Partager la publication "La statue du songe de Nabuchodonosor ; sa signification historique"
Par Yves Germain
Résumé : L’analyse qui suit est extraite des travaux d’Yves Germain sur l’Apocalypse. Elle est liée à l’étude des Bêtes de la mer et de la terre (Ap 13) et fait suite à l’évocation des quatre bêtes de la vision de Daniel (Dan 7, 4-7). Elle évoque le récit du deuxième chapitre du prophète : une statue est apparue en songe à Nabuchodonosor, et le prophète Daniel lui en donne l’explication. Les lectures de cette prophétie sont sans doute variées, mais elles se ramènent surtout à l’affirmation qu’après les essais de rassemblement correspondant aux grands empires terrestres dominateurs, viendra dans l’histoire humaine le germe du Royaume de Dieu libérateur. La Royauté de Jésus-Christ réussira seule à « rassembler en un seul peuple les enfants de Dieu dispersés », dans l’histoire et à la fin de l’histoire.
La statue :
« Cette statue, sa tête était d’or fin, sa poitrine et ses bras d’argent, son ventre et ses cuisses d’airain, ses jambes de fer, ses pieds en partie de fer et en partie d’argile… »
Et s’adressant à Nabuchodonosor, Daniel commente :
« C’est toi qui es la tête d’or. Et après toi s’élèvera un autre royaume… et ensuite un troisième… Et un quatrième qui sera fort comme le fer… » (Dan 2,37-43).
Nous retrouvons les animaux de la vision de Daniel (7) ; saint Hippolyte nous explique dans son Commentaire sur Daniel :
« L’or qui figure l’empire des Babyloniens (Nabuchodonosor), c’est le lion ; l’argent, l’empire des Perses, c’est l’ours ; l’airain, l’empire des Grecs commandé par Alexandre de Macédoine, c’est le léopard. Après quoi, il parle des jambes de fer, pour signifier la bête terrible et effrayante aux dents de fer, figure des Romains, qui dominent de nos jours et sont forts comme le fer ». (Cerf, p.171)
Saint Cyrille écrit la même chose (Catéchèse 885. C 3 Mystagogique) en précisant au sujet de la quatrième bête :
« Les exégètes de l’Eglise ont transmis l’interprétation que c’est l’Empire romain ».
Nous avons ainsi 4 étapes principales que nous pouvons mettre sous forme de tableau :
Tête | Or | Lion | Nabuchodonosor | 1 | |
Poitrine | Argent | Ours | Mèdes et Perses | 2 | |
Séleucus | 3 | ||||
Ventre | Airain | Léopard | Alexandre | Démétrius | 4 |
Ptolémée | 5 | ||||
Jambes | Fer | Rome | 6 |
Les pieds de la statue :
Les deux jambes représentent l’Empire romain, d’Orient et d’Occident bien entendu…
Mais ce sont les pieds qui vont retenir toute notre attention.
Daniel nous dit qu’ils sont « en partie de fer et en partie d’argile .» (Dan 2,33)
Que représentent-ils ? C’est la question que se pose saint Hippolyte :
« Après les jambes de fer de la statue, que reste-t-il sinon les pieds, aux dix doigts faits d’un mélange d’argile et de fer ? Ces dix doigts correspondent aux dix cornes. » (cf. Dan 7,7 et Ap 13,1)
Puis il nous montre ce que seront ces nations qui feront suite à l’Empire romain. Près de 1800 ans plus tard, nous ne pouvons qu’admirer ses déductions, ses explications et sa connaissance du symbolisme :
« L’argile et le fer indiquent leur désunion » (p.171). Il n’y a donc pas d’empire maître du monde. Et il poursuit :
« Comme ils seront un mélange de semences d’hommes, ils ne seront pas adhérents l’un à l’autre. Car de même que le fer ne s’unit pas à l’argile, de même les hommes à cette époque, ne pourront pas s’entendre parce que, dans leur désordre, ils seront portés les uns dans un sens, les autres dans un autre, et que chaque nation essaiera d’arracher aux autres la domination .»(p.171)
Nous qui connaissons toutes les dissensions en Europe et toutes tentatives de domination : Napoléon, Hitler, Staline… pour ne citer que les plus connues, il nous faut bien convenir que le grand saint avait vu juste. Et que sa vision des choses reste valable…
Toujours dans son « Commentaire », p.106, il va plus loin encore pour écrire : « Puis viennent les doigts de pieds qui indiquent les démocraties futures, qui se sépareront les unes des autres comme le sont les dix doigts de la statue, composés de fer mêlé d’argile… »
C’est tout juste s’il n’annonce pas les deux sortes de démocraties que nous connaissons, les dures « de fer » et les autres « d’argile ». Il n’est pas utile d’insister pour imaginer ce qu’il voyait dans l’argile molle à la couleur désagréable…
Littéralement la traduction est encore plus forte, car le mot hébreu signifiait : boue.
