Vers une sédimentologie fondée sur l’expérimentation

Par Guy Berthault

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Vers une sédimentologie fondée sur l’expérimentation 1

Résumé : On croit communément que les strates qui se superposent dans les roches sédimentaires résultent de dépôts successifs, les strates inférieures s’étant formées avant celles qui les recouvrent. Cette « idée claire et distincte » s’impose d’elle-même à l’esprit et, depuis deux siècles, les géologues l’ont admise sans vérification, tant elle paraît simple et évidente. Les expériences conduites par Guy Berthault depuis 1973 montrent, à l’inverse, que la stratification résulte d’une ségrégation entre grosses et fines particules au cours de leur dépôt. La géologie historique se trouve ainsi remise en cause dans ses fondements, avec toutes les conséquences culturelles qu’on peut imaginer.

            Des critères mécaniques (vitesse du courant, taille et densité des particules, dessiccation, etc.) devraient désormais s’imposer  pour expliquer la formation des roches sédimentaires

         Dans son ouvrage « La Bible au risque de la Science« , qui vient de paraître, Dominique Tassot retrace l’histoire des contradictions que la science a portées à l’enseignement de l’Eglise depuis le Moyen Age : la première fut celle de la remise en cause du géocentrisme, d’abord par Copernic, puis par Galilée et Kepler ; enfin par Newton, dont les « Principia Mathematica » devinrent  la Bible des rationalistes.

         La seconde s’est présentée dès le XVIIIème siècle, avec l’élaboration de la géologie historique, qui contredit la Genèse et a débouché sur la théorie de l’évolution des espèces, avec Darwin. Théorie qui maintenant englobe le cosmos puisqu’elle part du Big-Bang.

         Il en résulte que la foi est contestée dans ses fondements. Et l’on voit l’Eglise abandonner ses références à la Genèse, sous l’influence de théologiens évolutionnistes qui sont, à cet égard, plus radicaux que les scientifiques eux-mêmes.

         Mais sur quoi se fondent ces sciences qui contestent la Genèse ?

         Le raisonnement scientifique authentique part des faits observés et expérimentés, à partir desquels il formule des hypothèses exprimant les lois qui doivent expliquer ces faits. Une hypothèse peut toujours être remise en cause, si de nouveaux faits viennent la contredire.

         La science progresse ainsi mais elle rencontre vite ses limites, notamment en ce qui concerne les événements passés, non reproductibles.

         En fait, nombre de sciences reposent sur des principes et des interprétations qui ne sont pas toujours démontrés. C’était déjà vrai pour les « Principia Mathematica » ; ce l’est plus encore pour les principes de base de la géologie historique.

         Je vais m’efforcer de le montrer dans ce dernier domaine.

1. Les principes de la stratigraphie

         Mes travaux résultent d’une réflexion, il y 20 ans, sur la validité des principes de superposition et de continuité qui sont à la base de l’échelle des temps géologiques. Ces principes impliquent une identification entre ce que l’on constate sur le terrain : des faciès ou des strates, superposés,  et ce que l’on n’a pu observer : un dépôt de couches homogènes se recouvrant successivement. A ma connaissance, cette identification (strate = couche), n’avait jamais fait l’objet de discussion.

         Rappelons l’énoncé des 4 principes de la stratigraphie, tels qu’ils figurent dans le Précis de Géologie des Professeurs J.Aubouin, R.Brousse et J.P. Lehman ( tome 2, p.227 et 228) :

         1. Le principe de superposition :    Il consiste à admettre que les couches s’étant déposées à l’horizontale et les unes sur les autres, toute couche superposée à une autre est plus récente que celle-ci ; et inversement.

         2. Le principe de continuité : il consiste à admettre2 que toute couche est de même âge en tous points.

         3. Le principe d’identité paléontologique ; il consiste à admettre qu’un ensemble de strates de même contenu paléontologique est de même âge en tous points.

         4. Le principe de l’uniformitarisme: selon lequel l’évolution géologique dans le passé était conforme à l’évolution géologique actuelle.

