Partager la publication "Sur les origines du calendrier de Noël"
Par Antonio Ammassari
Résumé : À partir de l’antique Psautier de Pierre, en usage avant la réforme grégorienne, l’auteur a pu reconstituer l’ordre de lecture quotidienne des psaumes à l’époque du Christ. On constate d’étonnantes coïncidences entre tel événement de l’Evangile et tel versets du psaume du jour, apportant une confirmation de la date du 25 mars pour l’Annonciation, et du 25 décembre pour la Nativité. Outre l’harmonie préétablie entre l’Ecriture sainte et Jésus-Christ, cet article tend à montrer l’étroite continuité de la prière collective depuis celle du Temple jusqu’à celle de l’Eglise.
A l’occasion d’une recherche sur le Psautier latin anonyme traduit de l’hébreu et conservé dans le Codex Latin Cassines 557, en définitive reconnu comme étant le « Psautier de Pierre », nous avions considéré les antiennes « ad communionem« , tirées des Psaumes 1-26 en succession continue, comme l’élément le plus ancien du Missel1 . Les antiennes commencent au Mercredi des Cendres (1er jour de Carême) et se poursuivent jusqu’à la Semaine sainte, si l’on considère comme étant jours liturgiques dans la semaine le mercredi (psaumes 1,5,10,15), le vendredi (Ps 2,6,11,26), le samedi (Ps 2,7,22,26), le lundi (Ps 8,13,18,23), et le mardi (Ps 4,9,14,19,24). Comme le jeudi, avant le pape Grégoire II, était considéré comme un jour a-liturgique, on devait donc admettre l’antiquité de l’ordre de succession des antiennes, et le faire remonter à saint Grégoire le Grand2 . Au reste l’introduction de l’Antiphonaire renvoyait à des documents et des avertissements antérieurs : » Le chef de choeur Grégoire, digne du nom et des mérites où il a conduit le genre au plus haut sommet, s’est élevé à l’honneur, en renouvelant les monuments des premiers Pères, quand il composa ce petit livre sur l’art musical de l’Ecole des Chants« 3 .
En admettant l’exactitude historique de cette déclaration, si l’on projette les antiennes dans les semaines successives et selon le rythme des jours liturgiques et a-liturgiques, on obtient un cursus complet de lecture continue des Psaumes des 6 autres mois, soit depuis les mois d’Adar et Nisan, jusqu’à celui d’Elul, selon l’ancien calendrier solaire biblique4 , retrouvé à Qumrân et étudié par le bibliste français A. Jaubert5 . Cette projection nous permit de découvrir que l’évangéliste Luc et Jésus lui-même connaissaient ce cursus : elle donnait les raisons de la citation que Jésus, en avait fait sur la croix, la tirant du psaume du jour (Ps 30: 6 cf. Luc 23 : 46 : « Entre tes mains je remets mon esprit« 6).
On comprend pourquoi Pierre, dans la réunion des frères et disciples au cours de laquelle Matthias fut substitué à Judas, a cité le psaume du jour » « Que sa demeure devienne déserte et que nul n’y habite« (Ps 68,26 cf. Actes 1,20). L’Ascension de Jésus coïncidait avec le Ps. 67,33-34 « Royaumes de la terre, chantez à Dieu. Célébrez le Seigneur ! Chantez à celui qui est porté sur les cieux, les cieux antiques. Voici qu’il fait entendre sa voix, une voix puissante !… » et les derniers versets du psaume 76,18-19 « Les nuées déversèrent leurs eaux, les nues firent entendre leur voix et tes flèches volèrent de toutes parts… La terre frémit et tremble« , avaient fourni à Luc des raisons et images pour décrire la Pentecôte de l’Esprit Saint (Actes 2,1-3 ; 4,31) : « Tout à coup vint du ciel un bruit semblable à un fort coup de vent, qui remplit toute la maison où ils se tenaient. Et ils virent apparaître, semblables à du feu, des langues qui divisaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux« , et Actes 4 : 31 : « Le lieu où ils se trouvaient réunis trembla« 7 .
En conclusion, les antiennes de Communion mises en ordre par saint Grégoire et issues des restes de l’ancien cycle quadragésimal et pascal de l’Eglise de Rome, trouvent confirmation dans l’Evangile de Luc et dans les Actes ; le cycle de lecture continue des Psaumes pouvait être comparé à ceux de Qumrân et des traditions juives orthodoxes et être appliqué au « Psautier de Pierre ».
Il restait encore à expliquer la liaison du cycle de Noël avec celui de Pâques. Dans une étude approfondie du calendrier de la secte de Qumrân8 , le Prof. Shemaryahu Talmon, de l’Université de Jérusalem, a reconstitué les 24 tours de service, dans le temple, des familles sacerdotales. Il a comparé l’ordre de succession de leurs jours, qui coïncide avec la liste du livre des Chroniques, et individualisé les semaines selon les mois du calendrier de Qumrân, celui même que nous venons d’utiliser. « Le premier sort échut à Joïarib, le deuxième à Jêdéï, le troisième à Harim, (…) le huitième à Abiah, le neuvième à Jésua, (…), le vingt-quatrième à Mazziaü » (I Chron 24 : 7-18).
