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Irène Döményi
HISTOIRE
«Si l’homme est libre de choisir ses idées il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. » (Marcel François)
Résumé : Le couronnement et le sacre du roi Étienne, le 1er janvier de l’an 1001, marque la constitution même de la nation hongroise, moins d’un siècle après sa prise de conscience nationale et son établissement dans le Bassin danubien, au moment même de la difficile conversion du peuple et de ses chefs. La « Sainte Couronne » envoyée par le pape Sylvestre II est donc beaucoup plus qu’une relique : elle marque le territoire hongrois ; elle confère la légitimité à son détenteur, dont les actes de gouvernement ne valent qu’après le sacre ; elle possède des biens et reçoit des revenus ; elle fonde la doctrine juridique et assure la continuité constitutionnelle dans ce Regnum Marianum qu’est devenue la Hongrie depuis ce jour du couronnement où le saint roi Étienne offrit sa personne et son royaume à la Reine du Ciel. C’est dans cette perspective qu’il faut lire les récentes modifications dans la Constitution hongroise.
À notre connaissance aucun autre joyau royal n’aura traversé autant de péripéties de 1000 à 2011 que la « Sainte Couronne de Hongrie ». Elle fut maintes fois volée, reprise, vendue, rachetée, cachée, perdue et retrouvée, et toujours vénérée comme une relique, ce qu’elle est, en fait.
Parler de La Sainte Couronne était interdit en Hongrie durant le régime communiste (1945-1989) et même pendant les vingt années qui l’ont suivi. Cependant, il y a quelques mois, la presse en a reproduit une évocation étonnante par M. Viktor Orbàn, le Premier ministre, à l’occasion de la Nouvelle Constitution hongroise. M. Orbàn n’a pas semblé craindre de réveiller des passions endormies, ni d’affronter les critiques contre lui aussi bien à l’intérieur qu’en dehors du pays.
Autour du joyau royal de la Sainte Couronne, s’est développée au cours des siècles une véritable doctrine religieuse, politique et juridique, peu connue en dehors de la Hongrie.
Pour la comprendre, il convient de considérer les deux courants spirituels qui traversent l’histoire du pays.
I. Le premier est la génération « des saints Rois hongrois ».
D’après elle, un Chef (un Prince, un Roi) est toujours désigné par le Ciel qui le charge d’une mission et le dote des facultés spéciales dans ce but. Il doit accepter de souffrir, de se sacrifier pour conduire son peuple à son destin et d’expier ses fautes à sa place. L’élection est quelquefois accompagnée de signes, ce qui confère au Roi l’autorité nécessaire auprès des siens.[1]
II. Le deuxième courant est l’idée et le développement de la « Doctrine de la Sainte Couronne »
à partir du règne de saint Étienne. Cette doctrine est la base de la Constitution de l’État hongrois. [2]
La prédestination des Souverains hongrois fut manifeste dans le cas du Kagan (le Prince régnant) : °Ügek. Fils d’Edemen, Ügek (né entre 784 et 789), épousa en 810 Emese, une princesse hune d’une beauté légendaire (originaire de Dentu-Magyaria). Après la mort d’ Ügek en 850, son fils Álmos régna comme Kagan pendant 40 ans.
La naissance d’Álmos en 819 fut marquée par une vision extatique de sa mère. Une nuit, Emese s’est vue fécondée par un grand oiseau mystérieux, un aigle royal (Turul). Un ruisseau, bientôt devenu un grand fleuve, sortit ensuite de ses entrailles, coulant vers l’Ouest.[3]
Né après cette vision, l’enfant reçut le nom d’Àlmos (« àlom » = rêve). Sa grande tâche fut de rassembler les Tribus hongroises un en seul peuple.
Les tribus se réunirent à l’Est des Carpates, autour de Kiev. Árpàd, fils d’Álmos y naquit en 840. Il avait hérité de toutes les qualités de son père. Marié d’abord vers 860 avec une femme onogoure qui mourut en 873, il épousa en 886 une princesse normande.[4]
En 890 Árpàd, âgé de cinquante ans, fit une alliance de sang avec les sept tribus. Les princes faisaient couler un peu de leur sang dans une coupe à laquelle chacun devait boire. Ainsi devinrent-ils « parents », membres d’une même famille, unis par un même sang. [5]
Cette alliance unique fut basée sur les aptitudes personnelles à gouverner du futur chef.
