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Par Gaume Mgr
HISTOIRE
«Si l’homme est libre de choisir ses idées,il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. »
(Marcel François)
La Révolution et le christianisme1
Mgr Gaume2
Résumé : Dans la ligne de la Renaissance et des Lumières, les hommes de 1789 justifièrent constamment leurs idées, leurs lois et leurs actes par l’exemple des grands hommes de l’Antiquité gréco-latine, celui de Brutus tout spécialement.
Il était donc presque inévitable qu’ils s’opposassent à une religion qui n’était pas subordonnée à l’État. On le vit dès la Constitution civile du clergé, puis avec la nationalisation de ses biens, avec la réquisition des objets précieux des églises, des monastères, etc. On le verra aussi avec la persécution des prêtres dits “réfractaires” (au serment de fidélité à la Constitution civile du clergé), avec l’interdiction des vœux religieux et de l’habit ecclésiastique. Les discours donnés à l’Assemblée, publiés au jour le jour par Le Moniteur universel, montrent bien à quelle autorité intellectuelle les révolutionnaires durent leur audace de démolisseurs. Nous noterons au passage, en faisant les adaptations nécessaires, combien la persécution des idées et des mœurs chrétiennes reste toujours d’actualité.
L’homme remis, au nom de la Nature et à l’instar de l’Antiquité, en pleine possession de ses droits souverains, il lui reste, pour les exercer sans obstacle, à abattre ses deux rivaux : la religion et la royauté. Voyons-le à 1’œuvre, d’abord contre le christianisme.
Après avoir à son débit et dans l’intérêt de son triomphe, protesté de respect pour la religion, la Révolution jette le masque et déclare que la religion dépend d’elle, et qu’elle entend la modifier à son gré.
En attendant qu’elle établisse elle-même sa propre religion, choses et personnes, tout devient l’objet de ses attaques. Elle commence par la propriété de l’Église.
Quand, dans les siècles chrétiens, des rois, des empereurs, des princes s’emparèrent des biens du clergé, ce fut un acte de violence et de brigandage. Aucun des spoliateurs n’essaya de soutenir thèse pour justifier sa conduite, en niant au propriétaire dépouillé le droit de posséder. Le Dieu-Peuple, la Déesse-Nation, divinités parfaitement grecques et romaines, n’étaient plus connues. Il était réservé à la Révolution et à la Renaissance, sa mère, de les faire revivre avec leurs antiques droits. Pendant plus d’un mois, on discute à l’Assemblée constituante sur le droit de propriété; on le dénie à l’Église pour l’attribuer exclusivement à la Nation, et la Nation, qui vient de retrouver ses droits, s’empare des biens de l’Église.
Le 10 octobre, l’évêque d’Autun3 commence l’attaque. Ressuscitant au profit de la Nation le despotisme des Césars, il dit : « Les ressources nécessaires à notre régénération ne sont pas suffisantes. Mais il en est une immense qui peut s’allier avec le respect pour les propriétés; elle existe dans les biens du clergé. La Nation, jouissant d’un droit très étendu sur tous les corps, en exerce de réels sur le clergé; elle peut détruire les agrégations de cet ordre, qui pourraient paraître inutiles à la société, et nécessairement leurs biens deviendraient le juste partage de la Nation, qui deviendra propriétaire de la totalité des fonds du clergé4. »
À M. de Talleyrand succède Barnave, qui dit crûment : « Le clergé existe par la Nation, la Nation pourrait le détruire; il résulte évidemment de ce principe que la Nation peut retirer des mains du clergé des biens qui n’ont été affectés et donnés que par elle5. »
Essayant les théories socialistes de Sparte sur la propriété, Thouret continue : « Les personnes, les choses, tout est soumis dans l’État à la Nation…. Les individus existant avant la loi ont des droits qu’ils tiennent de la nature, tel est le droit de propriété.
Tout corps, au contraire, n’existe que par la loi, et leurs droits dépendent de la loi ; elle peut les modifier, les détruire et prononcer qu’aucun corps ne peut être propriétaire. Ainsi, l’acte par lequel l’Assemblée nationale anéantira le prétendu droit de propriété que le clergé s’attribue n’est pas une spoliation6.»
Garat, puis Grégoire, soutenus par la majorité, continuent l’œuvre de destruction. Ils prétendent, comme leurs devanciers, sortis des mêmes écoles, que le clergé n’est pas et ne peut pas être propriétaire ; que le clergé n’existe que par la Nation; qu’elle peut le détruire et partager ses biens; que dans l’État, les choses et les personnes appartiennent à la Nation. En un mot, toutes les idées relatives à la constitution de la propriété dans les républiques de Sparte et de Rome, se trouvent, comme autant d’axiomes, sur ces lèvres chrétiennes et sacerdotales 7 !
En dehors de l’Assemblée, les démagogues de collège demandent à grands cris l’œuvre de spoliation. L’un d’entre eux, Cérutti, écrivait : « Après quatorze siècles de barbarie, il est temps d’interroger la raison : elle seule doit régénérer cette monarchie. La hiérarchie ecclésiastique n’est qu’une gradation d’orgueil. La papauté est un débris usurpé de l’Empire romain. L’épiscopat est une principauté uniquement mondaine…. L’espèce de divinité que l’Église a voulu communiquer à ses biens est un blasphème contre l’Évangile et contre la propriété. L’abbé Sieyès a supérieurement démontré que le sacerdoce est une profession dans l’Etat, ainsi que le service militaire. Il n’existe pas de fond territorial assigné aux officiers ni aux généraux d’armée : pourquoi en faut-il aux officiers et aux généraux de l’Église ? Dira-t-on que les choses existent ainsi depuis des siècles? Les marais pontins existaient depuis des siècles, et le Pape régnant les dessèche8. »
En vain, Mgr de Boisgelin, l’abbé d’Eymar, l’abbé Maury et quelques autres, faisant appel au bon sens, à la justice, à l’intérêt même de la société et de la propriété, combattent la monstrueuse omnipotence attribuée à la Nation, et démontrent que le clergé est propriétaire au même titre que tout autre propriétaire; qu’en attaquant la propriété du clergé, on ébranle toute autre propriété ; que cette grande injustice prépare la ruine de la France9.
