L’hérésie du 20ème siècle

Par Dominique Tassot

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Résumé : L’histoire de l’arianisme montre comment la majorité peut adopter une idée religieuse fausse sans véritable conviction, par opportunité. Puis l’erreur se propage à tous les domaines de la pensée, par contamination. Aujourd’hui l’évolutionnisme nourrit une idée fausse sur les origines et s’oppose à la création de tous les êtres par Dieu. Cette hérésie imbibe de proche en proche tous les domaines, jusqu’à la diététique : le Pr. Seignalet, par exemple, en vient à déclarer que l’homme n’est « pas encore adapté » aux céréales !… La restauration de la vérité religieuse devra précéder la remise en ordre des pensées et des comportements.

Derrière toute erreur, disait Péguy, se cache une erreur théologique. Derrière les erreurs qui fourmillent dans la pensée contemporaine, on peut donc espérer trouver un fil conducteur sous la forme d’une hérésie. Dans Humani Generis, au tournant du siècle, Pie XII suivait cette démarche lorsqu’il écrivait : « C’est avec imprudence et témérité que certains soutiennent que l’évolution, qui n’a pas été pleinement prouvée même sur le terrain des sciences naturelles, explique l’origine de toutes choses, et qu’ils supportent avec audace l’opinion moniste et panthéiste que le monde est en continuelle évolution. Les communistes souscrivent ardemment à cette opinion afin que, lorsque les âmes des hommes auront été privées de toute idée d’un Dieu personnel, ils puissent plus efficacement défendre et propager leur matérialisme dialectique. »

Ainsi l’erreur sur Dieu conditionnait l’erreur sur la politique, ici le primat de la société sur la personne.

Or que nous enseigne l’histoire de l’arianisme, auquel la religion contemporaine se rattache par bien des aspects ?

Durant plus de trois siècles (321-653), des pans entiers de l’épiscopat se rallièrent à l’idée que le Christ n’était pas véritablement Dieu. Mais hormis une minorité convaincue (Arius et ses disciples directs d’un côté, Athanase et Irénée de l’autre), le grand nombre oscilla au gré des circonstances, preuve que l’option théologique de chacun ne résultait pas d’une démarche intellectuelle personnelle qui, en conscience, l’aurait contraint d’adopter certaines vérités. Les uns étaient des hommes de bonne volonté qui souhaitaient préserver l’unité apparente de l’Eglise et cherchaient des formules de compromis ; les autres craignaient l’empereur qui pouvait alors soit les favoriser, soit les destituer ou les bannir.1

A la mort de Julien l’Apostat, en 363, les légions proclamèrent Jovien empereur. Qu’il fut catholique n’avait sans doute guère pesé sur le choix de l’armée. Aussitôt les persécutions cessèrent et l’orthodoxie reprit le contrôle.

Un an plus tard, Jovien mourut et Valentinien – qui lui succèda – nomma sur l’Orient son frère Valente, arien passionné. L’arianisme revint jusqu’au règne du général espagnol Théodose.

Le saint Ulphilas, l’apôtre des Goths, traducteur de l’Ecriture, civilisateur, évangélisateur et confesseur, avait été ordonné évêque en 341 par Eusèbe de Nicomédie, le premier évêque à soutenir Arius. Il propagea un credo modérément arien (le Fils est Dieu créateur de toutes choses mais soumis au Père et l’Esprit, soumis au Fils, n’est pas Dieu) auquel ces barbares, encore acquis à l’idée d’une religion nationale, restèrent fidèles. Or les légionnaires Goths, considérés comme étrangers, n’étaient pas tenus de pratiquer la religion de l’Empire. Un arianisme politique survécut ainsi durant 3 siècles et s’établit en Occident à la faveur des conquêtes burgondes et wisigothes principalement. Cet arianisme est « à peu près sans importance sous l’aspect dogmatique« 2 et la défaite de ce parti, outre la victoire de Théodose, résulta surtout de l’impossibilité, pour les diverses tendances ariennes, de proposer un credo qui fît l’unanimité.

Il ne faut donc pas s’étonner si le grand nombre professe aujourd’hui des idées « moyennes », incompatibles avec la foi apostolique mais conciliables avec les théories régnantes. Ce n’est plus la crainte de déplaire à l’empereur qui attiédit les formules de la foi, c’est la peur du ridicule. L’autorité intellectuelle des « savants » l’emporte désormais sur les claires affirmations de l’Ecritures ou du dogme.