Cette notion – nouvelle en Europe – était et demeure comprise dans l’ensemble des lois hongroises, le Corpus Juris Hungarica.
Arpàd put alors organiser la transmigration de toute la population hongroise (500.000 âmes, y compris adultes, enfants, vieillards, malades), avec leurs biens mobiliers et aussi des millions de bêtes. Pendant quatre ans tous s’y préparèrent.[6]
Le dilemme de saint Étienne
La conquête eut lieu en 896. Le bassin danubien offrait un large domaine à chaque tribu. Ce domaine était encerclé d’un terrain non cultivé d’une largeur de 10-15 km. À l’intérieur de chaque ceinture (« gyepü« ), les « nations » (de grandes familles) étaient séparées par d’autres cercles moins larges, au nombre de 108. Ces cercles de terre protégeaient les biens (bêtes, récoltes, etc.) en évitant les disputes. Les spécificités de chaque tribu étaient bien préservées et respectées. Leurs membres n’étaient liés que par les règles fixées ensemble. Tous étaient libres et égaux (sauf les prisonniers de guerre)[7].
Les terres, étant propriété commune, n’appartenaient pas au souverain ; elles constituaient des terrains allodiaux à usage familial. Cette répartition tribale constituait dans les faits un tissu social hongrois léger et moderne mais inconnu et incompris en Europe.
Après la mort d’Álmos en 895 et celle de son fils, Árpàd survenue en 907, un esprit d’agréable quiétude s’empara de la population magyare. Après la capitulation, suivie du massacre de deux unités hongroises par l’Empereur Otton Ier sur le champ de Lechfeld, en 955, les Hongrois ne firent plus de raids lointains et les autres peuples ne les attaquèrent pas non plus durant 75 ans. Cet esprit tribal et relâché empêcha la prise de conscience – et même la notion – d’appartenir à une même nation, à un État commun, même si les étrangers commencèrent à donner le nom de Hongrie à cette région du Danube.
Lorsque saint Étienne, pour suivre l’habitude européenne, voulut répartir la terre en provinces royales gouvernées par un châtelain, il rencontra une résistance farouche.[8]
Fig. 1 : La « grande Hongrie » historique et l’État résiduel actuel
(Source : Eurominority)
Fig. 2 : Le Danube au cœur de la Hongrie
Après Árpàd, régnèrent son fils Zsolt, puis Taksony.[9] Le fils de Taksony, Geza, naquit en 939. Converti au christianisme en 972, il fut couronné roi de Hongrie par l’évêque Pilgrim en 973, sous le nom d’Étienne. Son fils, Vajk, âgé d’environ cinq ans, fut aussi baptisé à cette occasion et reçut le même prénom chrétien : Étienne. Sa mère, une princesse polonaise, Belekegini[10] mourut jeune, si bien que le prince Istvàn vécut longtemps en « orphelin ».
Son père, Géza-Étienne en 990, âgé de cinquante ans environ, épousa en secondes noces la très séduisante Saroldu, âgée de vingt-trois ans.
Le fils de Géza (Étienne le Jeune, Vajk-Étienne, 969-1038) observait avec une certaine inquiétude les fréquentes visites à la Cour de Koppàny, un des prétendants légitimes au trône.
En 996, à l’âge de vingt-sept ans, le prince Vajk-Étienne épousa Gisèle (985-1050), fille de Henri II, prince bavarois. Tous leurs enfants moururent jeunes, sauf Émeric (Imre).
Jusqu’alors, le pays avait été gouverné selon un droit fondé sur les coutumes ancestrales. Une loi de lévirat y stipulait qu’en cas de mort du roi, sa veuve (même si elle avait un enfant) épousât un des hommes de sa « nation » (tribu) et que celui-ci devenait par ce fait même le grand chef, le Kagan. Mais Géza-Étienne, observant d’une part la coalition de forces étrangères aux frontières du pays, d’autre part le caractère de son fils, espérait que celui-ci continuerait son œuvre et réussirait à unir les tribus en une véritable nation. Il décida donc d’outrepasser la coutume hongroise et désigna son fils pour lui succéder sur le trône, afin que la Hongrie fût acceptée en Occident comme État et royaume chrétien.
