La confession de Rakovski (3ème partie)

Par le Dr Landowsky

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« Si l’homme est libre de choisir ses idées, il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. » (Marcel François)

Résumé : Après avoir montré (cf. Le Cep n°27) comment la volonté révolutionnaire introduit un biais dans l’œuvre économique de Marx, Rakovski souligne le silence de Marx sur l’influence politique et sociale de la finance internationale. Or la révolution russe suppose des moyens et des complicités sans commune mesure avec l’influence personnelle de Lénine. De même le rôle de premier plan joué par Trotski en 1905, puis sa place dans le gouvernement d’Octobre 1917, demande une explication. Dans cette perspective, Rakovski a beau jeu de rapprocher la révolution russe de la révolution française.

R.‑ Je poursuis comme si je n’avais rien entendu. A ce stade, vous êtes un écolier en ce qui concerne le Capital, et je veux éveiller vos talents inductifs. Je vous rappellerai donc certains faits très curieux. Observez attentivement avec quelle pénétration Marx en arrive aux conclusions tirées de l’existence de l’industrie britannique alors naissante, à savoir la colossale industrie d’aujourd’hui; comment il l’analyse et la critique ; quelle image repoussante il donne de l’industriel manufacturier . Dans votre imagination et dans celle de la masse naît alors la terrible image du Capitalisme dans son concret humain: le type du fabricant bedonnant, un cigare à la bouche, comme Marx le décrit, jetant à la rue, avec colère mêlée de satisfaction, l’épouse et la fille de l’ouvrier. Est‑ce que ce n’est pas vrai ? Mais en même temps, souvenez‑vous aussi de la modération de Marx et de son orthodoxie bourgeoise lorsqu’il étudie la question monétaire. Dans ce problème de la monnaie, on ne voit pas apparaître chez lui la fameuse contradiction.

Pour lui, les finances n’existent pas comme quelque chose d’important en soi ; le commerce et la circulation des monnaies sont les résultats de la production capitaliste honnie, qui les asservit et les détermine totalement.

Or sur la question de la monnaie, Marx est un réactionnaire ; et à notre immense surprise, il l’était bien; ayez à l’esprit « l’étoile à cinq pointes « , comme la soviétique, mais cette étoile qui brille sur toute l’Europe, l’étoile composée des cinq frères Rothschild, avec leur banque, qui possède une colossale accumulation de richesses, la plus grande jamais connue… Ainsi, ce fait, si colossal qu’il égara l’imagination des gens à l’époque, Marx ne le remarque pas. Voilà qui est bienétrange… non ?

Il se peut que de cet étrange aveuglement de Marx naisse un phénomène qui est commun à toutes les futures révolutions sociales. Voici le fait : tous, nous pouvons confirmer que lorsque les masses prennent le contrôle d’une ville ou d’un pays, elles semblent toujours frappées d’une crainte superstitieuse des banques et des banquiers. On a tué les rois, les généraux, les évêques , les policiers, les prêtres et les autres représentants des classes privilégiées haïes ; on a dévalisé et incendié les palais, les églises, et même les temples de la science ; mais bien que les révolutions fussent sociales, la vie des banquiers fut respectée, et les magnifiques édifices des banques restèrent intacts. A ma connaissance, jusqu’au moment même de mon arrestation, cette situation a perduré jusqu’à ce jour.

G.- Où cela?

R.‑ En Espagne… Ne le savez‑vous pas ? Puisque vous me le demandez, dites‑moi aussi : ne trouvez‑vous pas cela bien étrange ? Réfléchissez, la police peut‑être ?…. Je ne sais pas, mais votre attention a‑t‑elle été attirée par l’étrange similitude qui existe entre l’Internationale financière et l’Internationale prolétaire. Je dirais que l’une est l’envers de l’autre, et que le revers est la prolétaire, comme étant plus récente que la financière.

G.- Où voyez‑vous une similitude dans des choses aussi opposées ?

R.‑ Objectivement elles sont identiques. Comme je l’ai prouvé, le Komintern dans sa double face, renforcé par le mouvement réformiste et l’ensemble du syndicalisme, provoque l’anarchie dans la production, l’inflation, la pauvreté et le désespoir dans les masses.

Les Finances, essentiellement l’Internationale financière, épaulée consciemment ou inconsciemment par les investisseurs privés, créent les mêmes contradictions, mais en plus grand nombre encore… Maintenant vous pouvez deviner les raisons pour lesquelles Marx a caché les contradictions financières, qui ne pouvaient avoir échappé à son regard pénétrant, si les finances n’avaient eu là un allié dont l’influence ‑ objectivement révolutionnaire ‑ était déjà alors d’une extraordinaire importance.

G.- Une coïncidence inconsciente, mais pas une alliance, qui présuppose l’intelligence, la volonté et l’accord…

R.‑ Quittons cette perspective, si vous le voulez bien. Et passons plutôt maintenant à une analyse subjective des finances, et même plus : examinons quelle sorte de gens sont là personnellement à l’œuvre. L’essence internationale de la monnaie est bien connue. De ce fait, il ressort que l’organisation internationale qui possède l’argent et qui l’accumule, est une organisation cosmopolite. La finance à son apogée ‑ en tant que trouvant en elle-­même son propre but, c’est à dire l’Internationale financière ‑ dénie et ne reconnaît rien de ce qui est national, ni non plus l’Etat ; par conséquent elle est anarchique, et elle serait anarchiste de manière absolue si elle ‑ la négatrice de tout Etat national ‑ n’était pas par nécessité un Etat dans toute son essence fondamentale. L’Etat comme tel n’est que Pouvoir. Et l’argent est exclusivement Pouvoir. Ce super‑Etat communiste, que nous nous sommes efforcés de créer depuis tout un siècle et dont l’esquisse est l’Internationale de Marx, faites‑en l’analyse, et vous verrez quelle est son essence. Le plan de l’Internationale et le prototype que représente l’URSS, c’est aussi le pouvoir pur. La similitude fondamentale entre les deux créations est absolue. C’est quelque chose de fatal et d’inévitable puisque les personnalités des auteurs des deux étaient identiques. Le Financier est tout juste aussi international que le Communiste.