Dès lors nous pouvons faire une récapitulation sur le tableau suivant en indiquant la correspondance avec les sept têtes de la bête de l’Apocalypse. Sous les pieds de la statue, nous avons dessiné une sphère pour représenter le monde lors de son unité. Cette statue évoque une idole. Nous serons désormais invités à la comparer à la « femme » qui a la lune sous ses pieds. (Ap 12,1). Elles sont le symbole des deux cités.
La statue de Daniel préfigure l’Histoire :
Cette statue résume donc toute l’histoire de l’humanité.
Nous ne nions pas que l’on puisse trouver 7 ou 10 noms de persécuteurs romains. Le symbolisme est toujours multiple, mais nous croyons qu’il y a plus que cela.
Dans l’Apocalypse, la « bête » aux sept têtes et dix cornes s’oppose à la « femme » dans le soleil, l’Eglise principalement. Elle dure donc jusqu’à la fin des temps…C’est à cela que pensait sans doute le Père Féret quand il écrivait : « Que ce livre contienne les secrets et le sens de l’histoire humaine, cela ne fait aucun doute pour aucun commentateur (« Apocalypse de Saint Jean », Carréa, p.109). Saint Hilaire de Poitiers dans son « Traité du Mystère » nous conseille en ce sens : « Ces choses ne doivent pas être écoutées en passant mais il faut y chercher la figure du futur… Il y a donc complet accord entre les personnes, les faits, le résultat, et la réalité des événements historiques renferme en elle le type du futur… » (p.95)
Et encore, p.149 :
« Tout est préfiguré par les événements de l’Ancien Testament et doit être accompli dans et par le Seigneur. »
La pierre :
« Tu regardais lorsqu’une pierre se détacha sans le secours d’aucune main, frappa les pieds de fer et d’argile, et les mit en pièces… » (Dan 2,34)
Puis après avoir constaté que de toute la statue :
« Nulle trace n’en fut trouvée »,
le prophète écrit :
« Mais la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne, et remplit toute la terre. » (Dan 2,35)
Saint Hippolyte commente :
« Quand le fer sera mélangé à l’argile, qu’il sera arrivé à l’extrémité des doigts, que les hommes ne s’accorderont plus, restera-t-il d’autre roi que le Christ, venu du ciel comme la pierre détachée de la montagne pour renverser les royautés de ce monde, inaugurer la royauté céleste des saints qui jamais ne sera détruite, devenir lui-même montagne et cité des saints et remplir toute la terre ?… » (p.107)
Est-il besoin de commenter ? C’est donc à la fin du règne des dix cornes que la « pierre » devient montagne et « remplit toute la terre ». C’est le temps de la grande Espérance, de la moisson dont parlera bientôt saint Jean.
En Daniel 2,44, nous trouvons une autre précision, car saint Hippolyte fait une traduction de Daniel plus nette que ce que nous lisons dans nos Bibles : « Et les dix doigts de pieds partie en fer, partie en argile, indiquent qu’une partie de la royauté sera forte et qu’une partie sera broyée par la première… » (p.103)
L’avenir nous le dira-t-il ?