Géza-Étienne mourut en 997. Le jeune prince Vajk-Étienne se trouva alors dans une situation délicate, génératrice de graves conflits politiques et religieux.
a) Il devait affronter Koppàny. Ce seigneur hongrois, puissant et riche, âgé de trente-quatre ans environ, désirait épouser la belle Saroldu, comme il en avait le droit. Il représentait également ses compatriotes païens, très irrités à cause du changement obligatoire de leur religion, mais aussi à cause des Bavarois, « chrétiens » mais envahissants, arrogants et irrespectueux des coutumes hongroises, ce qui blessait les habitants du royaume.
b) Vajk-Étienne (Istvàn) devait compter également avec Vàszoly, son cousin, fils du frère cadet de son père. Lui aussi avait droit au trône.[11]
c) Le troisième candidat était Pierre d’Orseolo, le fils de sa tante. Pierre, chrétien, vivait à la Cour, mais détestait les Magyars et voulait s’emparer du pouvoir à l’aide des Bavarois.
Comme prince-héritier et comme Hongrois, Vajk-Étienne était révolté à l’idée de commettre une injustice en délaissant les lois ancestrales en vigueur.
Aux yeux de ses compatriotes, ayant changé la religion et les traditions, il s’était rendu indigne de gouverner le royaume.
Comme chrétien sincère et fervent, il réprouvait l’idée de propager par la force la religion (même s’il la considérait comme seule vraie).
Cependant, comme Souverain intelligent, prévoyant, il observait avec angoisse son peuple qui, à cause d’un particularisme enraciné, allait s’émietter et disparaître rapidement et définitivement.[12]
Dès la mort de son père, en 997, il dut prendre une décision cruciale car, en 998, Koppàny l’avait attaqué. Vajk-Étienne fut obligé de riposter et, aidé par les Bavarois, le battit.
Fut-ce sur son ordre ou à cause de la haine des Bavarois à l’encontre des Hongrois ? On ne sait… Mais le corps de ce grand seigneur fut humilié bassement. On coupa en quatre son cadavre pour pouvoir l’exposer dans autant de villes.
Le 1er janvier de l’an 1001 eut lieu le couronnement et le sacre de Vajk-Étienne (Istvàn) dans la cathédrale d’Esztergom, avec la couronne spécialement envoyée par le pape Sylvestre II. C’est à cette occasion que le nouveau roi offrit sa personne, son royaume et son peuple à la Sainte Vierge Marie comme devenant ses propriétés personnelles. Ainsi est-elle désormais Patronne, Protectrice, et en fait Reine de la Hongrie, le Regnum Marianum. Plus tard, une magnifique basilique portant ce nom fut érigée et lui fut dédiée à Budapest.[13]
Le signe visible de cette offrande fut la Couronne Royale, laquelle est ainsi devenue « La Sainte Couronne de Hongrie », dont le porteur devait conduire le peuple vers sa destinée éternelle. Elle ne devait jamais quitter le Royaume, car : « Là où est la Sainte Couronne, là est aussi la Hongrie ».
En 1002, Ajtony, le Gyula de Marosvàr, se fit baptiser. Il attaque néanmoins le roi, mais est battu par Csanàd, chef des troupes.
Le jeune prince Émeric (Imre, 1007-1031), le dernier fils de Vajk-Étienne, préparé à régner, était doté d’une force physique et morale remarquable. Il épousa en 1027 Jocela d’Orseolo, (la petite fille du roi de Croatie). En 1030, l’Empereur romain-germanique Conrad II attaque les Hongrois. Imre le vainc et préside avec succès aux entretiens de paix.
En 1031, survint la mort d’Émeric (Imre), chrétien zélé et même vrai mystique [14] Cette mort était et reste un mystère. Fut-ce un accident de chasse ou un meurtre organisé ?
Le roi Étienne, déjà âgé, moralement brisé par la mort de son dernier fils et déçu dans son espoir d’avoir un petit-fils tomba malade[15].
Il rappela alors à la Cour Vàszoly pour le désigner comme héritier légitime au trône, mais il ne put en obtenir la promesse de poursuivre sa politique. Alors, en septembre 1031, il dut à contrecœur choisir Pierre d’Orseolo.