Tous les deux, à l’aide de différents alibis et différents moyens, luttent contre l’Etat national bourgeois et en sont la négation. Le Marxisme le fait afin de le changer en un Etat Communiste , d’où s’en suit que le marxiste doit être un internationaliste.

Le financier renie l’Etat national bourgeois, et sa négation trouve sa fin en elle‑même : il ne se manifeste pas en tant qu’internationaliste, mais comme un anarchiste cosmopolite… C’est son apparence actuelle, mais voyons ce qu’il est réellement et ce qu’il vise à être. Comme vous le voyez, il y a en résidu une claire similitude individuelle entre les Communistes internationa­listes et les Cosmopolites de la finance, et le résultat naturel est une identique similitude entre l’Internationale communiste et l’Internationale financière

G.- C’est subjectivement une similitude de hasard et en contradiction dans l’ objectif, mais l’une est facilement érodée et de peu de signification, et la plus radicale est aussi celle qui a l’existence la plus réelle.

R.‑ Permettez‑moi de ne pas répondre immédiatement, afin de ne pas interrompre la séquence logique du raisonnement… Je cherche seulement à décrypter l’axiome de base : l’argent est pouvoir. L’Argent est aujourd’hui le centre de gravité général. J’espère que vous êtes bien d’accord avec moi ?

G.- Continuez, Rakovsky, je vous prie.

R.‑ Comprendre comment l’Internationale financière est progressivement devenue à notre époque la maîtresse de l’argent, ce talisman magique, devenu pour les gens ce que Dieu et la Nation étaient antérieurement, c’est quelque chose qui excède en intérêt scientifique même l’art de la stratégie révolutionnaire, car c’est également un art et également une révolution. Je vais vous l’expliquer. Les historiographes et les masses, aveuglés par les cris et la pompe de la Révolution Française, le peuple intoxiqué par le fait qu’il avait réussi à prendre le pouvoir du Roi et des classes privilégiées, n’ont pas prêté attention au fait qu’un petit groupe de gens mystérieux, obstinés et insignifiants, avaient pris possession du pouvoir royal réel, pouvoir magique, presque divin, qu’ils obtinrent presque sans s’en douter.

Les masses ne prirent pas garde que ce pouvoir avait été capturé par d’autres, qui très vite les soumirent à un esclavage plus impitoyable que celui où les tenait le Roi, car ce dernier, du fait de ses préjugés religieux et moraux, n’était pas apte à tirer avantage d’un tel pouvoir.

Il advint donc que le Pouvoir Royal suprême échut à des gens dont les caractères moraux, intellectuels et cosmopolites leur permirent cette fois d’en faire usage. Il est clair que ces gens‑là n’avaient jamais été chrétiens, mais étaient des cosmopolites.

G.- Mais qu’est ce que cela a à faire avec le pouvoir mythique qu’ils avaient acquis ?

R.‑ Ils avaient obtenu pour eux le réel privilège de battre monnaie… Ne souriez pas, autrement je devrais en conclure que vous ne savez pas ce que sont les monnaies… Je vous demande de vous mettre à ma place. Ma situation est celle de l’assistant d’un docteur qui aurait à expliquer la bactériologie à un médecin ressuscité, formé à l’époque d’avant Pasteur. Mais je peux m’expliquer votre manque de connaissances et vous en excuser. Le langage fait usage de termes qui provoquent des idées erronées sur les choses et les actes, ceci à cause de la puissance d’inertie de la pensée, et qui ne correspondent pas à des conceptions  réelles et exactes. Ainsi de la monnaie. Il est clair que dans votre imagination apparaissent immédiatement à ce mot des images de monnaie réelle en métal et en papier. Mais la monnaie ce n’est pas cela; l’argent ce n’est plus cela dorénavant. Les pièces en circulation c’est un pur anachronisme. S’il en existe encore et si elles circulent, c’est seulement par atavisme, uniquement parce que cela convient pour le maintien d’ une illusion, à l’heure actuelle, d’une pure fiction.

 G.- Voilà un paradoxe brillant, osé et même poétique…

R.- Si vous le voulez, c’est peut‑être brillant, mais ce n’est pas un paradoxe. Je sais bien, et c’est la cause de votre sourire, que les Etats frappent encore de la monnaie, des pièces de métal, et impriment des billets avec des bustes royaux ou des emblèmes nationaux. Bien, et alors ?.. Une grande partie de la monnaie en circulation, l’argent des grandes affaires ou comme représentant de la richesse nationale, l’argent, oui, l’argent, était dorénavant émis par le petit groupe de personnes que j’ai évoqué.

Des titres, des valeurs, des chèques, des traites , des billets à ordre, des lettres de change, des escomptes, des cotations et des chiffres sans fin inondèrent les Etats comme une cataracte. Que représentaient dès lors, par rapport à tout cela, les monnaies métalliques et de papier ?