Puis il cite encore Daniel :
« Dans les jours de ces rois-là, le Dieu du Ciel élèvera une royauté qui sera indestructible pour l’éternité… »
C’est une confirmation. Nous voyons là une nouvelle chrétienté sur « toute la terre », la réalisation de la parole :
« L’Evangile annoncé à toute la terre. »
C’est ce que précise saint Jean en Apocalypse 15,4 (repris d’Isaïe 60,3) quand il écrit :
« Et toutes les nations viendront se prosterner devant vous, parce que vos jugements ont éclaté ».
Tout cela était déjà annoncé par Isaïe cité par Matthieu 12,30 :
« Il n’éteindra point la mèche qui fume encore, jusqu’à ce qu’il ait fait triompher le jugement ; et en son nom les nations mettront leur espérance ».
Le sens de la statue :
Saint Augustin s’interrogeait aussi sur le sens du corps humain : Dans la « Cité de Dieu », il examine d’abord l’Arche de Noé : « Cette arche qui doit le sauver de la catastrophe du déluge n’est-elle pas la figure évidente de la Cité de Dieu exilée dans le siècle, ou de l’Eglise sauvée par le bois où est suspendu le Médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme ?.. »
Puis il poursuit : « Car les mesures même de sa longueur, de sa hauteur et de sa largeur représentent le corps humain ; ce corps dont, aux termes des prophéties, il devait prendre et dont il a pris la réalité pour venir à nous… »
L’Arche est donc déjà figure du Christ. Avec les Pères, elle sera souvent figure de l’Eglise. Mais il va encore plus loin : « Or la longueur du corps humain, du sommet aux extrémités, est six fois sa largeur, d’un côté à l’autre, et dix fois sa hauteur ou épaisseur, prise sur le flanc du dos à l’épigastre… c’est pourquoi l’arche fut faite sur trois cents coudées de long, cinquante de large et trente de haut… » (« La Cité de Dieu » – Liv. 15-26).
Puis reprenant le symbolisme du « carré », il écrit : « Et c’est de poutres carrées1 qu’elle doit être construite, pour figurer la stabilité absolue de la vie des saints ; car, de quelque côté que l’on tourne un carré, il est inébranlable sur lui-même… »
L’Arche de Noé, de 300 coudées sur 50, se compose donc de 6 carrés dont chaque côté mesure 50 coudées. .Et, fait curieux, la croix du Sauveur peut être formée également de 6 carrés : (4 verticaux et 3 horizontaux). Elle symbolise le lien entre le ciel et la terre, et l’unité de tous les hommes.
Le lecteur aura remarqué que notre statue se décompose aussi en six parties principales : six têtes. Et l’on passe de l’une à l’autre quand la nature du pouvoir païen change.
Mise en garde de saint Augustin :
Au début du Livre 15 chapitre 27, saint Augustin, en conclusion, nous invite à considérer sérieusement ces symboles : « Et que l’on se garde de croire que ces choses aient été écrites en vain ; que l’on n’y doive chercher qu’un pur récit dépourvu de toute signification allégorique, ou qu’au contraire elles ne représentent aucune réalité historique, mais de simples mots ; ou qu’enfin, quelles qu’elles soient, elles ne renferment aucune prophétie de l’Eglise ».Nous faisons nôtre cet avertissement. Les prophéties éclairent l’histoire. La pierre dont nous venons de parler fait tout sauter. Elle fait éclater les prétentions humaines dominatrices. Cette pierre, comme le grain de sénevé de l’Evangile, est un signe qui couvre toute notre histoire depuis l’Incarnation de Jésus-Christ jusqu’à son Avènement final.
1 Ndlr. Le texte hébreu de la Bible indique, comme matériau de l’Arche, le bois de « Gofer », expression dont le sens propre reste difficile à cerner. Mais les Septante, dans leur version grecque, ont précisé qu’il s’agissait de bois « équarri ».