Faire place au surnaturel

Par Dominique Tassot

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Résumé : Notre science orgueilleuse ne se contente pas d’affirmer son autonomie à l’égard du surnaturel : elle en nie en pratique l’existence et s’efforce d’expliquer l’origine de la vie par des processus naturels. Tâche impossible car la matière vivante est tout autre chose qu’un assemblage de molécules. En revanche l’objet archéologique le plus étudié au monde – et de loin ! – le Linceul du Christ conservé à Turin, témoigne doublement de la présence agissante du surnaturel : par l’énigme de l’empreinte laissée par le Ressuscité ; par l’anomalie de sa conservation à travers les vicissitudes de l’Histoire (le sauvetage par le pompier Mario Trematore, le 12 avril 1997, suffirait à le démontrer). Or devant le surnaturel, la science doit consentir à s’humilier, si elle veut rester digne de servir la vérité. 

Epictète, un des chefs de l’école stoïcienne à Rome, ancien esclave, eut cette pensée : « Si j’étais rossignol je ferais le métier de Rossignol ; si j’étais cygne, celui de cygne. Je suis un homme, il me faut chanter Dieu ».

Or les philosophes stoïciens, avec leur prétention à l’impassibilité, ont toujours été présentés comme des orgueilleux : orgueil de l’homme qui se croit capable d’une parfaite conformité à la nature et à la raison.

Mais l’orgueil de notre science va bien plus avant. Epictète du moins, faisait remonter sa louange vers une divinité, si vague fût-elle ; il voyait dans ce geste le plus noble usage de la raison. Tandis que notre époque refuse de reconnaître que toute vie relève d’un Etre supérieur qui lui a fixé sa mission, sa véritable « raison » d’être.

Le Pasteur Süssmilch1, prédicateur à la cour de Frédéric II le pressentait déjà dès 1761, lorsqu’il écrivait : « Pourquoi veut-on à toute force faire ressembler l’homme aux animaux, en faire leur égal, et lui ravir des privilèges et une supériorité qui sont tout à fait indiscutables ?..

Pourquoi donc veut-on contredire si vivement la parole de Dieu et l’expérience ? N’est-ce pas une fausse humiliation de l’orgueil humain ?.. En ignorant les avantages (que la bonté divine lui accorde), l’homme ne se soustrairait-il pas à un noble devoir de reconnaissance à l’égard du Donateur ? »

De fait, avec la théorie de l’Evolution, la science a bel et bien trouvé un substitut à la création divine de l’homme. Et elle s’y cramponne malgré les évidences croissantes qu’il est impossible de passer naturellement d’une espèce à une autre. Il faut donc à cette ténacité dans l’erreur une cause extra-scientifique.

Maurice Caullery fut jadis titulaire en Sorbonne d’une chaire « d’évolution des êtres organisés ». Son métier était donc de chanter l’évolution, mais sa raison lui montrait les difficultés -pour ne pas dire les impossibilités- à la justifier. De là un ouvrage intitulé : « Le problème de l’Evolution » .

On notera en passant, soixante-dix ans plus tard, qu’il est toujours questions de problèmes, quand on parle d’évolution, et rarement de solutions. Caullery reconnaît dans l’avant-propos : « Oui, les espèces actuelles sont stables, mais elles ne l’ont pas toujours été ; autrement il faudrait recourir à un Créateur pour expliquer l’apparition des êtres vivants ».2

Tout est dit dans cette formule lapidaire. Et quand bien même il faut admettre ce qu’Agassiz3 nommait la « plasticité » des êtres vivants -leur capacité à s’adapter aux circonstances, à développer les aptitudes utiles, et cet appauvrissement du pool génétique qui fixe certains caractères dans une lignée et distingue des variétés au sein de l’espèce (parfois jusqu’à éteindre en pratique l’interfécondité)-, reste l’immense « problème » de l’apparition de la vie. Il est un curieux paradoxe : les mêmes esprits célébrant un Pasteur qui aurait tordu le cou à la génération spontanée, affirment péremptoirement que la vie a pu surgir naturellement d’une certaine « soupe primordiale » au gré de circonstances rares.

L’article du Dr David Rosevear, qui ouvre ce numéro, expose avec clarté les impossibilités qui entravent à chaque pas cette affirmation.

Caullery parlait de « problème » pour une évolution vers des espèces différentes par leurs organes ; on peut ici parler de véritable impossibilité. A mesure que la biologie progresse, les processus vivants se découvrent à nous dans une complexité presque indéfinie qui ridiculise à l’avance toute prétention à expliquer comment des matériaux de la chimie organique pourraient se muer naturellement en organismes vivants, fût-ce en simples fragments d’organismes vivants4.

Au demeurant, comment ces fragments, ces séquences protéiques, pourraient-elles survivre à l’état vital en dehors des cellules où elles abritent leur activité ?