2. La stratigraphie séquentielle

         La lecture des comptes-rendus de la campagne de forages sous-marins du « Glomar Challenger » détermina mon intérêt pour la sédimentologie et me fit découvrir la stratigraphie séquentielle, à commencer par les travaux de son fondateur Johannes Walther (c. 1870), dont Von Wagoner et Vail sont les lointains disciples. Gerard Middelton, qui a traduit l’oeuvre de Walther en anglais, a donné la meilleure définition de sa loi de corrélation des faciès3 :

         Comme pour les biotopes, c’est un constat fondamental de grande portée que seuls les faciès et les zones de faciès qui peuvent être observés côte à côte dans les terrains sédimentaires actuels, ont pu être superposés initialement.

         (As with biotopes, it is a basic statement of far-reaching significance that only those facies and facies areas can be superposed primarily which can be observed beside each other at the present time.)

         Pour une séquence de faciès, progradante, transgressive ou régressive, c’est cette loi qui est applicable, et non les principes précités.

Fig.1 Les faciès 1, 2, 3 progradent vers le large aux temps t1, t2, t3, t4 et se superposent. Ils sont juxtaposés dans le paysage, au contact de l’eau qui transporte les sédiments.

         Cette constatation m’amena à mettre en question la validité des principes à l’échelon inférieur, celui des strates, donc finalement la validité de l’identification entre « strate » et « couche ». La lecture du rapport de Edwin  Mc Kee(1967) »Bijou Creeck Flood« , montrant comment 12 pieds de sédiments stratifiés ont pu se déposer dans la rivière Bijou Creek après 48 heures de pluies continues, me détermina à réaliser des expériences de stratification.

3. Les expériences en laboratoire

         En 1973, je prélevai un échantillon de grès laminé4 , faiblement cimenté. Je le réduisis en ses particules de sables que je versai en continu dans un récipient en verre. J’observai dans le dépôt, à sec et dans l’eau, une lamination identique à celle de l’échantillon, quelle que soit la vitesse d’écoulement.

         Cette lamination résultait donc, non de couches sédimentaires successives, mais de la ségrégation des particules selon leur taille, au cours de leur dépôt. Ce phénomène physique fait aujourd’hui l’objet de nombreuses expériences, notamment avec un Groupe de Recherche du CNRS animé par Pierre Gilles de Gennes, Prix Nobel de Physique.

         En 1974, sur le conseil de Jean Piveteau, paléontologue, alors Président de l’Académie des Sciences, je déposai le compte-rendu de cette expérience sous un pli cacheté, suivi de 3 autres plis, jusqu’en 1976.

         En 1986, Georges Millot, Doyen de l’Université de Strasbourg, membre de l’Institut et Président de la Société Géologique de France, ayant pris connaissance de ces quatre plis cachetés, et jugé leur contenu novateur, présenta en mon nom une note aux comptes-rendus de l’Académie des Sciences (CRAS). Une seconde note suivit en 1988, montrant notamment qu’un dépôt sur une pente présente une lamination parallèle à la pente. Ceci infirme le début du principe de superposition : « les couches s’étant déposées à l’horizontale, les unes sur les autres… »

Fig.3 – Lamination parallèle à une pente de 15 °

         Après cette seconde publication, le Professeur Millot me fit admettre en qualité de « sédimentologue » à la Société Géologique de France.

         De l’échelle des laminae, je voulais passer à celle des  strates. A cet effet, je conclus en 1990 un contrat avec le laboratoire d’hydraulique de l’Université du Colorado. L’expérience, conduite par Pierre Julien, professeur d’hydraulique et de sédimentologie, fut réalisée dans un canal à parois transparentes, parcouru par un courant d’eau recirculant, chargé de sédiments se déposant dans le canal. Les variations de la vitesse du courant déterminent une sélection des particules déposées selon leur taille, créant dans le dépôt un classement vertical caractéristique de la stratification. On lit dans le compte-rendu (1993), en conclusion du résumé  :

         « Ces expériences démontrent que la stratification de mélanges sableux sous alimentation continue en sédiments hétérogranulaires résulte de la ségrégation produisant la lamination, de l’écoulement  non-uniforme produisant les lits stratifiés, et de la dessiccation produisant les joints. Les strates superposées ne sont donc pas nécessairement le résultat de couches successives« (P. Y. Julien, 1993).

