Partager la publication "Saint Philippe"
Par Paul Claudel
Le paresseux dit qu’il y a un lion sur le chemin ;
Le timide se lamente et se cache la tête entre les mains ;
Le sage, sui examine et critique tout, ne fait rien ;
Le rêveur, quand sa bulle crève, s’attriste ;
Mais l’homme qui n’espère rien est un terrible optimiste.
La couleur au juste qu’a le ciel et le sens des nuages et des lames.
Que celui-là s’en occupe qui s’occupe de sauver son âme.
L’opinion contraire de tous en impose aux cœurs sensibles:
Mais Philippe se réjouit parmi les choses impossibles.
Où le terrain ne prête pas, c’est là qu’il faut donner.
Là où l’esprit est à bout, le cœur a déjà outre-passé.
Il est le fourrier sans un sou envoyé par Dieu pour ce repas
De tout un peuple à qui deux cents deniers ne suffiraient pas.
Que les hommes disputent et crient, et qu’ils fassent de leur mieux :
Ce n’est pas lui qui est fait pour avoir le dessous, mais eux.
Il est apôtre de Dieu en Pierre qui ne peut se tromper ;
Rien ne lui manque, il est complet, il est absolument fermé.
Il méprise le monde et ces choses qui sont vraies à moitié :
Dieu parle, c’est assez, il n’y a pas de difficulté.
Le message de Dieu qu’il porte, il n’y a qu’à l’accepter tout entier ;
Que cela soit agréable ou non, qu’il en coûte le sang ou pis,
Jusqu’à la dernière syllabe et jusqu’à ce point sur l’i.
Nous sommes faibles, il est vrai, et de peu d’intelligence.
Nous somme peu nombreux et l’erreur autour de nous est immense.
Le ciel est parfaitement noir, l’espoir est parfaitement fini :
« Montrez-nous le Père, dit Philippe, et cela nous suffit. »