L’étrange apologétique darwinienne

Par Dominique Tassot

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Résumé : Il existe une « apologétique » darwinienne, c’est-à-dire un effort construit pour nous convaincre du bien-fondé de l’évolution, à la manière dont les apologistes chrétiens, les maîtres de ce genre littéraire, ont établi une justification rationnelle de vérité de foi. Ainsi Darwin consacre un chapitre de son livre à réfuter les objections dont il avait connaissance. Cette apologétique s’adresse à l’intelligence du contradicteur, qu’elle respecte, et cherche à lui apporter des éléments de réflexion qui l’amèneront, de lui-même, par le dialogue et la recherche de la vérité, à changer d’avis. La situation a bien changé depuis que les évolutionnistes occupent les chaires universitaires et les médias. Loin de prendre en compte les arguments de leurs adversaires pour les dissoudre ou les retourner, leur attitude consiste à éviter toute confrontation. Différents procédés sont mis en œuvre, qui reviennent toujours plus ou moins à disqualifier les opposants par ce fait même qu’ils mettent en doute le mythe. Dès lors, le débat n’a plus lieu d’être. La mise à l’écart des « faits polémiques » est un autre procédé fréquent, ainsi que « l’oubli » des erreurs soutenues naguère par les évolutionnistes. Une telle attitude ne s’explique bien qu’en remontant à la nature non pas scientifique mais véritablement religieuse, de l’évolutionnisme.

Avec le cent-cinquantième anniversaire du fameux livre de Darwin, paru le 24 novembre 1859, et au risque de lasser certains lecteurs en revenant une fois de plus dans les pestilences du marécage évolutionniste, il convient de signaler un aspect étonnant du darwinisme : son apologétique, c’est-à-dire la manière dont il tente de justifier ses thèses.

Le dictionnaire Larousse note à l’article « apologétique » : « Comme il n’y a pas de religion qui n’ait ses détracteurs, il n’y en a pas non plus qui n’ait son apologétique. Mais ce sont surtout les apologistes du christianisme qui ont fait la célébrité de cette science », en ajoutant qu’il s’agit surtout d’arguments philosophiques évoquant la raison et le bon sens, c’est-à-dire d’arguments recevables par l’adversaire, quelles que soient ses convictions intimes.

Darwin lui-même savait bien qu’il aurait du mal à convaincre. Il consacre tout le chapitre VI de son livre à réfuter les objections scientifiques dont il avait connaissance ; et dans la seconde édition, en janvier 1860, il ajoute à la conclusion une phrase mentionnant le Créateur, afin d’écarter les accusations d’athéisme qu’avait inévitablement soulevées un ouvrage sur les origines ne faisant aucune mention du livre de la Genèse.

La situation a bien changé depuis que les évolutionnistes occupent le haut du pavé. Si, en suivant le Larousse, on se réfère aux apologistes chrétiens, on admire le soin que ceux-ci mettent à justifier les points essentiels de leur foi, insistant sur les questions difficiles ou délicates dont ils savent que l’incrédule se moquera ou les écartera d’emblée : l’existence d’une âme immortelle et d’un Dieu invisible, par exemple, si l’auditeur est un païen. Ils entrent dans la pensée de l’autre, ils prennent en compte ses présupposés et tentent – c’est tout l’art – de montrer qu’un esprit ouvert, à la raison droite, attaché à la recherche du vrai, peut accepter les dogmes de la foi chrétienne. Sans oublier que l’acte de foi ressortit à une volonté libre, ils s’efforcent de déblayer le terrain, de bien cerner la difficulté et d’accompagner le contradicteur dans sa propre démarche. Le dialogue, ici, sera souvent une forme littéraire appropriée, établissant un rapport de respect, d’égalité et d’écoute entre les deux positions de départ.

Il n’est pas exagéré de dire que l’apologétique darwinienne se situe aux antipodes d’une semblable attitude.

En effet, les points difficiles, qui heurtent le sens commun, sont écartés d’emblée ou contournés.

