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Par Claude Polin
« Il a plu à Dieu qu’on ne pût faire aucun bien aux hommes qu’en les aimant. » (P. Le Prévost)
Communisme : mythe et réalité [1]
Résumé : On croit souvent comprendre le phénomène du communisme en le réduisant à la mégalomanie de quelques chefs sans scrupules, servis par un parti remarquablement organisé pour terroriser des masses hypnotisées. Or la Révolution russe, loin d’un despotisme oriental irrationnel, s’est présentée comme la seconde du genre en Occident, et par là comme un accomplissement de l’esprit des Lumières. On saisit mieux ainsi l’adhésion indiscutable de foules enthousiastes (et ceci vaut aussi pour l’idéologie nazie) à l’idée de renverser l’ancien régime. Or le ressentiment contre l’ordre établi est un trait pérenne de la modernité, en tant qu’elle repose sur trois piliers : le refus de toute religion reçue d’en-haut, le goût du plaisir individuel (égoïste) et, avec l’idée démocratique, le désir de subordonner le bien commun à chaque intérêt particulier. Alors le communisme et le libéralisme se présentent comme les deux faces de la modernité, ayant en commun l’exaltation d’un moi considéré comme impeccable et digne de se gouverner lui-même (et accessoirement les autres).
1. Tout se passe, selon les idées reçues dans les milieux de spécialistes accrédités, comme si le communisme procédait d’une idée simple, dont dérivent tous les autres caractères qui lui sont dès lors attribués : la volonté de puissance de quelques hommes. Système social monstrueux, il fut voulu et mis en œuvre par quelques individus pathologiquement pervers. Le premier et principal coupable fut longtemps Staline ; aujourd’hui on accuse volontiers Lénine, désormais conçu comme le chef d’un gang de déclassés et d’illuminés portés à un fanatisme primaire, sans humanité ni scrupules, capables de toutes les cruautés : une lie sociale et mégalomaniaque dont le but était, lucidement ou non, purement et simplement le pouvoir absolu.
Fous sanglants quoique dotés de l’intelligence, limitée mais réelle, qu’inspire la méchanceté, ces hommes, Lénine en tête, inspirés par le souvenir des hauts faits du jacobinisme, ont mis sur pied et pris en main – une main de fer – une organisation de révolutionnaires professionnels, possédés par un dévouement aveugle et inconditionnel à leur parti, et particulièrement à son chef, parti dont la puissance, les ramifications et l’institutionnalisation n’ont cessé de croître, se transformant progressivement en une vaste bureaucratie au service d’elle-même et de son emprise sur la société. À bien des égards, communisme et nazisme deviennent ainsi comparables. Ces régimes n’ont jamais disposé que d’un seul levier pour mouvoir les masses, la terreur, qu’elle ait été purement physique ou idéologique : le communisme ne se borne pas à utiliser la terreur, il est intrinsèquement terreur, une terreur durable, parce que planifiée, bureaucratique, courant du bas en haut de l’échelle sociale (Staline lui-même ne vivait-il pas dans la terreur d’être assassiné ?), recourant périodiquement à des exécutions, des purges, des procès, individuels ou collectifs, des déportations, massives ou individuelles. Le système, naturellement, ne pouvait s’afficher ouvertement pour ce qu’il était : il lui était besoin de camouflage, de mensonges, d’euphémismes, en même temps que d’un ennemi total et implacable dont l’éradication absolue, sous la direction de l’avant-garde du prolétariat, était seule censée assurer le bonheur des masses prolétariennes.
Résumons d’un mot cette description : le communisme est la forme la plus achevée, inconnue jusqu’à lui, du despotisme que l’humanité ait jamais connu, un despotisme total assurant aux détenteurs du pouvoir, aux membres du parti et singulièrement à leur chef, une maîtrise de leurs sujets, c’est-à-dire de leurs victimes, dont le despote oriental le plus délirant n’aurait pas même osé rêver[2].
Rien d’étonnant à ce que les peuples aient enfin fait tomber le joug dont ils étaient chargés : le communisme est mort.
Telles sont les idées reçues sur le communisme, en vogue aujourd’hui dans une intelligentsia qui se veut courageuse et qui se dit éclairée.
2. Une telle définition de la nature du communisme présente l’avantage considérable d’apporter, à une question qu’il est difficile de ne pas se poser, une réponse propre à satisfaire ceux qui ne souhaitent pas prendre le temps de réfléchir, ou qui ont peur de ce qu’un peu de réflexion pourrait leur apprendre.