… Quelque chose de négligeable , une sorte de minimum face à l’inondation croissante de la monnaie financière qui envahissait tout. En plus de l’immense variété de formes des monnaies financières, ils créèrent la monnaie‑crédit, avec l’intention d’en rendre le volume quasiment infini. Et de lui donner la vitesse du son… ce n’est plus qu’ une abstraction, un être de pensée, un chiffre, un nombre ; le crédit, la foi…

Commencez‑vous déjà à saisir ?… La fraude, la fausse monnaie jouissant d’un statut légal… pour utiliser une autre terminologie afin de mieux me faire comprendre. Les banques, les bourses des valeurs, et l’ensemble du système financier mondial, c’est une gigantesque machine destinée à produire artificiellement des scandales, selon l’expression d’Aristote. Forcer l’argent à produire de l’argent, si c’est un crime en matière économique, est aussi quelque chose qui, en ce qui a trait aux financiers, relève du code criminel, car c’est de l’usure. J’ignore quels sont les arguments par lesquels on essaie de justifier tout cela ; sans doute par la proposition qu’ils reçoivent un intérêt légal… Mais même en l’admettant, et l’admettre dépasse ce qui est nécessaire ici, nous voyons que l’usure existe encore, car même si l’intérêt reçu est légal, alors celui‑ci invente et falsifie un capital inexistant. Les banques ont toujours, sous forme de dépôts ou d’en-cours productifs, une quantité d’ argent qui est dix fois – voire même cent fois­ – supérieure à l’argent qui existe physiquement sous forme de pièces et de billets de banque. Et je ne parle pas des cas où la monnaie‑crédit, c’est à dire la fausse monnaie1, la monnaie fabriquée, est supérieure au capital en dépôt.

Compte tenu que l’intérêt légal est fixé, non pas sur le capital réel, mais sur un capital virtuel, l’intérêt en question est en réalité illégal, en proportion du nombre de fois que le capital fictif dépasse le capital réel. Il faut garder à l’esprit que le système que je vous décris là en détail n’est encore que l’un des plus innocents parmi ceux qui sont utilisés pour la fabrication de fausse monnaie. Imaginez, si vous le pouvez, un petit groupe de gens ayant un pouvoir illimité par la possession de la richesse réelle, et vous verrez qu’ils sont les dictateurs absolus des bourses de valeurs, avec comme résultat qu’ils sont alors aussi les dictateurs de la production et de la distribution, et aussi du travail et de la consommation. Si votre imagination en est capable, multipliez alors ceci par le facteur global, et vous verrez son influence anarchique, morale et sociale, c’est à dire son influence révolutionnaire… Comprenez‑vous ?

G.- Non, toujours pas !

R. ‑ Manifestement, il est très difficile de comprendre les miracles.

G.- Comment le miracle ?

R. ‑ Oui, le miracle. N’est‑ce pas un miracle qu’un banc de bois ait été transformé en un temple ? Et pourtant, un tel miracle a été vu par les gens mille fois, et ils n’ont pas cillé une seule fois en un siècle. Car c’était bien un miracle extraordinaire de voir que les bancs où s’asseyaient de gras usuriers pour faire leurs opérations de change sur les monnaies, se transformaient dorénavant en temples, qui s’élèvent magnifiques dans tous les coins des grandes cités contemporaines, avec leurs colonnades païennes, et où affluent les foules avec une foi qui ne leur vient pas des divinités célestes, pour y faire assidûment le dépôt de tout ce qu’elles possèdent de leurs biens au dieu de l’Argent qui, -l’imaginent‑elles sans doute‑, doit vivre dans les coffres blindés des banquiers, et qui est pré-ordonné de par sa divine mission à accroître la richesse jusqu’à un infini métaphysique.

G.- C’est la nouvelle religion de la bourgeoisie décadente .

R.‑ Religion oui, c’est la religion de la puissance.

G.- Vous semblez être le poète de l’économie !…

R.‑ Oui, si vous le voulez, car pour donner une image de la finance comme d’une œuvre d’art qui, de la manière la plus évidente, est une œuvre de génie et la plus révolutionnaire de tous les temps, il faut en effet la poésie.

G.- C’est une vue erronée : car les Finances, comme l’a défini Marx et plus particulièrement Engels, sont déterminées par le système de production capitaliste.

R.‑ C’est exact, mais c’est l’inverse: c’est le système capitaliste de production qui est déterminé par la finance. Le fait qu’Engels dise le contraire et essaie même de le prouver, est en soi la preuve la plus patente que ce sont les finances qui dirigent la production bourgeoise. D’où aussi le fait, et il en était ainsi avant Marx et Engels , que les finances furent le plus puissant agent de la révolution et que le Komintern n’était qu’un jouet entre leurs mains. Mais ni Marx, ni Engels ne vont le dévoiler ou l’expliquer. Bien au contraire, faisant appel à tous leurs talents de savants, ils allaient camoufler cette vérité une deuxième fois, dans l’intérêt de la Révolution. Et cela, ils le firent tous les deux.

G.- Voilà qui n’est pas nouveau . Tout cela me rappelle ce que Trotsky avait écrit il y a une dizaine d’années.

R.‑ Dites…

G.- Quant il dit que le Komintern est une organisation conservatrice par rapport à la bourse de New‑York, il désigne les grands banquiers comme étant les inventeurs de la révolution.

R.- Oui en effet, il le dit dans un opuscule où il prédit l’effondrement de l’Angleterre… Il le déclare, en posant la question « Qui pousse l’Angleterre sur la voie de la révolution ? »… Et voici sa réponse: » Non pas Moscou, mais New-York. « 

G.- Mais rappelez‑vous aussi son affirmation que, si les financiers de New‑York avaient forgé la révolution, ils l’avaient fait inconsciemment .

R.- L’explication que je vous ai donnée pour vous faire comprendre pourquoi Marx et Engels avaient camouflé la vérité, est également applicable à Léon Trotsky.

G.- Je n’apprécie dans Trotsky que le fait qu’ il ait interprété en quelque sorte sous une forme littéraire un fait qui, en tant que tel, n’était que trop bien connu et qu’on a déjà noté .

