La trahison des intellectuels

Par Dominique Tassot

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Résumé : Le Dr Christopher  Bronk Ramsey, directeur du laboratoire de radiocarbone d’Oxford, vient d’admettre devant la BBC que la fameuse datation du Linceul de Turin, en octobre 1988, était peut-être fausse. Or dès 1989 des statisticiens avaient noté que les résultats publiés comme étant ceux d’Oxford n’étaient pas cohérents avec ceux des deux autres laboratoires. Mais le Pr Hall, alors directeur d’Oxford, refusa toute discussion. Ce déni de vérité, suite à des considérations humaines faciles à deviner, est une forme de trahison dont il est trop aisé de trouver bien des exemples. Dans les récents scandales de la médecine, on constate également que rares sont les autorités qui choisissent de démissionner plutôt que de cautionner ; et la justice, prompte à protéger les intérêts matériels, est mal armée contre des forfaitures pourtant plus nocives à la société que le vol ou le meurtre : la pollution des intellects atteint en l’homme l’image de Dieu.

Le restaurateur qui glisse du cyanure dans l’assiette d’un client sur lequel plane un « contrat », risque d’être jugé comme meurtrier ; de même le transporteur qui fait rouler un camion en surcharge engage sa responsabilité pénale. Mais les délits de la pensée jouissent d’une étrange impunité, alors que leurs effets sur la société sont, de par leur nature même, beaucoup plus graves : ce sont les esprits qu’ils empoisonnent, ce qui multiplie les dommages.

Car les idées fausses sont comme la fausse monnaie : produite par des escrocs, puis transmise par les honnêtes gens.

En février dernier, le directeur du laboratoire de radiocarbone d’Oxford déclarait à la BBC que la datation du Linceul de Turin, en 1988, était peut-être fausse. Pour bien mesurer l’importance de cet aveu, il faut se remémorer l’état des esprits il y a vingt ans.

Les résultats des études scientifiques sur le Linceul, notamment celles réalisées à partir de 1976 par les chercheurs américains réunis dans le STURP (Shroud of Turin Research Project), étaient parvenues au grand public.

Toutes ces diverses approches convergeaient à l’appui de l’antiquité et de l’authenticité du Linceul1. La science rejoignait donc la foi, prenant ainsi le contre-pied de la propagande rationaliste et anticléricale qui, depuis plus d’un siècle, fondait son refus de croire sur une prétendue contradiction entre l’érudition universitaire et la Révélation.

Or dès l’annonce des résultats par le coordinateur désigné par le British Museum, le Dr Michael Tite, la presse du monde entier annonçait en fanfare que le Linceul était un faux du Moyen Âge (daté par le radiocarbone entre 1260 et 1390, avec une probabilité de 98 %). Et l’on précisait au besoin que ces 2 % résiduels ne signifiaient pas qu’il restât au Linceul la moindre chance d’être authentique : il s’agissait d’une probabilité minime que la date réelle sortît un peu de la fourchette annoncée, la rigueur scientifique et la nature statistique du résultat obligeant à admettre qu’une date telle que 1397 ou 1253 par exemple restait encore acceptable.

Il faut reconnaître que le choc intellectuel fut rude, tout particulièrement sur les scientifiques chrétiens : Oxford et le British Museum sont des noms qui comptent. Et le qualificatif « d’absolu » attaché aux radio-datations laissait peu de champ pour une contre-attaque : tous savent en effet quelle précision atteignent aujourd’hui les analyses physico-chimiques2.

Une réplique organisée ne put se tenir qu’un an plus tard, avec le Symposium scientifique international qui réunit à Paris, en septembre 1989, la fleur des « sindonologistes » de l’ancien et du nouveau Monde.

Entre temps la cause était entendue : l’Église s’était inclinée3, et la célèbre relique ne semblait plus désormais qu’une « icône vénérable ».