Peu après la publication de son livre, Darwin montrait la voie en écrivant à Asa Gray : «Il est très important que mes idées soient lues par des hommes intelligents accoutumés aux arguments scientifiques, tout en n’étant pas naturalistes. Cela peut paraître absurde, mais je m’imagine que de pareils hommes entraîneront après eux les naturalistes qui s’entêtent à croire qu’une espèce est une entité. »1

Au lieu donc d’entrer dans le vif du sujet, et de montrer rationnellement aux savants que leur notion d’espèce doit être amendée, Darwin choisit de convaincre d’abord ceux qui ne connaissent pas le sujet, qui ne voient donc pas à quel point l’espèce-entité correspond à la fois aux faits observés et aux nécessités de la science : stratégie de contournement.

Ce sera la première phase de la dialectique évolutionniste : des arguments très simples, faciles à comprendre, que les ignorants vont admettre sans difficulté. Ainsi en est-il de la « survie du plus apte ». Il est d’autant plus facile de s’en convaincre qu’il s’agit d’une tautologie. En effet, une fois admise l’existence d’une lutte pour l’existence, il va presque de soi que celui qui survit s’est montré le plus apte, et que le plus apte est bien celui qui a survécu. Comment ne pas être d’accord ? Mais l’argument ne vaut rien sur le plan scientifique : la lutte entre individus d’une même espèce porte sur les territoires ou le partage des femelles ; il ne s’agit pas d’une lutte à mort. Cette dernière, lorsqu’elle a lieu, est une lutte entre espèces différentes et ne peut modifier ni l’espèce dominante ni l’espèce éliminée.

Il en va de même pour la « sélection naturelle » : on se persuade dès l’énoncé qu’elle provoque une évolution progressive : c’est toujours le meilleur qu’on choisit ! Mais, dans la réalité, comme le reconnaissent les évolutionnistes eux-mêmes, la sélection naturelle élimine les déviants et les handicapés ; elle a  plutôt un effet conservateur du type moyen de l’espèce et l’exemple bien connu de la phalène du bouleau montre que les proportions variables entre forme claire (typica) et forme sombre (carbonaria) du papillon sont réversibles dans le temps et n’ont de toutes façons aucun effet modificateur sur l’espèce.

Dans la conférence qu’il a donnée au récent colloque du CEP, Jean-François Moreel fit à ce sujet une remarque profonde : les arguments darwiniens ont changé. Les premiers arguments, simples, persuasifs pour le grand public, n’ont pas résisté à la critique scientifique. On présente désormais, grâce à la biologie moléculaire, des arguments incompréhensibles pour l’homme de la rue et que seuls des spécialistes seraient capables d’analyser.

On vise ainsi à justifier des points mineurs de la théorie, comme si les points fondamentaux étaient déjà démontrés sans discussion possible. C’est là un tour de passe-passe.

La question des fossiles offre un autre exemple de ce décalage entre la croyance commune et l’état de la science. Pour l’homme de la rue, les fossiles passent pour une preuve évidente de l’évolution : puisque les êtres qui vivaient jadis étaient différents de ceux d’aujourd’hui, c’est bien qu’une transformation a fait passer des espèces fossiles aux espèces contemporaines !

Or les fossiles étaient et demeurent un argument majeur contre l’évolution. Darwin en avait bien conscience.

Il écrit dans L’Origine des espèces : « le nombre de variétés intermédiaires qui auraient existé autrefois sur la terre doit-être vraiment immense. Pourquoi donc toute formation géologique et toute strate ne sont-elles pas pleines de ces chaînons ? Il est certain que la géologie ne révèle pas une telle chaîne organique parfaitement graduée ; et c’est peut-être l’objection la plus obvie et la plus sérieuse qu’on puisse faire à ma théorie.»2