En vain, pour réfuter le prétexte tiré des besoins de l’État, le clergé renonce à toutes ses exemptions pécuniaires ; en vain, par l’organe de Mgr de Cicé, il offre quatre cents millions pour combler le déficit10 : tout devient inutile.
À la vue du spectre du Moyen Âge, évoqué par Lebrun, les cœurs chancellent :
« Remontons, s’écrie-t-il, à l’origine des propriétés ecclésiastiques. Le despotisme et la corruption précipitèrent les chrétiens dans les déserts ; ils défrichèrent; la féodalité s’établit, et l’anarchie se déploya sur toute la France; l’abus et l’ignorance transformèrent les prêtres en propriétaires11. »
La raison chrétienne, la justice, la prévoyance s’évanouissent devant la belle théorie de Mirabeau, que la loi fait la propriété, et que la nation faisant la loi, elle dispose avec un pouvoir souverain de la propriété. « Messieurs, s’écrie le tribun, qu’est-ce que la propriété en général? C’est le droit que tous ont donné à un seul de posséder exclusivement une chose à laquelle, dans l’état naturel, tous avaient un droit égal. Et d’après cette définition générale, qu’est-ce qu’une propriété particulière? C’est un bien acquis en vertu des lois. Oui, messieurs, c’est la loi qui seule constitue la propriété ; parce qu’il n’y a que la volonté publique qui puisse opérer la renonciation de tous, et donner un titre, comme un garant à la jouissance d’un seul…12 »
De sa définition, Mirabeau conclut avec ses adhérents que, malgré les fondations, la Nation est restée dans tous ses droits; que le clergé n’est pas un ordre, n’est pas un corps ; que dans une nation bien organisée le clergé ne doit pas être propriétaire; que le clergé n’a pu acquérir qu’à la charge de l’État ; et que la Nation peut quand elle veut rentrer dans tous ses droits.
Puis il ajoute : « Il serait temps dans cette Révolution, qui fait éclore tant de sentiments justes et généreux, que l’on abjurât les préjugés d’ignorance orgueilleuse qui font dédaigner les mots salaire et salariés. Je ne connais que trois manières d’exister dans la société : il faut y être mendiant, voleur ou salarié. — Le propriétaire n’est lui-même que le premier des salariés; ce que nous appelons vulgairement sa propriété, n’est autre chose que le prix que lui paye la société, pour les distributions qu’il est chargé de faire aux autres individus, pour ses consommations et dépenses; les propriétaires sont les agents, les économes du corps social13. »
Or, cette théorie spoliatrice du clergé et mère du communisme, d’où venait-elle ? Comment s’était-elle enracinée dans les têtes? Il importe beaucoup de le savoir : l’abbé Maury va nous l’apprendre. Voyant l’Assemblée entraînée par Mirabeau, il réclame la parole, et s’élançant à la tribune : « Le principe que je combats, s’écrie-t-il, n’est pas nouveau; il remonte fort loin ; je vais esquisser sa généalogie. À Rome, des publicistes obligeants voulurent soutenir que tous les biens des Romains appartenaient à César. Le chancelier Duprat reproduisit ce système en ne l’appliquant qu’au clergé pour l’appliquer ensuite à toutes les propriétés. M. de Paulmy le reproduisit encore, et Louis XV le proscrivit et l’appela un système de Machiavel. Il vint alors se réfugier dans l’Encyclopédie; c’est de là que M. de Mirabeau l’a tiré14 .»
Ainsi, la théorie est née dans la belle Antiquité. Oubliée pendant tout le Moyen Âge, elle reparaît avec la Renaissance, qui la formule, qui la lègue à la philosophie, qui la transmet à la Révolution, et la Révolution l’applique. Est-ce clair?
Or, l’éducation continuant d’être la même, produit encore les mêmes idées et les mêmes effets. N’est-il pas admis aujourd’hui dans toute l’Europe que, pourvu qu’une loi soit régulièrement votée, les gouvernements peuvent à leur guise modifier le droit de propriété? N’est-il pas de bon ton de s’incliner jusqu’à terre devant l’Assemblée constituante de 1789?
À quelques exceptions près, tous les journaux qui se publient en France n’approuvent-ils pas les spoliations de l’Église accomplies en Piémont par M. Cavour et en Espagne par M. Madoz ? Qui est-ce qui proteste? Où est l’esprit public qui s’inquiète et qui réclame?
Enfin, le 2 novembre 1790, l’Assemblée, séduite par la théorie païenne de Mirabeau, décrète que : Tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la Nation15.
Ce jour-là naquit le socialisme.
À partir de ce moment, le peuple souverain fait tomber comme la grêle les décrets organiques de la spoliation : c’est Dèce, c’est Dioclétien, c’est le paganisme reparaissant dans les actes, comme il a reparu dans l’idée.
Le 10 décembre 1790, il met en vente pour quatre cents millions de biens ecclésiastiques. Cinquante mille églises, chapelles, couvents, glorieux rendez-vous de tous les arts, sont mutilés ou détruits.
