Accueil » La Bible, la lettre et le nombre

Par Gandillot Benoît

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Nos correspondants publient

Qu’il y ait des lettres et des nombres dans la Bible est une évidence. Bien avant la mise par écrit de la Tradition orale, après la destruction de Jérusalem en 70 de notre ère, les commentateurs hébreux disposaient de textes écrits : Jésus-Christ lui-même évoque l’intangibilité du Pentateuque en disant que « pas un iota1, pas le moinde petit trait n’en passera » (Mt 5, 18). Enfin, certains parchemins de Qumrân sont datés de 210 ans avant Jésus-Christ : ils viennent opportunément, providentiellement, confirmer l’excellente préservation du Texte biblique du plus ancien manuscrit que nous possédions, celui de Léningrad (du XIe siècle ap. J.-C.).

Quant aux nombres, ils sont légion, tant dans les innombrables indications chronologiques sur la succession des Patriarches ou sur les événements marquants au cours du règne des souverains, que dans la description des rites et des scènes décrites. Pensons aux multiplications des pains dans l’Évangile. Tout y est nombré : la foule, les pains et les poissons, et même les corbeilles de restes !

Or ces lettres et ces nombres ouvrent aussi à un univers de symboles, de correspondances discrètes dont le sens n’est pas moins précis, même s’il demeure implicite. Jésus-Christ reproche d’ailleurs aux apôtres de n’avoir pas aussitôt compris le sens des corbeilles de restes, respectivement douze et sept (Mc 8, 20). L’évangéliste n’en dit pas plus, ce qui montre que le symbolisme de ces deux nombres faisait partie de la culture commune.

Le livre que Benoît Gandillot vient de nous donner ouvre une porte sur cet univers à la fois mystérieux et structuré. Ancien directeur financier, puis directeur de l’université interne d’un grand groupe industriel, il ne se laisse pas aller au jeu stérile de certains ouvrages cherchant à retrouver, codés dans la Bible, les noms d’hommes politiques ou d’événements contemporains2. Tout au contraire, il applique une méthode simple et rigoureuse, fondée sur la valeur numérique des lettres hébraïques ; ici, il lui fallut écarter certaines numérotations adaptées à l’usage quotidien, permettant d’écrire les grands nombres.

Cette base méthodique fut d’abord validée grâce au « Symbole des Patriarches », cette litanie de trois témoins de l’Alliance qui, partant d’Élohim – un des noms divins en hébreu –, passe par Abram devenant Abraham, puis Isaac et Jacob, ce dernier devenant Israël ; dans la Bible, en effet, une nouvelle vocation entraîne souvent un changement de nom.

Or, Élohim et Israël sont aussi les noms propres qui ouvrent et ferment le Pentateuque (Gn 1, 1 et Dt 34, 12), faisant ainsi de l’énumération célèbre – « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » – comme le résumé de toute la Torah.Il est difficile de ne pas voir ici une splendide harmonie dont la magnificence pourrait disparaître si une seule lettre ou un seul nombre venait à changer.



MultiplicationSomme
Personnage/événementTotalÉlémentsElémentsTotal
Élohim (le total des lettres donne)5213 x (2 x 2)13+2+217
Abram devient Abraham à99 ans11 x (3 x 3)11+3+317
Durée de vie d’Abraham175 ans7 x (5 x 5)7+5+517
Durée de vie d’Isaac180 ans5 x (6 x 6)5+6+617
Durée de vie de Jacob147 ans3 x (7 x 7)3+7+717
Jacob devient Israël qui nombre641 x (8 x 8)1+8+817

De la même manière, pour les divers noms de Dieu :

Traduction couranteEn hébreuCorrespondance numérologique selon la numérotation ordinaleValeur numérique des mot
ÈlhA L1+1213 (= 1 x 13)
SeigneurYHWH10+5+6+526 (= 2 x 13)
YHWH UnYHWH hA cH D10+5+6+5+1+8+439 (= 3 x 13)
ÉlohimhA LHYM1+12+5+10+2452 (= 4 x 13)
Esprit SaintR W cH Q D Sh20+6+8+19+4+2178 (= 6 x 13)

Après le péché d’Adam et Ève, Dieu condamna le serpent tentateur (symbole du Mal) à ramper sur son ventre (Gn 3, 14). Le mot hébreu pour « ventre », ici, est écrit גחן, gahon, G cH N. Or, au milieu exact du Pentateuque (en Lv 11, 42), parmi les animaux déclarés impurs, figurent ceux qui rampent sur le ventre. Mais, là, le même mot « ventre » est écrit גחון G cH W N, soit avec une lettre en plus appelée Wav, « W » (de son „o“ ici), que le sens seul n’impose pas. L’importance de ce « W » est d’ailleurs soulignée par le scribe, car cette lettre est agrandie et descend sous la ligne d’écriture. Que signifie pareille anomalie graphique ?

