Partager la publication "Gent ailée d’Alsace (et d’ailleurs)"
Par: François Thouvenin
REGARD SUR LA CRÉATION
« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil nu quand on Le considère dans ses ouvrages. » (Rm 1, 20)
Résumé: Le Créateur a voulu que les airs fussent habités, et nous nous sommes si bien habitués à cet état de choses que nous mesurons mal les performances étonnantes des tout petits oiseaux qui nous environnent. Le martinet noir et la mésange charbonnière, bien que menus, n’en sont pas moins admirables que la célèbre cigogne alsacienne. L’un se signale par sa vitesse en piqué, qui en fait un redoutable chasseur d’insectes; l’autre par son intelligence, qui peut nous laisser pantois. Mais tous deux font bien partie de cette gent ailée familière dont le Christ s’est plusieurs fois servi pour nous instruire dans ses paraboles.
La Formule 1 du ciel:
Ce cinglé qui enchaîne piqués et chandelles, comme s’il n’avait jamais entendu parler des lois de la gravitation, c’est l’oiseau absolu, c’est le martinet noir. Arc et flèche à la fois, pirate de l’air urbain, piailleur et cascadeur, grégaire et solitaire, raseur d’antennes et de balcons, il décime joyeusement les bancs de moucherons qui dérivent dans la torpeur des soirs de canicule. Quand le soleil couché forme avec l’horizon un angle que l’espèce juge convenable, des gangs se forment, qui chassent de moins en moins, mais qui pépient toujours, et l’on monte ensemble avec l’air chaud exhalé par la tuile, l’ardoise et l’asphalte recuits.
Si vous entendez encore crier tout là-haut sans plus rien voir, prenez une paire de jumelles : des centaines de points tourrnent par petits paquets, de plus en plus haut, et les jumelles, à leur tour, doivent abandonner la partie…
Car il « couche en l’air », ce phénomène ! Il sommeille en planant très au-dessus des résultats du loto, à deux mille mètres d’altitude, pour redescendre au petit matin et nous rejouer ses sarabandes insecticides.
Trente grammes « tout mouillé », soit un gramme par centimètre d’envergure, deux cents kilomètres à l’heure en piqué de chasse, jusqu’à sept cents kilomètres par jour quand il migre, des mœurs exclusivement aériennes du premier battement d’ailes au dernier souffle (sauf, évidemment, lorsqu’il s’agit de pondre et d’élever des petits, dans un nid ultra-sommaire situé au plus haut de l’édifice le plus élevé possible)… Si, muni de telles données, vous considérez toujours l’aigle royal comme le seigneur des oiseaux, c’est que vous êtes irrémédiablement plus porté sur Rolls Royce que sur Ferrari ! Mais d’une manière générale, comment ne pas être tous d’accord pour admirer sans cesse l’œuvre sublime du Créateur dans chacune de Ses créatures, à commencer par celles – infiniment diverses – qu’Il a bien voulu doter de l’enviable faculté de voler ?…
Le martinet noir nous revient d’Afrique noire entre la troisième et la quatrième semaine d’avril (en Alsace, du moins : généralement autour du 23). Sans la moindre carte de séjour, ce parfait clandestin sème alors la terreur dans nos populations nationales d’insectes volants, et malheur à tout ce qui est plus petit qu’un mâle d’abeille – dénué de dard, comme chacun sait : pas fou, le martinet ! Il écume nos cieux sans vergogne jusqu’au tout début du mois d’août, qui le voit redescendre vers ses latitudes hivernales, où la provende continue d’abonder.
Un beau matin, on ressent une sorte de manque bizarre dont l’origine se révèle tout à coup : plus de zigzags en trois dimensions, plus de pépiements surexcités, plus d’acrobaties aériennes… Le ciel est vide, silencieux, immobile, et ce ne sont pas nos braves moineaux, merles et pigeons sédentaires qui peuvent nous offrir un spectacle aussi haletant ! Il va falloir patienter huit à neuf longs mois avant d’apercevoir un beau matin les premiers éclaireurs du plus grand chapiteau du monde : le ciel urbain du martinet noir.