Le 3 mars 1791, il s’empare des pierres précieuses et de l’argenterie des églises, chapitres et communautés, qui a été ou qui pourra être jugée inutile.
Le 20 août, il s’empare de tous les vases, meubles et ustensiles de cuivre et de bronze, existant dans les communautés, églises et paroisses supprimées.
Le 14 septembre, il s’empare, chemin faisant, des possessions du Saint-Siège : les États d’Avignon et le comtat Venaissin.
Le 16 août 1792, il s’empare des immeubles réels affectés aux fabriques des églises cathédrales, paroissiales et succursales, à quelque titre que ce puisse être.
Le 17, il s’empare de tous les jardins, vergers, locaux occupés par les religieux ou les religieuses.
Le 18, il s’empare de tous les biens des corporations, congrégations séculières, ecclésiastiques ou laïques, d’hommes ou de femmes; de ceux des séminaires, collèges, familiarités, confréries, et de toutes autres associations de piété et de charité.
Le 9 septembre, il s’empare de l’argenterie des églises dépendant de la liste civile.
Le lendemain, « considérant que les objets en or et en argent employés au service du culte dans les églises conservées sont de pure ostentation, et ne conviennent nullement à la simplicité qui doit accompagner le service », il s’empare de tous ces objets et les convertit en monnaie destinée au payement de ses armées 16‘.
Le 12 septembre, il s’empare de toutes les grilles en fer des maisons religieuses et les destine à la fabrication des piques, pour l’armement des citoyens.
Le 19, il s’empare de tous les biens de l’ordre de Malte.
Le 27, il s’empare de tous les meubles et effets des maisons religieuses, les destine au campement des troupes et les met à la disposition des généraux.
Le 13 août 1793, il s’empare de toutes les cloches, pour faire les canons nécessaires à la défense de la république.
Le 25 brumaire an II, il s’empare de tous les presbytères et de leurs revenus, et les destine au soulagement de l’humanité souffrante et à l’éducation républicaine.
Le 28 nivôse an II, il s’empare du linge des églises et le destine aux hôpitaux militaires.
Le 23 prairial an II, il s’empare de toutes les cloches existant encore à Paris, et ordonne d’en faire des canons.
En Belgique, en Espagne, en Italie, ses généraux s’emparent de toute l’argenterie des églises. A Rome, ils la mettent en réquisition, et ne laissent qu’un seul calice dans chaque église17.
Enfin, pour couronner son œuvre, le peuple-dieu condamne à dix ans de galères tout prêtre qui oserait présenter comme injuste la vente ou l’acquisition des biens du ci-devant clergé18.
En conséquence, on voit, chaque jour, se succéder à la barre de la Convention des députations municipales, qui déposent sur l’Autel de la Patrie les dépouilles de leurs églises.
C’est la commune de Meaux qui apporte 1 114 marcs 2 onces d’argent provenant, dit-elle, des dieux inutiles de ce district.
C’est la commune de Bercy qui offre à la Patrie l’argenterie de sa pauvre église.
C’est la commune de Nemours qui apporte trois caisses remplies d’or, d’argent, de vermeil et de pierres précieuses, provenant d’une incursion philosophique dans les églises de son territoire.
C’est l’administration des Invalides dont l’orateur dit : «Nous vous apportons la dépouille de l’hypocrisie et les hochets de la superstition. La superstition avait quelque chose de bon et de réel, c’était l’or et l’argent dont elle couvrait sa hideuse effigie, et que nous venons déposer aux pieds de l’Autel de la Patrie, non pas à la vérité pour sauver des âmes, mais pour sauver la République et consolider le règne de la Raison et de la Liberté. »
C’est la commune de Sèvres (Seine-et-Oise) qui fait hommage de l’argenterie de son église en disant : « On n’immolera plus de victimes humaines aux dieux imaginaires. Le Dieu républicain, c’est la Liberté : Vive la République une et indivisible ! »
Ce sont les communes de Clichy, de Boissy-sur-Seine, de Brunoy, de Vaugirard, des Petits-Andelys, de Clamart et une foule d’autres, qui apportent l’argenterie de leurs églises et qui assaisonnent leur offrande de l’impiété la plus révoltante. « La commune de Clamart, dit son orateur, se félicite de n’être pas la dernière à venir déposer aux pieds de la sagesse nationale les hochets de la superstition et l’arsenal du fanatisme.
Et nous aussi, nous avons la gloire de partager le saint enthousiasme de la Raison. Législateurs, qu’avec ces brimborions sacrés, ces puériles pagodes, disparaissent pour jamais les arlequinades célestes qui ont stupéfié la plupart des hommes depuis dix-huit siècles! Plus de ministres, plus d’apôtres, plus de cultes; que chacun adore l’Être suprême à sa manière : c’est un droit qu’il tient de la Nature. La Patrie, voilà la Divinité d’un vrai républicain ! »
Viennent ensuite les jacobins de Franciade (Saint-Denis), qui font hommage à la Convention de la tête et des ossements de leur patron, l’apôtre des Gaules, et qui, se moquant avec une lâche ironie de ce qu’ils appellent une relique puante, des guenilles et des pourritures dorées, ajoutent : « Vous, jadis les instruments du fanatisme, saints, saintes et bienheureux de toute espèce, montrez-vous enfin patriotes; levez-vous en masse, marchez au secours de la Patrie, parlez pour la Monnaie ; et puissions-nous, par votre secours, obtenir dans cette vie le bonheur que vous nous promettez pour une autre! »
Que penser des lettrés qui, assis aux bancs des législateurs, applaudissent à de pareilles infamies, qui les provoquent, et qui, pour les immortaliser, ordonnent de les enregistrer au Moniteur ?