Le rabbin Élie Munk, dans son commentaire de la Torah, affirme simplement : « Le Wav majuscule [sic], emprunté au nom de Dieu et ajouté au mot גחן[G cH N] coupe symboliquement la force du mal sur terre3. »

Pour la tradition chrétienne, ce Wprésent dans le Nom propre de Dieu révélé à Moïse (YHWH : Iod Hé Wav Hé) y désigne clairement le Fils ; dès lors la formule du rabbin prend soudain un sens plénier : par sa Croix plantée au cœur de l’Histoire, Jésus est venu sauver l’homme du Péché originel ! Le Nouveau Testament éclaire ainsi l’Ancien grâce à la valeur symbolique des lettres hébraïques. En outre, le lien entre le serpent guérisseur suspendu au bois par Moïse et la crucifixion fut fait par Jésus lui-même (Jn 3, 14) ; il trouve ici une nouvelle confirmation.

Inversement, l’Ancien Testament aide à comprendre le Nouveau. En voici un exemple : lorsque Jésus-Christ, face aux sadducéens niant la résurrection des morts, les renvoie à l’épisode du Buisson ardent (Ex 3, 14-15), ce passage où Dieu révèle à Moïse son Nom propre YHWH (Tétragrammme prononcé Yéhovah) avant de l’envoyer vers ses frères hébreux : « Je suis qui Je serai, et tu parleras ainsi… »

Par lui-même, cet épisode des Évangiles (Mt 22, 29-32 // Mc 12, 26-27 // Lc 20, 37-38) reste incompréhensible : quel lien établir, en effet, entre ce Feu qui ne consume pas le roncier et la Résurrection des corps ? Mais selon une des règles de codage classique dans l’Antiquité, un diloug – sorte decryptage qui consiste à « sauter » (dalag en hébreu) un nombre précis de lettres pour former un nouveau mot –, un diloug de raison 6, fait apparaître un nom : YHShWH (à prononcer Yéshouah) dans le Texte hébreu d’Exode 3, 14. Or YHShWH est le « Nom nouveau » de Jésus glorifié, le Nom qui est au-dessus de tout nom, auquel saint Jean et saint Paul font allusion après la Résurrection du Christ. Quant à sa prononciation, elle est proche du nom terrestre de Jésus en hébreu ou en araméen : Iêshouaʽ, mais dans lequel la dernière lettre, la gutturale Ayïn, est remplacée par le He, symbole de l’Esprit Saint dans le Tétragramme YHWH.

Il est impossible de rendre compte dans une simple recension de toutes les richesses que nous découvre ce livre, résultat d’une recherche commencée il y a 40 ans. Benoît Gandillot nous en avait donné un premier aperçu lors du colloque du CEP à Angers, en 2000, mais il lui manquait alors la clef complète du Symbole des trois Patriarches hébreux. Il avait déjà compris que leurs âges étonnants (175, 180 et 147 ans) cachaient une valeur algorithmique. Mais la série demeurait incomplète et le sens lui en échappait encore.

Désormais, c’est une grille de lecture bien rodée qui nous est offerte. Comme l’écrit l’éditeur dans sa présentation, ce livre4 est « un événement appelé à provoquer la passion, la réflexion et à approfondir le savoir ».

(La Bible, la lettre et le nombre. Le code secret enfin déchiffré, Paris, Éd. du Cerf, avril 2021, 448 p., 24 €).


1Il s’agit du nom de la lettre grecque équivalant au י Yod hébraïque. Ce dernier est la dixième et la plus petite des 22 lettres. À Babylone, le scribe écrivait cette lettre en n’enfonçant dans l’argile de la tablette que le coin triangulaire de son calame, d’où l’expression de lettre « cunéiforme », du latin cuneus « coin » ; le trait était, lui, formé avec une des arêtes du calame.

2 Jeu d’autant plus arbitraire qu’il faut transposer les consonnes dans un autre alphabet et que les voyelles ne figurent pas dans le Texte massorétique.

3 É. MUNK, La Voix de la Thora, Paris, 1981, p. 216.

4 Déjà réimprimé, trois mois après sa parution !

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