Retour sur le Régourdou

Par le Pr. Cyr Descamps

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Résumé : Le Pr Cyr Descamps, Maître de Conférence à l’Université de Perpignan, avait effectué des fouilles au Régourdou en 1962. Suite à l’article donné par le Dr Pierre-Florent Hautvilliers dans Le Cep n°4, il nous a écrit une lettre circonstanciée faisant état de plusieurs désaccords avec l’auteur. En voici les principaux, suivis des commentaires du Dr Hautvilliers.

– P.42 L’homme de Néanderthal n’est pas le plus ancien être humain retrouvé en Europe : les Archanthropiens d’Atapuerca (Castille), de Tautavel (Roussillon), de Mauer (Rhénanie) pour ne citer que ceux-là, sont datés du Pléistocène moyen (entre 700.000 et 300.000 ans).

Le Cro-Magnon n’a pas « attendu » la disparition du Néanderthalien pour lui succéder. Les deux types ont coexisté pendant plusieurs millénaires au début du Paléolithique supérieur en Europe, où l’homme de Neandertal était autochtone, et l’homme de Cro-Magnon un migrant venu de l’Est.

Commentaire : Ceux qui ont lu les articles donnés par M.-C. van Oosterwyck dans les 3 premiers numéros du Cep auront compris mon scepticisme concernant les dates avancées par les préhistoriens. L’homme de Tautavel, que le Pr C.D. situe à plus de 700.000 ans, varie selon plusieurs auteurs, entre 200.000 et 450.000 ans !

– P.43 Les Beaux-Arts n’ont rien à voir avec les fouilles préhistoriques. C’est le Directeur des Antiquités (appelé aujourd’hui chef du Service Régional de l’Archéologie) de la région Aquitaine, à l’époque François Bordes (un spécialiste mondialement connu du Paléolithique moyen, décédé en 1981) qui a géré le dossier du Régourdou. Il faut souligner que Roger Constant n’a jamais été titulaire d’une autorisation de fouille. On l’a laissé creuser dans sa propriété, et c’est quand il s’est avéré qu’il y avait un site préhistorique que la  force publique a été requise, au titre de la loi Carcopino de 1941, pour l’empêcher de continuer ses excavations. Eugène Bonifay était chargé (aujourd’hui directeur) de recherches au CNRS.

Commentaire : M.Constant a bien eu un permis de fouille, qui lui a été retiré dès sa déclaration de découverte. S’il emploie le mot « Beaux-Arts » pour désigner une direction du Ministère de la Culture (et il n’est pas le seul), c’est une habitude de langage – désigner la partie pour le tout – explicable par l’antiquité du terme.

– P.44 S’il y a des squelettes d’ours au Régoudou, il est téméraire de parler de sépultures. Quant au fait que l’homme de Néanderthal possède un culte religieux organisé, il est connu depuis 1908 avec la découverte de l’homme de la Chapelle aux Saints (Corrèze).

Commentaire : Il y a environ 20 squelettes d’ours posés dans des fosses construites ; il y en a sans doute d’autres en prolongement, sous la maison de Roger Constant. Si le mot de « sépulture » est impropre ici, quand pourrait-on l’employer ?

– P.46 Le site est une grotte au toit effondré, et la « dalle de 850 kg » n’a jamais été « posée » sur des murets de pierre sèche : il s’agit d’un élément de ce toit effondré. Chaque pierre dont la plus grande dimension dépassait 5 cm a été dessinée et mise sur le plan. Il est absurde de parler de « folie destructrice », toute fouille est, par définition, destructrice, et la seule justification de l’archéologue est l’enregistrement, au fur et à mesure, de ce qu’il déplace (les objets) ou détruit (les sédiments). Ce qui a été fait « dans les règles » au Régourdou. Roger Constant n’a pas été spolié des objets découverts : ceux-ci ont été rachetés par le Ministère de la Culture ; en particulier la mandibule, de conservation exceptionnelle, a été payée, au début des années 80 et à dire d’expert, entre 50 et 100.000 F (je n’ai pas retenu le chiffre). J’ajoute que, s’il est regrettable que la publication extensive des fouilles (la monographie du gisement) ne soit pas encore intervenue, d’importants articles ont été consacrés, par le professeur Piveteau, aux restes humains.