La question est celle du principe moteur du communisme. Si l’on suit la vulgate contemporaine, la réponse est simple, il suffit de poser : c’est la faute à Voltaire ou à Staline ou à Lénine, et tout est clair. Le totalitarisme communiste est un régime inventé par un homme, sans doute sorti de l’Enfer, mais enfin par un homme ; avant lui, il n’était pas possible, il n’était même pas concevable. Et d’énumérer les assassinats, de compter les cadavres, de relater les tortures, comme autant de preuves que tout se ramène à la terreur, que la terreur se rapporte à la volonté de Lénine et de ses sbires, et qu’ainsi tout est dit.
Il y a pourtant, dans l’organisation d’un parti de révolutionnaires professionnels, dans les méthodes de conquête du pouvoir, dans la concentration du pouvoir au sommet, dans l’utilisation de la terreur comme instrument de soumission, dans le traitement réservé à l’ancienne élite, et jusque dans la prétention à incarner le salut de l’humanité, trop de correspondances et trop manifestes entre Révolution soviétique et Révolution française pour qu’il soit bien intelligent de nier toute parenté entre elles.
Les historiens à la mode se sentent contraints d’afficher qu’ils n’ignorent pas que les menées léninistes ont eu un précurseur, et même, si on en croit les promoteurs du communisme eux-mêmes, un inspirateur en la personne du Lénine du XVIIIe siècle, Robespierre.
Ils se gardent cependant d’aller au-delà d’une comparaison entre jacobinisme et léninisme, et non entre Révolution communiste et Révolution française. Nuance ? Que non pas. Le parallèle restreint fait en effet d’une pierre deux coups. D’une part, en imputant le jacobinisme à la volonté de Robespierre, on le transforme en une sorte d’accident de parcours d’une vaste évolution historique à laquelle rien ne le rattache essentiellement, puisqu’il est dû à un fait contingent, l’existence d’un homme désormais chargé de tous les péchés, ce qui exonère le devenir dont il fait accidentellement parti. La Révolution française comporte désormais deux moments, l’un grand et généreux, porté par des esprits profonds aux mobiles nobles et aux intentions salutaires, l’autre, condensé de la méchanceté et de la folie humaines, mais phénomène isolé, fruit d’un hasard tragique. Ainsi non seulement la Révolution est globalement sauve, mais surtout, derrière elle, l’esprit qui l’a engendrée, le souffle qui lui a donné son énergie, les idées qui en ont permis le rayonnement universel : l’esprit des Lumières, les immortels principes. Il n’est même plus besoin de dire : on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, les œufs jacobins n’ont jamais été un ingrédient de l’omelette.
D’autre part, en rapportant le communisme à Lénine, et en soulignant l’influence de Robespierre sur Lénine, (et sur des auteurs prémonitoires comme Netchaïev), non seulement on assoit la conviction que le communisme est lui aussi un accident de l’histoire occidentale générale, mais on affirme implicitement qu’il est inutile de chercher plus avant si la parenté de la Révolution soviétique avec la Révolution française ne serait pas de consanguinité, et si Robespierre et Lénine, loin d’être des accidents extérieurs à l’histoire de nos siècles, n’en seraient pas les produits, et comme les deux états de la maturation d’un monstre qui aurait ainsi pris deux figures successives, l’une en quelque sorte inchoative et l’autre achevée.
Or, qu’y a-t-il derrière la Révolution française, sinon l’esprit des Lumières, c’est-à-dire la quintessence de l’esprit moderne ? Dès lors, ce n’est plus la Révolution française seulement que cette représentation du communisme sauve, c’est la modernité tout entière, le dogme du progrès scientifique, le développement économique et social, l’idéologie démocratique. Foin d’une influence de Rousseau sur Robespierre, de Marx sur Lénine, et des Lumières sur Marx. Robespierre, Lénine ? De tristes individus, comme il s’en peut rencontrer à toute époque, le communisme, un cataclysme imprévisible : n’a-t-on pas connu Caligula et Attila, la peste noire et l’explosion du Krakatoa ?