Fig.4 – Formation schématique des lits stratifiés. Les grosses particules (noires) roulent sur les fines particules et se déposent plus loin.

         Ces expériences ont été reproduites dans un canal de 20 mètres de long, filmées pour réaliser une vidéo-cassette intitulée Expériences fondamentales de stratification, puis  présentée à trois congrès de sédimentologie successifs : français en 1993, international en 1994, européen en 1995.

         Dans cette cassette, Pierre Julien montre la distinction à faire entre couche, définie comme l’ensemble des particules sédimentaires déposées entre deux instants consécutifs, et straterésultant du classement des particules selon leur taille. Il montre aussi que les strates superposées sont bien juxtaposées sur l’aire de dépôt conformément à la loi de Walther. Qu’en conséquence, deux particules se déposant en même temps peuvent s’intégrer dans deux strates superposées, et que ces strates progradant dans le sens du courant ne sont pas, chacune, de même âge en tous points.

         En résumé, l’identification des strates à des couches, et les principes de superposition et de continuité, se trouvent expérimentalement infirmés. Ce qui veut dire qu’ils ne peuvent plus servir de fondements à l’échelle des temps géologiques. Par quoi les remplacer ? Afin de répondre à cette question, il convient d’évoquer tout d’abord la mécanique des dépôts sédimentaires.

4. Mécanique expérimentale de la stratification des sables

         Tel est le titre de la conférence donnée par mon collaborateur Pierre Julien, au congrès « Poudres et Grains » à Durham (U.S.A.), le 19 mai 1997, où il était convié par Pierre Evesque, collaborateur de Pierre-Gilles de Gennes5 .

         Dans la cassette réalisée en 1993, Pierre Julien avait esquissé une explication de la ségrégation produisant la lamination. Il a voulu cette fois la formuler mécaniquement, afin de mieux comprendre ce phénomène dont nos expériences avaient établi la réalité.

         Quant aux lits stratifiés, produits par l’écoulement non uniforme du courant d’eau, on disposait déjà de courbes expérimentales limitant les domaines d’érosion, de transport et de sédimentation, établies dès 1935 par Hjulström .

         Pour un même matériau homogène, l’action de l’eau sur les particules sédimentaires varie selon la vitesse du courant. Pour un diamètre donné des particules, une vitesse élevée provoque l’érosion du matériau. Une vitesse moindre est insuffisante pour éroder, mais permet le transport de particules déjà entraînées par le courant. Enfin une vitesse plus faible reste insuffisante pour transporter les particules et celles-ci se déposent. Réciproquement, pour une vitesse donnée, le même courant entraînera les petites particules et laissera les grosses se déposer. On comprend ainsi que l’étude des conditions hydrauliques lors du dépôt prend naturellement sa place parmi les facteurs à considérer en sédimentologie.

         On voit, en se reportant au graphique (Fig. 5), que la courbe limitant les domaines de transport et de sédimentation est à peu près rectiligne. Elle donne, pour une vitesse moyenne du courant, la dimension au-dessus de laquelle les  particules se déposent. Elle part d’un point de coordonnées : 0,1 cm/s pour la vitesse, et 15 micron pour la dimension de particule.

Fig.5 – Courbes expérimentales limitant les domaines d’érosion, transport et sédimentation (d’après Hjulström).

On notera : – que la courbe limitant les domaines de transport et sédimentation est à peu près rectiligne (dépôt des sédiments en fonction de leur poids) mais ne part pas de zéro (les éléments les plus fins restent en suspension) ;

                  – que la courbe limitant les domaines d’érosion et de transport ne part pas de zéro (cohésion des éléments les plus fins, d’ordre électrostatique) et présente un minimum à partir duquel la pesanteur prend le pas sur les actions de surface.        

         Pour des vitesses ou dimensions inférieures à 0,1 cm/s et 15 µ respectivement, la limite de sédimentation n’a pas été étudiée par Hjulström. Je me référerai donc à mes expériences qui ont fait l’objet de deux notes aux CRAS en 1986 et en 1988, notamment celles en eau calme où il n’y a pas de courant d’eau mais seulement de très faibles courants locaux induits par la chute des particules en surface, laquelle amène la ségrégation des particules selon leur taille et produit ainsi une lamination au sein du sédiment.