Le site est mentionné dans tous les travaux traitant des sépultures néanderthaliennes, figure dans les dictionnaires de la Préhistoire… Il n’y a jamais eu de conspiration du silence, comportement que n’admettrait pas la communauté scientifique.

Commentaire : Effectivement la pierre massive faisait partie de la voûte effondrée. Je maintiens toutefois le mot de « folie destructrice » car il y avait un relent de vengeance envers Roger Constant auquel E.Bonifay avait déclaré que ses pierres étaient « bonnes pour le remblai« . R.Constant a bien été spolié. Le squelette, avec la mandibule, lui a été racheté 250.000 F alors que l’expertise se montait à 720.000 F.

Il y a peu d’articles publiés sur le Régourdou, ce qui, eu égard à l’importance du site, dénote un comportement hostile de la communauté scientifique. En témoigne la déclaration publique faite à l’époque par des personnalités de Montignac et aujourd’hui conservée au Musée National de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac :

Nous soussignés :

M.Bernard Dupuy, maire de Montignac, suppléant de M. le Juge de Paix du canton de Montignac-sur-Vézère ;

M.Jacques Védrenne, notaire, président du Syndicat d’Initiatives du canton de Montignac-sur-Vézère ;

M.Pierre Fontaliran, huissier près du Tribunal civil de Sarlat, résidant à Montignac-sur-Vézère ;

M.Félix de Molette de Morangiès, notaire, secrétaire du Syndicat d’Initiative de Montignac-sur-Vézère ;

Sommes heureux de rendre publiquement hommage au dévouement, au désintéressement et au travail acharné fourni par M.Roger Constant depuis plusieurs années, en faveur de la science.

M.Roger Constant a fait preuve dans les fouilles du Régourdou, sur sa propriété, d’une conscience admirable et d’une persévérance rare ; bravant les railleries, les pressions de toutes sortes exercées contre lui, poursuivant toujours avec acharnement ses recherches, persuadé qu’elles aboutiraient  à un résultat.

Nous considérons donc que M.Constant est en droit d’exiger que les pièces livrées par les fouilles qu’il a entreprises soient l’objet de la meilleurs étude scientifique possible et que les garanties qu’il est en droit d’exiger ne se trouvaient pas remplies le 27 septembre ;

Qu’ayant fait part à M. le Secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts des hautes personnalités scientifiques qu’il désirait voir étudier les documents trouvés par lui, il était en droit d’attendre la venue de celles-ci ;

Qu’il avait fait part  verbalement – par téléphone – et par lettre, à M.Bordes, conservateur des Antiquités Préhistoriques de la 7ème circonscription, qu’il s’opposait à l’enlèvement des documents que celui-ci avait fixé, sans son accord, au 27 septembre, à 8 h 30 ;

Que lors de la venue de M. Bordes et de M.Sarradet, et d’autres personnes, le 27 septembre à 8 h 30, des pressions ont été exercées sur M.Constant et des menaces ont été proférées, tant contre lui que contre les personnes le conseillant ; que déprimé par toutes ces pressions et menaces, M.Constant a été obligé de consulter son médecin qui a prescrit un repos de 48 heures.

Que nous pouvons témoigner de la parfaite correction dont a usé M.Constant vis-à-vis de M.Bordes et des personnes qui l’accompagnaient, alors que cependant, étant chez lui, il pouvait interdire à beaucoup d’entre eux l’entrée de sa propriété ; qu’il a fait preuve d’une patience et d’un calme dont n’ont pas fait preuve d’autres personnes venues pour procéder à l’enlèvement ;

Que M.Constant, qui entend que soient respectés ses droits imprescriptibles de propriété sur les documents scientifiques livrés ou à livrer par les fouilles du Régourdou, n’a jamais empêché les droits de l’Etat de s’exercer, pour la conservation de ces documents.

Fait à Montignac, le 27 septembre 1957.

Suivent les signatures :

DUPUY, VEDRENNE, FONTALIRAN, DE MOLETTE DE MORANGIES

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