On avait déjà pu remarquer, le premier jour du Symposium, une absence regrettable : celle du Pr Hall, Directeur du  Laboratoire de radiocarbone d’Oxford, le seul ayant accepté d’intervenir (sur les 3 laboratoires ayant fait la datation en parallèle, les deux autres étant Tucson (Arizona) et Zurich). La veille au soir le Pr Hall adressait aux organisateurs un télégramme prétextant d’un conseil d’administration de la General Electric4 pour charger son confrère du British Museum de lire à sa place le résumé de son intervention. Ainsi le Pr Hall ne serait pas là pour répondre aux questions que le Dr van Oosterwyck aurait pu poser et, en l’absence de la statisticienne du British Museum, le Dr Tite pouvait laisser sans suite les objections sur les calculs publiés dans Nature que soulevaient déjà Remy von Haelst et Philippe Bourcier de Carbon.

Mais ce réflexe prudent du Pr Hall, lorsqu’il comprit que le podium d’honneur parisien qu’il avait dû d’abord imaginer pouvait se transformer en fosse aux lions, n’avait pas joué à Pâques 1989, lorsqu’il accepta le modeste prix d’un million de livres sterling offert par une cinquantaine d’industriels pour récompenser celui qui avait soi-disant démontré que le Linceul était un faux médiéval et pour financer à Oxford une chaire d’archéologie scientifique (qui sera confiée….au Pr Tite).

Quand donc le Dr Christopher Bronk Ramsey (qui n’y est pour rien) vient nous dire près de vingt ans plus tard (le prélèvement d’échantillon fut réalisé le 21 avril 1988) que son laboratoire a dû se tromper, nous aimerions que le Pr Hall vînt s’expliquer lui-même. Qu’elle soit perçue ou non, qu’elle soit comprise ou non, il existe une responsabilité des intellectuels envers la vérité.

La question n’est pas qu’on ne puisse pas « mentir tout le temps à tout le monde » (selon le mot d’un Président américain) et que « rien ne soit caché qui ne sera dévoilé un jour » ; la question n’est pas non plus qu’il soit plus facile en ce domaine de se défausser sur autrui (la science est une œuvre collective) ; la question qui se pose plus que jamais est que les intellectuels,  à leur manière, devraient eux aussi pouvoir être jugés, devraient eux aussi pouvoir et savoir reconnaître leurs erreurs et, si possible, les réparer.

Ceux qui, volontairement ou non, par perversité ou par incompétence, ont pollué nos esprits, devraient être tenus pour responsables tout comme les armateurs dont le navire a pollué une côte.

Le Dr Nathanson, aux États-Unis, a tenu à diffuser et à présenter lui-même le film d’un avortement, du jour où il comprit ce que représentait pour le fœtus cette opération banalisée qu’il avait tant de fois pratiquée en aveugle. Bel exemple de réparation : le mal fait ne peut disparaître (le temps est irréversible et c’est là le fondement de notre responsabilité), mais lui succède un bien qui le rachète et peut même le surpasser.

Force est de constater que l’exemple du Dr Nathanson est l’exception qui confirme la règle. Ainsi trois scandales viennent de secouer le monde médical et pharmaceutique : le vaccin contre l’hépatite B, l’hormone de croissance à base d’extraits thyroïdiens et le Zyprexa.

