Partager la publication "Jeanne-Marguerite de Montmorency"
Par : Sigward Joseph
NOS LECTEURS NOUS SIGNALENT
Le Cep proposait dans son numéro 67 une notice surprenante, cet In memoriam pour dom Marie-Grégoire osb., surnommé « l’ermite du Diois » (dans la Drôme) et décédé en novembre 2013. Un ermite ! Aujourd’hui, en plein XXIe siècle ! Le présent article voudrait proposer aux lecteurs du Cep une semblable magnifique surprise par la lecture d’un ouvrage intitulé Jeanne-Marguerite de Montmorency, de Joseph Sigward. Ce livre fut donné en1989 mais il est resté « oublié », tout comme cette mystique dont l’histoire fera vite comprendre pourquoi elle est occultée dans une Église aux préoccupations horizontales.
Quand elle fuit Paris en mai 1661, à l’âge de quinze ans, en ce jour d’un bal solennel à Versailles, cette nièce du prince de Condé fuit-elle un mariage prévu le lendemain (et imposé par Louis XIV, comme souvent pour les familles princières de l’époque et surtout des jeunes filles) ? Court-elle après le rêve d’une enfant pieuse à l’imagination vive et au caractère décidé ou bien s’agit-il d’un authentique appel divin au désert et à la solitude ? Seul son avenir pourrait nous le dire.
Et l’avenir va le dire et raconter les étapes de cette purification d’une princesse changée en mendiante puis en servante, finalement en ermite, et toujours dans le secret le plus absolu sur sa véritable identité, sauf évidemment pour les trois “directeurs” spirituels auxquels elle se confiera.
La première étape de cette purification se passe à Auxerre, chez un menuisier : trois ans où Jeanne-Marguerite fait l’apprentissage de l’obéissance et des travaux manuels. La seconde de 1664 à 1674, à l’île Saint-Louis de Paris chez une vieille comtesse avare et insupportable : dix ans qui vont creuser les fondations du véritable amour de Dieu et du prochain, sans compter le « bagne intérieur » que lui inflige la direction maladroite et primaire d’un père jésuite.
Enfin la Providence lui accorde le « directeur éclairé » dont elle a besoin en la personne du moine-curé de Châteaufort, près de Versailles, le père Luc de Bray, qui la dirigera jusqu’à la mort, de l’un dans sa cure en 1700 et de l’autre, non attestée avec certitude mais très probablement survenue la même année et en Suisse sur la route de Rome.
Comment connaît-on cette « mystique oubliée » qui a voulu vivre et mourir dans la séparation la plus totale du monde et même de 1’Histoire ? Par la correspondance qu’elle a entretenue avec le père Luc de Bray : lettres retrouvées dans les papiers de ce dernier, mort de maladie en quelques jours alors qu’il rédigeait une réponse à Jeanne-Marguerite. Bienheureuse mort, sinon subite, du moins assez rapide pour empêcher la disparition de cette correspondance et nous permettre, quelque trois siècles après, de la découvrir !
Tout y est plus qu’intéressant : par exemple des détails pittoresques et plaisants de la vie de cette femme-ermite obligée, pour la messe dominicale, de demeurer dans les parages d’abbayes ou d’églises paroissiales, ses occupations « profanes » que son directeur lui ordonne de ne jamais abandonner (sculpture du bois, jardinage, chants !…) : on fait la connaissance de quelques amis silencieux du monde animal en particulier Colibri, le petit écureuil.
Mais ce n’est pas un village-vacances dans la splendeur des Pyrénées… Quelle pénitence ! Contrairement au jeune homme riche de l’Évangile, non seulement Jeanne-Marguerite n’a pas hésité à laisser « de grands biens », mais encore elle embrasse une vie de privations et mortifications, veilles, flagellations, jeûnes, calvaires, parfois à peine supportables à la seule lecture.
Mais aussi quelles consolations divines ! Extases de plusieurs jours sans aucune fonction naturelle, protection angélique. Esprit Suprême qui la guide dans les dernières années… On voit le travail du père Luc de Bray : discernement des esprits ! Distinguer les phénomènes mystiques des manifestations sataniques ou des imaginations malades et débridées.
Tout en pressentant l’authentique sainteté de la princesse dont il partage le secret, qu’il aime et admire (sans le lui dire), Luc de Bray tâtonne sur la juste mesure à garder dans sa direction. Cette fin du XVIIe siècle connaît tant d’erreurs et de folies dans la vie religieuse ; les choses extraordinaires entraînent de légitimes suspicions. C’est là d’ailleurs l’occasion d’admirer la connaissance et l’intelligence de la vie de son temps que Jeanne-Marguerite possède dans son désert : Versailles, le Roi, le jansénisme, le quiétisme, Mme Guyon, Fénelon… rien ne lui est étranger…
Par ailleurs, Jeanne-Marguerite de Montmorency suit vraiment les voies de la Providence, jamais sa volonté ou son jugement propres. Joseph Sigward insiste beaucoup sur cet aspect: Jeanne-Marguerite est « agie » plus qu’elle n’agit ; elle écrit qu’elle entend « une voix secrète », un « impératif divin » qui brusque sa décision après de douloureuses hésitations et résistances.
Bref, l’histoire de cette sainteté ( jugement personnel et non pas canonisation ) est à lire et faire connaître : toutefois, selon l’avis éclairé d’une religieuse enseignante, il ne faut pas en proposer la lecture à des esprits trop jeunes qui risqueraient de vouloir imiter trop littéralement un modèle enthousiasmant – ou au contraire se dégoûter d’une vie si « isolée » et coupée du monde. Certains ne comprendraient sans doute pas comment Jeanne-Marguerite – sans être abonnée au Cep comme l’était dom Marie-Grégoire, l’ermite contemporain mentionné plus haut – participerait aujourd’hui à sa manière au combat si nécessaire contre l’évolutionnisme, moderne paganisme, et travaillerait de toutes ses forces à « reconsidérer toutes choses dans le Christ », c’est-à-dire à la vision biblique de l’univers.
Marie-Pierre Rillardon.
(SIGWARD Joseph, Une mystique oubliée : Jeanne-Marguerite de Montmorency (1646-1700), Paris, Nouvelle Cité, 1989, 252 pages, encore disponible).