Maurice Allais avait prévu la crise économique (2ème partie)

Par Philippe Bourcier de Carbon (X61)

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Par Philippe Bourcier de Carbon (X61)1

Résumé : Dans Le Cep n° 47, l’auteur avait présenté l’œuvre économique de M. Allais, le seul Prix Nobel français d’Économie, qui a prévu depuis plus de trente ans la situation incontrôlable où mène une bulle de monnaie virtuelle sans lien avec l’économie réelle. Il en vient ici à la critique du mécanisme de création de la monnaie, matière d’un ouvrage publié en 1977 : L’impôt sur le capital et la réforme monétaire. M. Allais n’hésite pas à comparer le système bancaire à une association de faux-monnayeurs, la seule différence étant que les banques rendent par ailleurs des services aux agents économiques. La solution proposée consiste à restituer à l’État son droit « régalien » de battre monnaie, les banques se bornant à prêter l’argent qu’elles possèdent ou qu’elles se procurent auprès de leurs déposants ou auprès d’une institution étatique spécialisée. Une telle réforme, marquée au coin du bon sens, constituerait une véritable révolution, puisqu’elle reviendrait à tarir la source du pouvoir réel agissant dans nos sociétés.

Les conséquences pratiques de l’œuvre économique de Maurice Allais :

Cependant, Maurice Allais n’est pas seulement un puissant théoricien ; loin de se cantonner à ce rôle aseptisé, il a su aussi dégager avec une rigueur tranquille les conséquences politiques et sociales de ses apports à la Science économique.

Mais c’est là le péché capital qui lui vaudra les oppositions les plus sournoises et les plus résolues, et qui aurait bien failli lui coûter un Nobel plusieurs fois mérité.

Accueilli par un silence véritablement obscène – c’est le seul mot qui puisse convenir  –  de la presse française, son grand livre à propos de  L’impôt sur le capital et la réforme monétaire, paru chez  Hermann en 1977 et préfacé par Raymond Aron, expose en 400 pages, rédigées dans une langue accessible aux non initiés, les mécanismes de la création des faux droits de pouvoir d’achat ex nihilo qui résultent de l’organisation du crédit dans nos sociétés dites « démocratiques », instituant en réalité des privilèges formidables, d’autant plus puissants qu’ils sont mieux masqués et totalement ignorés des opinions publiques.

Brisant délibérément toute langue de bois, ce livre capital dissèque dans une première partie les iniquités et les nuisances économiques du système fiscal français, en même temps qu’il énonce les principes de la fiscalité d’une société réellement libre et économiquement efficace, non seulement pour révéler sans concession au grand public, dans une seconde partie, les sophismes sur lesquels reposent les institutions monétaires et financières de nos sociétés, mais aussi pour énoncer avec rigueur les principes de leur assainissement. On peut dire, encore à ce jour, que ce livre n’a pas d’équivalent ; c’est souligner son importance majeure. On saluera aussi le courage déterminé de son auteur en observant que cette publication intervint au moment où le Président de la République et la presse de l’époque s’employaient à convaincre l’opinion publique que la nouvelle taxation des plus-values apportait plus de justice sociale!

Quelques titres et sous-titres extraits de la Table des matières convaincront le lecteur de la nécessité de lire cet ouvrage explosif :