Si donc les ressources de la nature ne rendent pas compte du fait de la vie, la saine raison requiert une cause dépassant la nature, une cause proprement « sur-naturelle » ; et c’est le drame d’une science orgueilleuse qui refuse d’affirmer ce qu’elle n’a pourtant plus d’arguments pour nier. Car la prétention à tout mesurer, à tout quantifier – ou plutôt à toute réduire au mesurable et au quantifiable – a fait long feu. Dans le nouveau regard sur la vie que suscitent l’étude fine de la cellule et la biologie moléculaire, la taille n’est plus rien, la complexité est tout. Saint Augustin le comprenait déjà car il raccordait tous les êtres au même Créateur : « Seigneur, vous avez créé dans le ciel les anges, sur la terre les vermisseaux, et vous n’êtes pas plus petit en ceux-ci, pas plus grand en ceux-là ».

Admettre le surnaturel s’avère donc aujourd’hui la pensée la plus décisive et la seule salutaire. C’est pourquoi il convenait de revenir dans ce numéro sur le Linceul de Turin.

L’insigne relique, la plus importante de toutes avec la tunique d’Argenteuil, contraint en effet l’intelligence à reconnaître l’historicité des évangiles et la divinité du christianisme. Et devant ces vérités, il ne subsiste plus de savoir qui vaille, sinon celui qui se met au service d’une vérité plus haute.

Que vaudrait d’accepter l’existence d’un Créateur, si nous lui refusons d’intervenir dans l’histoire pour la guider vers son terme prédéterminé, et pour faire triompher, malgré le repli de l’homme sur lui-même, l’Amour qui l’a lancé dans l’existence.

Au soir du 12 avril 1997, le pompier Mario Trematore rentrait d’un dîner lorsque sa femme Rita lui signale une lueur sur Turin. De son balcon perché sur les auteurs de la ville, il comprend aussitôt que la cathédrale – le Dôme – est en feu. Enfant de la rue, élevé sans famille, il s’était passionné pour l’art baroque et avait conquis à la force du poignet, en cours du soir, un diplôme d’architecture. Il se précipite alors pour aider ses collègues de service. Il est à noter que tous s’affairaient à protéger les vieilles pierres, en les arrosant, et que nul ne songeait à l’Habitant insigne de ce lieu. Comme beaucoup de turinois (nul n’est prophète en son pays), Trematore ne croyait pas à l’authenticité du Linceul. Il n’était venu que pour la chapelle baroque embrasée. C’est pourtant lui, sans sa combinaison de feu, en simple uniforme de laine, sans ordre hiérarchique, seul parmi 150 pompiers en action, qui va décider de dégager la châsse du Saint-Suaire, protégée par huit centimètres de vitre blindée. Comme il n’y parvenait pas à la pince mécanique, une voix intérieure lui dit : « Casse cette vitre avec une masse ». Un collègue lui passe une masse et la voix lui dicte : « Casse-la par le petit côté ». Ce qu’il fait en quelques coups bien placés5. Puis Trematore prend le reliquaire recouvert d’argent, long de près de deux mètres : « Le Saint-Suaire ne pesait pas et quand j’ai mis la châsse sur mes épaules, je volais. Mes pieds ne touchaient pas terre et la châsse était si légère que je n’en sentais pas le poids »6.

En 1532 déjà, lors de l’incendie de Chambéry, les sauveteurs avaient comparé leur passage au milieu des flammes au séjour de Daniel dans la fournaise : elles n’ont pas marqué le tissu alors qu’il était sorti de son reliquaire ; les seules traces de l’incendie, mais qui épargnent l’image, sont dues à la fusion d’un coin de la châsse d’argent. Ce fait nous garantit ainsi la violence de l’incendie puisque l’argent fond à 960°.

En 1997, La Providence a voulu que la réglementation italienne obligeât à filmer les grands incendies et que le geste de Trematore se trouvât devant la caméra.

Ce fait surnaturel ainsi attesté suffit à réfuter le scientisme de Renan et, à travers lui, toutes les dérives de l’exégèse moderne. En effet la conservation du Linceul à travers des siècles de manipulations8 est un phénomène inexplicable7 : en 1201, Nicolas Mésaritis, conservateur du « Sindon funéraire du Christ », notait : « celui-ci est en lin défiant la décomposition parce qu’il a enveloppé le corps du mort ineffable après la Passion. »

Or Renan, le grand chantre d’une « science irreligieuse », refusait la divinité de l’Ecriture et toute idée de « Révélation », simplement par son refus du surnaturel. On lit dans la préface à la Vie de Jésus : « Si le miracle a quelque réalité, nom livre n’est qu’un tissu d’erreur. (…) Par cela seul qu’on admet le surnaturel, on est en dehors de la science, on admet une explication qui n’a rien de scientifique, une explication dont se passent l’astronome, le physicien, le chimiste, le géologue, le physiologiste, dont l’historien doit aussi se passer. Nous repoussons le surnaturel par la même raison qui nous fait repousser l’existence des centaures et des hippogriffes : cette raison, c’est qu’on n’en a jamais vu.