Dix-huit grammes de malice:
Elle vole, elle est craquante et masquée, elle est douée d’une agilité remarquable. Qui est-ce ?
Ceux qui ont dit « la fille d’Arsène Lupin » ont tout faux. Il fallait répondre « la mésange charbonnière ». C’est une monte-en-l’air, certes, mais avant tout un oiseau.
Dans la campagne lorraine, on l’appelait jadis « chie-su’l’feu », et ce pour deux raisons : le son de ces mots rappelle l’un de ses nombreux chants; et elle commence à chanter ainsi dès la fin de l’hiver, tandis que les autres passereaux se calfeutrent encore. On ne prend jamais trop tôt possession de son territoire !
Cette rigolote est délicieuse à voir et à entendre. À manger, on ne sait pas. Il faudrait demander à ses très nombreux prédateurs…Acrobate née, elle se suspend à n’importe quoi la tête en bas et, ridiculisant les varappeurs à main nue, s’accroche facilement aux murs les plus lisses en apparence. Ces aptitudes enviables assurent à toutes les mésanges la jouissance majoritaire des boules de graisse truffées de friandises que des mains amies mettent à leur disposition par les grands froids et à la saison des nids. Seuls les verdiers et quelques moineaux hardis parviennent à s’y percher aussi, mais qu’ils ont l’air gauche à côté de ces championnes du trapèze !
Si, aux mois de mars et d’avril, vous êtes assourdis par des « tulîîî tulîîî tulîîî » ultra-rapides ou des « titipûûû titipûûû titipûûû » surexcités, il n’y a pas de doute possible : c’est la charbonnière mâle qui semble claironner sa joie de vivre dans l’attente des vrais beaux jours, mais qui est surtout occupée à charmer une belle et à défendre âprement son lopin de verdure avec ou sans conifères. Au spectacle du chanteur, vous serez sidérés d’entendre de tels sons sortir d’un corps si menu. La voix de la charbonnière se singularise par sa pureté et sa puissance. Le chant, lui, est extrêmement varié. Cette miniature de clown ne va-t-elle pas jusqu’à imiter parfois les chants d’autres espèces ?
Sans doute est-ce pour cette inlassable espièglerie que les Italiens l’appellent « cinciallegra » (mésange joyeuse).
Les Anglais, eux, la nomment « great tit », car du haut de ses quatorze centimètres de la pointe du bec à celle de la queue, elle est la plus grande des mésanges, et les Espagnols « carbonero común », en raison de son abondance.
Approchons-nous d’une bande de mésanges en train de picorer dans une mangeoire de jardin. La charbonnière doit son nom et se reconnaît à la bande noire qui barre son ventre jaune-vert (plus largement chez le mâle que chez la femelle) et se prolonge par une sorte de cagoule noire laissant deux larges dessous d’œil blancs.
Son extraordinaire vivacité lui fait dépenser une énergie considérable, ce qui l’oblige à absorber chaque jour son poids d’aliments. Comme toutes les mésanges, elle possède un bec dur et pointu lui permettant de percer une noisette en quelques secondes. En omnivore accomplie, elle apprécie pêle-mêle les chenilles, pucerons, sauterelles, petits papillons et autres insectes. Quant la belle saison fait place à l’automne, elle apprend à se contenter de baies et de graines et fait honneur à tout ce qu’on veut bien lui abandonner. Essayez donc de laisser des miettes de gâteau ou un reste de pain de margarine sur votre balcon, et vous verrez si elle est la dernière à se jeter dessus !
