L’œil de la langouste

Par Michael Denton

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Regard sur la création

« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil quand on Le considère dans ses ouvrages. » (Romains, 1 : 20)

L’œil de la langouste1

Résumé : L’œil de la langouste est radicalement différent de l’œil bien connu des vertébrés. Chez ceux-ci l’œil comporte une lentille qui, par réfraction, fait converger les rayons lumineux vers la rétine2; ici les rayons sont réfléchis par une sphère formée de milliers de tubes carrés accolés, et focalisés sur la rétine par cet effet géométrique. Un tel œil ne peut donc fonctionner que s’il est entièrement et parfaitement constitué. Comment passer graduellement d’un œil fondé sur le principe de la réfraction à un œil fondé sur la réflexion ? Il y a là une impossibilité totale qui devrait troubler le sommeil des évolutionnistes s’ils avaient gardé quelque souci du réel.

Il existe quantité de types d’œil dans le règne animal, dont certains fondés sur des principes très différents de l’appareil photographique qui caractérise l’œil bien connu des vertébrés. L’œil de la langouste (et des animaux voisins) ainsi que celui de la coquille Saint-Jacques sont parmi les plus remarquables que l’on puisse trouver dans l’ensemble de la biosphère.

L’un des traits les plus frappants de l’œil de la langouste, que l’on perçoit immédiatement même à l’observation superficielle, est que ses facettes constituent  des carrés parfaits (voir la figure 1). La rareté de cette forme en biologie fait que cet œil ressemble plus à un appareil artificiel qu’à une structure naturelle. Comme l’astronome J.R.P. Angel l’a déclaré dans la revue Science :

« La langouste est l’animal qui, de tous les êtres vivants que je connais, paraît avoir le moins de rapport avec la forme carrée. Mais, au microscope; l’œil d’une langouste fait penser au quadrillage parfait du papier millimètré. »3

Figure 1. L’œil de la langouste.

Si cet œil a des facettes carrées, c’est parce que le système visuel de la langouste repose sur des phénomènes de réflexion. Chaque unité oculaire consiste en un minuscule tube de section carrée, à peu près deux fois plus long que large, et dont les faces latérales sont des miroirs plans parallèles. Les rayons lumineux qui y pénètrent sont réfléchis sur les miroirs latéraux et focalisés sur la rétine.

Les caractéristiques optiques de ce système ont été élucidées pour la première fois par Michael Land, de l’université du Sussex.2 Le dessin ci-dessous en illustre le principe fondamental :

Figure 2. Description du fonctionnement de l’œil de la langouste, fondé sur la réflexion et non sur la réfraction.

Ce système optique unique en son genre ne se rencontre que chez un groupe particulier de crustacés – les décapodes à corps long –  qui comprend les crevettes grises, les crevettes roses et les langoustes. Chez la grande majorité des crustacés (et de tous les invertébrés), les yeux sont fondés sur un principe totalement différent : la réfraction. Dans ce cas, chaque unité oculaire possède une petite lentille qui réfracte les rayons lumineux (c’est-à-dire dévie leur trajet) de façon qu’ils convergent en un point de la rétine. Les unités oculaires, dans ces yeux fondés sur le principe de réfraction, sont hexagonales ou rondes.

Tout le monde connaît ce type d’œil, puisqu’on l’observe chez de nombreux insectes courants comme les libellules, les abeilles et les guêpes.

Comment les yeux fondés sur la réflexion apparurent-ils dans l’évolution, et par quels stades intermédiaires passèrent-ils ? C’est un mystère4, et d’autant plus profond que les yeux fondés sur ce principe ne peuvent produire une image bien focalisée qu’à la condition expresse que les unités oculaires aient une section parfaitement carrée, que la longueur soit exactement le double de leur largeur et que leurs surfaces internes latérales soient parfaitement plates et réfléchissantes. Elément supplémentaire du mystère : la remarquable aptitude de ces yeux à former une image par le système de réflexion n’est mise à profit par la langouste que lorsque le niveau d’illumination est faible. Lorsqu’il y a beaucoup de lumière, le fonctionnement de l’œil se modifie : les pigments se déplacent de façon à empêcher la formation de l’image par réflexion et à ne permettre qu’aux rayons frappant directement les unités oculaires d’atteindre la rétine.

Si l’on veut faire appel à quelque mécanisme darwinien pour expliquer l’apparition de l’œil fondé sur la réflexion, on se heurte à de redoutables problèmes.

On suppose généralement qu’il a découlé de l’évolution de l’œil fondé sur la réfraction, puisque celui-ci est bien plus répandu et présente un agencement beaucoup plus simple. En outre, on observe chez la langouste le passage d’un œil à réfraction à un œil à réflexion au cours de son développement, lorsque sa forme larvaire planctonique, nageant dans les eaux de surface de la mer, cède la place à sa forme adulte vivant sur le fond de l’océan.

Cette transformation est tout à fait étonnante, car on a beaucoup de mal à imaginer une série de types d’œil assurant la transition entre celui qui repose sur le principe de réfraction et celui qui repose sur le principe de réflexion, tant diffèrent leurs agencements respectifs sur le plan de la géométrie et du fonctionnement optique. L’unité oculaire d’un type d’œil de transition devrait à la fois se situer à mi-chemin entre l’hexagone et le carré, à mi-chemin entre la lentille réfractante et la surface réfléchissante, et néanmoins posséder les propriétés optiques nécessaires à la formation d’une image. De plus, à supposer même que l’on puisse imaginer une série de transitions, on ne voit pas bien comment ces types d’yeux intermédiaires auraient pu se révéler sélectivement avantageux. Ce point est d’une importance majeure, car l’évolution par la sélection naturelle ne peut parcourir une trajectoire menant d’un point A à un point B qu’à la condition que chaque étape sur cette trajectoire soit adaptivement avantageuse et confère une certaine capacité de survie à un organisme donné.

