Le satanisme aux Etats-Unis (Ière partie)

Par Malachi Martin

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Résumé : En 1976, l’auteur publiait sous le titre Hostage to the Devil (Otage du Démon), une étude sur 5 cas de possession et d’exorcisme. Il s’agissait d’une réplique chrétienne aux trop fameux « Cinq cas de psychanalyse » de Freud. En 1992, lors de la réédition du livre, l’auteur ajoutait une préface décrivant l’extension du phénomène aux Etats-Unis et supputant les causes, notamment la perte du sens préternaturel chez ceux qui ont mission de l’entretenir.

Aujourd’hui, dans l’Amérique des années 1990, on ne considère certainement pas la possession démoniaque comme un amusement. Partout dans les familles et à tous les niveaux de la société, a pris place une peur justifiée ; par-dessus tout une crainte pour les enfants. Et en fait il y a peu de familles qui ne soient déjà affectées, d’une façon ou d’une autre, par le satanisme. Même par le satanisme rituel : des cérémonies et des rites organisés et accomplis par des individus et des groupes qui pratiquent l’adoration de Satan.

Pour des raisons évidentes, nous ne savons pas tout sur les groupes satanistes organisés, appelés « convents » (covens) aux Etats-Unis. Mais l’ample connaissance que nous en avons justifie cette crainte chez les familles ordinaires pour leurs enfants et leur avenir.

Nous savons par exemple que parmi les cinquante Etats de l’Union, il y a maintenant plus de 8000 convents satanistes. Nous savons que, dans toutes les grandes villes de l’Amérique, une messe noire – presque toujours organisée par des convents – a lieu au moins une fois par semaine à plusieurs adresses. Nous savons que les membres des convents proviennent de toutes les professions, aussi bien que de la classe politique, ou du clergé.

Nous savons de plus qu’une certaine « spécialisation » a lieu. Par exemple on peut choisir un convent hétérosexuel ou homosexuel. Dans au moins trois grandes villes, les membres du clergé ont à leur disposition un convent pédophile entretenu exclusivement par et pour eux, et les religieuses peuvent trouver un convent lesbien.

Nous savons aussi que dans bien des lycées de n’importe quelle ville importante, on est presque sûr de trouver un groupe d’adolescents engagés dans le satanisme rituel. Et bien que nous soyons peu informés – de nouveau pour des raisons évidentes – sur la part du sacrifice humain dans le satanisme rituel, nous savons que dans certains convents, où le secret est une condition absolue et de vie  ou de mort, le châtiment de celui qui tente de quitter est la mort rituelle au poignard, avec autant de coups infligés que d’années, d’âge.

Les preuves, concernant les sacrifices humains, sont difficiles à réunir car l’élimination des cadavres est devenue un véritable art noir, dans les cercles satanistes, par l’usage d’incinérateurs et de fours crématoires portables ; et aussi parce qu’il n’y a pas de registres de naissance ou de baptême – pas de traces d’existence – des « enfants victimes » : nous possédons de nombreuses preuves précises indiquant que des milliers de bébés et d’enfants sont intentionnellement conçus et naissent pour servir de victimes dans les rites sacrificiels satanistes. Dans le monde de l’adoration sataniste, les garçons ont la préférence, comme des répliques du même sexe que l’enfant Jésus. Mais les filles ne sont nullement exclues.

A cet égard, l’émergence des viols d’enfants comme une caractéristique de notre époque mérite une attention particulière. Non pas que la totalité – peut-être pas même la plupart – des viols d’enfants trouvent leur origine dans le satanisme rituel. Mais l’extension du phénomène en Amérique aujourd’hui, et la présence du satanisme dans bien des cas, commencent à donner quelque idée du degré auquel les standards invertis qui sont la marque première de l’activité sataniste, sous n’importe quelle forme – et du satanisme rituel par-dessus tout – ont infiltré tous les niveaux de notre société.

Aussi horrifiante que soit cette information – qui est loin d’épuiser ce que nous savons – il est encore plus choquant de comprendre que, dans l’Amérique des années 1990, nul ne se trouve loin d’un centre où se pratique quelque forme de satanisme rituel. Le satanisme avec son inévitable conséquence – la possession démoniaque – sont maintenant une partie de l’atmosphère dans laquelle vit l’Amérique.

Ce climat plus favorable que jamais aux possessions est si clair qu’il est attesté quotidiennement par des experts en psychologie et en sciences sociales qui, pour la plupart, ne présentent aucun « biais religieux ».