Trotsky lui‑méme souligne de manière tout à fait correcte que ces banquiers  » accomplissent irrésistiblement et inconsciemment leur mission révolutionnaire « .

R.- Et ils l’accomplissent, cette mission, en dépit du fait que Trotsky l’a déclaré ? Voilà qui est bien étrange ! Pourquoi alors ne corrigent‑ils pas leurs actions ?

G.- Les financiers sont des révolutionnaires inconscients, car ils ne le sont que de manière objective, ceci résultant de leur incapacité intellectuelle à en voir les conséquences finales.

R.- Vous croyez cela sincèrement ? Vous pensez que parmi ces véritables génies, il y en a qui sont inconscients ? Vous considérez comme des idiots ces gens à qui le monde entier aujourd’hui est soumis ? Voilà qui serait vraiment une contradiction bien stupide.

G.- Mais que prétendez‑vous ?

R.- J’affirme tout simplement qu’ils sont révolutionnaires objectivement et subjectivement, de manière tout à fait consciente.

G.- Quoi, les banquiers ? Vous êtes fou !

R.- Moi, non… Et vous ? Réfléchissez un peu… Ces gens là sont comme vous et moi. La situation qui les rend maîtres des monnaies en quantités illimitées, puisqu’ils les créent par eux‑mêmes, ne nous permet pas de fixer leur limite à leurs ambitions…. S’il y a quelque chose qui satisfasse pleinement l’homme, c’est bien de satisfaire son ambition, et par dessus tout de satisfaire sa volonté de puissance. Pourquoi donc ces gens là, les banquiers, n’auraient‑ils pas la soif du pouvoir, du pouvoir total ? Exactement comme vous ou moi pouvons l’avoir ?

G.- Mais si selon vous, et je le pense aussi, ils possèdent déjà le pouvoir politique global, quel autre pouvoir veulent‑ils donc posséder ?

R.‑ Je vous l’ai déjà dit: le pouvoir absolu. Le même pouvoir que Staline a dans l’URSS, mais dans le monde entier.

G.-Le même pouvoir que Staline, mais alors dans un objectif opposé.

R.- Le Pouvoir, lorsqu’il est réellement absolu, ne peut qu’être unique. L’idée de l’absolu exclut la multiplicité.

C’est la raison pour laquelle le pouvoir pousuivi par le Komintern et le « Kapintern », qui sont des choses du même ordre, étant absolu, doit en politique également être unique et identique : le pouvoir absolu est à lui­-même sa propre fin, autrement il ne serait pas absolu. Et jusqu’à présent, on n’a pas encore inventé d’autre machine de pouvoir total que l’Etat Communiste. Le pouvoir bourgeois capitaliste, même à l’échelon le plus élevé, le pouvoir d’un César, reste un pouvoir limité ; car s’il était en théorie la personnification de la divinité dans les Pharaons et dans les Césars de l’Antiquité, du fait des conditions économiques d’alors et du sous‑développement de l’appareil d’Etat, il y avait cependant toujours place pour la liberté individuelle. Comprenez‑vous alors que ceux qui dominent en partie les nations et les gouvernements du monde actuel puissent avoir des prétentions à une domination absolue ? Comprenez bien que c’est la seule chose qu’il leur reste à obtenir…

G.- Voilà qui est intéressant, au moins comme exemple de folie.

R.- Certainement, mais folie à un bien moindre degré que celle de Lénine qui rêvait d’asseoir son pouvoir sur le monde entier depuis sa mansarde en Suisse, ou celle de Staline rêvant à la même chose durant son exil dans une cabane en Sibérie. Il me semble que des rêves d’une telle ambition sont beaucoup plus naturels de la part d’hommes d’argent vivant dans les gratte‑ciels de New ‑York.

G.- Alors concluez, qui sont‑ils ?

R.- Etes vous assez naïf pour penser que si je savais qui  » ILS » sont, je serais ici prisonnier ?

G.- Pourquoi ?

R.- Pour la raison bien simple que celui qui est de leur cercle ne serait pas dans une situation l’obligeant à leur rendre des comptes… C’est une règle élémentaire de toute conspiration intelligente, que vous devez bien comprendre .

G.- Mais vous avez dit qu’ils sont les banquiers ?

R.- Non, je ne l’ai pas dit. J’ai toujours parlé de l’Internationale de la Finance, et quand il s’est agi de parler des individus, j’ai utilisé le terme  » ILS », sans plus.

Si vous voulez que je vous informe franchement, alors je vous citerai des faits, mais aucun nom, parce que je les ignore…

Je ne pense pas me tromper en vous disant qu’aucun d’EUX n’est une personne occupant un poste politique ou une position dans la banque mondiale. Comme je l’ai compris après l’assassinat de Rathenau à Rapallo, ceux à qui « ILS » donnent les positions éminentes de la politique et des finances ne sont que des intermédiaires. Evidemment, il s’agit de personnes de toute confiance et loyales, qui donnent mille garanties. On peut donc affirmer que banquiers et politiciens ne sont que des hommes de paille… cela malgré le fait qu’ils occupent de très hauts postes et qu’ils apparaissent comme étant les auteurs des plans qui sont menés.

G.- Certes, tout cela est compréhensible et logique, mais lorsque vous déclarez ne pas les connaître, n’est‑ce pas une esquive ? Comme il m’en semble, et selon les informations que je possède, vous avez occupé un poste suffisamment haut dans la conspiration pour en avoir su bien davantage encore. Et vous n’en connaissez pas un seul personnellement ?