Vàszoly se souleva contre Pierre d’Orseolo, mais son armée fut vaincue. Par la suite, loin de la cour et à l’insu du Roi, on le rendit inapte à régner en l’aveuglant et en le rendant sourd. (On n’a jamais trouvé les auteurs de ce crime odieux.)
En octobre 1031, en grand désarroi, le roi confie ses soucis à la Sainte Vierge et Lui renouvelle son offrande.[16]
En 1032, il subit un attentat (manqué) contre sa vie, mais pardonne au criminel. Saint Étienne mourut à l’âge de soixante-trois ans ans, le 15 aout 1038, jour de l’Assomption de Notre Dame, comme il le Lui avait demandé[17]. Il Lui avait porté une grande dévotion tout au long de sa vie.
Le légat du pape Grégoire VII fut présent à Csanàd, le 26 juillet 1083, aux canonisations de saint Étienne (Istvàn)), de saint Émeric (Imre) et de l’évêque saint Gérard de Venise (Gellért). À côté du roi régnant Ladislas (saint Làszlò), à l’ouverture du cercueil du roi Istvàn, le légat put constater que le cercueil était rempli d’une huile odoriférante inconnue dans laquelle le corps reposait.
Il put aussi contempler la sainte Main droite intacte du Roi[18] et constater les nombreuses guérisons qui se produisirent autour du cercueil.
Fig. 3 : La Sainte Couronne de Hongrie
Au sommet de l’arc proprement dit de la Sainte Couronne, se trouve une croix d’or en position inclinée. D’après certains chercheurs, elle remplace la croix originale qui contenait un fragment de la Sainte Croix de Jésus-Christ. Suite à une tentative de vol de la Couronne, ce petit reliquaire fut brisé et on le remplaça par la croix inclinée que l’on voit aujourd’hui.
Par la suite, le culte de la « Sainte Couronne » fut répandu en Hongrie par les jésuites. Ils ont fondé la « Congrégation de Marie » dont un membre, le grand cardinal Péter Pàzmàny (1570-1637), un converti du protestantisme, fut le grand défenseur.
La doctrine de la Sainte Couronne de Hongrie.
Cette doctrine – comme système de gouvernement – s’est précisée durant le Moyen Âge.
En 1083 déjà, au moment de la canonisation de son prédécesseur, le roi saint Làszlò (Ladislas) avait déclaré : « Ce joyau, cette couronne n’est pas la propriété de la dynastie régnante ; la Sainte Couronne appartient au Royaume et non au Roi ! Elle est le symbole de l’alliance entre la nation, le peuple hongrois (y compris tous les autres peuples vivant dans le bassin danubien) et le Roi des rois, le Christ vivant. »
Elle représente une telle puissance que quiconque aura seulement l’intention de la heurter se rendra coupable de haute-trahison car il aura péché contre la religion et contre Dieu Lui-même.
Elle est le moyen et le symbole de la transmission du pouvoir au souverain.
Le pays, le territoire autour de la Sainte Couronne constitue son Corps mystique.
Le royaume de Hongrie n’est pas la propriété personnelle du souverain. (Dans l’Europe des XIème-XIVème siècles, imbibée de mentalités patrimoniales féodales, cette doctrine représente une idée constitutionnelle singulièrement développée).
En Hongrie le couronnement et le sacre du Roi sont plus importants pour son élection que le vote. Avant, il n’est qu’un régent. Même s’il est légitime et qu’il gouverne pour le bien de tous, avant d’avoir été couronné et sacré avec la Sainte Couronne, aucun de ses documents ou décrets n’a de valeur.
Le Roi devra donc revalider tous les actes émis avant son couronnement et son sacre pour leur donner un caractère légitime, donc obligatoire. Ce fut le cas pour le Roi Màtyàs Hunyadi (1458-1490).[19]
Les Hongrois considèrent la Sainte Couronne comme « la loi des lois ». On lui paie les amendes, des rançons ; on lui fait des sermons solennels, ecclésiastiques ou laïques ; on lui restitue tous les biens comme à une source où tout prend son origine ; tous les héritages Lui reviennent.
C’est pourquoi beaucoup de châteaux et forteresses ont été appelés « propriétés de la Sainte Couronne », car ils ne pouvaient pas être utilisés à des fins personnelles, ni aliénés, pas même par le roi légitime.