On aperçoit même soudain sous un jour nouveau ce qui passe pour être la preuve d’un courage et d’une honnêteté intellectuelle admirables : la comparaison du communisme avec le nazisme. Il fut un temps où était sacrilège la seule idée de comparer les deux idéologies. Hier encore, le communisme était le dévoiement d’une idée noble et généreuse, le nazisme, le délire d’un gang haineux, raciste, assoiffé de pouvoir et de richesses. Aujourd’hui, il semble que ceux-là même qui hier reculaient d’horreur à l’idée de leur trouver une parenté se précipitent soudain pour le faire : le retournement est trop singulier pour ne pas cacher quelque chose. Ou bien les Sartre, les Aragon et autres Merleau-Ponty étaient des gogos imbéciles, déshonorés par leur adulation de Staline, ou bien il s’est passé quelque chose qui a fait qu’ils s’appellent aujourd’hui A. Glucksmann, B.-H. Lévy, A. Finkelkraut, entre autres, et vilipendent le stalinisme. Ce qui a changé est, me semble-t-il, tout simplement la perception des rapports entre le communisme et la modernité. Récemment encore, il s’agissait, pour les esprits se voulant éclairés, d’achever la Révolution française, de compléter la ruine de l’Ancien Régime dans les esprits comme dans les cœurs, d’éradiquer les croyances et les mœurs traditionnelles, et en un mot d’asseoir la modernité. Les communistes, même staliniens, même léninistes, étaient alors quelque chose comme les chiens de guerre ou les irréguliers du corps de bataille progressiste : trop primaires, trop sanguinaires et trop excessifs pour être vraiment acceptés parmi les troupes régulières, ils combattaient trop évidemment pour la même cause pour être vilipendés, ils étaient des idiots forts utiles.
Aujourd’hui la guerre paraît finie et la modernité victorieuse, et le léninisme, désormais marqué par un anti-hédonisme impossible à celer, menace de discréditer une modernité dont il risque d’apparaître comme l’effet. Les hommes de gauche sont aujourd’hui aux rouges ce que les thermidoriens furent aux jacobins : la monarchie est morte, les Biens nationaux sont devenus propriété privée, il serait stupide d’exalter la guillotine qui a permis de les acheter. C’est donc le communisme qu’il faut discréditer pour sauver le modernisme, et de même qu’hier il n’était pas pensable de comparer Staline, ce héros du progrès, avec Hitler, ce fasciste, aujourd’hui il importe d’en faire des jumeaux, et de rapporter les horreurs communistes à un lénino-stalinisme hitléroïde sans racine aucune dans la modernité, ou qui n’y est plus que comme le fruit accidentel d’une conspiration de déséquilibrés ivres de volonté de puissance. L’histoire est maîtresse de vérité, mais décidément elle peut aussi servir à dissimuler l’histoire, surtout dans un pays où le législateur s’est donné le droit de dire l’histoire.
Car, avaliser cette conception du communisme rend, me semble-t-il, fort difficile d’éviter une question simple : est-il possible que la terreur, ou l’embrigadement par la force, le lavage de cerveau, aient été l’unique support d’une idéologie aussi massivement présente dans l’histoire contemporaine, que la seule crainte ait pu porter des masses d’hommes à suivre et à obéir aussi durablement, avec un dévouement dont on ne saurait dire qu’il soit admirable, mais qui n’en est pas moins réel, à des meneurs supposés être une poignée de ratés sanguinaires, acharnés à terroriser et à exterminer ? Ne se pourrait-il pas que le communisme ait été – et donc puisse continuer à être – quelque chose de populaire ?
3. Il ne faudrait pas que les cris d’orfraie de certaines belles âmes étouffent la voix de l’évidence historique. Le communisme a été et demeure populaire, sans conteste possible, non seulement dans les masses, mais auprès de nombre d’esprits célèbres et qui passaient pour penser.
Au demeurant, le simple bon sens ne suffit-il pas à établir la chose ?
Si les gouvernants sont toujours en petit nombre par rapport aux gouvernés, ce n’est pas la terreur qui fait sa puissance mais l’opinion que le grand nombre a du petit : un tyran, disait déjà Montesquieu, ne règne que parce qu’il a l’appui du peuple contre les Grands. L’obéissance est encore plus étrange si les chefs sont manifestement des médiocres, comme le soulignait déjà H. Taine, décrivant Robespierre comme un avocat raté, Marat comme un aliéné mégalomane, et Danton comme un bandit de grand chemin. N’est-il pas d’ailleurs contraire au bon sens le plus élémentaire d’imaginer que les masses obéissent parce qu’elles ont peur ? Les masses n’ont peur de rien car elles sont masses, et se sentent plus fortes que n’importe quel homme ou quelle clique ; elles obéissent parce qu’obscurément ou non, elles aiment, elles admirent, elles se reconnaissent dans leur chef, ou tout simplement parce qu’elles voient leur intérêt à le suivre. Un meneur peut mener les foules à l’assaut de la Bastille, mais il faut d’abord que la Bastille soit au préalable devenue un symbole du Mal ; et une fois la Bastille prise, il faut en trouver d’autres pour pouvoir continuer à mener. Trotsky l’avait bien compris qui prônait la révolution permanente. Je suis leur chef, il faut bien que je les suive, disent tous les démagogues.