  • principes généraux de la fiscalité d’une société libre (…Principe individualiste,.. de non-discrimination,.. d’impersonnalité,…de neutralité,… de légitimité,…de non-arbitraire,…).
  • incohérence, arbitraire et iniquité de la fiscalité française (La pénalisation des activités créatrices et la non-taxation des revenus non gagnés…).
  • la protestation séculaire contre les revenus non gagnés.
  • les revenus dynamiques.
  • les rentes monopolistiques (Les profits correspondant à l’accroissement de la masse monétaire, les rentes résultant de la politique des transferts…).
  • la détermination des salaires et des rémunérations. Pénalisations indues et revenus non-gagnés.
  • la nécessaire réforme de la fiscalité : le remplacement des impôts directs par l’impôt sur le capital (L’impôt sur le capital et ses modalités d’application…La structure tripolaire de la fiscalité proposée…Ressources provenant de la création monétaire)
  • la distribution de faux droits et la réforme monétaire (L’imposition des plus-values : une nouvelle source d’iniquités).
  • la destruction de la société libérale.
  • la création des faux droits (Faux droits et « miracles » du crédit… Facteurs du chômage… Le mécanisme du crédit et la création de faux droits par une association de faux-monnayeurs,… L’incohérence de la Loi relativement à la création de monnaie… L’apologue des deux marchands de clous de Nuremberg).
  • les faux-monnayeurs (L’organisation actuelle du crédit et son origine historique. Le premier processus de formation du mécanisme du crédit : le prêt de sommes dont la banque n’a pas la propriété. Le second processus de formation du mécanisme du crédit : le prêt de sommes que la banque ne détient pas. Création de monnaie et création de pouvoir d’achat par le mécanisme du crédit. La création de faux droits par le mécanisme du crédit. Les faux-monnayeurs. Épargne vraie et création de pouvoir d’achat ex nihilo. Mécanisme du crédit et opinion publique. L’apologue des faux-monnayeurs. La régression de la pensée dans le domaine de l’analyse monétaire).
  • la nécessaire réforme du crédit et de l’indexation.
  • le retour à l’État du privilège exclusif de la création monétaire (Le plan de couverture intégrale des dépôts. La création de monnaie de base,…).
  • l’indexation de tous les engagements sur l’avenir, condition d’assainissement de l’économie française  (Le système français d’indexations partielles des ordonnances du 30 décembre 1958 et du 4 février 1959. La spoliation des épargnants…).
  • la pseudo-réforme de l’imposition des plus-values (La fiscalité, l’égalitarisme et la démagogie,…  Les injustices sociales, les plus-values et l’égarement de l’opinion).
  • la loi sur l’imposition des plus-values, iniquités et mystifications (…La discrimination entre les citoyens,.. Mythologie et réalité).

À la lecture de ces extraits du Sommaire, on aura compris en quoi ce livre est terriblement gênant. Et l’on mesurera mieux, grâce à L’apologue des faux-monnayeurs que Maurice Allais présente dans son livre (pp. 187-189), le danger que cet ouvrage constitue pour les réels pouvoirs qui se concentrent sans contrôle dans nos sociétés, à l’abri des verbiages et des simulacres « démocratiques », destinés à mieux égarer l’opinion publique en la détournant des réalités :

« Certains esprits, écrit Allais, ont été quelque peu surpris du parallèle que j’ai établi depuis une dizaine d’années entre le mécanisme du crédit et l’activité d’une association de faux-monnayeurs. Le mécanisme du crédit étant extrêmement complexe, il ne me paraît pas inutile de présenter quelques commentaires supplémentaires sur cet apologue.

« Premier cas : les faux billets sont dépensés » :

Considérons tout d’abord une association de faux-monnayeurs (A) qui fabriquerait chaque mois 1 milliard de faux billets et qui les écoulerait sur le marché en se procurant différents biens. Il est clair qu’à la création de ce pouvoir d’achat ex nihilo correspondrait une spoliation de l’ensemble des consommateurs pour un montant égal. Cette spoliation se réaliserait par la hausse des prix qui en résulterait.

Ce mécanisme est tout à fait analogue à celui qui résulte de l’augmentation du nombre des billets par l’État par l’intermédiaire de la Banque de France, et l’utilisation de ces billets pour financer les dépenses accrues de l’État, et l’opinion publique réalise parfaitement que par cette émission l’État peut réaliser un prélèvement sur la production  nationale et que ce prélèvement, dès qu’il est notable, est accompagné d’une hausse des prix.

« Deuxième cas : les faux billets sont prêtés au public » :

Considérons maintenant une association de faux-monnayeurs (B) qui, au lieu d’acheter différents biens sur le marché avec le milliard de faux billets créés, les prêterait moyennant intérêt à des particuliers et à des entreprises, soit à court terme, soit à moyen terme, soit à long terme. Avec les intérêts perçus, l’association des faux-monnayeurs distribue à ses membres des revenus qu’ils utilisent pour acheter les biens de leur choix.