Cet éclectisme alimentaire, grâce auquel une mésange peut passer toute sa vie sur trois ou quatre hectares seulement, n’est qu’un signe de plus d’un intellect étonnamment développé chez cet être minuscule. Comme sa cousine la mésange bleue, elle peut venir à bout de tous les obstacles quand il s’agit de satisfaire son appétit, voire sa gourmandise. En Angleterre, où le « milkman » déposait autrefois les bouteilles de lait devant la porte de ses clients, on s’était aperçu que ces friponnes s’intéressaient uniquement aux bouteilles à capsule argentée. Pourquoi ? Parce que les capsules dorées étaient le signe distinctif du lait écrémé, pardi !… Et que le lait non écrémé est bien plus nourrissant, cette blague !… Comment résister à la tentation de crever prestement la capsule en aluminium et de se goinfrer de crème, queue en l’air ?…
D’autre part, des expériences ont montré que toutes les deux étaient capables, non seulement d’effectuer dans l’ordre requis une douzaine d’opérations différentes pour débloquer un mécanisme complexe et se procurer la cacahuète convoitée, mais aussi d’enseigner après coup la marche à suivre à leurs petits !
Et elle a beaucoup de petits à nourrir, la charbonnière ! Une bonne douzaine d’affamés qui se bousculent dans un douillet nid de mousse, de duvet, de poils et de morceaux de laine occupant une cavité d’arbre, un creux de mur, un nichoir ou un segment de tuyau, entre autres logements possibles.
Examinez un nid fraîchement déserté par ses jeunes occupants. C’est en vain que vous chercherez dedans et autour la moindre trace de fiente ou de coquille d’œuf. Pourquoi une telle propreté ? Parce que la charbonnière est l’un de ces oiseaux inscrits à leur demande sur la « liste rouge des nids », c’est-à-dire soucieux d’éviter que les prédateurs et autres casse-pattes ne repèrent trop facilement l’endroit où ils élèvent leur progéniture. Les individus d’autres espèces, au contraire, cherchent à impressionner l’ennemi éventuel en salissant le plus possible leur nid et ses environs immédiats. À chacun sa psychologie… et sa stratégie.
Comment la charbonnière s’y prend-elle pour évacuer facilement les déjections de sa nombreuse famille ? Elle procède par « prélèvement à la source ». Quant un petit veut se soulager, il le signale en soulevant son derrière. Le père ou la mère saisit alors du bec le sac blanc bleuté sortant du cloaque et va le larguer au loin. Autrement dit, la charbonnière est l’inventeuse d’une véritable couche-culotte interne, et celle-ci ne fuit vraiment pas. (Pampers tente d’ailleurs de racheter le brevet à prix d’or).
L’intelligence des mésanges peut atteindre des sommets enviables par n’importe quelle espèce. L’une d’elles, blessée, avait été soignée par une brave dame. Or, celle-ci eut quelque temps après la surprise d’entendre toquer à sa fenêtre. L’ex-éclopée se tenait sur le rebord en compagnie d’une congénère blessée, qu’elle amenait à son aimable rebouteuse !…
On l’aura compris : la mésange charbonnière est dotée de toutes les qualités ou presque : costume impeccable, organe de stentor, drôlerie, agilité, adresse, ingéniosité, adaptabilité, etc.
Elle n’a qu’un gros défaut : elle est presque aussi teigneuse que sa cousine bleue… Mais après tout, existe-t-il une seule espèce d’oiseau qui ne soit pas volontiers agressive ?… Vous, la « Colombe de la Paix », on ne vous a pas sonnée ! Vous n’êtes qu’une pure invention humaine à la Walt Disney, et le rôle de potiche dans lequel on vous cantonne depuis toujours fait de vous la complice passive d’une grande hypocrisie, doublée d’une hérésie ornithologique.
On n’en éprouve pas moins la tentation de se demander si Dieu n’aurait pas conçu ces vivantes merveilles que sont les oiseaux – tous les oiseaux – pour nous donner envie d’imaginer Ses anges…