R.- C’est exact, mais vous ne me croyez pas. J’en étais venu au moment de vous expliquer que je parlais d’une personne et de personnes, avec une personnalité… comment dirais‑je… mystique peut‑être, comme Gandhi ou quelque chose comme cela, mais sans signes extérieurs. Des mystiques du pur pouvoir, qui se sont libérés de toutes les préoccupations vulgaires et frivoles. Je ne sais pas si vous me comprenez ? Eh bien, quant à leurs lieux de résidence et à leurs noms, je les ignore… Imaginez Staline actuellement, dirigeant réellement l’URSS, mais qui ne serait pas entouré de murailles, qui n’aurait pas de personnel autour de lui, et qui aurait pour sa vie les mêmes garanties que n’importe quel autre citoyen. Par quels moyens pourrait‑il se protéger contre les attentats à sa vie ? Il reste avant tout un conspirateur, et quelle que soit l’importance de son pouvoir, il est anonyme.

G.‑ Tout ce que vous me dites est logique, mais je ne vous crois pas.

R.- Mais si, croyez moi ! Je ne sais rien. Si je savais, comme je serais heureux ! Je ne serais pas ici à défendre ma vie.

Je comprends bien vos doutes et le fait que par suite de votre éducation policière, vous ressentiez le besoin de connaître des noms .

Pour vous honorer et aussi parce que c’est essentiel pour l’objectif que nous nous sommes mutuellement fixés, je ferai tout mon possible pour vous informer. Vous savez que, selon l’histoire non écrite et connue seulement de nous, le fondateur de la première Internationale Communiste est donné ‑ secrètement bien sûr – comme étant Weishaupt. Vous vous souvenez de son nom ? Il fut le chef de la Maçonnerie connue sous le nom des Illuminati ; il avait emprunté ce nom à la deuxième conspiration anti‑chrétienne de notre ère, le gnosticisme. Cet important révolutionnaire, sémite et ancien jésuite, prévoyant le triomphe de la Révolution française, décida , ou peut‑être reçut l’ordre (certains mentionnent comme son chef le grand philosophe Mendelssohn) de fonder une organisation secrète qui devait provoquer et pousser la Révolution Française à aller bien au delà de ses objectifs politiques, dans le but de la transformer en une révolution sociale pour établir le Communisme. Dans ces temps héroïques, il était extrêmement dangereux de mentionner le Communisme comme objectif ; de là dérivent les diverses précautions et le secret qui entourèrent les Illuminati. Il fallut plus de cent ans avant que quelqu’un pût avouer être communiste sans danger d’être mis en prison ou exécuté. On sait plus ou moins tout cela.

Ce qui est moins connu, ce sont les relations de Weishaupt et de ses successeurs avec les premiers des Rothschilds. Le secret de l’enrichissement des plus célèbres des banquiers pourrait bien s’expliquer par le fait qu’ils étaient les trésoriers de ce premier Komintern. On a les preuves que, lorsque les cinq frères se répartirent sur les cinq principales provinces de l’Empire financier de l’Europe, ils furent aidés en secret par les énormes montants de ces réserves; il est fort possible qu’ils aient été les premiers communistes sortis des catacombes bavaroises, se répandant alors déjà sur toute l’Europe. Mais d’autres disent, et selon moi avec de meilleures raisons, que les Rothschilds n’étaient pas les trésoriers, mais les chefs de ce premier Communisme secret.

Cette opinion repose sur le fait bien connu que Marx et les plus hauts dirigeants de la lère Internationale, ‑ alors déjà l’Internationale avouée et publique ‑ et parmi eux Herzen et Heine, étaient sous la direction du Baron Lionel de Rotschild, dont le portrait comme révolutionnaire a été dépeint par Disraeli2. Disraeli3 le premier Ministre britannique, qui était sa créature, nous en a laissé le portrait. Il l’a décrit sous les traits du personnage de Sidonia, un homme qui, d’après le roman, était à la fois multi‑millionnaire, possédait et dirigeait les espions, les carbonari, les franc‑maçons, les juifs secrets, les gitans, les révolutionnaires, etc, etc… Tout cela semble fantastique , mais il a été prouvé que Sidonia est bien le portrait idéalisé du fils de Nathan de Rothschild, ce que l’on peut également déduire de la campagne qu’il mena contre le Tsar Nicolas en faveur de Herzen. Cette campagne, il la gagna. Si tout ce que l’on peut deviner à la lumière de ces faits est vrai, alors je pense que nous pourrons en induire qui a inventé cette terrible machine de l’accumulation et de l’anarchie qu’est l’Internationale de la Finance. Et qu’en même temps, comme je le pense, ce pourrait bien être la même personne qui aurait créé l’Internationale révolutionnaire . Ce fut une action de génie. Créer à l’aide de l’accumulation capitaliste au plus haut degré, ce qui pousse le prolétariat aux grèves, à semer le désespoir, et en même temps à créer des organisations destinées à unir les prolétaires en vue de les mener à la révolution. Voilà bien écrire le chapitre le plus majestueux de l’Histoire ! Mieux encore, rappelez‑vous cette phrase de la mère des cinq frères Rothschild:  » Si mes fils le veulent, alors il n’y aura plus de guerres« . Cela veut dire qu’ils étaient les arbitres, les maîtres de la paix et de la guerre, sans être empereurs. Pouvez‑vous vous représenter un fait d’une telle importance universelle ?