         L’épaisseur de cette lamination est indépendante de la vitesse de dépôt. Il s’agit, comme le souligne la note aux CRAS, d’un granoclassement au cours du dépôt, et non d’une superposition de couches.

         Par contre, au-delà de 4,7 m de profondeur en eau calme, la lamination disparaît car les courants induits par la chute des particules sont trop faibles. Les comptes-rendus des campagnes de forage du Glomar Challenger, publiés dans G.S.A., indiquent la présence fréquente de laminae dans les vases sous-marines à diatomées, globigérines et radiolaires. Ce peut être le signe de la présence d’un courant de fond. On remarque d’ailleurs souvent, sur les photos de fonds sous-marins, que la neige sédimentaire tombe en oblique, signalant un courant.

         On peut traduire en mécanique la relation entre  vitesse et dimension des particules définie par la courbe expérimentale de Hjulström.

         En fait, les phénomènes: lits stratifiés et ségrégation (lamination ), se conjuguent sur l’aire de dépôt. Une formulation en mécanique doit exprimer cette conjugaison.

         Il nous  apparut donc nécessaire d’étudier expérimentalement plus à fond la mécanique de la ségrégation, de sorte que l’on puisse établir une relation entre vitesse et dimension des particules, qui intégrerait les deux phénomènes.

         A cet effet deux séries d’études ont été réalisées en 1995 et 1996. Elles ont donné lieu à deux rapports, concernant 10.000 données expérimentales, et dont les titres indiquent la teneur :

         1.« Vitesse de sédimentation d’une particule isolée dans un canal à fond lisse« .

          2. « Vitesse d’une particule sphérique roulant à sec sur une surface rugueuse. »

         La phase expérimentale est terminée. Il y a lieu maintenant de faire la synthèse des deux rapports, ce qui est un énorme travail vu le nombre élevé des données. Elle est programmée pour 1999.

         La formulation en Mécanique de la relation entre vitesse et dimension des particules, complètera, pour la stratification élémentaire, celles qui ont été établies entre les configurations-types de dépôts (rides, dunes, strates horizontales, anti-dunes), avec la vitesse, la profondeur et la dimension des particules, relations reconnues tant par Rubin dans la baie de San Francisco, que par Boguchwal et Southard (1990) dans  les trente-neuf séries expérimentales en canal qu’ils ont référencées.

Fig.6 – Graphique indiquant les zones de dépôts stratifiés des principales configurations : ripples (rides), dunes & sand waves (dunes fixes ou mobiles sous-marines), upper flat beds (strates planes correspondant à une vitesse élevée de courant), in phase waves (dunes en phase avec la surface de l’eau). Les zones varient également avec la taille des particules (d’après Rubin, 1980).

         L’ensemble, appliqué aux séquences des roches sédimentaires, doit permettre d’évaluer les conditions hydrauliques qui ont présidé aux dépôts dont elles sont issues tout au moins les dépôtsdétritiques

         Ce sera un apport précieux pour la stratigraphie séquentielle : relie la séquence aux variations du niveau de la mer, mais ne donne plus d’indications sur les vitesses du courant.

5. Applications en géologie        

         En 1991, au 3ème Congrès Français de Sédimentologie, à Brest, François Crouzel (de l’Institut Catholique de Toulouse) avait utilisé mes expériences de lamination, en eau calme et en canal, pour interpréter les séries répétitives (graviers, sables, marnes, calcaires) observées sur certains terrains molassiques des Pyrénées.

         En 1994, de part et d’autre du fleuve Colorado, le géologue américain Steve Austin s’est attaché à remonter aux conditions hydrauliques dans lesquelles se sont déposés les sédiments formant  une séquence transgressive, illustrée par le schéma suivant (en utilisant le diagramme de Rubin), premier essai de géologie historique expérimentale à grande échelle.

Fig.7 – Un modèle pour la formation des dépôts sédimentaires résultant du flot avançant vers l’est à travers le Nevada, l’Arizona et le New Mexico.

            Il explique l’érosion de la zone dite Great Unconformity et le dépôt simultané (verticalement et latéralement) des trois faciès : Tapeats Sandstone (grès), Bright Angel (argile) et Muav Limestone (calcaire).