Comme si le paganisme classique qui les inspire avait dû se retrouver jusque sur les lèvres du peuple, la commune de Sèvres justifie ses spoliations sacrilèges par un souvenir de la belle antiquité. Elle dit à la Convention : « Citoyens, Denis de Syracuse ôta à Jupiter son manteau d’or, disant : Il est trop froid en hiver et trop chaud en été. Nous venons d’ôter à nos prêtres, à nos saints, les richesses et les vêtements splendides qui contrastent trop avec la simplicité du sans-culotte Jésus, dont ils se disaient les ministres. Notre culte va être désormais celui de la Liberté.
Nous déposons sur l’Autel de la Patrie sept marcs d’or, 219 marcs d’argenterie, 300 marcs de vermeil et plusieurs diamants et pierres précieuses19. »
Quelques jours après, arrivent les envoyés de la section des Gravilliers. Ces misérables entrent dans l’enceinte de la Convention vêtus d’habits pontificaux et sacerdotaux, et en dansant la Carmagnole. Quand le dais paraît, la musique joue des airs obscènes, et chacun, se dépouillant de ses habits usurpés, les jette en l’air, pour ne conserver que l’uniforme de garde national; de telle sorte qu’on voit voler et retomber avec bruit sur le pavé de la salle les mitres, les crosses, les étoles et les dalmatiques. Pour compléter cette saturnale, on donne la parole à un petit enfant qui lit une déclaration d’athéisme, et sollicite la Convention de décréter un catéchisme républicain. Ce petit malheureux est vivement applaudi et reçoit l’accolade du président.
Les départements ne tardent pas à suivre l’exemple de la capitale. Toutes les routes de France sont couvertes de chariots qui transportent à la Monnaie les dépouilles des églises, en attendant qu’elles le soient de charrettes, amenant des hécatombes de victimes humaines au tribunal révolutionnaire. Jamais le monde ne fut témoin d’un pareil spectacle.
Le 9 brumaire an XI, on voit arriver plusieurs voitures apportant l’argenterie des églises du district de Provins.
Le 11, Chaumette, revenu d’une tournée dans la Nièvre avec Fouché, dit à la Commune de Paris : « Dans mon département il n’y a plus de prêtres ni de pauvres. L’on a débarrassé les châteaux d’émigrés ainsi que les autels, de ces monceaux d’or qui alimentaient la vanité des nobles et des prêtres. Pour 30 millions d’effets précieux vont être amenés à Paris. Déjà deux voitures chargées de croix, de crosses d’or, et pour à peu près deux millions d’espèces monnayées, sont arrivées à la Monnaie: trois fois autant suivent le premier envoi. Il faut que le département de Paris imite celui de la Nièvre20. »
Le 14, un convoi plus considérable arrive de la Picardie. II s’arrête aux portes de la Convention. Des sacs et des malles remplis d’or et d’argent sont introduits dans la salle.
La Révolution bat des mains; et son commissaire, André Dumont, prenant la parole, s’exprime en ces termes : « Dans la commission que vous m’avez donnée dans les départements du nord-ouest, j’ai trouvé dans une abbaye de moines, près d’Hesdin, 61 000 livres, dont j’ai fait hommage à la Convention. On m’a accusé d’être brouillé avec la religion ; eh bien, j’ai fait une réquisition, et trois ou quatre cents saints m’ont demandé à venir à la Monnaie. Il n’existe plus dans les églises du département de la Somme ni plomb, ni cuivre, ni argent. Ils ont été remplacés par du bois, du fer-blanc, et du verre. Les flammes de la liberté ont succédé aux croix des clochers, et les citoyens ont partout crié Vive la République21 ! »
Les jours suivants, et surtout pendant le mois de janvier 1794, de longues files de voitures conduisent à la Monnaie, en guise de dons patriotiques, les vases sacrés, les croix, les objets précieux des églises de Sedan, de Grenoble [devenue Grelibre], de Rochefort, des départements de Seine-et-Oise et du Loiret, de Rosai et d’ailleurs. En façon de lettre de voiture, la commune régénérée de Rosai envoie à la Convention la pièce suivante: « Nous avons fait porter à la trésorerie l’or et l’argent des églises ; les lambeaux d’étoffe du fanatisme ont été déchirés, et servent à couvrir nos enfants; les saints de bois sont brûlés et nous ont chauffés une fois ; nous vous apportons une somme de 500 livres, pour subvenir aux besoins des vainqueurs de Toulon22. »
La commune de Beaurepaire (Isère), en faisant hommage de ses dons patriotiques, c’est-à-dire de l’argenterie de son église, écrit à la Convention: « Citoyens, nous vous adressons nos dons patriotiques dans une caisse faite avec les planches du ci-devant confessionnal de la ci-devant religion. »
Pour insulter publiquement au christianisme, les convois arrivés aux portes de la ville se transforment en processions ou plutôt en mascarades sacrilèges.
Le charretier marche devant ses chariots, la mitre en tête, et le bâton de chantre ou la crosse d’évêque à la main : un grand nombre de jacobins le suivent affublés d’habits sacerdotaux23.
C’est ainsi que le nouveau dieu poursuit à outrance le christianisme son rival, et l’insulte en le dépouillant. Ses propres biens, il les change en armes contre lui. De ses temples, il fait des écuries pour ses chevaux; de son or et de son argent, de la monnaie pour ses sujets; de son linge sacré, de la charpie pour ses malades, et de ses cloches des canons pour ses soldats. Ce qu’il fait en France il le fait partout, et ce n’est là que le commencement.
