Partager la publication "A Propos de Louis XVII"
Par Xavier de Roche
Résumé : La presse internationale a donné un large écho à l’analyse d’ADN faite par le laboratoire de Louvain sur un cœur présenté comme étant celui de Louis XVII, mort enfant au Temple en 1795, en pleine tourmente révolutionnaire. D’après l’analyse mitochondriale, le cœur est celui d’un descendant de l’impératrice Marie-Thérèse, mère de la Reine Marie-Antoinette. X. de Roche, bien connu pour ses travaux sur la survivance de Louis XVII, fait ici une mise au point sur l’histoire du cœur prélevé en 1795 sur l’enfant du Temple.
S’il y a une certitude majeure dans l’Histoire du Temple sous la révolution, c’est que l’enfant autopsié le 9 juin 1795 (c’est-à-dire l’enfant mort au Temple la veille, 8 juin) par les Docteurs Philippe-Jean Pelletant, Professeur d’anatomie à l’Ecole de Médecine et Chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu ; Jean-Baptiste Dumangin, médecin-chef de l’Hospice de la Charité ; Nicolas-Dieudonné Jeanroy, lui aussi Professeur à l’Ecole de Médecine ; et Pierre de Lassus, Professeur à l’Ecole de Santé et chirurgien réputé ; n’était pas Louis XVII.
En effet, le Dr Jeanroy a laissé à sa famille un témoignage écrit que nous connaissons par son arrière-petit-neveu le Colonel René Jeanroy, lui-même historien, fondateur et premier chef de la première section du Service historique de l’Armée. Le Docteur avait eu à examiner l’Enfant Royal dans ses premières années. Le jeune Duc de Normandie était porteur de signe morphologiques qui l’identifiaient avec une totale certitude : des marques de vaccination ; une cicatrice à la lèvre supérieure ; et surtout une ineffaçable tache de naissance (« naevus maternus ») située sur la partie antérieure et médiane de la cuisse gauche. Les Docteurs Lassus et Dumangin avaient également visité Louis-Charles et fait les mêmes constatations.
Or l’enfant autopsié le 9 juin 1795 ne portait aucune de ces marques et spécialement ne présentait pas l’ineffaçable et inimitable « naevus maternus ». Il ne pouvait donc pas être Louis XVII et il ne l’était pas.
Ce témoignage fut rapporté dès la semaine suivante par Pelletant à son confrère et ami le Dr Jal : « Nos confrères qui avaient connu le second Fils de Louis XVI ne le reconnurent pas, mais nous avons dressé notre rapport comme si c’était lui, aucun de nous ne voulant connaître le sort du Dr Desault« . Celui-ci, médecin-traitant de l’enfant du Temple, avait cru devoir prévenir les conventionnels membres des « Comités réunis » que l’enfant qu’il avait vu au Temple n’était pas le Fils de Louis XVI : c’était le 30 mai ; les membres des Comités remercièrent chaleureusement Desault de cette précieuse information et le gardèrent à dîner. Desault rentra tard chez lui… et mourut au petit matin. Ses collaborateurs Doublet et Chopart et son propre médecin-traitant moururent eux-mêmes dans les jours qui suivirent. Son élève et confident le Dr Abeille, quittant tout, prit aussitôt la fuite, s’embarqua pour les Etats-Unis d’où il ne revint jamais.
Un tel – triple – témoignage n’avait nul besoin de confirmation ; mais les confirmations sont venues d’elles-mêmes, car le Vérité ne se contredit pas et les faits ne peuvent, en convergeant, que la manifester davantage.
Depuis l’exhumation, en 1846, à l’initiative de M. l’Abbé Haumet, curé de sainte-Marguerite, d’une bière de plomb (ce qui, en 1832, avait été annoncé, quatorze ans avant l’exhumation, dans la déposition du colonel Georges Mac Donall) marquée maladroitement par le fidèle fossoyeur Bertrancourt, avec la pointe de son couteau… d’une fleur de lys ! et qui contenait le squelette d’un adolescent au crâne trépané exactement comme celui de l’enfant du Temple (avec la même « échappée de scie » révélatrice, déjà signalée par Pelletan), tous les médecins (presque tous, des sommités médicales) qui ont eu à examiner ce squelette ont constaté qu’il s’agissait d’un sujet âgé d’au moins 14 à 20 ans. Et cela, non seulement à cause de la longueur disproportionnée des bras et des jambes, mais en raison de la présence des dents de sagesse. Ajoutons que ce squelette vient d’être identifié comme étant bien celui de l’enfant du Temple par les travaux du Professeur Puech : à partir du crâne il a pu reconstituer le visage : c’est celui d’un sosie de Louis XVII, mais avec au moins quatre ans de plus.
Une certitude donc : l’enfant mort au Temple, autopsié par Pelletant et trois de ses confrères et dont il avait soustrait le cœur, n’était pas Louis XVII et, par conséquent, le cœur soustrait n’était pas le cœur de Louis XVII. Ce cœur est sans doute parti, nous allons le voir, bien loin en 1831, au fil des eaux de la Seine. Le cœur (différent) possédé depuis 1895 par la branche carliste d’Espagne et ses descendants – et maintenant par le Mémorial de France à Saint-Denis, n’est pas non plus le cœur de Louis XVII, mais celui d’un de ses parent en ligne maternelle. Comment est-ce possible – et même certain ?