Supposons que 10 millions soient prêtés par l’association pour un mois. Lorsque l’emprunteur reçoit ces 10 millions il les utilise et exerce de ce fait immédiatement un prélèvement de 10 millions sur la production nationale. Au bout d’un mois il doit rembourser les 10 millions empruntés et payer les intérêts correspondants. Lors de ce remboursement sa possibilité de dépense est effectivement réduite des 10 millions augmentés des intérêts courus, et si l’association (B) ne renouvelait pas son prêt, le prélèvement net sur la production nationale se limiterait aux intérêts courus au profit de la banque.

Mais si l’association de faux-monnayeurs re-prête immédiatement à nouveau à quelqu’un d’autre les 10 millions pour un mois, le nouvel opérateur est en mesure de faire un prélèvement de 10 millions sur la production nationale. Lors du remboursement, sa capacité de dépense sera réduite d’autant. Le prélèvement effectif sur l’économie se réduira aux intérêts courus. Mais si l’association renouvelle encore son prêt de 10 millions à quelqu’un d’autre, l’effet négatif du remboursement sera exactement compensé par l’effet positif du nouveau prêt.

Ce processus pourra se poursuivre indéfiniment, et l’on voit qu’au total le prêt initial de 10 millions se sera bien traduit par un prélèvement global de 10 millions sur la production nationale.

Lors de chaque remboursement, le pouvoir d’achat qui se présente sur le marché est réduit de 10 millions, mais il est immédiatement augmenté d’autant par suite du nouveau prêt.

Pour chaque emprunteur de l’association, chaque opération est blanche en valeur actualisée. Mais au total, si l’activité de l’association se poursuit indéfiniment, la valeur globale actualisée des intérêts perçus par l’association est égale à la valeur de tous les billets fabriqués.

« Troisième cas : les faux billets sont utilisés pour constituer les réserves d’une nouvelle banque » :

Considérons maintenant une association (C) de faux-monnayeurs qui prête moyennant intérêt les faux billets qu’elle fabrique et qui accepte les dépôts de ses clients dans une banque qu’elle crée à cette fin.

Si initialement 10 millions de faux billets sont créés, ces 10 millions peuvent être déposés par l’association dans sa banque. L’actif de la banque sera constitué par 10 millions de billets et son passif par une dette d’un montant égal envers l’association.

Supposons maintenant que la banque ouvre un compte courant créditeur de 10 millions pour un mois au client (X), montant qui s’inscrit au passif du bilan de la banque de l’association (C). À l’actif et en compensation, elle inscrit la promesse de payer 10 millions dans un mois faite par son emprunteur (X). Supposons qu’en tirant les chèques sur son compte ce client (X) règle ses achats en biens réels à un opérateur (Y). Si cet opérateur (Y) est lui-même client de la banque, il les redépose à la banque. Le dépôt de (X) disparaît et est remplacé par un dépôt de montant égal de (Y).

On voit ainsi que tout retrait d’un client (X) est compensé par un dépôt d’un client (Y), les 10 millions de faux billets restent disponibles, et la banque des faux-monnayeurs est en mesure de les re-prêter à un autre opérateur (Z) sans avoir besoin de fabriquer de nouveaux billets.

Dans ce cas le montant global du pouvoir d’achat créé sera finalement égal au montant global des faux billets fabriqués, augmenté du volume global des dépôts des clients non couverts par les billets conservés dans la banque des faux-monnayeurs.

Dans ce cas encore, l’association des faux-monnayeurs distribuera à ses membres tous les revenus perçus au titre des intérêts courus et ces derniers les dépenseront sur le marché.

« Vue d’ensemble » :

La description de ces trois cas correspond à des processus d’une complexité croissante. À chacun d’eux a correspondu dans le passé et correspond aujourd’hui un processus de création de monnaie et de pouvoir d’achat bien déterminé.

