autre chose que le ciel matériel. L’usage de mot Ciel, pour exprimer Dieu7 , est très commun parmi les juifs mêmes de l’Europe, qui ne sont pas plus idolâtres que ceux de la Chine. C’est ce qu’on peut voir dans presque tous les ouvrages qu’ils composent8

Il est certain qu’en quelque langue que ce soit, et même chez les auteurs sacrés, le Ciel est un terme figuré, qui marque le maître et le Seigneur de toutes choses9 ; et comme la langue chinoise est plus figurée et plus métaphorique que nulle autre, il ne faut pas s’étonner que les chinois, plus que toutes les autres nations, se soient servis du terme Ciel ou Tien pour marquer le Dieu du ciel.

Lorsque l’enfant prodigue dit à son père : « J’ai péché contre le Ciel et à vos yeux » (Luc, ch. 15) ; lorsque le troisième Macchabée, en parlant aux bourreaux qui lui vouloient couper la langue et les mains, dit : « C’est du Ciel que les ai reçues »(II Machab. II).

Lorsque tous les jours nous attendons le secours du Ciel ; par ce terme, c’est Dieu seul certainement que nous nous représentons. Pourquoi sur ce simple fondement prétendrions-nous que les Chinois par le terme Tien, entendent quelqu’autre chose.

Les juifs ayant donc trouvé à la Chine ce terme établi pour exprimer Dieu, ont eu raison de s’en servir, et on ne doit pas faire un procès aux missionnaires et aux chrétiens de s’en être servis après eux.

VII. Pour ce qui regarde les honneurs que les Chinois rendent à Confucius et aux morts, il faut bien que les juifs de la Chine, qui paroissent avoir le même éloignement de l’idolâtrie que ceux d’Europe, soient persuadés que ce sont des cérémonies purement civiles et politiques. Car s’ils y trouvoient l’ombre d’un culte superstitieux, ils n’iroient pas dans la salle de Confucius avec les autres disciples de ce philosophe, pour y recevoir les degrés, et ils ne brûleroient pas des parfums en l’honneur de leurs ancêtres.

VIII. Ce que le P.Gozani dit des fables que les juifs de la Chine ont ajoutées aux livres de l’Ecriture, paroit devoir s’entendre de la glose plutôt que du texte. C’est le génie de cette nation de feindre des contes ridicules, pour expliquer certains endroits de l’Ecriture, qui leur paroissent obscurs. Ceux qui aiment ces fables n’ont qu’à lire les paraphrases chaldaïques, le Bereschit Rabba, et le commentaire de Salomon Jarchi sur la Genèse ; ils y trouveront de quoi contenter leur curiosité.

IX. Il n’est pas surprenant qu’il n’y ait point d’autels dans la synagogue dont il est ici parlé, comme les juifs ne font plus de sacrifices, et qu’il ne leur est permis de sacrifier qu’à Jérusalem, un autel leur seroit fort inutile.

X. Lorsque le P.Gozani a dit que les Hébreux ont vingt sept lettres , il a sans doute compris dans ce nombre les cinq lettres finales dont parle saint Jérôme (Caph, Mem, Nun, Phe, Tsade), et qui ne sont pas proprement des caractères différents, mais une différente manière d’écrire certains caractères, en allongeant les traits à la fin des mots, au lieu de les recourber, comme on fait au commencement et au milieu, excepté le Mem, qui est entièrement fermé.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Retour en haut