Partager la publication "La présence dominatrice de l’artiste"
Par Wilhelm Furtwängler
Wilhelm Furtwängler (1886-1954)1
L’art moderne, raisonné et non inspiré, ne sait d’où il vient ni où il va ; tel un rappel du chaos originel il saisit le spectateur par le choc de forces élémentaires incontrôlables. Coupé de ses racines, traqué par le rythme inhumain de la vie moderne, hanté par la nouveauté à tout prix, et non plus par la vision intérieure des choses, l’homme a préféré penser plutôt que prier, tout soumettre à son style et d’abord la matière brute, plutôt que de tirer son génie d’être le fervent copiste des œuvres de Dieu.
L’œuvre d’art raconte quelque chose. Et le premier caractère de l’art moderne est qu’il ne raconte rien. Pour qu’il naisse, il faut que l’art de la fiction meure. Le sujet doit disparaître parce qu’un nouveau sujet paraît, qui va rejeter tous les autres : la présence dominatrice de l’artiste lui-même. Le paysage moderne deviendra de moins en moins un paysage, car la terre en disparaîtra. C’est dans le portrait, devant leur propre visage, que beaucoup d’hommes, même parmi ceux qui aiment la peinture, prennent conscience de l’opération magique qui les dépossède au bénéfice du peintre.
Et ainsi la volonté d’annexion du monde prit la place immense qu’avait tenu la volonté de transfiguration. Les formes éparses du monde, qui avaient convergé vers la foi ou vers la beauté, convergent vers l’individu.
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1 Chef d’orchestre allemand, célèbre pour son interprétation magistrale des symphonies classiques et romantiques.