Les sujets de Jésus-Christ, il les délie de leur serment de fidélité, et les oblige à lui prêter serment à lui-même. Partant du principe païen de sa souveraineté absolue, l’homme déclare que les vœux religieux sont incompatibles avec les droits qu’il tient de la Nature; que le serment du religieux est un suicide civil ; que l’époque la plus déplorable, pour la nature humaine, est celle où fut consacrée une pareille barbarie, que l’homme ne peut aliéner ce qu’il tient de la Nature; que Dieu ne peut reprendre à l’homme les biens et la liberté qu’il lui a donnés; que tous les corps étant faits pour la Nation, la Nation peut les détruire; que le jour où elle détruira les ordres religieux, elle rendra un service inestimable à la liberté, aux arts, à l’agriculture24.
Demandez à l’histoire à quel siècle il faut remonter pour trouver un pareil renversement de la raison? Demandez-lui de quelle époque date ce mépris profond du Moyen Âge, qui eut la barbarie de reconnaître et d’encourager les vœux religieux? Qui apprit à ces Français à traiter ainsi leurs pères? Qui enseigna à ces chrétiens un langage si complètement païen?
En attendant, le 14 février 1790, le peuple souverain déclare qu’il ne reconnaît plus les vœux monastiques, et décrète en conséquence que « les ordres et congrégations de l’un et de l’autre sexe sont et demeureront supprimés en France, sans qu’on puisse à l’avenir en établir d’autres25 ».
Le 18 août 1792, achevant son ouvrage et « considérant qu’un État vraiment libre ne doit souffrir aucune corporation, pas même celles qui, vouées à l’enseignement public, ont bien mérité de la patrie, et que le moment d’anéantir les corporations religieuses est aussi celui de faire disparaître à jamais tous les costumes qui leur étaient propres, et dont l’effet nécessaire serait d’en rappeler le souvenir, il supprime toutes les corporations religieuses et congrégations séculières d’hommes et de femmes, ecclésiastiques ou laïques, même celles uniquement vouées au service des hôpitaux et au soulagement des malades, sous quelques dénominations qu’elles existent, ensemble les familiarités, confréries et toutes autres associations de piété et de charité ; déclare en outre abolis et prohibés tous les costumes ecclésiastiques, religieux et des congrégations séculières, pour l’un et l’autre sexe26 ».
Après avoir délié les sujets de Jésus-Christ de leur serment de fidélité, et leur avoir défendu de lui en faire à l’avenir, le nouveau dieu les oblige à lui prêter serment de fidélité à lui-même, non-seulement dans l’ordre civil, mais encore dans l’ordre religieux.
De sa pleine autorité, il établit un système de religion, une religion nationale. Sous un voile de christianisme, c’est l’apothéose de l’homme. Portant la faux dans un champ qui n’est pas à elle, la Révolution commence par bouleverser la hiérarchie catholique. D’après un travail de Bois-Landri, marchand de Paris, elle change les noms et les limites des diocèses27 en supprime une partie, en crée de nouveaux, nomme des évêques, à qui elle dit : « Je vous défends, ainsi qu’à toute église ou paroisse de France et à tout citoyen français, de reconnaître, en aucun cas et sous quelque prétexte que ce soit, l’autorité d’un évêque ordinaire ou métropolitain, dont le siège serait établi sous la domination d’une puissance étrangère, ni celle de ses délégués résidant en France ou ailleurs ; je vous défends, à vous, nouveaux évêques, de vous adresser au Pape pour en obtenir aucune confirmation. Évêques, curés, vicaires et autres ministres du culte, vous êtes mes fonctionnaires28. »
Faire une Église sans Pape, absorber à son profit la double autorité spirituelle et temporelle, se faire représenter en médaillon, avec cette inscription : Imperator et summus pontifex, empereur et souverain pontife: voilà, dans sa plus simple expression, le dernier mot du peuple souverain, et le principe générateur de la Constitution civile du clergé. C’est le principe social de l’ancien paganisme; c’est le césarisme pur; c’est le gallicanisme élevé, dans l’ordre politique, à sa dernière formule. Qui avait remis ce principe en honneur? Qui l’avait formulé, enseigné, prêché? Un jour, nous le demanderons à l’histoire.
Cependant le jour arrive où l’homme propose à l’acceptation publique son essai de religion29 L’immense majorité du clergé refuse de se parjurer. Alors commence contre les personnes la guerre à mort, qui se poursuivait contre les choses. L’ancien paganisme, personnifié dans Néron, reparaît avec toutes les splendeurs de sa cruauté. Jamais bêtes malfaisantes ne furent traquées par des chasseurs avec le même acharnement que les prêtres catholiques, par les proconsuls de l’Hercule révolutionnaire. Comme leurs devanciers des premiers siècles, qui accusaient les chrétiens de tous les malheurs de l’Empire, les modernes païens, pour vouer à la haine publique leurs innocentes victimes, les chargent de tous les forfaits, leur imputent toutes les calamités30.
Sur tous les points de la France, et jusqu’au fond des campagnes, retentissent ces cris de mort : « Les prêtres réfractaires parcourent le pays avec les torches du fanatisme, ils répandent des écrits incendiaires. Le ci-devant évêque est généralement soupçonné d’être à la tête de ces scélératesses. Le directoire du département, qui est inondé de ces libelles, a saisi avant-hier neuf gros paquets de ces brûlots de faussaires. Souffrira-t-on longtemps encore la guerre de ces pirates? Alger et Maroc n’ont jamais recélé d’hommes plus pervers. La loi existe, que le fléau disparaisse31.»