La Sainte Couronne ne doit jamais quitter le territoire hongrois. « Là où est la Couronne, là est aussi la Hongrie. » C’est pourquoi tous ceux qui eurent à la préserver et à la protéger des mains sacrilèges – et même les usurpateurs ! – l’ont voulue avec eux. [20]
L’un des documents les plus importants de la Constitution Hongroise est la « Bulle d’Or », datée du 29 mai 1222. C’est une série de décrets royaux, arrachée au Roi Andràs II par ceux qui étaient mécontents de sa politique personnelle et du rôle excessif que les sarrasins et les juifs jouaient dans la vie économique hongroise.
Fondé sur l’ancienne constitution, dans ses 31 paragraphes, ce document la rétablit et la complète. Les droits et les obligations du Roi y sont précisés ainsi que le droit pour la noblesse et le clergé de résister au roi au cas où lui-même ou ses successeurs violeraient la Loi. (Ce droit fut annulé en 1687 par les Habsbourg, adeptes d’un pouvoir royal inconditionnel ; de ce fait, tous les documents et actions de cette dynastie sont devenus illégitimes ! ).
Le grand juriste hongrois, Istvàn Verböczy, dans son Tripartitum, composé en 1514, a suggéré que: « … l’Autorité et la source suprême des droits, indépendante de toute personne ou groupement de pouvoir, sur tous les rois, qu’ils soient bons ou mauvais, qu’ils respectent la constitution ou qu’ils la rejettent, soit la Sainte Couronne. » Il y est également précisé que le pouvoir vient de la nation qui le transmet au Roi, via son couronnement par la Sainte Couronne de Hongrie.
Les articles du Tripartitum ont valeur de loi. C’est ainsi que la Sainte Couronne, sur la base des lois et de la Constitution millénaire, est devenue un système unique de principes.
Les lois en vigueur ne peuvent être modifiées qu’en respectant les règles déjà existantes. L’idée de la continuité des droits est dans la Constitution hongroise.
La fidélité à cette Constitution ancestrale n’est pas le signe d’une mentalité rigide, conservatrice, car les possibilités de changement y sont préservées.
Ceux-ci cependant doivent s’effectuer comme une évolution organique, continue, en respectant les propres règles de la Constitution qui fut en vigueur jusqu’en 1848.
Une Constitution historique, organiquement développée, ne peut pas être abrogée par un Parlement illégitime. Or, c’est ce qui s’est passée en Hongrie en 1949, lorsqu’un Parlement élu par des moyens anti-démocratiques a changé la Constitution historique et a légalisé cette révision. La chaîne de la continuité du droit fut donc rompue. Le texte de 1989, tant de fois révisé, a le même vice, car il a été conçu durant l’occupation du pays par une puissance étrangère et il n’a jamais été confirmé par référendum. Par conséquent, ces textes ne peuvent pas être le fondement de la Constitution hongroise.
Il y a un lien fort entre la Sainte Vierge, la « Grande Dame Bienheureuse des Hongrois », la Sainte Couronne, l’État et les aspirations unificatrices des Hongrois, toujours bien vivantes.
Or, les ennemis des Magyars n’en craignent rien tant que la mentalité, la conscience nationale, l’esprit, la langue, la culture, les traditions ancestrales et la religion : le catholicisme.
C’est pourquoi ils nient les origines de la Hongrie, falsifient son histoire, font disparaître ou volent les documents et détruisent les monuments. Ils interdisent ou salissent aussi la langue du pays (en mélangeant la population autochtone avec des étrangers immigrés qui ne veulent pas la respecter).
La question se pose alors : qu’est-ce qui a motivé le gouvernement hongrois pour soulever ce problème, parler de ce sujet, sensible entre tous, et remuer dans les esprits l’histoire du pays, y compris les souvenirs pénibles des guerres et du soulèvement de 1956, écrasé par les chars soviétiques ? Pourquoi évoquer la « Doctrine de la Sainte Couronne » dans une République?
Le Premier ministre, Viktor Orbàn, pense-t-il gagner ainsi quelques voix de plus pour les élections à venir ? Ou bien, essaie-t-il d’amadouer la droite hongroise en lui « jetant un os à ronger » pour qu’elle ne devienne pas trop remuante et qu’elle n’exige pas de lui la solution des problèmes urgents ? Est-ce un ballon d’essai lancé pour faire se dévoiler les forces (ou les faiblesses) des « éléments réactionnaires, rétrogrades » ?