Notre désolation culturelle – une sorte d’agonie de vie sans but couplée avec un égoïsme dominant – se manifeste dans la désintégration de nos familles ; dans le délabrement de notre système éducatif ; dans la disparition de normes publiquement acceptées de décence dans le langage, l’habillement et le comportement ; dans les vies de nos jeunes gens partout déformées par une violence étourdissante et la mort subite ; par les grossesses d’adolescentes ; par l’habitude de la drogue et de l’alcool ; par la maladie ; par le suicide ; par la crainte. On peut démontrer que l’Amérique est maintenant la plus violente des nations dites « développées »1.

Alors, les parents ont toutes les raisons de se sentir concernés. Surtout, les très grands changements dans nos conditions de vie au cours des vingt années passées font que les jeunes gens sont laissés comme sans défense contre le risque de possession.

Elevés de plus en plus dans une atmosphère où la critique morale n’est pas simplement démodée, mais interdite, ils nagent sans bouée dans une véritable mer de pornographie. Non seulement la pornographie sexuelle, mais la pornographie de l’égoïsme absolu2. Que ce soit en paroles ou en actes, la question dominante des jeunes générations est presque toujours la suivante : « Que pouvez-vous faire pour moi ? » Que peuvent faire pour moi mes parents, mes amis, mes connaissances, mes ennemis, mon gouvernement, mon pays ?…

Malheureusement, comme individus et comme société, nous n’avons plus la volonté – beaucoup d’entre nous n’en sont plus capables – de donner à cette question une réponse qui puisse satisfaire pour longtemps.

Une telle désolation culturelle est le terrain le plus fertile qu’on puisse imaginer pour que les causes de possessions prennent racine et fleurissent avec une liberté presque sans bornes. C’est dans ce contexte que le satanisme – y compris le satanisme rituel – cause une peur justifiée chez tant de parents. Car c’est dans ce contexte que certains enfants peuvent être le mieux repérés par le vieil ennemi de notre race, lui qui, selon les paroles de saint Pierre dans une de ses lettres, « rôde comme un lion rugissant cherchant à dévorer. »

Décrire une situation dans laquelle l’activité sataniste est florissante autour de nous est une chose. Mais il est essentiel d’identifier d’une manière aussi candide au moins quelques-uns des facteurs culturels et religieux majeurs qui ont contribué de façon notable à cet état.

Ce faisant, il est difficile d’éviter la conclusion que la diffusion du satanisme rituel, et la difficulté de lutter effectivement contre lui, sont favorisés par un notoire changement de mentalité parmi les hommes d’Eglise. En tant que prêtre catholique romain, je parle en désignant les évêques et les prêtres catholiques. Mais cette responsabilité s’étend, hélas, au-delà.

L’exorcisme concerne une créature sans corps ni sexe que Jésus désigne sous les noms de Lucifer et de Satan. Une créature que Jésus identifia plus tard comme le »père du mensonge, homicide dès l’origine. » L’existence et l’action de Satan font partie intégrante du christianisme romain traditionnel et de toutes les autres formes authentiques de cette religion.

A l’origine un archange, Lucifer, se révolta en désobéissant à Dieu et, avec ses légions d’anges rebelles, fut condamné par Dieu à l’enfer. Dans leur état de séparation éternelle avec leur Créateur, ces créatures ont toujours été connues comme les démons.

Selon la Providence mystérieuse de Dieu, Satan a une certaine liberté pour tenter de contrarier l’intention divine que tous les hommes et toutes les femmes soient lavés de leurs péchés personnels et meurent dans l’amitié et l’amour de Dieu.

Dans la mesure où Satan fait de certaines personnes ses adorateurs et ses esclaves en ce monde, il réussit dans la poursuite de sa rébellion.

En outre, de tels individus servent son objectif en corrompant volontairement et en co-optant d’autres êtres humains pour l’adorer et le servir.

Le mot « adoration », utilisé dans le contexte sataniste, comme tous les autres termes satanistes, reflète à la fois l’esprit et l’intention de Lucifer lui-même. Il connote le contraire – l’opposé voulu et désigné – de sa signification chrétienne. L’essence de l’adoration chrétienne est l’amour. L’essence de l’adoration satanique est la haine. Car l’archange déchu personnifie maintenant une entière haine de tout être comme tel. Haine de la vie, de l’amour, de la beauté, du bonheur, de la vérité, de tout ce qui fait de l’existence, autant que possible, un bien. L’adoration sataniste est une célébration de toute cette haine.

Dans ses grands traits, telle est la connaissance fondamentale et la compréhension de Satan, et des mœurs satanistes, que les chrétiens ont toujours eues.