« Nous fondons nos espérances sur le décret contre les prêtres factieux. Jamais il n’y eut de loi si nécessaire et si instante. Il n’est pas de moyens qu’ils n’aient employés pour allumer partout les torches du fanatisme. Nous voyons employer tour à tour la flamme, le fer et le poison. Ils agitent les esprits faibles et les dévots superstitieux ; ils leur montrent l’enfer prêt à s’entr’ouvrir pour engloutir ceux qui ne suivent pas leurs projets de révolte32. »
« Les prêtres réfractaires assassinent et incendient. Leurs agents vont dans les maisons des patriotes et les égorgent. Il y a quelques jours que dix vertueux patriotes sont tombés sous le fer de ces cannibales. Les prêtres réfractaires sont le fléau de la République. Des plaintes éclatent de toutes parts contre cette horde sacrilège… On assassine au nom de Dieu. Les prêtres sanguinaires s’agitent pour perdre la patrie. Qu’ils sachent, les malheureux! que les hommes du 9 thermidor sont ici, et ces hommes, c’est la Convention tout entière33 ! »
Comme aux premiers jours du christianisme, le nom de chrétien était pour les païens celui de tous les crimes, ainsi pour leurs disciples le nom de prêtres devient synonyme de tous les forfaits. En conséquence, les 2, 3, 4 et 5 septembre 1792, la Révolution organise contre eux un massacre général. Les prisons des Carmes, de Sainte-Pélagie, de Saint-Firmin, de l’Abbaye, du grand Châtelet, de la Conciergerie, de la Force et du cloître des Bernardins, sont teintes du sang de plus de deux cents prêtres.
Le jour même, 3 septembre, où elle accomplit cette boucherie, la commune de Paris écrit aux départements : « Une partie des conspirateurs féroces, détenus dans les prisons, a été mise à mort par le peuple, et sans doute la nation entière s’empressera d’adopter un moyen si nécessaire de salut public34. »
Ceux qui échappent au sabre des égorgeurs n’échappent pas aux fureurs de la loi.
Le 14 février 1793, la Révolution met leur tête à prix et promet cent livres de récompense à quiconque découvrira ou fera arrêter un prêtre insermenté. Cent édits de proscription sont lancés contre eux. Errants dans les forêts, jetés dans les cachots, égorgés, fusillés, noyés, mitraillés, guillotinés, déportés, des milliers de prêtres et de fidèles périssent pour avoir résisté au paganisme triomphant, qu’une poignée de lettrés veut imposer à la France.
Toutefois, comme aux premiers jours de l’Église, quelques courages faiblissent. Des Judas se rencontrent dans la tribu sainte. La Révolution s’empresse d’exploiter leur apostasie. Digne fille de l’antiquité païenne, elle n’a point oublié les exemples de sa mère. Pour avilir le christianisme, Dioclétien en faisait jouer les mystères sur le théâtre ; ainsi, un coup est monté par la Révolution pour livrer le christianisme à l’insulte la plus sanglante qu’il ait jamais reçue, même sous Néron.
« Le 9 novembre 1793 un tumulte effroyable se fait entendre en dehors de la Convention ; ce sont les hurlements, les acclamations d’une foule en délire, joyeuse, enivrée de débauche et d’impiété. Voilà bientôt que nous voyons apparaître les acteurs de cette scène abominable. Les uns sont vêtus grotesquement des habits sacerdotaux, d’autres traînent dans la boue les bannières et les croix ; des prostituées boivent dans les vases sacrés ; plusieurs ânes mêlés à la troupe ploient sous le faix des chapes, des chasubles dont on les a couverts ; un entre autres a une mitre épiscopale attachée debout, sur la tête, entre les deux oreilles.
Tout cela fait horreur à voir. Mais ce qui augmente le scandale c’est la présence parmi ces scélérats de Gobel, évêque de Paris, et d’un certain nombre d’ecclésiastiques de son diocèse, qui par leur présence annoncent que les gens de bien doivent se préparer à quelque nouvelle infamie.
Gobel monte à la tribune et dit : « Aujourd’hui il ne doit plus y avoir d’autre culte national que celui de la Liberté et de l’Égalité ; je renonce à mes fonctions de ministre du culte catholique, mes vicaires font la même déclaration. Nous déposons sur votre bureau nos lettres de prêtrise. Puisse cet exemple consolider le règne de la Liberté et de l’Égalité : vive la République ! »
À ce cri, à cette démoralisation complète, la frénésie s’empare des tribunes et de l’Assemblée. On vocifère, on s’embrasse : on aurait dit que l’apostasie sauvait la France35 ! »
Fière d’un pareil succès, la Révolution veut que le monde entier le connaisse, afin, dit-elle, d’étendre son règne, en éclairant l’Europe sur les progrès de la Raison. En conséquence, elle décrète que toutes les apostasies sacerdotales qui prouvent les progrès de la philosophie, seront conservées dans un registre public et adressées à tous les départements ; en outre, qu’elles seront traduites dans les langues étrangères et envoyées chez les différents peuples de l’Europe36.
Elle ne s’en tient pas là. Dans toute l’étendue de sa domination, elle pensionne les apostats; elle décrète la destitution de tout évêque qui s’opposerait au mariage des prêtres; elle ferme les églises, abat les croix, fait taire les cloches; défend de chômer le dimanche, défend de vendre du poisson le vendredi, défend sous peine de déportation l’exposition publique ou extérieure d’aucun signe particulier à aucun culte; supprime tous les noms de saints ou de saintes partout où ils se trouvent.