Pourquoi faudrait-il qu’un organisme abandonne un type d’œil parfaitement fonctionnel, fondé sur la réfraction, pour se lancer sur la trajectoire pleine d’aléas menant à un type d’œil fondé sur la réflexion ? Les yeux à réfraction fournissent d’excellentes capacités visuelles, comme en témoigne le vol de la libellule. Nombre de crustacés apparentés de près à la langouste, tels les crabes, occupent la même niche écologique qu’elle, ont les mêmes mœurs de prédateur, et possèdent des yeux à réfraction. Ils survivent manifestement très bien, dans le cadre d’un même niveau d’illumination, ce qui suggère que l’avantage sélectif d’yeux à réflexion ne doit pas être si considérable.

On pourrait penser que, dans le paysage adaptatif des yeux de crustacés, la route menant à un « œil parfait fondé sur la réfraction » est beaucoup plus courte, moins complexe et bien plus assurée que la trajectoire extrêmement aléatoire menant de la réfraction à la réflexion, de l’hexagone au carré, d’une forme de surface courbe à une forme de surface plane, d’une structure du type de la lentille à une structure du type du miroir, et ainsi de suite.

Figure 3. L’œil de la coquille Saint-Jacques.

Formation de l’image par un réflecteur concave.

L’œil de la langouste n’est pas le seul à poser ce genre de problème. Celui de la coquille Saint-Jacques du genre Pecten est aussi fondé sur la réflexion. Le coquillage présente environ trente yeux disposés sur le manteau, au bord de chacune des deux valves (le manteau est un revêtement charnu qui recouvre la face interne des valves). Chacun de ces yeux ne mesure qu’un millimètre de diamètre environ. Le spécialiste britannique des systèmes visuels d’invertébrés, Michael Land, en a élucidé le fonctionnement optique, qu’illustre le schéma ci-dessus.

Au premier abord, un œil de coquille Saint-Jacques ne diffère pas énormément d’un œil de vertébré, et voilà probablement pourquoi ce système optique peu ordinaire n’a pas attiré l’attention jusqu’aux travaux de Land dans les années 1960. Chacun des yeux de la coquille Saint-Jacques contient une grosse lentille dont la face postérieure est en contact avec la rétine. Derrière la rétine se trouve une surface hémisphérique réfléchissante, et derrière celle-ci une couche de pigment brun. L’image naît, comme on le voit, de la réflexion des rayons lumineux par la surface hémisphérique et de leur focalisation sur la rétine. A propos de l’agencement de cet œil, Land écrit dans le Scientific American :

« La face antérieure de la lentille possède une forme assez curieuse : elle est convexe au centre et concave sur les bords, de sorte que sa fonction ne paraît pas tant celle de concentrer les rayons lumineux au niveau du foyer que de corriger un défaut optique présenté par le miroir. Ce dernier, en raison de sa forme, est en effet responsable d’aberrations sphériques, parce que les rayons réfléchis par la région interne du miroir convergent au niveau d’un foyer situé plus à l’extérieur que le foyer vers lequel convergent les rayons émanant des régions externes du miroir. Dans les télescopes astronomiques du type de Schmidt, l’aberration sphérique due à un miroir hémisphérique est corrigée par une lentille mince de faible puissance, appelée la plaque correctrice. De façon remarquable, la lentille de l’œil de la coquille Saint-Jacques semble bien accomplir le même fonction. »

Le trait le plus frappant de ce système visuel si complexe est son apparente gratuité. Comment expliquer, au moyen de la théorie de la sélection naturelle, qu’un organisme aussi simple ait acquis un œil capable de former une image parfaite ?


1 Reproduction autorisée de l’Evolution a-t-elle un sens ? (Fayard, 1998, pp.483-488). M. Denton est australien, spécialiste de génétique humaine et s’est fait connaître du public par son livre « L’Evolution une théorie en crise« , disponible en livre de poche (Flammarion, collection Champ).

2 Relire à ce propos l’article de Claude Destaing dans Le Cep n°9 (p.80 squ.) : L’œil et la vision.

3 Angel, J.R.P (1979), « Lobster Eyes as X-Rays Telescope« , Astroph. J., 33, pp.364-373. Voir aussi Hartline, B.K. (1980), « Lobster Eye X-Ray Telescope Evisioned« , Science, pp.207-247.

2 Land M.F. (1976), « Superposition Images are Formed by Reflection in the Eyes of Some Oceanic Decapod Crustacea« , Nature, 263, pp.764-765.

4 Ndlr. Le mot « mystère » n’est guère à sa place dans un discours scientifique qui par ailleurs se fait un point d’honneur d’éviter toute référence à Dieu. Plutôt que de recourir au mystère ou à « l’énigme » (J. Monod) chaque fois qu’un fait contredit manifestement la thèse évolutionniste on ferait mieux de s’en tenir à la stricte description du réel. Du point de vue de la Création, tout reste toujours mystérieux car la créature reflète l’incommensurable sagesse divine ; mais tout est simple dès lors qu’on l’accepte tel que Dieu l’a voulu.

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