Déjà l’arianisme de Newton, sous couvert d’une profonde religiosité, lui faisait reléguer le Christ à l’arrière-plan, refuser qu’il fût le Juge annoncé dans l’Apocalypse3. Aujourd’hui c’est l’Ecriture elle-même qui se trouve sans cesse retaillée sur la mesure des lubies individuelles.

De norme, elle devient normée, rapetissée par la fausse prudence d’esprits qui ne croient plus vraiment que Dieu est Dieu, donc tout-puissant et omniscient.

Il n’est pas de locution plus répandue dans les prêches que celle-ci : « Il ne faut pas croire que … » Au lieu d’une confiance a priori envers le sens obvie, règne l’idée que Dieu a parlé pour dire autre chose que ce qu’Il semble dire. Le sens vrai serait toujours à reconstruire : l’homme se fait l’interprète des paroles divines, alors que la tradition juive ou chrétienne a toujours vu dans l’Ecriture elle-même son interprète. Le sens spirituel d’un verset, selon saint Thomas, n’est assuré que s’il figure littéralement en quel qu’autre passage. Quand Jésus-Christ enseigne aux disciples d’Emmaüs, c’est en les renvoyant aux trois parties de l’Ancien Testament : la loi, les livres historiques et les prophètes4. « Et commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes il leur interpréta dans toutes les Ecritures ce qui le concernait. » (Luc 24:27)

Prenons ce verset bien connu de l’Evangile : « Pour moi, une fois élevé de terre, j’attirerai tout à moi « (Jean 12:32). S’il était commenté à l’improviste, nul doute que le sens retenu serait l’idée d’un Christ glorieux venant sur les nuées rassembler tous les hommes, voire le Christ-omega de Teilhard, terme ultime de l’évolution devenue consciente d’elle-même !… Or le verset suivant vient imposer le seul commentaire autorisé, ici le sens le plus matériel et immédiat : « Il disait cela pour signifier le genre de mort qu’il devait subir. »

Ainsi le salut passe nécessairement par la Croix ; et telle est bien la grande vérité dont le monde ne veut plus, car elle n’a plus sa place dans la vision évolutionniste des choses.

Le Docteur Jean Seignalet, chargé de cours à l’Université de Montpellier, propose un régime alimentaire qui semble faire merveille sur les maladies auto-immunes : suppression totale du lait et des céréales. Mais au lieu de s’en tenir aux faits : l’action thérapeutique constatée sur certaines pathologies, il prétend expliquer cet effet par une théorie générale sur l’alimentation, applicable aux bien-portants comme aux malades. Il oppose ainsi le « régime ancestral » qui aurait été celui des premiers humains, se nourrissant de chasse et de cueillette, et le régime moderne, celui des « sédentaires-agriculteurs-éleveurs » caractérisé par l’usage du blé, de l’orge, des laits animaux et par la cuisson des aliments.

Pour le Docteur Seignalet, « pendant des millions d’années les hommes ont consommé une nourriture naturelle, analogue à celle des animaux sauvages. D’après les lois de Darwin, les enzymes et les mucines digestives, les enzymes cellulaires étaient adaptées aux diverses substances ingérées. L’alimentation « moderne » (Nb. qui pour lui remonte à 9000 ans) est riche en macromolécules nouvelles, pour lesquelles enzymes et mucines ne sont souvent pas adaptées. »4

Ainsi, à l’échelle de l’évolution, l’humanité ne serait pas encore habituée au pain et au vin ! Il écrit ailleurs: « Le lait de femme est le seul aliment réellement adapté aux besoins du nouveau-né et du jeune enfant. Ceci est une conséquence logique des lois de Darwin et des pression de sélection exercées pendant des millions d’années. »5

Qui ne voit l’incongruité de telles explications ? Les faits ne se démontrent pas, ils se constatent. Et si l’on veut à toute force les interpréter, le concept de Création y est bien plus apte que celui d’une hypothétique adaptation évolutive. En créant les animaux et les céréales domestiques, Dieu ne pouvait ignorer l’usage que l’homme en ferait !… Jean Seignalet butte d’ailleurs sur une « difficulté » qu’il signale sans s’y attarder.