Nous ne le savons pas. Hélas, la corruption dans tous les domaines est aussi répandue en Hongrie que dans les autres pays européens ! Nous ne voyons pas de remède politique ni militaire à ces problèmes. La seul issue nous semble être, comme toujours, la « voie par le haut », celle d’un renouveau religieux, moral, culturel et politique.[21]
On en aperçoit déjà certains petits signes encourageants. Il existe des cercles informels formés d’amis qui se réunissent régulièrement pour s’instruire, avec l’aide de spécialistes, sur l’histoire, la religion, l’économie, la politique et la culture ancestrale de la Hongrie. Ils s’apercevront un jour qu’ils sont nombreux et qu’entre temps une intelligentsia hongroise et chrétienne se sera formée pour agir ensemble contre toutes les forces destructrices. Certes, c’est une voie dure et exigeante, mais je n’en vois pas d’autres. C’est pourquoi les Magyars reprennent aujourd’hui la prière de leurs aïeux en chantant :
Dieu, nous Vous supplions à genoux pour notre Patrie :
Que Votre Bonté couvre nos nombreux péchés ;
Regardez plutôt les âmes pures des saints hongrois
Et évoquez leurs mérites!
Considérez l’âme riche en vertus du roi Istvàn,
Ou la pureté virile du prince saint Imre,
Et le courage chevaleresque du roi Làszlò:
Ô ! Seigneur, si Vous ne voyiez que cela !
Sainte Erzsébet vous offrait un amour héroïque,
Et vers Vous montaient les prières de Marguerite,
Que les larmes de notre Grande Dame bénie
Ne coulent pas sur nous en vain !
Grands pécheurs, certes, nous méritons vos châtiments,
Mais écoutez leurs suppliques pour notre Patrie déchirée,
Pour devenir, nous aussi, des Purs, des Héros et des Saints :
Ô ! Seigneur, sauvez ainsi la Hongrie !
Amen.
[1] Cette lignée commence avec Attila, le grand roi des Huns, l’un des peuples dont fut composé le peuple hongrois (cf. Le Cep n°53, octobre 2010, p. 48 sq.). Attila s’était considéré comme l’instrument (le « fouet ») de Dieu pour châtier le monde romain, alors très corrompu. Une prophétie prédisait que son fils cadet, Irnik, achèverait son œuvre.
[2] Au début du VIIe siècle, les guerres incessantes menées par les Arabes poussèrent les habitants (les ancêtres des Hongrois de l’Est de la Grande Plaine touranienne, au Nord de la mer d’Azov), vers les marécages connus comme Maeotis. Ces réfugiés d’abord solitaires devenaient de plus en plus nombreux et ils espéraient trouver un jour un chef pour les organiser en un seul peuple. Ils eurent Opos en 739. Excellent organisateur, il réussit à transformer cette population magyare-sabire en un peuple homogène et le grand territoire (400.000 kms carrés) en un État, Dentu-Magyaria. Sacapitale était Zaporojie, située sur la partie Sud du fleuve Dniepr. Après Opos, régnèrent d’abord Csaba, puis son fils Edemen (né d’une mère perse).
- [3] Il faut comprendre ce rêve dans son contexte de l’époque et dans un sens spirituel. Les Hongrois vénéraient un Dieu qu’ils pensaient être un Père.
- Le Soleil était le symbole de Sa gloire. Ils tenaient en grand respect leurs aïeux car ils croyaient que les âmes des morts restaient spirituellement unies aux vivants et que du royaume du Père elles intercédaient pour ceux qui peinaient encore sur terre. Dans leurs maisons ou tentes un feu brûlait toujours devant de petites statues, qui représentaient les parents disparus. Pour les Hongrois, l’aigle royal, le « Turul », était et demeure l’oiseau sacré par excellence, le symbole des âmes qui, grâce à ses grandes ailes, peuvent monter jusqu’au Ciel.
[4] D’après Viktor PADÀNYI, Études Historiques, Budapest, 2006.