On voit, en bas du schéma, de droite à gauche, qu’une vitessse du flot :                           

            – supérieure à 2m/s correspond à la zone d’érosion,

            – à 1,5 m/s à la zone  de dépôt des galets et gros blocs,

            – de 0,5 à 1,5 m/s à celle des sables fins à grossiers,

            – à 0,5 m/s à celle du limon argileux,

            – à moins de 0,5 m/s à celle de la vase calcaire.

         Dans la publication n°18 de l’International Association of Sedimentologists (I.A.S. 1993), H.Posamentier écrivait :

         « Dans les dernières années on a vu proliférer les applications inspirées des concepts de la stratigraphie séquentielle, depuis les publications de Vail et al (1987), Posamentier et Vail (1988), et Van Wagoner (1990).« 

         C’est assez dire que notre approche mécanique de la stratification, qui s’applique aux séquences, doit proliférer également. De plus, nos expériences ont montré que les joints de stratification peuvent résulter de la dessication des sédiments, (P.Julien  et al., 1993). Or les séquences utilisées par les géologues sont limitées, pour l’heure, par les joints de stratification (considérés comme le résultat d’arrêts sédimentaires). Ces limites perdent leur petinence si les joints résultent d’une dessiccation postérieure au dépôt. On peut alors envisager une application beaucoup plus ample de la stratigraphie séquentielle.

         Enfin, je voudrais rappeler l’expérience de ma deuxième note au C.R.A.S. (1988) dans laquelle j’ai montré que la stratification d’un dépôt sur une pente de 15° restait parallèle à la pente. Les expériences à sec réalisées par P.Julien, filmées dans la cassette, montrent  que la pente peut atteindre l’angle de repos des sables (supérieur à 30°).

         Il en résulte que la présence de roches sédimentaires stratifiées accusant une pente inférieure à l’angle de repos des sédiments concernés, ne résulte pas forcément d’un soulèvement terrestre entraînant une inclinaison de la stratification, mais éventuellement d’une transgression marine de grande amplitude déposant les sédiments sur une pente préexistante.

6. Conclusions

         Il est très instructif de déterminer à quelles conditions hydrauliques et sédimentologiques correspondent les principes de continuité et de superposition.

         Le principe de continuité exclut tout courant, sinon les particules sédimentaires se déposeraient  successivement dans le sens du courant, comme on l’a vu dans l’expérience en canal.

        Le principe de superposition suppose horizontale l’aire de dépôt. Et pour que les couches se déposent successivement à l’horizontale, les unes sur les autres, il faut que l’accumulation des particules constituant à chaque couche soit uniforme sur toute l’étendue sédimentaire. Les couches se succèdent et présentent un granoclassement vertical. Elles deviennent alors des strates.

         Ces conditions sont certes possibles, mais si singulières qu’on ne peut guère imaginer qu’elles se soient réalisées à l’échelle des océans, tout au plus localement…

         En vertu du principe de l’uniformitarisme (principe n°4 supra), appliquons ces conditions à l’époque actuelle, en considérant la sédimentation dans l’ensemble des océans, des rivages aux abysses.

         Les océans ne sont pas immobiles. Il y a les marées, les courants de surface et de fond.

         Les couches sédimentaires, définies comme la masse déposée entre deux instants consécutifs et limitées par les aires de dépôt correspondant à ces deux instants, ne sont pas horizontales, des rivages aux abysses.

         La vitesse de sédimentation mesurée n’est pas uniforme.

         Or les couches ne s’identifient pas aux strates là où il y a un courant, si faible soit-il, ni aux laminae résultant de la ségrégation en eau calme, comme le précisent notre compte-rendu du Bulletin de la S.G.F. (1993) et ma première note au CRAS (1986). Ceci résulte de nos expériences en canal et en eau calme.

         C’est assez dire que les conditions hydrauliques et sédimentologiques requises par les principes de continuité et de superposition ne sont pas présentées aujourd’hui sinon dans des zones restreintes.

         A plus forte raison en allait-il ainsi dans les temps géologiques où des transgressions marines capables de submerger des continents, des éruptions, des mouvements tectoniques d’une amplitude inconnue, ont eu lieu, dans des conditions hydrauliques et sédimentologiques à peine ébauchées à ce jour. On ne voit donc nulle preuve que les principes qui ont été initialement à la base de l’échelle des temps géologiques soit applicables dans leur universalité.