Les généticiens de Louvain et de Münster croient avoir retrouvé dans des prélèvements de tissu cardiaque provenant du cœur maintenant déposé à Saint-Denis, l’A.D.N. mitochondrial de l’Impératrice Marie-Thérèse (mère de la Reine Marie-Antoinette) et de ses Filles. Il convient ici de retracer l’odyssée du cœur jadis prélevé par Pelletant le jour de l’autopsie. Rentré chez lui, Pelletant plongea le cœur dans un bocal d’esprit de vin, dont il prit soin de compléter le liquide au fur et à mesure de son évaporation… Des années plus tard (huit ou dix ans dit-il dans sa déposition du 29 mai 1817 devant le Garde des Sceaux Pasquier, c’est-à-dire entre 1803 et 1805, il rangea le cœur « desséché et susceptible d’être conservé sans aucune précaution » dans un tiroir de son secrétaire. Un de ses élèves, M. Tillos, se chargea de la garde de ce cœur et – s’étant marié – l’emporta chez lui. Tillos mourut dans les tout derniers jours de l’Empire. Le 14 avril 1814, Madame Tillos restitua à Pelletan le cœur. Ici, un premier point d’interrogation : comment être absolument sûr de l’identité de ce cœur, échappé depuis des années à la garde de Pelletan ? Un fait curieux ; Pelletan a mis à nouveau ce cœur censé desséché depuis une dizaine d’années, « dans un bocal rempli d’esprit de vin« … Plus tard, Pelletan, qui savait, … nous l’avons vu, à quoi s’en tenir sur le caractère apocryphe du cœur, mais qui avait aussi à se faire pardonner un comportement un peu « douteux » pendant la révolution, voulut se remettre bien en cour : il fit faire un reliquaire de cristal, y plaça le cœur et l’offrit à Louis XVIII qui, pour toute réponse, lui tourna le dos. Pelletant fit alors offrir son présent à la duchesse d’Angoulême, sœur de Louis XVII, à l’occasion d’une visite de la Duchesse à l’Hôtel-Dieu.
La Duchesse refusa formellement le cœur, répondant « qu’elle n’est pas assez sûre de la mort de son frère pour recevoir des restes qui ne sont peut-être pas les siens« . Pelletan prie alors Mgr de Quelen d’intervenir auprès d’elle et l’on connaît la réponse de la Duchesse : « Hélas, Monsieur l’Evêque, nous ne savons que trop ce qu’est devenu mon pauvre frère! » Quelque sens que l’on donne à cette phrase ambiguë, on ne peut y voir une reconnaissance de la mort au Temple ! Au même moment une mèche de cheveux du même enfant mort au Temple, coupée par le même Pelletan et donnée par lui, au moment de l’autopsie, au commissaire civil Damont, est également rejetée par la Maison du Roi. Découragé, Pelletant laisse en dépôt le cœur à Mgr de Quelen et meurt deux ans avant la révolution de 1830.
L’usurpation de Louis-Philippe ne met pas fin au désordre. Le 14 février 1831, une émeute saccage l’église royale et le presbytère de Saint-Germain l’Auxerrois et, le lendemain 15 février, elle continue et aboutit au pillage ou plutôt au sac de l’Archevêché. Louis Blanc nous décrit la scène : « En un clin d’œil, les appartements avaient été envahis… On voyait tournoyer en l’air et tomber dans le jardin, lancés de toutes les fenêtres, livres rares, manuscrits précieux, riches crucifix, missels, chasubles, ornements de toute espèce. Ce qui fut perdu pour l’art et pour la science dans ce jour de folie est incalculable« . Un historien modeste et consciencieux, le châtelain de Tingry, Charles Ricault d’Héricault, dans son livre « La Révolution » (Paris, Dumoulin éd. 1883) témoigne : « Le cœur de Louis XVII, que le Dr Pelletan avait renfermé dans une boîte de plomb scellée de son sceau et remis à Mgr de Quelen, fut jeté dans la Seine« . Le cœur trouvé quelques jours plus tard dans un tas de sable, parmi les débris de cristal, par le Dr Gabriel Pelletan (fils de l’opérateur de 1795) guidé par un émeutier repenti, Lescrocart, ne pouvait être le cœur de l’enfant du Temple, mais un autre cœur conservé à l’Archevêché : depuis la révolution et ses profanations, depuis l’empire et ses vols déguisés en conquêtes, beaucoup de reliques de ce genre avaient échoué à l’Archevêché – de ces reliques dont parlait Paul Morand : « dès que la Dame Blanche1 paraissait… les chanoines de Saint-Etienne préparaient une urne d’argent pour y recevoir un cœur impérial« .
N’oublions pas que S.M. l’Impératrice Marie-Thérèse, décédée en 1780, avait eu seize enfants et de très nombreux petit-enfants… Gabriel Pelletan, au début de 1883, offrit à nouveau le cœur (trouvé par lui sur le tas de sable de 1831) au Comte de Chambord qui allait bientôt mourir, mais qui lui aussi le refusa. Douze ans plus tard les héritiers de Gabriel l’offrirent, cette fois-ci à Don Carlos – qui n’avait pas les mêmes souvenirs ni les mêmes traditions que les Bourbon de France – et il accepta ce cœur, qui n’était pas le cœur de l’enfant du Temple – mais était néanmoins d’origine Habsbourg – mais évidemment pas celui de Louis XVII.
(Ecrit le 10 mai 2000, en l’anniversaire du Martyre de Madame Elisabeth)
1 Le fantôme de la Maison de Habsbourg.