La guerre n’est‑elle pas déjà une opération révolutionnaire? La guerre ‑ la Commune . Depuis cette époque, chaque guerre a été un pas de géant en direction du Communisme. Comme si une force mystérieuse accomplissait le voeu passionné de Lénine, qu’il avait exprimé à Gorki. Souvenez‑vous:  « 1905‑1914 ». Admettez au moins que deux des trois leviers du pouvoir qui mènent au Communisme ne sont pas aux mains du prolétariat, et ne peuvent pas l’être. Les guerres n’étaient ni provoquées ni dirigées par la IIIème Internationale, ni par l’URSS qui n’existait pas encore. Elles ne pouvaient pas non plus avoir été provoquées et moins encore dirigées par les petits groupes de bolchevistes qui allaient et venaient dans les milieux de l’émigration, même si eux voulaient la guerre. C’est tout à fait évident. L’Internationale et l’URSS ont encore moins les moyens de réaliser ces immenses accumulations de capital, et aussi de créer une anarchie nationale et internationale dans la production capitaliste, capable de pousser impérieusement le peuple à incendier d’énormes quantités de produits alimentaires plutôt que de les donner à ceux qui ont faim, et capable aussi de ce que Rathenau a décrit dans l’un de ses mots :  » faire en sorte que la moitié du monde fabrique de la m… et que l’autre moitié l’utilise »… Et surtout, le prolétariat peut‑il dire que qu’il est cause de cette inflation qui se développe en progression géométrique, de cette dévaluation, de la constante acquisition de surplus de valeurs, et de l’accumulation du capital financier même non usuraire, alors que, de ce simple fait, il se produit une prolétarisation des classes moyennes, puisqu’elles ne peuvent empêcher la baisse constante de leur pouvoir d’achat, elles qui sont les véritables opposants à la révolution.

Le prolétariat ne contrôle ni le levier de l’économie, ni le levier de la guerre. Mais il est par lui‑même le troisième levier, celui de la révolution, le seul levier visible et démontrable, celui qui donne le coup de grâce au pouvoir de l’Etat capitaliste et s’en empare. Oui, celui-là le peuple le saisit, mais seulement s’ ILS le lui donnent.

G.- Je répète une fois encore que tout cela, tout ce que vous avez exposé sous une forme si littéraire, a un nom que nous avons déjà énoncé mille fois dans cette conversation sans fin : ce sont les contradictions naturelles du Capitalisme, et si comme vous le prétendez, il y a en plus la volonté et l’activité de quelqu’ autre facteur que le prolétariat, alors je veux que vous me citiez concrètement un exemple de personnes.

R.- Un seul vous suffit ? Eh bien, alors, écoutez une petite histoire. « ILS » isolèrent diplomatiquement le Tsar, en vue de la guerre Russo‑japonaise, et les Etats‑Unis financèrent alors le Japon. Pour mettre les points sur les i, ce fut l’oeuvre de Jacob Schiff, le directeur de la banque de Kuhn, Loeb and Co, quisuccéda à la Maison Rothschild, dont Schiff provenait au départ. Son pouvoir était tel qu’il obtint que les Etats qui avaient des possessions coloniales en Asie soutinssent la création de l’Empire Japonais, alors que celui‑ci tendait à la xénophobie ; et l’Europe sent déjà les effets de la xénophobie anti‑blanche. Ce fut alors des camps de prisonniers de guerre qu’arrivèrent à Petrograd les meilleurs combattants, désormais entraînés comme agents révolutionnaires; ils y furent envoyés à partir d’Amérique, avec l’accord du Japon, accord obtenu par les personnes qui avaient financé ce pays. Grâce à la défaite organisée de l’Armée du Tsar, la guerre Russo‑japonaise amena la révolution de 1905, laquelle, bien que prématurée, faillit réussir; et même si elle ne fut pas victorieuse, il reste qu’elle créa les conditions politiques requises pour la victoire de 1917.

Mais je dirai plus. Avez‑vous lu la biographie de Trotsky ? Rappelez‑vous sa première période révolutionnaire . C’est encore un tout jeune homme; après son évasion de Sibérie, il vécut quelque temps parmi les émigrés, à Londres, à Paris et en Suisse. Lénine, Plekhanov, Martov et d’autres leaders le considèrent alors simplement comme une nouvelle recrue pleine de promesses. Mais déjà lors de la première scission, il ose se comporter avec indépendance en essayant de devenir l’arbitre de la réunification. En 1905, il a vingt‑cinq ans ; et il retourne en Russie, seul, sans parti à lui, et sans organisation propre.

Lisez donc les relations de la révolution de 1905 qui n’ont pas été « expurgées » par Lénine, parexemple celle de Lunatcharsky, qui n’était pas trotskiste. Trotsky est le personnage principal à Petrograd durant la révolution. Voilà ce que fut la réalité . Lui seul émerge de la révolution avec une popularité et une influence grandissante. Ni Lénine, ni Martov, ni Plekhanov n’acquièrent de popularité. Ils ne font que garder l’audience qu’ils avaient, et en perdent même un peu. Comment et pourquoi s’élève alors Trotsky l’inconnu, gagnant d’un coup un pouvoir plus grand que celui des révolutionnaires les plus anciens et les plus influents ? C’est très simple : il se marie. Avec lui arrive en Russie sa femme, Sedova. Savez‑vous qui c’est ? Elle est alliée aux Jivotovski, qui sont eux­-mêmes liés aux banquiers Warburg, associés et parents de Jacob Schiff, c’est à dire du groupe financier qui, comme je viens de le dire, avait aussi financé la révolution de 1905. Voilà la raison pour laquelle Trotsky s’élève d’un coup  au sommet de la hiérarchie révolutionnaire. Et c’est là aussi que vous trouvez la clef de sa vraie personnalité . Sautons maintenant à 1914. Derrière ceux qui firent l’attentat contre l’Archiduc, il y a Trotsky, et vous savez que cet attentat provoqua la guerre européenne. Croyez­-vous réellement que l’assassinat en question et la guerre ne furent que de simples coïncidences… comme le déclara Lord Melchett à l’un des Congrès sionistes ? Etudiez à la lumière de « l’absence de hasard » le développement des actions militaires de la Russie. Le « défaitisme  » est le terme qui s’impose. L’aide des Alliés au Tsar a été administrée et réglée si habilement qu’elle donna aux ambassadeurs alliés le droit d’en tirer argument pour obtenir de Nicolas II, et grâce à sa stupidité, des offensives suicidaires, lancées l’une après l’autre. La masse de chair à canon du peuple russe était immense, mais pas inépuisable. Une série de défaites organisées amena la révolution. Quand la menace apparut de tous côtés, on découvrit le remède dans l’établissement d’une république démocratique, une « république ambassadrice » comme l’appela Lénine, ce qui signifiait l’élimination de toute menace pour les révolutionnaires. Mais ce ne fut pas encore tout. Kérensky devait provoquer la future attaque au prix d’une énorme saignée. Il la provoque, afin que la révolution démocratique déborde bien au delà de ses bornes.