Dans ces trois cas il est clairement documenté que des sommités intellectuelles ont sciemment menti ou cautionné le mensonge. Certes des procès sont en cours et l’on peut espérer que les victimes seront de quelque manière dédommagées. Mais, comme le remarque le Pr Pierre Cornillot, fondateur et ancien doyen de la Faculté de médecine de Bobigny, à propos de l’hépatite B : « Il y a quelque chose de pourri dans le fonctionnement de notre système de santé pour qu’aucun de tous ces grands personnages à tous les niveaux de décision, de contrôle ou d’exécution de cette folle équipée, n’ait pris sur lui de dénoncer ce scandale, de refuser d’y être associé et d’avertir des conséquences redoutables sur la santé des personnes vaccinées.»5  Va-t-on condamner le directeur médical du laboratoire Pasteur-Mérieux, Benoît Soubeyrand, pour la plaquette affirmant « La salive est un important vecteur de la contamination », alors qu’on n’a jamais rapporté un seul cas de contamination transmise par la salive ? Va-t-on interroger le Pr J.F. Girard, alors Directeur général de la Santé, qui « n’a pas hésité à affirmer en 1995 que l’épidémie avait tendance à s’étendre et que cette affection présentait un problème majeur de santé publique ! (cf. Le Généraliste, n° 1643, 1995) alors que l’Inserm et la Surveillance épidémiologique de la Courly montraient que l’on avait douze fois moins de cas d’hépatite B en 1992 qu’en 1978. »5bis                                

Que vaut une société qui juge sévèrement le comptable qui pioche dans la caisse de son entreprise, et qui couvre d’argent et d’honneur le célèbre « Doc », le pédiatre et psychologue Christian Spitz, chargé de « l’information »,  qui, toujours pour faire peur et justifier le lancement de la campagne de vaccination, sillonnait la France  dans un camion Forum en annonçant que quatre milliards d’individus étaient touchés par le virus !5ter

Mammon rôde et l’on veut bien comprendre qu’un enjeu économique important induise une présentation partielle ou biaisée de certains faits. Mais survient inévitablement le jour où se taire équivaut à une trahison. Et les intellectuels ne sont généralement pas prêts à se sacrifier pour la vérité. Avec les notions souvent sommaires qu’ils en ont, eux aussi d’ailleurs  pourraient souvent dire avec Pilate : « qu’est-ce que la vérité ? ». Surtout s’il s’agit, selon la formule du Pr Philippe Decourt, qui l’a payé de sa carrière, de « vérités indésirables ».

Les sciences et la médecine ne sont pas les seuls domaines où le courage intellectuel peut être nécessaire. L’article du Pr Poulle sur Ulysse Chevallier en donne une belle illustration en Histoire. Il a fallu vingt ans pour qu’Oxford admette des torts dans la datation radiocarbone du Linceul de Turin, mais les adversaires de l’authenticité disposent d’un second argument « massue ».

C’est le « mémoire de Pierre d’Arcis », dans lequel cet évêque de Troyes se plaint au Pape que le clergé de Lirey montre au peuple une « peinture » présentée comme le vrai linceul du Christ. Si donc l’évêque dont dépendait Lirey affirme lui-même que le Linceul est une peinture, il n’y a pas à chercher plus loin6 !

Cet argument dialectique puissant a été constamment repris depuis que le chanoine Ulysse Chevallier, en 1900 et 1903, a édité les documents d’époque relatifs à cette affaire. Et depuis 1903 il semble qu’aucun historien n’était allé vérifier sur pièces la valeur de ce travail.

Il aura donc fallu cette fois un siècle pour que la désinformation élaborée par Ulysse Chevallier soit percée à jour, on le verra : le savant chanoine s’est tout bonnement permis de passer sous silence les corrections apposées à Rome même à une bulle pontificale, en donnant pour authentique la version primitive. Cette première version reprenait le mot de la plainte épiscopale à l’encontre « d’une peinture ou d’un tableau (pictura seu tabula) en forme de figure ou de représentation du Linceul qu’on dit avoir été celui du Christ ». La version annotée et corrigée (donc postérieure et définitive) ne parle plus de peinture. La nuance est de taille ! En 1900, lors de sa première publication, Ulysse Chevalier ne disposait que de la première version. Mais en 1903, il avait connaissance de la seconde. Il aurait donc dû la présenter comme telle et ne plus évoquer la première qu’en note, comme une variante. « L’érudit unanimement respecté qu’était jusqu’à présent Ulysse Chevallier, comme l’écrit celui qui recensa l’article du Pr Poulle dans la Revue Internationale du Linceul de Turin, nous apparaît désormais comme un véritable escroc! »*.