Dans le cas des faux-monnayeurs, seule leur association profite intégralement des ressources résultant de la création monétaire. Dans le cas des structures bancaires d’aujourd’hui ces ressources sont distribuées à la fois aux banques, aux déposants des banques auxquels les banques fournissent gratuitement un grand nombre de services qui autrement devraient être payés et auxquels les banques versent des intérêts pour la partie de leurs encaisses déposées à court terme, enfin aux opérateurs qui empruntent aux banques à des taux qui sont moins élevés que ceux qui se constateraient s’il n’y avait pas création monétaire.»

Les propositions de Maurice Allais :

Pour briser la puissance des sortilèges de ces sophismes si efficaces contre les libertés, Allais propose dans son livre des solutions réalistes (dont il ne manque pas d’expliciter en détail les modalités pratiques).

D’abord le principe d’une réforme fiscale reposant sur :

  • l’institution d’un impôt annuel sur tout le capital physique de l’ordre de 2 %. Cet impôt remplacerait tous les impôts directs et notamment l’impôt sur le revenu. Son produit peut être estimé à 8 % du revenu national ;
  • une taxe générale sur les biens de consommation, produits des douanes inclus, estimées à 16,9 % (contre 18,5 actuellement) du revenu national ;
  • et «les ressources provenant de l’attribution à l’État de la totalité des profits correspondant à la création de monnaie et dont l’État n’a bénéficié au cours de la période 1968-75 que pour un tiers correspondant à la création de la monnaie de base, soit environ 4,4 % du revenu national (au lieu de 1,4 % en moyenne pour la période 1968-75).»

Maurice Allais fait observer : «Alors que pendant des siècles l’Ancien Régime avait préservé jalousement le droit de l’État de battre monnaie et le privilège exclusif d’en garder le bénéfice, la République démocratique a abandonné pour une grande part ce droit et ce privilège à des intérêts privés.»2
Dénonçant «la nocivité de la multiplication actuelle des moyens de paiements créés par simple jeux d’écritures, qui ont pour conséquences l’inefficacité de l’économie, le gaspillage du capital, la multiplication des injustices et le désordre social », il observe que « l’État a imposé l’acquisition d’obligations aux organismes de prévoyance (Caisses de retraite…), de telle sorte que l’ensemble des épargnants ne puisse échapper à la spoliation de l’épargne mobilière en obligations. » Et plus loin il ajoute : « Comment peut-on sérieusement qualifier de libérale une telle société ? Comment ne pas voir combien elle est potentiellement très proche de l’État totalitaire et qu’elle ne fait que le préparer ?»

Il lui paraît indispensable de retirer aux oligarchies privées tout privilège de création de faux droits de pouvoir d’achat ex nihilodécoulant des mécanismes actuels du crédit.

Les banques re-prêtant les fonds qui leur sont remboursés, et renouvelant constamment cette opération contribuent à gonfler de manière permanent la masse monétaire.

«Ce qui est essentiel, ajoute-t-il, c’est que toute monnaie créée ex nihilo par ce processus donne lieu à un pouvoir d’achat qui en général s’exerce immédiatement sur le marché. Il est certes à tout moment compensé dans les écritures bancaires par l’inscription d’une promesse de paiement à l’actif de la banque, mais comme à cette contrepartie ne correspond ailleurs aucune abstention quant à l’exercice d’un pouvoir d’achat, il en résulte bien une augmentation nette du pouvoir d’achat qui se présente  sur  le marché. » C’est ce qui se passe sur les marchés des euro-devises où les banques prêtent autant qu’elles le peuvent.

« La seule différence dans ce cas, observe Maurice Allais, c’est qu’il n’existe alors aucune disposition réglementaire relativement aux réserves, ce qui aboutit sur le plan international à une gigantesque escroquerie.»

(à suivre)


1 Démographe, Philippe Bourcier de Carbon est Président de l’Alliance Internationale pour la reconnaissance des apports de Maurice Allais en Physique et en Économie (AIRAMA). On consultera avec profit le site de l’AIRAMA : allais.maurice.free.fr

2 Ndlr. Il en va de même aux U.S.A avec la « Fed » et le Federal Reserve system. Il s’agit d’une banque privée dont les actionnaires sont inconnus, même si le Président américain nomme son directeur (pour 14 ans) mais en le choisissant parmi les dirigeants des banques participant au « système » !

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