Et ce n’est toujours pas tout : il fallait que Kérensky livre l’Etat totalement au Communisme, et il le fait . Trotsky a la chance, et d’une manière « non remarquée », d’occuper tout l’appareil d’Etat. Quel étrange aveuglement !.. Eh bien, telle fut la réalité de la Révolution d’octobre si vantée. Les Bolcheviques s’emparèrent de ce qu’ILS leur ont donné4.

G.- Vous allez jusqu’à dire que Kérensky était un collaborateur de Lénine ?

R.- De Lénine, non ; de Trotsky, oui. Ou plutôt, il est plus exact de dire un collaborateurs d’EUX .

G.‑ Mais c’est absurde!

R.- Décidément vous ne pouvez pas comprendre… Vous pourtant… Cela me surprend néanmoins. Si vous étiez un simple espion et que, cachant votre identité, vous obteniez le poste de commandant de la citadelle ennemie, est‑ce que vous ne feriez pas ouvrir les portes aux attaquants au service desquels vous êtes en réalité ? Et vous n’auriez pas été fait prisonnier après avoir été défait ? Mais n’auriez-­vous pas été en grand danger de mort pendant l’attaque de la citadelle, si l’un des attaquants, ignorant que votre uniforme n’était qu’un masque, vous avait pris pour un ennemi? Croyez‑moi, en dépit des statues et du Mausolée, le Communisme doit davantage à Kérensky, qu’à Lénine.

G.- Voulez-vous dire que Kérensky a été délibérément et consciemment un défaitiste ?

R.- Certainement; pour moi c’est parfaitement clair . Comprenez bien que j’ai pris part personnellement à tout cela. Mais je vous dirai plus encore. Savez‑vous qui finança la révolution d’Octobre ? C’est EUX qui la financèrent, en particulier à travers les mêmes banquiers qui avaient financé le Japon en 1905, à savoir Jacob Schiff et les frères Warburg ; c’est à dire, au travers de la grande constellation bancaire, par l’une des cinq banques qui sont membres de la Réserve Fédérale, la banque de Kuhn, Loeb & Co. Mais y prirent part également d’autres banquiers américains et européens : Guggenheim, Hanauer, Breitung , Aschberg , la « Nya Banken » de Stockholm.

J’était justement là à Stockholm, « par hasard », et j’ai participé au transfert des fonds . Jusqu’à l’arrivée de Trotsky, j’étais la seule personne qui servait d’intermédiaire du côté des révolutionnaires. Mais finalement Trotsky vint; il me faut souligner le fait que les Alliés l’avaient fait expulser de France comme étant un défaitiste. Et les mêmes Alliés l’ont relâché pour qu’il puisse devenir un défaitiste en Russie, leur alliée…  » un autre hasard  » ! Qui arrangea cela ? Les mêmes qui avaient réussi à faire transiter Lénine à travers l’Allemagne. Oui , ILS avaient pu faire sortir le défaitiste Trotsky d’un camp d’internement au Canada pour le faire passer en Angleterre et l’envoyer en Russie, en lui donnant la chance de passer à travers tous les contrôles des Alliés ; et d’autres, qui étaient également des LEURS ‑ spécialement un certain Rathenau ‑ organisent le voyage de Lénine à travers l’Allemagne ennemie. Si vous entreprenez d’étudier l’histoire de la révolution et de la guerre civile sans préjugés, et si vous faites usage des capacités d’investigation que vous savez appliquer à des choses bien moins importantes, alors, en étudiant les éléments d’information dans leur totalité et si vous examinez aussi les petits détails jusqu’aux événements anecdotiques, vous vous trouverez en présence de toute une série d’étonnants  » hasards « .

G.‑ D’accord . Acceptons l’hypothèse que tout ne fut pas simple affaire de chance. Quelle déductions en tirez‑vous pratiquement comme résultat ?

R.- Permettez‑moi de finir cette petite histoire ; ensuite nous en arriverons tous deux aux conclusions. Dès son arrivée à Petrograd, Trotsky fut publiquement reçu par Lénine. Or comme vous le savez, entre les deux révolutions il y avait eu de graves divergences entre eux. Là tout est oublié, et Trostky émerge comme le maître de son affaire en ce qui concerne le triomphe de la révolution, que cela plaise ou non à Staline. Pourquoi cela? Ce secret est connu de la femme de Lénine, Krupskaïa. Elle sait qui est en réalité Trotsky ; c’est elle qui persuada Lénine de recevoir Trotsky . S’il ne l’avait pas reçu, Lénine serait resté bloqué en Suisse; cela seul lui était une raison sérieuse.

Mais en plus, il savait que Trotsky fournissait l’argent et aidait à obtenir une aide internationale colossale : la preuve en était le train plombé qui l’avait amené. En outre, l’unification de toute l’aile gauche du camp révolutionnaire, des Sociaux‑révolutionnaires et des Anarchistes autour du Parti insignifiant des Bolcheviques était l’oeuvre de Trotsky, et non de la détermination inflexible de Lénine. Ce n’était pas pour rien que le parti réel du sans‑parti Trotsky était l’ancien Bund du prolétariat juif : non pas le Bund officiel bien connu mais le Bund secret qui avait infiltré toutes les factions socialistes, et dont les leaders étaient sous sa direction.