De telles paroles ne constituent pas une basse attaque ad hominem contre un savant que l’on n’arrive pas à contredire sur le terrain de la science ; elles ne font que juger à ses propres actes un homme qui s’est servi de l’autorité que lui donnait son érudition et de la confiance que l’on fait d’ordinaire à ses collègues dans les détails de leur travail, pour imposer à une opinion abusée un parti-pris d’autant plus inqualifiable chez un historien qu’il venait de découvrir la pièce authentique qui lui avait manqué. Mais il aurait fallu reconnaître en 1903 qu’on s’était trompé en 1900, donner à ses amis rationalistes l’impression que le chanoine, pour une fois, donnait dans la crédulité populaire…. toutes choses fort difficiles, beaucoup plus difficiles pour un intellectuel, population chez laquelle les satisfactions de la vanité l’emportent sur les séductions de Mammon.

On connaît l’expression de Clovis, entendant saint Remy lui décrire le Christ torturé par ses bourreaux : « Ah ! si j’avais été là, avec mes Francs ! » Ulysse Chevalier s’est trouvé en 1903 devant un cas de conscience crucifiant : d’un côté la vérité historique et la porte ouverte au surnaturel ; de l’autre la certitude d’être la risée des moqueurs et de voir se fermer la porte de plusieurs académiciens et amis influents. Il ne nous appartient pas de le juger au for interne. Le souci de savoir l’Église respectée dans les hauts lieux de la science a, certes, sa valeur. Mais les  considérations humaines devraient s’effacer devant l’honneur de Dieu ; et la vérité comporte un caractère divin : transiger avec elle revient à céder au Père du mensonge, et donc à trahir la cause qu’on s’était proposé de servir.

N’est-ce pas une forme du péché contre l’Esprit, celui qui ne sera pas remis ?


1 Les seules études réalisées par le STURP représentent plus de 150 000 heures de scientifiques hautement qualifiés opérant dans les meilleurs laboratoires (NASA, etc.). Le Linceul de Turin est incontestablement l’objet archéologique le plus et le mieux étudié au monde.

2 On notera au passage que la première publication contestant scientifiquement la radio-datation du Linceul fut un petit livre rédigé par deux membres du CEP à la demande de l’éditeur François-Xavier de Guibert (Le Linceul de Turin face au radio carbone, par Jean-Maurice Clercq et Dominique Tassot, Paris, décembre 1988) : les auteurs pouvaient s’appuyer notamment sur les articles donnés par une agrégée de  chimie  belge, le Dr Marie-Claire Van Oosterwyck-Gastuche au bulletin Les Nouvelles du CESHE .

3 En la personne du cardinal Ballestrero, archevêque de Turin et « custode » du Saint-Suaire. Il lui faudra dix ans pour admettre publiquement qu’il avait été induit en erreur et pour désigner un coupable sous le terme collectif de Franc-Maçonnerie.

4 Vu la taille de ce groupe industriel, on a du mal à croire qu’un « Board of Directors » ait pu être improvisé à la dernière minute !

5 Votre Santé, n° 101, mars 2008, p.3.

5bis Ibid., p.11.

5ter Ibidem.

6 En réalité cet argument est de nulle valeur car l’image mystérieusement portée sur le Linceul n’a rien d’une peinture. C’est comme si l’évêque de Brest, à notre époque, emporté par une polémique contre le commandant de la rade, écrivait que son cuirassé est construit en bois de chêne ! Que vaudra un tel document, fût-il authentique,  devant les historiens de l’an 2500 ? Rien sur le fond, car la critique externe suffit à le démonter ; tout, aux yeux du sophiste qui cherche d’abord à justifier une thèse.

* RILT n°29, juin  2007, p.9.

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