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Ce n’est pas parce qu’il m’a été préalablement démontré que les évangélistes ne méritent pas une croyance absolue que je rejette les miracles qu’ils racontent. C’est parce qu’ils racontent des miracles que je dis : « Les Evangiles sont des légendes ; ils peuvent contenir de l’histoire, mais certainement tout n’y est pas historique. »9

A cette phrase prétentieuse – mais qui devait donner le ton à l’Université française durant si longtemps – il n’est pas de réfutation plus achevée que ce Linceul conservé à Turin. Il nous atteste à la fois l’exactitude minutieuse du récit de la Passion, par le sang des différentes plaies, et la réalité du surnaturel, par une image infalsifiable qui témoigne de la Résurrection. Mais il y a plus : le groupe sanguin analysé en 1968 par le Pr Baima Bollone (médecin légiste, spécialiste d’hématologie policière) est le groupe rare AB (environ 1,5% de la population).

Le même groupe sanguin est constaté sur le suaire d’Oviedo et dans les tissus cardiaques produits par le miracle eucharistique de Lanciano au huitième siècle.10

Or ce groupe sanguin caractérise le « receveur universel », celui qui peut accepter toutes les transfusions, donc celui qui peut le mieux prendre sur lui nos blessures, supporter nos défaillances et ainsi nous sauver. Loin d’un « donneur universel » (groupe O), symbole d’une hypothétique action rédemptrice et messianique comme l’avaient rêvée les Juifs, l’homme du Linceul a témoigné jusqu’à la fin d’une vertu passive, en supportant une somme indépassable de coups douloureux.

Telle est peut-être la meilleure réfutation pratique de l’orgueil contemporain. Dieu ne s’est pas fait homme pour affirmer des droits mais pour supporter la plus grande des injustices11.

La France a débuté, en 496, par un acte de soumission à peine imaginable : « Courbe la tête, fier Sicambre ! »

Désormais il est temps d’ouvrir une ère nouvelle par un acte de reconnaissance envers le Créateur, par l’humiliation d’une science orgueilleuse qui méconnaît ses limites : la révérence salvatrice envers les œuvres divines peut être un recommencement pour l’intelligence vraie du cosmos.


1 Johan Peter Süssmilch, L’Ordre divin dans les changements du genre humain, prouvé d’après la naissance, la mort et la propagation de l’espèce (1761), trad. Maurice Kriegel, Paris, INED, 1979, t. II, p.164. Grâce au mathématicien Euler, également présent à la cour de Prusse, Süssmilch put fonder la démographie. Ses tables de mortalité de 0 à 97 ans furent utilisées durant plus d’un siècle.

2 M. Caullery, Le problème de l’Evolution, Paris, Payot, 1931, avant-propos.

3 Louis Agassiz, naturaliste suisse et spécialiste des poissons fossiles, eut le premier l’idée d’une « époque glaciaire » en Europe. Fondateur de l’Académie Américaine des Sciences, il s’est toujours opposé aux thèses de Darwin.

4 En 1994 à Madrid, nous avions rencontré Stanley Miller, Directeur du Centre de Recherche en « Exobiologie » à la NASA, à l’occasion d’un débat international de 4 jours organisé par l’Université (Tecnociencia) et qui voyait se succéder partisans et adversaires de l’Evolution. Le chimiste ne pouvait dénigrer les expériences de 1953 qui l’avaient rendu mondialement célèbre… mais on sentait chez lui, pourtant athée, une volonté de ne pas en extrapoler des affirmations métaphysiques hors de proportion avec les faits observés.

5 La verrerie fabriquante a refusé d’admettre cette contre-publicité : qu’une masse de 4 kilos ait suffi pour briser les trois vitres pare-balles épaisses au total de 9 cm.

6 Cf. Michèle Reboul, « Il y a cinq ans, le sauvetage miraculeux du Saint-Suaire » (Monde et Vie n°698 du 18 avril 2002)

8 Sauf depuis 1720 où les ostensions annuelles furent supprimées et le Linceul fut plutôt traité comme un objet de musée.

7 Il en va de même avec la tilma de Notre-Dame de Guadelupe, tissu grossier de cactus qui normalement se désintègre en quelques années, mais dont la texture et les couleurs bravent le temps depuis 1531 alors qu’il fut souvent manipulé. Elle a pu résister à l’acide nitrique renversé un jour par un orfèvre qui nettoyait le cadre, et une bombe placée sous le portrait le 14 novembre 1921, durant les persécutions de la Présidence Calles, a tordu le crucifix et pulvérisé les vitraux de la cathédrale sans pourtant briser le verre du reliquaire ni abîmer le tissu.

9 E. Renan, Vie de Jésus (1863) réed. Paris, Seuil, 1992, pp.10-11.

10 Bruno Sammaciccia, Le Miracle de Lanciano, Paris, Cèdre, 1977.

11 Cf. L’Eglise et l’esclavage (Le Cep n°5) . On y admire comment l’Eglise ne s’est jamais proposé de condamner l’esclavage. Elle a fait beaucoup mieux : en créant entre tous les hommes, également fils de Dieu, des relations de respect qui ont d’abord adouci la condition des esclaves pour enfin la faire disparaître. C’est pourquoi l’esclavage subsiste ou réapparaît, sous une forme ou sous une autre, là où cesse l’influence du christianisme (terres d’Islam ou empires matérialistes).

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