        Le principe d’identité paléontologique, quant à lui, n’est qu’une application du principe de continuité aux fossiles. Il subit donc les mêmes restrictions

         L’échelle des temps géologiques, se référant aux roches sédimentaires, se trouve ainsi mise en cause. On ne peut en rester là :  il y a lieu de substituer aux principes invalidés de la stratifigraphie ces bases solides que sont les observations et expérimentations en sédimentologie. L’élaboration d’une mécanique sédimentaire permettra seule la détermination des conditions hydrauliques qui ont présidé à la formation des dépôts devenus, après dessiccation, les roches sédimentaires.

Bibliographie :

wSteven A. Austin, (1994), Grand Canyon, monument to Catastroph, Ed. I.C.R., p.42.

wG. Berthault.(1986) Expériences sur la lamination des sédiments. C.R. Acad. Sc. Paris, t.303, Série II, n°17.

wG.Berthault. (1988) Sédimentation d’un mélange hétérogranulaire. Expériences de lamination en eau calme et en eau courante. C.R. Acad. Sc. Paris, t.306,

         série II, pp.717-724.

wG.Berthault, F.Crouzel, P.J. Julien (1991). Signification des cycles en sédimentologie. 3ème Congrès Français de Sédimentologie, Brest, 18-20 Nov. 1991.

wA. L. Boguchwal, and John  B. Southard, (1990)  Bed configurations in steady unidirectional water flows, Part.

         2 – Synthesis of Flume data, Journal of Sedimentary Petrology, Vol 60, n°5, sept. 1960 pp.658-679.

wJulien P.Y. & Chen Y.C. (1989). Experimental study of horizontal lamination in a circulating flume. Civil Engr.

         Rpt. CER 88, Colorado State Univ., Fort Collins, Co, 63p.

wJulien P.Y. Lan, G.Berthault. (1993) Experiments on stratification of heterogeneous sand mixtures, Bull. Soc.

         Géol. France, T.164, n°5 pp.649-660.

wJulien P.Y. (1995). Erosion and sedimentation, Cambridge University Press, 280 p.

wJulien P.Y., Lan Y.Q. & Raslan Y. (1997). Experimental mechanics of sand stratification, Proc. 3d Int. Conf.on powder and grains, Durham/North Carolina/18-23 may

         1997. A.A. Balkema, Rotterdam/Brookfield/1997. 487-490. wMc Kee D., Crosby E.J. & Berryhill H.L. Jr (1967). Flood deposits, Bijou Creek, Colorado, June 1965, Journal of

         Petrology, 37, 829-851.

wMjulström F. (1935). The morphological activity of rivers as illustrated by River Fyris. – Bull. Geol. Inst. Uppsala, 25, ch. III.

wRubin D.M. & Mc Culloch D.S. (1980). Single and superimposed bedforms : a synthesis of San Francisco Bay and flume observations, Sedimentary Geology, 26

         pp.207-231.

wWalther Johannes, (1843-1894), Einleitung in die Geologie Wissenschaft, Jena, Verlag von Gustav Fischer, 3 vols,

         1055 p.


1Texte de la conférence donnée au Colloque du CEP à Nevers, le 11 octobre 1997, mis à jour et complété.

2 Ndlr. Ce « consiste à admettre » montre admirablement le statut d’hypothèses d’un tel principe. On mesure toute la différence qui sépare un principe expérimental et certain comme le principe d’Archimède, et les « principes » tout théoriques de plusieurs sciences modernes.

3 On désigne par « faciès », en géologie, une série de strates de même contenu lithologique (les roches) et paléontologique (les fossiles).

4 On appelle laminae les strates minces, d’épaisseur inférieure au centimètre.

5 Ndlr. On pourra se reporter ici au numéro spécial de Science et Vie sur  Pierre-Gilles de Gennes (n°192, Septembre 1995) dans lequel un chapitre, signé par Pierre Evesque sous le titre « la Mécanique des poudres entre pratique et théorie« , expose en les illustrant les expériences conçues par Guy Berthault (p.150-155)

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