- [5] Les points principaux de cette alliance furent : a) Tant que la génération d’Álmos vivrait, le Prince régnant devait toujours être issu de sa dynastie. – b) Personne ne devait être exclu des biens obtenus grâce aux efforts communs. c) Les chefs des tribus qui avaient élu Álmos, volontairement et librement comme leur Kagan, ne pouvaient être exclus du Conseil du Chef, ni en leurs personnes, ni en leurs descendants. d) Quiconque se rendait parjure ou fomentait des troubles entre le Chef et sa famille, devait mourir. e) Si Álmos lui-même ou un descendant, ayant juré de respecter l’alliance, faisait le contraire, il serait maudit et exilé pour toujours.
[6] Arpàd ordonna de constituer des réserves alimentaires nécessaires et suffisantes pour un voyage de quatre mois. Il dut aussi tracer l’itinéraire (1200-1900 km à parcourir), organiser les traversées des rivières et des montagnes, la sécurité militaire et les soins médicaux, etc. Avant l’automne 896 chaque tribu devait trouver sa place, désignée d’avance, à l’intérieur des Carpates et faire des réserves de nourriture pour les hommes et les animaux avant l’arrivée du grand froid hivernal.
[7] Cette égalité se manifestait aussi dans le langage. Le tutoiement était général. Les expressions soulignant les différences de dignité entre les hommes arrivèrent dans le pays avec les étrangers (surtout ceux qui accompagnèrent les Rois issus des maisons Anjou, Jagellon, Habsbourg, etc. et aussi les Italiens, sous le règne du roi hongrois Màtyàs). Leurs langues et le système féodal exerçèrent leur influence sur la société hongroise.
[8] Ndlr. Une fois de plus, c’était confondre la civilisation chrétienne, unique car fondée sur la véritable idée de l’homme et sur le droit et la morale naturels, avec les multiples cultures originales qui peuvent s’y incorporer sans s’y dissoudre.
[9] En 962, il s’adresse au pape Jean XII en lui demandant des évêques latins pour l’évangélisation de la Hongrie (sans se référer à Otton Ier qui, en cette même année, avait obtenu le titre d’ »Empereur Romain »). La délégation papale partit vers la Hongrie avec un évêque, mais Otton Ier la fit arrêter en route, espérant ainsi retarder la conversion de ces Magyars qui ne voulaient pas devenir vassaux des Allemands comme il le souhaitait. Ce fut la racine de l’hostilité séculaire entre les deux peuples (Cf. Dümmert DEZSÖ : A titokzatos jelbeszéd (« Le signe mystérieux d’un colloque »), Budapest, 1989.
[10] D’après une sourcepolonaise du XIIè s. ; cf. Viktor PADÀNYI, art. « Études historiques », in Történelmi Tanulmànyok, 2006, p. 172.
[11] Après la mort de son père, Istvàn l’avait éloigné de la Cour, pour qu’il n’empêchât pas l’élévation au trône de son fils Émeric (Imre), qui devait lui succéder.
[12] Comme il arriva au peuple-frère, les Avars, malgré le grand Empire qu’ils avaient fondé et gouverné de 567à 827 dans le bassin danubien.
[13] Après la victoire (par fraude) du Parti Communiste, en 1945, cette basilique fut entièrement détruite et remplacée par une statue géante de Staline. Le premier geste des Hongrois soulevés contre le régime, en octobre 1956, fut de démanteler ce symbole de la dictature. Cependant, la Basilique n’a jamais été reconstruite, malgré la grande somme d’argent que les Hongrois du monde entier ont envoyée au gouvernement dans ce but
[14] Après sa mort prématurée, voici ce qui fut révélé par sa femme, Jocela, et aussi par un serviteur qui avait été témoin de plusieurs signes : lumière autour de lui, ou émanant de son corps, quand il était en oraison ; lévitations, etc. Jocela affirma qu’ils avaient vécu en « mariage Joseph », c’est-à-dire comme frère et sœur ; ceci explique pourquoi ils n’avaient toujours pas d’enfant après quatre ans de vie commune. Était-ce d’un commun accord, pour offrir un sacrifice pour le salut du peuple hongrois ? Certains mettent en doute cette version, car le royaume avait besoin d’un descendant mâle après Istvàn et Imre. Le fait qu’à peine un mois après la mort d’Émeric de nombreuses guérisons furent constatées à son tombeau, plaide en faveur d’une réelle sainteté, quelle qu’en fût la forme.