Les églises deviennent des temples, et sous peine de mort, on dira : faubourg Antoine, faubourg Marceau, faubourg Denis ; temple Germain, temple Laurent, temple Roch; rue Guillaume, rue Honoré, rue Apolline, rue Hyacinthe, rue Anne, rue Jacques. Saint-Denis s’appellera Franciade ; Saint-Malo, port Malo ; Saint-Aignan, Carismont ; Saint-Amour, Franc-Amour ; ainsi en tout et partout.
La haine antichrétienne semble aller jusqu’au scrupule. « Le 5 octobre 1793, la Section de la Croix-Rouge à Paris, craignant que cette dénomination ne perpétue le poison du fanatisme, déclare au conseil de la Commune qu’elle y substituera celui de Section du Bonnet-Rouge37. »
Ce caractère de destruction et de propagande universelle que manifeste en toute occasion la Révolution française, mérite d’être soigneusement remarqué. Il montre clairement qu’elle n’est ni la révolte, ni la rébellion, ni l’anarchie locale ; mais bien l’insurrection générale contre tout ce que, dans son omnipotence, l’homme n’a pas établi. Cherchez quel principe d’ordre religieux ou social, quelle autorité divine ou humaine, quel droit acquis, quelle institution elle n’a pas battus en brèche? De là est sortie la persécution la plus générale et la ruine la plus étendue, depuis le règne de Néron et de Dioclétien.
Pour accomplir son œuvre, la Révolution a plusieurs missionnaires à ses ordres. En France, ses proconsuls et leurs bourreaux; à l’étranger, ses orateurs et ses boulets. Sur ces derniers, elle écrit ses maximes, et partout où ils tombent ils prêchent et accomplissent l’œuvre de destruction. Là où ses armées ne pénètrent pas, elle envoie les discours incendiaires de ses tribuns. Tantôt elle invite les peuples à secouer le joug ; tantôt elle va jusqu’à sommer le vicaire de Jésus-Christ de rendre au genre humain la liberté que le christianisme lui a ravie : le tout au nom de la Nature et des anciens Romains.
« Peuples, s’écrie-t-elle, les tyrans qui avaient opprimé les âmes, vous avaient rabaissés à vos propres yeux ; reprenez l’idée de votre dignité. La loi seule peut vous commander; c’est vous qui êtes le législateur : car le principe de toute souveraineté réside essentiellement en vous. Nul homme n’est votre supérieur que parce que vous l’avez chargé vous- même de l’exécution de la volonté générale.
« Écoutez la grande Nation qui vous dit : Les hommes naissent et demeurent libres. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune, et c’est la volonté commune qui seule a le droit de les établir. Ô homme ! sous quelque climat que tu respires, quelles que soient tes opinions, tes préjugés, les maîtres, voilà tes titres. Ils sont aussi anciens que le temps, aussi sacrés que l’humanité, aussi durables que la Nature.
Le genre humain les avait perdus, c’est la France qui les publie par l’organe de ses députés38. »
En conséquence, un des plus ardents démagogues se constitue le propagateur de l’idée révolutionnaire, et s’intitule l’orateur du genre humain. C’est Anacharsis Clootz, l’auteur de La République universelle et de La Nullité de toutes les religions. Le 19 juin 1790, il se présente à la barre de l’Assemblée à la tête d’une députation du genre humain. Le président, M. de Menou, l’annonce avec solennité, et dit que la députation se compose d’Anglais, de Prussiens, de Siciliens, de Hollandais, de Russes, de Polonais, d’Allemands, de Suédois, d’Italiens, d’Espagnols, de Suisses, d’Indiens, de Turcs, d’Arabes, de Chaldéens, etc., chacun dans son costume national.
Anacharsis prend la parole et dit : « La solennité civique du 14 juillet ne sera pas seulement la fête des Français, mais encore la fête du genre humain. La trompette qui sonne la résurrection d’un grand peuple a retenti aux quatre coins du monde, et les chants d’allégresse d’un chœur de vingt-cinq millions d’hommes libres ont réveillé les peuples ensevelis dans un long esclavage… Il nous est venu une grande pensée, et oserions-nous dire qu’elle fera le complément de la grande journée nationale?
« Un nombre d’étrangers de toutes les contrées de la terre demandent à se ranger au milieu du Champ de Mars, et le bonnet de la liberté qu’ils élèveront avec transport sera le gage de la délivrance prochaine de leurs malheureux frères. Vous verrez dans votre cortège des hommes libres, dont la patrie est dans les fers, dont la patrie sera libre un jour par l’influence de votre courage inébranlable et de vos lois philosophiques.
« Jamais ambassade ne fut plus sacrée. Nos lettres de créance ne sont pas tracées sur le parchemin, mais notre mission est gravée en lettres ineffaçables dans le cœur de tous les hommes, et grâce aux auteurs de la Déclaration des droits, ces chiffres ne seront plus inintelligibles aux tyrans… Quelle leçon pour les despotes !
Quelle consolation pour les peuples infortunés, quand nous leur apprendrons que la première nation de l’Europe nous a donné le signal du bonheur de la France et des deux mondes39. »
Ce discours est plusieurs fois interrompu par les applaudissements de l’Assemblée. Il est bien entendu que la députation du genre humain assistera à la fête de la Fédération, et le président, M. de Menou, ajoute : « L’Assemblée y met une condition, c’est que lorsque vous retournerez dans votre patrie, vous raconterez à vos concitoyens ce que vous avez vu. »
Cette invitation a été comprise : de locale qu’elle était en 1790, la Révolution est devenue européenne.
