Partager la publication "À l’école du caméléon"
Par Amadou Hampâté BÂ
REGARD SUR LA CRÉATION
« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil nu quand on Le considère dans ses ouvrages. » (Rm 1, 20)
À l’école du caméléon[1]
Amadou Hampâté BÂ[2]
Résumé : Très bon connaisseur des contes et des légendes de son ethnie peule du Sahel, Amadou Hampâté Bâ aimait rappeler qu’aux yeux des Africains toutes choses comportent deux aspects : un côté nocturne, néfaste, et un côté diurne, faste. Le caméléon n’échappe pas à cette règle, si bien que sa facilité à prendre la couleur du lieu où il se trouve – grâce à ses cellules chromatophores – peut être interprétée comme de l’hypocrisie, de la dissimulation, ou au contraire comme du savoir-vivre. C’est ce dernier aspect positif, et quelques autres, que veut retenir notre auteur malien dans ce court récit à la fois instructif et amusant.
« Si j’ai un conseil à vous donner, je vous dirai : Ouvrez votre cœur ! Et surtout : Allez à l’école du caméléon !
C’est un très grand professeur. Si vous l’observez, vous verrez… Qu’est-ce que le caméléon ?

D’abord quand il prend une direction, il ne détourne jamais sa tête. Donc, ayez un objectif précis dans votre vie, et que rien ne vous détourne de cet objectif.
Et que fait le caméléon ? Il ne tourne pas la tête, mais c’est son œil qu’il tourne. Le jour où vous verrez un caméléon regarder, vous verrez : c’est son œil qu’il tourne. Il regarde en haut, il regarde en bas. Cela veut dire : Informez-vous ! Ne croyez pas que vous êtes le seul existant de la terre, il y a toute l’ambiance autour de vous !
Quand il arrive dans un endroit, le caméléon prend la couleur du lieu. Ce n’est pas de l’hypocrisie ; c’est d’abord la tolérance, et puis le savoir-vivre[3].
Se heurter les uns les autres n’arrange rien. Jamais on n’a rien construit dans la bagarre. La bagarre détruit.
Donc, la mutuelle compréhension est un grand devoir. Il faudrait toujours chercher à comprendre notre prochain. Si nous existons, il faut admettre que, lui aussi, il existe.
Et que fait-il, le caméléon ? Quand il lève le pied, il se balance, pour savoir si les deux pieds déjà posés ne s’enfoncent pas. C’est après seulement qu’il va déposer les deux autres.
Il balance encore… il lève… Cela s’appelle : la prudence dans la marche.
Et sa queue est préhensile. Il l’accroche. Il ne se déplace pas comme ça… Il l’accroche, afin que si le devant s’enfonce, il reste suspendu. Cela s’appelle : assurer ses arrières… Ne soyez pas imprudents !
Et que fait le caméléon quand il voit une proie ? Il ne se précipite pas dessus, mais il envoie sa langue. C’est la langue qui va la chercher. Car ce n’est pas la petitesse de la proie qui dit qu’elle ne peut pas vous faire mourir. Alors, il envoie sa langue. Si sa langue peut lui ramener sa proie, il la ramène, tranquillement ! Sinon, il a toujours la ressource de reprendre sa langue et d’éviter le mal…
Donc, allez doucement dans tout ce que vous faites !
Si vous voulez faire une œuvre durable, soyez patients, soyez bons, soyez vivables, soyez humains ! »
N.B. Le Frère des Écoles chrétiennes Jean-Pierre LAUBY, qui enseigna trente-huit ans en Afrique noire, a publié en 2011 des textes inédits, autres récits moins connus et lettres d’Amadou Hampâté Bâ, écrivain malien qu’il put rencontrer à Niamey en 1975. Ce Cahier de 184 pages, illustré de nombreuses photos en couleur et intitulé : À l’école d’Amadou Hampâté Bâ, vient d’être réédité (revu et augmenté). Commander et payer par chèque (20 € franco) à : Fr Jean-Pierre LAUBY, 12 chemin de Duroux, 31500 Toulouse.
Courriel pour toute information : amadouhb.2012@gmail.com
[1] Repris de l’ouvrage d’Amadou Hampâté BÂ : Sur les traces d’Amkoullel l’enfant peul, Arles, Actes Sud, 1998, pp. 126-129.
Pour aller plus loin dans la connaissance des traditions peules, on pourra se reporter au livre de Jean-Marie MATHIEU : Les Bergers du Soleil. L’Or peul, Préface du Dr Boubacar Sadou LY, Postface de Dominique TASSOT, Méolans-Revel, Éd. Désiris, 1998.
[2] Amadou Hampâté BÂ (1900-1991) est un Peul malien, musulman soufi, connu comme un bon spécialiste des traditions orales africaines. C’est lui qui, à l’Unesco en 1960, avait lancé cette phrase ayant fait, depuis lors, bien du chemin : « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ! » Cofondateur de la Société Africaine de culture, ancien directeur de l’Institut des Sciences humaines de Bamako (Mali), il a travaillé à l’IFAN (Institut Français d’Afrique Noire) à Dakar (Sénégal), appelé par son ami Théodore Monod, dès 1942, à la conservation du patrimoine oral et culturel de l’ancienne A.O.F. Il fut ambassadeur extraordinaire et ministre plénipotentiaire du Mali en Côte-d’Ivoire. Il eut la joie d’être choisi pour accueillir Jean-Paul II à sa descente d’avion lors du voyage du Pape à Abidjan, en 1980.
[3] Ndlr. On pense à la ‘’sortie’’ de saint Paul contre Képhas [saint Pierre] à Antioche (Ga 2, 11-14). Mais en soi, la conduite du chef des Apôtres pouvait se justifier ; l’Apôtre des nations agira d’ailleurs de même en plusieurs circonstances : 1 Co 9, 20-22 : « Je me suis fait Juif avec les Juifs (…) ; un sans-loi avec les sans-loi (…) ; faible avec les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver à tout prix quelques-uns. » (Cf. également : Ac 16, 3 ; 21, 26 ; Rm 14, 21 ; 1 Co 8, 13)