[15] L’hostilité des Hongrois et des Bavarois envers toutes ses actions lui était également très pénible. Il avait attendu vainement le secours spirituel de son ami Gérard (saint Gellért), évêque de Csanàd et l’éducateur de son fils, mais qui, vivant loin de la Cour, ne pouvait venir le voir.
[16] Après sa mort, le serviteur personnel du roi révéla sous serment que le souverain avait souvent passé des nuits entières en prières et en larmes, suppliant le Christ de pardonner ses péchés, inhérents à ses fonctions, mais qu’il aurait voulu éviter à tout prix. Plusieurs fois le serviteur avait vu le roi s’élever en l’air ou être entouré de lumières célestes, mais il lui fut interdit d’en parler du vivant de son souverain. Toute la vie de saint Istvàn montre qu’il s’était offert librement en victime pour la mission que Dieu lui avait prescrit d’accomplir : réaliser l’unité de son peuple et l’amener à la foi chrétienne, à l’Église catholique romaine, conditions indispensables à sa survie. (N.B. : c’est en 1054 que le schisme s’est produit entre Rome et Byzance). Il s’est résigné humblement à supporter avec patience toutes les incompréhensions, soupçons, obligations pénibles et souffrances morales et physiques inhérentes à ses fonctions et à son époque. Il expiait également pour les péchés de son peuple et intercédait pour lui devant Dieu et la Sainte Vierge. Ainsi fut-il un digne continuateur et un maillon solide dans la longue chaîne des saints rois hongrois ; cf. Dezsö DÜMMERT, Le langage mystérieux des signes, Budapest, Éd. Panorama, 1898.
[17] Le dogme de l’Assomption ne fut proclamé universellement qu’en 1950, par Pie XII.
[18] Celle-ci existe toujours, après 1028 ans, sans s’être décomposée et en l’absence de tout moyen artificiel de conservation. Interdite pendant le régime communiste, elle est de nouveau exposée à la vénération des fidèles dans son reliquaire en la basilique Saint-Étienne de Budapest.
[19] Information donnée par Péter Révay, Préfet du département de Tùròc (Premier Gardien de 1568 à 1622 ; le deuxième Gardien, de 1586 à 1625, fut Istvàn Pàlffy, Préfet de Pozsony).
[20] En 1241, devant l’avancée des Tartares le Roi Béla IV la cacha (au château de Klissa, en Croatie). En 1463, le Roi hongrois Mathias Ier la racheta pour une somme astronomique au roi autrichien Frédéric III. En 1526, Péter Perényi, Garde attitré de la Couronne, la sauva de l’invasion ottomane. En 1606, lorsque la Couronne revint en Hongrie, l’archiduc Mathias de Habsbourg créa l’institution de Double-Garde de la Sainte Couronne (en 1608 sous le nom de Mathias II, il est couronné roi de Hongrie et en 1612 devient Empereur romain germanique). En 1849, après le soulèvement des Hongrois contre les Habsbourg, Lajos Kossuth la mit dans une caisse en fer près d’Orsova (en Transylvanie). En 1945, Ferenc Szàlasi la cacha dans une barrique d’huile à l’approche de l’Armée Rouge. Puis l’armée américaine la saisit et la déposa à Fort Knox. Enfin, le 5 janvier 1978, elle fut restituée au Gouvernement hongrois par le Secrétaire d’État Cyrus Vance.
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[21] Le grand historiende droit hongrois, le Pr Tibor VARGA nous en indique les pistes : « La force des Hongrois venait de leur âme, chrétienne par nature. Ils luttaient toujours face-à-face, détestant la lâcheté de ceux qui attaquaient par derrière et massacraient leur ennemi en fuite. Les Magyars prenaient le faible en pitié et se montraient miséricordieux envers les vaincus en fuite, humiliés et exténués. Quand il leur arrivait d’être dans ce cas (ou qu’ils feignaient de l’être), ils contre-attaquaient leurs poursuivants grâce à un petit instrument qu’ils utilisaient depuis plus de deux millénaires: l’étrier. Il leur permettait d’avoir une assise très stable sur leurs chevaux (même au galop). Au moment où l’ennemi croyait pouvoir les massacrer, en se retournant, les Magyars les submergeaient de leurs flèches redoutables…Ainsi, un peuple qui tout en vous fuyant vous fait peur est vraiment fort : il est invincible ! »