Renchérissant sur les idées humanitaires de l’orateur du genre humain, l’abbé Grégoire demande, au nom de l’égalité universelle, l’abolition de l’aristocratie de la peau. Le 4 juin 1793, une mascarade est organisée par la propagande révolutionnaire, et l’on voit défiler devant la Convention une députation de nègres et de négresses au son d’une musique guerrière. Elle est précédée d’une bannière sur laquelle sont peints un blanc, un mulâtre et un nègre, debout, armés d’une pique et coiffés du bonnet phrygien. « Citoyens,s’écrie Grégoire, j’ai une demande à soumettre à votre philosophie; il existe encore une aristocratie, celle de la peau : plus grands que vos prédécesseurs, vous la ferez disparaître 401. » La proposition de Grégoire est adoptée avec enthousiasme.
1 Repris de La Révolution, Paris, Gaume Frères, 1856, 1ère partie, p. 115-134.
2 Mgr Jean-Joseph GAUME (1802-1879) s’est notamment fait connaître par une polémique sur les auteurs classiques étudiés dans les lycées. L’enseignement du latin et du grec, alors très poussé, fut en effet donné par une étude exclusive d’auteurs païens, ce qui a fait des laïcs lettrés, intellectuellement, des étrangers dans la civilisation chrétienne dont ils héritaient. Un bref de Pie IX donna raison à Mgr Gaume, notamment contre Mgr Dupanloup, mais les programmes ne changèrent pas pour autant.
3 Ndlr. Charles-Maurice de TALLEYRAND-PÉRIGORD (1754-1838) avait été orienté vers la prêtrise en raison de son pied-bot et en vue de succéder à son oncle, archevêque de Reims.
4 Le Moniteur, 10 octobre 1790.
5Id., 12 oct.
6 Le Monit. 12 octobre.
7 Id., t. II, n°71, 73, etc.
8 Exposé des droits de l’homme, in-8, Paris, 1789, p.17-163.
9 Le Monit., t. II, n° 71 à 80.
10 Id., 13 avril et 14 mai 1790.
11 Id., 30 oct. 1790
12 Id., 30 oct. 1789.
13 Ibidem.
14 Ibidem.
15 Venue de Versailles à Paris, après les journées d’octobre, l’Assemblée constituante siégeait dans une des salles de l’archevêché, en attendant qu’on lui eût préparé le manège des Tuileries, où elle fut installée au mois d’avril 1790. Sur cette grande spoliation, Le Moniteur universel du 2 décembre remarque cinq choses : 1° le jour des Morts, où l’Assemblée mit tous les biens du clergé à la disposition de la nation, il y eut à Paris une éclipse de lune ; 2° c’est l’évêque d’Autun qui a fait cette fameuse motion contre son propre Ordre; 3° c’est M. Camus, avocat du clergé, qui, ce jour-là, présidait l’Assemblée; 4° c’est dans une salle de l’archevêché de Paris que cette motion a été décrétée; 5° c’est à un ministre protestant, M. Necker, qu’est due la convocation de l’auguste Assemblée, à laquelle la France opprimée va devoir sa renaissance et sa gloire. (Le Monit., ibidem).
16 Le Monit., ibid.
17 Le Monit., t. XV, p.717; t. XXIX, p. 225.
18 7 vendémiaire, an XIV. De là, ce mot d’un brave fermier qui, après avoir fait à une dame dont il cultivait les terres le récit de ses malheurs sous le règne de la Convention, conclut en disant : « Enfin, ma chère dame, j’ons été persécuté comme une église », in Mém. de la Rév. fr., in-12, p. 313.
19 Le Monit., 10 sept. 1793 ; voir encore Le Monit., t. XVIII, p. 20 à 659, où sont enregistrés d’autres faits du même genre ; id., t. XIX, p. 234 à 609 ; t. XXI, p. 211.
20 Monit., 3 nov. 93.
21 Ibidem.
22 Le Monit., 20 nivôse an II.
23 Cf. WALSH Joseph-Alexis, Journées mémorables de la Révolution, Paris, Blériot & Gautier, 1882, 3 vol., t. II, p. 101.
24 Le Monit., t. III, n°45 à 48.
25 Le Monit., n° 45.
26 Le Monit., loc. cit.
27 Le Monit., 18 juillet 1790.
28 Constit. civ., art. 4 et 19 ; décret du 1er janvier 1791.
29 Le Monit., 4 janvier 1790.
30 Id., t. VII, p. 29, 39, 43 & 62 ; t. IX, p. 154,250 ; t. X, p. 137; t. XII, p. 200, 304, 490 &560 ; t. XIII, p. 464, 540; t. XXV, p. 678.
31 Le Monit., 30 juillet 1791.
32 Id., 10 décemb. 1791.
33 Id., t. XXV, p.678, 679. Discours de Cornillon, Isabeau et Barras; décret du 25 août 93.
34 Ibid.
35 LA MOTHE-LANGON Étienne-Léon de, Histoire pittoresque de la Convention nationale, Paris, Ménard, 1833, 3vol., t. III, p. 190.
36 Décret du 18 brumaire an II ; voir aussi Le Monit., t. XVIII, p. 369 à 424.
37 Le Monit., ibid.
38 BARRÈRE de VIEUZAC Bertrand, Étrennes du peuple, Paris, 1790. – On trouve dans Le Moniteur cent discours, et dans les journaux du temps mille articles dans le même esprit.
39 Le Monit., t. IV, n° 172.
40 Ibid.