La science a repoussé la sagesse

Par Dominique Tassot

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Résumé : Par bien des côtés, l’activité transformatrice de l’homme ressemble à celle d’un apprenti-sorcier. Avec les biotechniques et les transferts de gènes d’un organisme à l’autre, les chercheurs oublient le “chacun selon son espèce” qui rythmait le récit de la Création divine. Entre la science moderne et la sagesse, le fossé grandit et les comités de bioéthiques ne sauront pas le combler : il revient au chercheur lui-même de mesurer les conséquences de ses actes, d’assumer sa responsabilité propre au sein de la société et de revenir à la source de toute sagesse authentique.

A l’heure où le clonage humain s’approche, les esprits vont-ils enfin sortir d’une torpeur qui prend de plus en plus l’allure d’une complicité ?

On pratiquait depuis longtemps une forme de clonage pour la sélection de végétaux. En sectionnant leurs méristèmes, on peut multiplier les plants sans attendre qu’ils portent graine. Gain de temps pour les chercheurs, donc gain d’argent pour le laboratoire. Mais les végétaux n’ont pas d’âme au sens biblique du terme. Celle-ci apparaît avec les êtres vivants créés au quatrième jour : oiseaux et poissons. C’est pourquoi les premiers animaux  pouvaient brouter l’herbe qui leur était destinée sans que la mort eût encore fait son entrée dans le monde (Romains, 5:12).

Avec Dolly, clonée a partir d’une cellule de brebis adulte et née le 5 juillet 1996, l’homme commence à bricoler sur “l’âme vivante” (nephesh hayyah). On donne ainsi corps au mythe de l’immortalité même si, semble-t-il, le propre “créateur” de Dolly, Ian Wilmut, admet que les chromosomes de l’agnelle ont présenté aussitôt des altérations signalant un vieillissement1. Déjà une secte religieuse propose des clones d’êtres humains sur Internet “pour seulement 200 000 dollars.2

La “chimère” des anciens grecs était un monstre avec buste de lion, ventre de chèvre et queue de dragon. Chez les modernes, le mot devint le symbole des “conceptions contraires à la réalité“(Larousse), des “vaines imaginations” (Littré). Aujourd’hui, l’imagination des savants a pris le pouvoir,et l’on appelle chimère les hybrides bien réels qui peuplent les laboratoires de biotechnologies, en attendant de remplir les hôpitaux et les cours de fermes : souris transgéniques fabriquées en injectant des gènes modifiés dans leurs embryons, porc ou vaches aux chromosomes manipulés en vue de multiplier une protéine humaine, etc…

Le clonage n’est plus qu’une application particulière de la technique ayant donné naissance à Dolly : le transfert nucléique. En Floride, Steen Malte Willasden a déjà transféré les chromosomes d’une femme ménopausée dans un ovocyte énucléé de femme jeune. Il pourra soit fertiliser cet ovule avec des spermatozoïdes (procréation “médicalement assistée”), soit le fusionner avec de l’ADN de la donneuse âgée (clonage)3.

Le docteur Jacques Cohen, au centre médical Saint-Barnabé (USA) vient de réussir  une fécondation in vitro en transférant le cytoplasme d’une femme fertile autour du noyau cellulaire de l’ovule chez une femme stérile. Mais des gènes issus des mitochondries de la donneuse pourront s’insérer dans les chromosomes du noyau de l’ovocyte, et l’enfant aurait alors trois parents génétiques.4

Ainsi rien n’arrêtera nos apprentis-sorciers : si les Etats-Unis et l’Europe s’acheminent vers une interdiction du clonage humain, d’autres pays dont la Chine5 devraient l’accepter. Surtout, dès lors que nos savants Frankenstein jouent au meccano avec les gènes isolés, la frontière de l’espèce s’efface : on peut hybrider l’homme et l’animal pour créer des monstres et sans doute des chercheurs s’y sont essayés en secret.

On imagine une race d’hommes-robots spécialisés encore assez intelligents pour servir leurs maîtres mais génétiquement modifiés pour éviter toute révolte.

Ou encore des êtres hybridés à seule fin de servir d’esclaves sexuels. N’oublions pas qu’avec l’échographie obligatoire et remboursée l’eugénisme est déjà une doctrine officielle.