Au lieu d’entrer, comme le fait ici Darwin, dans la pensée du contradicteur, au lieu de reconnaître qu’il y a « stase » des espèces fossiles, c’est-à-dire qu’on les retrouve à l’identique dans tous les sites de fouilles, et donc qu’ils n’apportent aucune preuve d’une quelconque transformation, on invente une théorie taillée sur mesure, le « saltationnisme »: les intermédiaires qui manquent à l’appel, ces fameux « chaînons manquants » ont bien dû exister, mais en petit nombre seulement, sur quelques site privilégiés, si bien qu’ils eurent peu de chances de se fossiliser et de se faire découvrir par nous…

Mais quel est le degré de certitude d’une preuve dont la qualité démonstrative réside dans son improbabilité ? La désinformation du public, en l’occurrence, confirme plutôt qu’une information complète et franche verrait l’écroulement de la théorie. Celui qui recherche avant tout la vérité n’a pas peur de la contradiction : quelle qu’en soit l’issue, elle ne peut être que profitable !

Tandis que la politique constante des évolutionnistes est de confisquer la parole : on l’a bien vu lors d’une conférence à l’Université grégorienne, en mars dernier, lorsqu’un neurologue turc s’est vu retirer le micro (cf. Le Cep n° 47, pp. 57-58).

Mais cette attitude montre bien qu’il s’agit de politique et non de science, si tant est, comme l’écrivait Alfred Fabre-Luce que «la politique est l’art, non pas de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent.» En l’occurrence il faut signaler l’évitement par la stigmatisation.

Le contradicteur, du simple fait qu’il déclare ne pas croire au mythe, est déclaré indigne d’un débat.

On citera à ce sujet l’exemple donné par le doyen Georges Millot (1917-1991). Président de la Société Géologique de France, il comprit l’importance des expériences réalisées par Guy Berthault. Il en révisa lui-même la rédaction et les présenta en séance à l’Académie des Sciences en 1982. Puis il orienta Guy Berthault vers l’Institut d’Hydrologie de Marseille, qui refit les mêmes expériences à plus grande échelle, et fit publier aux Comptes rendus de l’Académie des Sciences une seconde note. Le moins qu’on puisse dire est donc qu’il avait parfaitement conscience de l’importance de ces travaux et de leur utilité pour la science.

Mais lorsqu’il découvrit que Guy Berthault ne croyait pas en l’évolution, son attitude changea du tout au tout et, en réponse à une question venue d’une Académie étrangère, il eut cette phrase mémorable : «Monsieur Berthault ne croit pas en l’évolution des espèces, cela n’est pas respectable!» [sic]

Avec de telles règles de cooptation, on peut être assuré que rien ne sortira les institutions savantes de leur sommeil évolutionniste!

Un autre procédé de l’apologétique darwinienne est l’oubli des erreurs passées. Ainsi la théorie reposait-elle jadis sur l’hérédité des caractères acquis : il fallait bien que la modification avantageuse acquise par le plus apte fût transmise à la descendance, sinon tout cumul de modifications avantageuses serait impossible.

Quand Weismann eut démontré la non-hérédité des caractères acquis, on se contenta de n’en plus parler. Solution élégante, mais peu convaincante !

L’escamotage des faits « polémiques », ceux qui ne cadrent pas avec la théorie, fait partie des mêmes techniques d’évitement du débat. On l’a vu avec le moulinet de la rivière Tellico (cf. Le Cep n° 36), pris dans un bloc de phylite supposé dater de 400 million d’années, alors que le brevet du moulinet de pêche fut déposé en 1885 !

Devant ce cas, stimulant pour l’intelligence de la formation des roches, le chef du département de géologie à l’Université du Tennessee réagit par cette exclamation : « Ceci n’existe pas ! »

Attitude apologétique si étrange, en vérité, qu’elle appelle une explication d’une autre nature.

En effet, pourquoi de telles dérobades devant les faits, de telles incohérences dans la démonstration, s’il s’agissait vraiment de convaincre ?

Dans un premier temps, on peut imaginer que les évolutionnistes, rompus aux techniques de communication, appliquent simplement l’adage classique de tous les manipulateurs : « mieux vaut persuader que convaincre ; on gagne du temps ! »

L’absence de preuves rationnelles s’expliquerait dès lors par l’absence d’intention apologétique ! Mais ce serait oublier les vastes budgets publicitaires (souvent sur fonds publics) dont bénéficie la propagande évolutionniste et sa présence universelle dans les idées diffusées par les médias et les manuels scolaires.