A l’aide de ces tours, les annotations de Luc dans son Evangile de l’enfance du Seigneur deviennent intelligibles. Luc dit que le prêtre Zacharie était de la classe d’Abiah et qu’il exerçait ses fonctions au temps où l’Ange Gabriel lui annonça la naissance du fils qu’il devait nommer « Jean » (Lc. 1,5-13). Eh bien! Selon l’ordre des tours et le calendrier qûmranique solaire, la famille d’Abiah servait au Temple deux fois par an du 8ème au 14ème jour du 3ème mois, et du 24 au 30 du 8ème mois.
Tableau des Tours de Service au Temple
La naissance de saint Jean-Baptiste, fixée au 24 juin dans le Missel romain qui concorde avec la tradition orientale, fait retenir que la rencontre avec l’Ange arriva du 24 au 30 du 8ème mois. Sa naissance – après 8 mois – peut bien se produire au commencement du 4ème mois de l’année suivante, Tammuz, et le nom de « Jean », theophorique*, incluant la racine hébraïque »hanan » (avoir compassion, faire miséricorde), intervient comme verbe dans le Psaume 85, 3:16, mais aussi comme substantif « hannûn » (Ps 85,15) et « tahanûn » (Ps 85,5). Selon le cycle des antiennes, ce psaume était lu le 3 du 4ème mois, vendredi, de Tammuz9 . Comme il est noté, Luc date l’annonciation de l’Ange à Marie au 6ème mois après la conception de Jean (Lc 1,26) et toute la liturgie orientale et occidentale, donc également le Missel Romain, indiquent la date du 25 mars. Luc ajoute ensuite que les jours suivants Marie fut reçue par sa parente Elizabeth, et récita son Magnificat (Lc 1, 39,46-55). Dans ce cas encore, l’Ange indique le nom qu’il faut donner à l’enfant qui va naître : « Jésus ». La racine hébraïque Iashah intervient avec une spéciale insistance (6 fois) dans le Psaume 17 qui était lu le 31 d’Adar ; (V. 3, 4, 28, 36, 47 et 51). D’autre part le même psaume comporte la racine rûm, l’hébraïque supposée de « Magnificat » (Ps 17,49), qui se retrouve encore au verset 47.
On doit retenir que la date du 31 d’Adar correspond au 25 mars. Au reste, la racine Iasha (sauver) intervient encore au tout début du mois suivant, celui de Nisan, au Ps 19,6 ainsi que Ps 20,2.6.10 et Ps 22,4. En supposant que Marie se soit fixée à Nazareth trois semaines avant de se mettre en route, son arrivée chez Elizabeth peut être survenue en coïncidence avec la lecture de Ps 33, 4 « Magnificate Dominum mecum et exaltate nomen ejus in se« .
La naissance de Jésus le 9ème mois, et son attribution au 25 décembre remonte ainsi à une tradition judéo-chrétienne enregistrée implicitement par Luc10 .
(Traduit de l’italien par M. Jean-Charles Ceruti à partir de l’original italien publié dans Euntes Docete XLV (1992) pp.11-16).
1 A.Ammassari, Il Salterio Latino di Pietro, éd. Città Nuova, Rome 1987, pp.38-49
2 Dom Cagin, Un mot sur l’Antiphonale Missarum, Solesmes 1890, p.18
3 Antiphonale Missarum Sextuplex, éd. René-Jean Hesbert, Bruxelles 1935
4 A.Ammassari, Il Salterio Latino di Pietro, cit., pp.40-41
5 A.Jaubert, Le Calendrier des jubilés et de la secte de Qumrân. Ses origines bibliques, in V.T. Suppl. III, 1953 ; Id., Le Calendrier des jubilés et les jours liturgiques de la semaine, in V.T. Suppl. VII, 1957.
6 A.Ammassari, Il Salterio Latino di Pietro, cit., pp.45-46.
7 Idem, ib.
8 Shemaryahu Talmon, The Calendar Reckoning of the Sect from the Judean Decret, in Scripta Hierosolymitana, vol. IV, Jerusalem 1958, pp.168-176.
* Ndlr.Io- Hanan signifie « Dieu a pitié », Io (et Ia) faisant partie des dénominations de Dieu les plus usitées, avec El, dans la composition des noms théophoriques
9 Le psaume 89 était lu le mercredi suivant, le 8 de Tammuz ; il se termine par le verset « Béni soit à jamais le Seigneur ! Amen ! Amen ! »(Ps 89:53) et peut avoir inspiré à Zacharie, père de Jean, le début de son cantique « Benedictus » (Luc 1:68).
10 Déjà dans une étude précédente, la Famille du Messie. Note sur l’Evangile de l’Enfance de Jésus in Bible et Orient 5 (1977), nous relevions que Luc reflétait une ambiance sociale typique et historiquement documentée quand il certifiait la virginité de Marie dans le domaine d’une famille davidique.