Comme l’avoue ingénument un journaliste du New Scientist : Les chimères humaines ne seraient pas nécessairement malades ou anormales… Après tout, pourquoi s’inquiéter, alors qu’aucun chercheur n’a l’intention d’étendre aux foetus humains ce qui se pratique couramment chez la souris6 ? La raison est simple : les expériences qui paraissent effrayantes ou farfelues aujourd’hui pourraient être perçues très différemment demain. Il y a trente ans, l’idée qu’on puisse manipuler génétiquement des bactéries paraissait aberrante. Aujourd’hui les bactéries manipulées servent à fabriquer des lessives.7

Mais, direz-vous, les comités de bioéthique veillent au grain !… C’est mal en connaître le fonctionnement. D’une part ces comités opèrent en aval, sur des recherches avancées, lorsqu’il s’agit plus que de tester sur l’homme un procédé ou une molécule déjà validés. Il est alors trop tard. Ce que tel comité refuserait, tel autre l’acceptera. A l’échelle mondiale, le laboratoire saura bien solliciter le comité où il a ses entrées8.

D’autre part le simple fait d’aligner périodiquement autour d’une telle table des personnalités religieuses avec les hommes de science constitue précisément le meilleur moyen de fragiliser les certitudes morales de gens peut-être déjà choisis pour leur talent casuistique.

Dès lors que l’idée d’un Dieu créateur n’est plus qu’une réminiscence scolaire, et que la théologie évolutionniste a balayé les dernières convictions touchant l’historicité de la Genèse, comment nos maîtres de morale sauraient-ils dire non aux vrais pontes de l’époque moderne, ces savants qui les persuaderont aisément que Dieu le permet dès lors que c’est rendu possible, d’autant que le bonheur de l’humanité l’exige !… Comme jadis le “confesseur” du roi, celui qui siège dans un comité de bioéthique sait bien qui l’a nommé. Le mot “éthique”, d’ailleurs, n’a-t-il pas été retenu pour bien montrer qu’il ne s’agit pas d’en rester à la morale commune, c’est-à-dire aux règles édictées à partir de la Révélation biblique ?

Comme ironise Steen Willasden lui-même, le promoteur public du clonage humain, “quand les médecins opteront pour le clonage humain, ils lui trouveront un autre nom pour contourner la polémique.9

Dans un contexte d’innovation absolue, comme celui des biotechnologies transgéniques, tous les repères s’estompent sauf ceux qui restent marqués du même cachet d’absolu, ceux qui remontent tout droit au Créateur de tous les être, jusques et y compris des manipulateurs de gènes. On mesure ainsi la responsabilité des exégètes qui ont laissé croire que la Bible n’était qu’une compilation de sagesses humaines datées historiquement. Que vaudra leur autorité personnelle contre l’autorité ronflante et médiatique de savants nobélisés ou nobélisables ?

Alors que le sens commun recule instinctivement à l’idée de manipuler le génome humain, alors qu’il faut dépenser chaque année des milliards de dollars pour entretenir la croyance dans une origine animale de l’homme, alors que les simples cuisinières faisant leur marché commencent à esquiver les plantes transgéniques10, les comités de bioéthique, où les scientifiques restent majoritaires, risquent plutôt de cautionner, d’avaliser puis de faire accepter à la longue toutes les dérives d’une science devenue folle.

Car la science ne s’oppose pas à la folie : elle la renforce. Le contraire de la folie, c’est la sagesse.

Que penser de ces gens si intelligents qui ont développé les centrales nucléaires sans résoudre d’abord toutes les questions posées par les déchets, sans prévoir tous les effets d’une explosion ?… Mieux vaut prévenir que guérir. Il faut que les savants eux-mêmes reprennent conscience de leur responsabilité individuelle et collective11 (la crainte est le commencement de la sagesse). Il faut encore qu’ils se tournent vers la source de toute sagesse, Celui qui a pu dire : “Je suis la voie, la vérité et la vie” (Jean, 14:6).

La science ne fera pas indéfiniment ni impunément l’économie de la cause première. Et là surgit le rôle du CEP : non seulement rappeler aux esprits hypnotisés par les prouesses de la science, que des règles supérieures ont été posées dès le commencement par la cause créatrice, mais encore nommer cette cause, Dieu, et accueillir les messages amoureusement inscrits dans Sa Révélation. Car Dieu ne peut avoir parlé pour ne rien dire et c’est une impolitesse autant qu’une stupidité extrême, pour l’homme – invité d’honneur au banquet de la Création – que d’en saisir les fruits comme s’il ne les tenait que de lui-même, sans remercier son hôte.

L’Arbre de la science ne pouvait être mauvais par nature, puisqu’il était planté au coeur d’un Eden parfait. Son fruit était d’ailleurs “bon à manger, beau à voir et désirable pour l’habileté de l’intelligence” (Genèse 3:6). Mais Dieu voulait que l’homme le reçût de Sa main, qu’il ne pût s’enorgueillir de l’avoir cueilli en levant le bras… Quelle différence, diriez-vous de prime abord !… Une fois rendu dans l’estomac l’aliment ne fait-il pas de même son office ?