Depuis qu' »Otage du diable » fut publié, en 1976, les hommes d’Eglise – en premier lieu la hiérarchie et le clergé de l’Eglise Catholique – ont relégué l’existence de Satan dans le même oubli que l’enseignement catholique et chrétien sur l’Enfer, les anges, le Purgatoire, le péché personnel et les sacrements essentiels comme la confession et l’eucharistie.

Il a été dit à cet égard par un membre du clergé protestant que – nonobstant son désaccord avec l’Eglise catholique – l’Eglise catholique restait toujours « l’ancre ». Lorsque cette ancre est perdue, tout patauge. Parce que nombreux dans la hiérarchie catholique sont ceux qui n’acceptent plus ces croyances – ne professent plus ou n’enseignent plus une doctrine précise au sujet des Sacrements – dès lors l’opposition au satanisme, dont le satanisme rituel, a considérablement diminué.

En face, du côté de Satan, la croyance qu’il n’existe pas du tout devient un avantage énorme dont il n’a jamais bénéficié à ce point. C’est le camouflage absolu. Ne pas croire au mal rend désarmé contre lui. L’incrédule est sans armes. Si votre volonté n’accepte pas l’existence du mal, vous êtes rendus incapable de lui résister. Et ceux qui n’ont pas de capacité de résistance deviennent des cibles de choix pour la possession.

Tout comme l’influence pratique d’un grand nombre de clercs fidèles était si grande autrefois, ainsi maintenant surviennent les conséquences pratiques pour nous tous, croyants et incroyants, de l’incrédulité d’un grand nombre d’hommes d’Eglise.

Parmi les catholiques et les chrétiens d’autres dénominations, un grand nombre n’apprend même plus une prière fondamentale comme le Notre Père.

Dans les églises et les écoles paroissiales, le sujet de l’Enfer est évité, comme s’en explique un prêtre du Middle West, « pour ne pas mettre les gens sur un pied de culpabilité« . L’idée de péché aussi est évitée, selon la même source, pour ne pas faire de « dommages irréparables à ce qui a été enseigné au cours des quinze dernières années. »

Ceci laisse le chrétien avec un profond et inutile handicap dans cette confrontation avec le mal que la vie apporte à chacun d’entre nous. Souvent un obstacle insurmontable vient de l’interdiction ressentie profondément à l’idée de mélanger ce qui est appelé le « rationnel » avec la foi, idée cependant nécessaire pour reconnaître le mal. Et sans la grâce qui naît de la vraie foi, Satan se trouve dans les conditions les plus favorables : il a cessé d’exister aux yeux de ses adversaires.

Le mal de loin le plus dramatique et le plus immédiat qui résulte d’une telle ignorance, frappe les vraies victimes de possession, victimes individuelles d’un mal personnel, par milliers.

Dans la société, l’Eglise seule détient l’autorité et le remède disponible pour contrecarrer un mal si manifeste. Donc si les officiels chargés de ce devoir fondamental renient le vrai dépôt de cette Eglise, s’ils tournent le dos même aux descriptions scripturaires du Christ chassant les démons, s’ils considèrent ces récits comme faux et comme des « genres littéraires », alors les victimes réelles d’une activité démoniaque vraie sont laissées sans espérance.

« Si le sel s’est affadi« , écrit saint Marc citant le Christ, « avec quoi le salerez-vous ? Ayez du sel en vous-mêmes et soyez en paix les uns avec les autres. » Bref, telle est la condition d’une partie de notre clergé ; et telle est la situation critique des possédés dans l’Amérique des années 1990. Si leurs pères dans l’Eglise ne croient plus, alors les victimes de possession démoniaque n’ont plus vers qui se tourner. Elles n’ont plus de lieu où trouver l’aide dont elles ont besoin et à laquelle elles ont droit en qualité de chrétiens affligés.

Combiner une possession effective et consciente avec le désespoir, doit sûrement provoquer la pire espèce de folie, sinon la mort. C’est une condamnation terrible. Mais il est au moins aussi terrible que ces hommes dont la vocation est de croire et d’exécuter tout ce que l’Eglise a tenu depuis son origine, aient abandonné ceux qu’ils prétendent encore servir au nom du Christ.


1 Ndlr. La France ne semble pas épargnée : en janvier 1998, Ségolène Royal, alors ministre délégué à l’Education, déclarait : « il y a une affaire de pédophilie par jour » (cité par Y.Germain, L’Apocalypse de saint Jean, Résiac, 1999, p.283).

2 Ndt. « Egoïsme absolu  » traduit ici « unmitigated self-interest« 

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