« Les besoins de l’enfant variant avec l’âge, il est remarquable de noter que la composition du lait maternel se modifie dans le temps. »6 Cette preuve d’une préadaptation harmonieuse devrait suffire à lui faire abandonner son système : la supériorité de l’explication par un Créateur intelligent est ici manifeste.

Nous voyons donc un esprit brillant, par ailleurs observateur et auteur d’un régime sans doute adapté à certaines pathologies, s’embarquer sur une théorie scientifique des plus fragiles par négation d’une vérité théologique.

Maintenant, comment qualifier cette hérésie latente qui ronge le vingtième siècle ? Il nous semble que l’erreur principale, celle qui les relie toute, les fonde ou les justifie, est l’oubli du concept de Création, avec toutes les conséquences qui découlent des affirmations scripturaires sur le statut des êtres animés et inanimés comme « créatures ».

Dans une adresse aux théologiens autrichiens, en 1989, le cardinal Ratzinger évoque l’écroulement d’une foi qui s’est « laissée prendre dans les structures mentales du monde moderne« . Pourquoi cela ? « En premier lieu, écrit-il, on doit attirer l’attention sur une disparition presque totale, dans la théologie, de la doctrine de la création. A ce propos, il est symptomatique que dans deux sommes de théologie modernes l’enseignement sur la création comme contenu de la foi soit supprimé et remplacé par de vagues considérations de philosophie existentielles« . Et plus loin : « Le déclin de la doctrine de la création, avons-nous dit, entraîne le déclin de la métaphysique, la fermeture de l’homme sur sa dimension empirique. Mais quand cela se produit la Christologie s’affaiblit nécessairement aussi. Le Verbe, qui était au commencement, s’évanouit. On ne parle plus de la sagesse créatrice. Dépouillée de sa dimension métaphysique la figure de Jésus-Christ se rétrécit à la dimension d’un simple Jésus historique et donc d’un Jésus « empirique » qui, comme tout ce qui est empirique, ne peut contenir que ce qui est produit par le hasard des circonstances. »7

Le diagnostic étant ainsi posé, quel sera le remède ? Comment pousser les théologiens à revenir à une doctrine de la création ?


Addendum. A propos de la comparaison entre Lincoln et Kennedy, dans Le Cep n°10 (p.5) nous avons omis de préciser que Lee Harvey Oswald, l’assassin de Kennedy, était né en 1939, soit un siècle après Booth, l’assassin de Lincoln, né en 1839.

La réponse est donnée par l’histoire des idées. Puisque la théorie de l’évolution est le facteur qui a relégué la Création aux oubliettes, puisque les évolutionnistes sont aussi divisés entre eux que l’étaient les ariens, l’étude critique de l’évolutionnisme apparaît le point d’appui nécessaire au basculement de la pensée contemporaine. Mais comment serait-ce possible alors que le préjugé évolutionniste est aujourd’hui un réflexe conditionnant jusqu’au raisonnement médical ? .. Ce qui semble impossible à vue humaine, ne l’est plus vu d’en-haut, la chute de l’arianisme le montre bien. Si le Christ est Dieu, s’il reste à la tête de son Eglise, tout repose entre ses mains selon cet aphorisme aussi profond que subtil : commander, c’est rendre possibles les choses nécessaires


1 Depuis Constantin, les évêques avaient reçu des fonctions officielles qui, de facto, les subordonnaient à l’empereur.

2 Dictionnaire de Théologie Catholique, art. Arianisme, t. I, 1903, col. 1858

3 cf. D .Tassot, La Bible au Risque de la Science, éd. F.X de Guibert, Paris, 1996, pp.91-96.

4 Ce procédé s’est conservé dans l’exégèse juive sous le nom de « rémez« , le « collier » formé de perles harmonieusement tirées des trois parties de l’Ancien Testament.

4 J.Seignalet, L’Alimentation ou la troisième médecine, éd. F.-X. de Guibert, Paris, 1998, p.58.

5 Ibid., p.64.

6 Ibidem.

7 Card. Joseph Ratzinger, Les difficultés en matière de foi dans l’Europe d’aujourd’hui, Osservatore Romano, éd. Française du 11/7/89, pp.5-6.

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