Plus loin nous voyons le Christ distribuer le pain à ses apôtres, alors que Judas, justement, est “celui qui met la main au plat“(cf. Marc 14 :20).

C’est donc toujours la même histoire, la grande fracture qui sépare la volonté divine et la volonté propre, le Royaume de Dieu et l’humanisme athée, en bref Jérusalem et Babel. L’intellect et la volonté étant les plus hautes puissances en l’homme, cette petite nuance psychologique (agir seul, ou avec Dieu) recelait en puissance tout l’immense drame cosmique. Avec les manipulations génétiques nous en rejouons aujourd’hui une scène décisive. Plus que jamais, comme le répète maintes fois l’Ecriture – et les scientifiques n’en sont pas exclus – “seuls ceux qui croient ne seront pas confondus“. Prennent alors un nouveau relief les paroles du Christ à la veille de sa passion : “De même que le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s’il ne demeure pas sur le cep, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez en moi. Je suis le cep ; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire” (Jean 15 : 4-5).

La loi du pendule veut que l’autorité injustifiée de la science soit un jour foulée aux pieds par les peuples désabusés. Ce même recul critique par lequel le CEP entend passer la science au crible de vérités plus haute, évitera alors l’excès inverse : tout rejeter par dégoût, alors que la science est une activité des plus nobles, par laquelle l’homme se rapproche éminemment de Dieu.

Marquer ses distances envers la folie des savants c’est encore, c’est aussi préserver l’image de Dieu en l’homme et donc rendre grâce à Dieu, puisque “la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant.12


1 Catherine Vincent, Dolly, une vieille brebis dans un corps d’agnelle, Le Monde du 3 juillet 1997.

2 Daniel Green, Clonage : la vache est-elle l’avenir de l’homme, Courrier International n°360, 25 septembre 1997, p.53.

3 Ibidem.

4 Paul de Brem, Trois parents pour un enfant, Euréka, n°41 bis, mars 1999.

5 Un pays où le taux de mortalité dans les orphelinats dépasse 50% par an peut effectivement surmonter dans trop d’efforts les scrupules que d’autres manifestent encore devant le clonage humain (cf. Death by default. A policy of fatal negect in China’s State Orphanages, Human Rights Watch, 485 Fifth Av., New York 10017 – 6104, US $ 20, Tél. : (1) 212 972 8400).

6 Une telle assurance tient de l’inconscience : il est impossible de démontrer qu’une chose n’existe pas. En 1972, l’URSS avait signé un traité international interdisant les armes bactériologiques. Un ancien responsable scientifique des armes chimiques et bactériologiques russes, le médecin-colonel Kanatjan Alibekov accuse aujourd’hui Moscou de maintenir intactes ses capacités de production. Il affrime que des armes bactériologiques ont servi en Afganistan et que lui-même a développé une maladie du charbon “trois à quatre fois plus efficace que les précédentes souches” (Présent, du 9 avril 1999).

7 Daniel Green, op. cit..

8 On impose aujourd’hui aux membres des commisions d’autorisation des médicaments de déclarer sur l’honneur les liens divers qu’ils peuvent avoir avec l’industrie phamaceutique. On en compte parfois plusieurs dizaines, et ce n’est peut-être que la partie émergée de l’iceberg. Au demeurant on voit mal comment des experts pourraient rester compétents sans entretenir des liens fonctionnels avec les centres où se développe effectivement la recherche appliquée.

9 Daniel Grenn, op. cit.

10 Il est significatif que la mention “ne contenant pas d’OGM” soit interdite sur les emballages de produits alimentaires, fût-ce sous le prétexte que la tolérance admissible n’a pas encore été fixée (moins de 3 % ou de 5 % d’OGM). Certes la mention “contenant des OGM” sera rendue obligatoire, mais cette dissymétrie de traitement signale bien la partialité des administrations sur le sujet.

11 Admirons le professeur Testard, le “père” du premier bébé-éprouvette, qui a décidé lui-même d’arrêter ses recherches dans cette direction : preuve que la sagesse peut accompagner la science (mais peut-être eut-il mieux valu qu’elle la précédât !)

12 Saint Irénée, Contre les hérésies, IV, 2, 7 (trad. Adelin Rousseau, Cerf 1985, p.474). Cette formule s’insère dans le passage suivant, lui-même marqué par Romains 1:21 : “C’est pourquoi le Verbe a rendu  Dieu visible aux hommes par de multiples “économies”, de peur que, privé totalement de Dieu, l’homme ne perdît jusqu’à l’existence. Car la gloire de Dieu c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme c’est la vision de Dieu : si déjà la révélation de Dieu par la création procure la vie à tous les êtres qui vivent sur terre, combien plus la manifestation du Père par  le Verbe procure-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu !”

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