Il existe donc une intention tenace, sinon de convaincre, du moins de persuader. Mais pourquoi, dans une question apparemment scientifique, choisir ce style de procédés sinon parce que la science fait ici partie du contenu de la communication, et du moyen de manipulation des esprits, sans en être le but véritable. Ainsi le paradoxe disparaît. Le but n’est pas scientifique, il est religieux. Et ce sont les chefs de l’évolutionnisme eux-mêmes qui le confirment.

Nous en donnerons deux témoignages caractéristiques, situés à un demi-siècle d’intervalle, ce qui montre bien la cohérence de la manœuvre.

En 1931, Maurice Caullery, titulaire à la Sorbonne de la chaire d’évolution des êtres organisés, synthétisait la position des évolutionnistes dans cette exclamation hautement significative:

« Oui, les espèces actuelles sont stables, mais elles ne l’ont pas toujours été ; autrement il faudrait recourir à un Créateur pour expliquer l’apparition des êtres vivants! »3

Né en 1929, R. Lewontin fut titulaire de la chaire de biologie à Harvard durant un quart de siècle (1973-1998). Il y développa les bases mathématiques de la génétique des populations ; son influence universitaire et sociétale reste considérable. Il écrivait en 1997: « Notre empressement à accepter des affirmations scientifiques contraires au bon sens est la clef pour comprendre la véritable lutte entre la science et le surnaturel.

Nous prenons le parti de la science malgré l’absurdité évidente de certaines de ses constructions, malgré son échec à remplir nombre de ses extravagantes promesses de santé et de vie, malgré la tolérance de la communauté scientifique pour ce qui n’est qu’histoires sans preuves, parce que nous avons un engagement préalable, un engagement envers le naturalisme…En outre, ce matérialisme est un absolu, car nous ne pouvons pas permettre un Pied divin dans la porte. »4

Il existe donc bien une apologétique évolutionniste. Si elle peut nous paraître étrange, c’est que le but n’est pas ce que décrivent les arguments : la science, la connaissance des faits de la biologie. Mais en regard de ce but véritable : justifier une vision matérialiste du monde, alors les moyens choisis s’avèrent excellents. Ils le sont en fait, puisque nos contemporains, pour beaucoup d’entre eux, n’imaginent pas que cette fresque historique est une simple option, fort discutable au demeurant.

Ils le sont aussi en droit, puisque selon le mot de Richard Dawkins, le célèbre biologiste d’Oxford: «  Darwin a produit la justification intellectuelle qu’attendaient les athées. »5

Et en effet, la sélection  » naturelle  » (pour quiconque accepte de lui conférer une telle capacité) permet de récuser l’existence d’une Intelligence ordonnatrice des faits de la vie. À la lumière de ces déclarations, l’apologétique darwinienne prend tout son sens et retrouve une authentique logique: l’incohérence avec les faits est sans importance; au fond seul importe d’avoir mis au service du matérialisme l’autorité de la science. La potion est un peu amère, mais il ne s’en est pas trouvé d’autres. Darwin, malgré l’inconsistance de ses thèses, a encore quelques beaux jours devant lui!


1 La vie et la correspondance de Charles Darwin, avec un chapitre autobiographique, publiés par son fils, M. Francis Darwin (1887), trad. fr. par Henry de Varigny, Paris, Reinwald, 1888, vol. I, p. 83.

2 Darwin, De l’Origine des espèces (1859), trad. fr. G. Flammarion, Paris, 1992, p. 334.

3 M. Caullery, Le problème de l’Évolution, Payot, 1931, Avant-propos.

4 R. Lewontin, « Billions and Billions of Demons », The New Yorker, 9 janv.1997, p.31, souligné par nous.

5 « Darwin made it possible to be an intellectually satisfied atheist ». Richard Dawkins, The blind watchmaker, Harlow, Longman, 1986, p. 6.

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