G.- Et Kérensky aussi alors ?

R.- Kérensky également… et aussi certains des autres leaders qui n’étaient pas socialistes, les leaders des groupes politiques bourgeois

G.- Comment cela se fait‑il ?

R.- Oubliez‑vous le rôle de la Franc‑maçonnerie dans la première phase de la révolution démocratique bourgeoise ?

G ‑ Etaient‑ils aussi sous le contrôle du Bund ?

R.- Bien entendu, comme intermédiaire immédiat , mais en fait aussi sous LEUR direction à » EUX ».

G.- En dépit alors de la montée du Marxisme qui menaçait leurs vies et leurs privilèges ?

R.- Oui en dépit de tout cela ; car à l’évidence ils ne voyaient pas le danger. Ayez à l’esprit que tout maçon voyait et espérait dans son imagination bien plus que ce que la réalité offrait, parce qu’il imaginait ce qui lui serait profitable.

Comme preuve de la puissance politique de cette organisation, ils voyaient que les maçons étaient dans les gouvernements et au sommet des Etats des nations bourgeoises, cependant que leur nombre croissait constamment. Réfléchissez qu’à la même époque, les dirigeants des nations Alliées étaient franc‑maçons, sauf de rares exceptions. Pour eux, c’était un argument d’une très grande force. Ils croyaient tout à fait que la révolution s’arrêterait au stade de la république bourgeoise du type français.

G.- D’après la description que l’on a donnée de la Russie de 1917 , il fallait être très naïf pour croire tout cela.

R.- Ils l’étaient en effet et le sont toujours . Les maçons n’avaient rien appris de la première leçon que fut pour eux la Grande Révolution (de 1789 ) dans laquelle ils jouèrent un rôle révolutionnaire colossal. Elle dévora pourtant la majorité des maçons, à commencer par le Grand Maître Philippe d’Orléans,  pour se poursuivre en détruisant les Girondins, puis les Hébertistes, les Jacobins, etc… et s’il en survécut quelques uns, ce fut grâce au mois de Brumaire.

G.- Voulez‑vous dire que les Franc‑Maçons doivent périr des mains de la Révolution qu’ils amènent et à laquelle ils coopèrent ?

R.- Très exactement ! Vous venez de prononcer une vérité, qui est voilée par un grand secret… Je suis maçon, vous le saviez, n’est‑ce pas ? Eh bien je vais vous révéler ce grand secret qu’ils promettent de révéler aux maçons des plus hauts grades, mais qui ne le leur est jamais dévoilé, ni au 25ème degré, ni au 33ème, ni au 93ème, ni à aucun autre degré plus élevé d’aucun rituel . Il est clair que si je le connais, ce n’est pas en tant que franc‑maçon, mais comme quelqu’un qui est des LEURS …

G.- Et de quoi s’agit‑il ?

R.- Chaque organisation maçonnique s’efforce d’arriver à créer les conditions nécessaires au triomphe de la révolution communiste; c’est le but évident de la Franc‑Maçonnerie; il est clair que tout cela s’ effectue sous divers alibis ; mais ils se cachent toujours derrière leur triple slogan*. Vous comprenez? Mais comme la révolution communiste a pour objectif la liquidation en tant que classe de la totalité de la Bourgeoisie, la destruction physique de tous les chefs politiques bourgeois, il s’ensuit que le vrai secret de la Franc‑Maçonnerie est le suicide… de la Franc‑Maçonnerie en tant qu’organisation, et le suicide physique de tous les maçons importants ! Vous pouvez bien comprendre qu’une telle fin, que chaque maçon contribue à préparer, exige le secret absolu, avec le décorum et toute une série d’autres secrets qui visent à masquer celui‑là, le vrai secret.

Si un jour il vous arrive d’assister à une future révolution, ne manquez pas l’occasion d’observer les manifestations de surprise et l’expression de stupidité qui paraît sur la figure de certains franc‑maçons lorsqu’ils réalisent soudain qu’ils doivent mourir des mains des révolutionnaires. Comme il hurle alors , et veut que l’on reconnaisse les services qu’il a rendus à la révolution ! C’est une vision devant laquelle on peut mourir… mais de rire.


1 Les manuels d’économie ont depuis officialisé et avalisé ce que dit Rakovski. La formule « les dépôts font les crédits » (c’est-à-dire que le prêt bancaire est basé sur l’argent des déposants), en usage avant 1950, est devenue depuis « les crédits font les dépôts » (c’est-à-dire que l’acte de prêt se traduit par une entrée sur le compte de l’emprunteur). Mais on n’attire pas l’attention des étudiants (à la différence de Maurice Allais, ce qui a longtemps retardé son Prix Nobel) sur l’appropriation par les banques de l’intérêt sur la monnaie créée  ex-nihilo.

2 Dans son roman à Clef Coningsby en 1844 (Ndt).

3 Benjamin Disraeli, comte de Beaconsfield (1804-1881) fut baptisé à l’âge de 19 ans. D’abord radical, puis élu aux Communes comme tory (en 1837), il devint premier ministre en 1867 et fit alors adopter la réforme électorale qui, en abaissant le cens, doubla le corps électoral anglais. Revenu aux affaires de 1874 à 1880, il s’efforça d’étendre et consolider l’Empire Britannique et fit donner à la Reine Victoria le titre d’impératrice des Indes.

4 Ndlr. En 1917, le parti bolchévique ne comptait que 2000 membres, dispersés dans toute la Russie.

* Liberté , Egalité, Fraternité …

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