Lénine n’est devenu possible que parce que dans la masse existait un potentiel de révolte, de violence, de haine, une dynamite à l’irrésistible puissance dans laquelle il suffisait de porter une étincelle pour que l’Ancien Régime explose ; son seul génie consistant à l’avoir perçu et su comment fabriquer l’étincelle. Les historiens à la mode ne veulent voir du communisme que le sang versé par lui : cela témoigne sans doute d’une certaine sensibilité mais pas d’un grande perspicacité car le communisme, c’est aussi l’enthousiasme, la ferveur populaire, la communion collective sur la Place rouge, qui évoque irrésistiblement les rassemblements populaciers sur la Place de la Révolution, autour de la guillotine, comme les déportations de populations ou l’organisation d’une famine systématique par Staline évoquent les colonnes infernales de Turreau en Vendée.
Dans l’un et l’autre cas les exécutants étaient des hommes normaux, moyens, ordinaires, massacrant femmes et enfants consciencieusement, méthodiquement, avec la conviction d’accomplir une tâche peut-être pas toujours ragoûtante, mais qu’ils n’auraient probablement pas accomplie s’ils ne l’avaient estimée juste, légitime, et même les hissant au rang de sauveurs historiques de la patrie en danger. Les massacres sont horribles mais la bonne volonté des massacreurs l’est plus profondément encore ; les exécutions frappent la sensibilité, mais la conviction mise à les perpétrer devrait frapper plus encore l’intelligence. Il y a pire que le geste de l’assassin : il y a la faveur dont l’opinion l’entoure.
Quiconque a un peu lu Soljenitsyne, pour ne citer que lui, aura appris par exemple, et entre mille autres faits de même nature, que, dans un pays débarrassé de Staline et a fortiori de Lénine, les autorités censées être terroristes ne se donnaient même plus la peine de venir arrêter les « ennemis du peuple », elles leur téléphonaient pour leur signifier leur arrestation, et leur ordonner de venir se constituer prisonniers. Ce qui signifie clairement qu’une fois condamné officiellement, chacun avait le sentiment de ne pouvoir plus compter sur personne, et donc qu’il ne lui restait plus qu’à se livrer. À bien comprendre l’anecdote de Soljenitsyne, le communisme apparaît, à l’instar du jacobinisme, non pas comme un régime où quelques gangsters asservissent la population en la terrorisant, mais comme un régime où, comme en 1793, tout le monde est suspect aux yeux de tout le monde, où chacun se méfie de tous, où tous sont les ennemis potentiels de tous, en un mot comme un régime de terreur et d’asservissement réciproque de tous par tous. La véritable horreur du communisme, c’est que les bourreaux y furent non un ramassis de sadiques mais une masse d’individus ordinaires en arrivant à se haïr les uns les autres au point de s’entre-exterminer. Chacun sait qu’au pied des échafauds, des femmes attendaient, en tricotant, de voir tomber les têtes, au plus près du couteau pour être éclaboussées du sang des victimes.
La vraie question me paraît être : comment les tricoteuses ont-elles été possibles, et derrière elles ces foules de badauds souvent muets mais dans leur immense majorité consentants et approbateurs[3]. La seule question me paraît être : comment, sinon la haine d’autrui, du moins l’inimitié à son égard a-t-elle pu devenir dominante dans l’esprit occidental au point de donner naissance à une société fondée sur l’inimitié réciproque, sur un désir de destruction réciproque.
4. Si l’organisation de la terreur ne fait pas le communisme, il reste à comprendre comment il a pu être possible. On ne peut en quelques lignes faire autre chose que suggérer une hypothèse peut-être plus choquante mais peut-être aussi plus convaincante que la terreur.
Comme il est évident qu’il ne peut s’agir d’une adhésion rationnelle à une doctrine claire et distincte, il reste à comprendre que le succès du communisme repose sur sa capacité à mobiliser des forces irrationnelles, c’est-à-dire des passions humaines. Ce ne peut être, me semble-t-il, un hasard si tant de meneurs communistes ont pu être des déclassés, ou des hommes se sentant l’être, des hommes mus par un ressentiment quasi-obsessionnel. Depuis plus d’un millénaire aujourd’hui, l’Europe a vu naître et mourir des illuminés issus des bas-fonds promettant le paradis à leurs fidèles, pourvu qu’ils se consacrent d’abord à tout détruire et singulièrement à exterminer tous ceux à qui la société existante réservait un sort à leurs yeux plus enviable que le leur.
La Révolution russe s’inscrit dans une longue tradition de rage destructrice chaque fois propre à satisfaire toutes les rancœurs, toutes les envies, toutes les rancunes, toutes les insatisfactions de tous ceux qui, à tort ou à raison, pouvaient en vouloir à l’ordre social existant. Sentiments dont l’acuité ne pouvait être que multipliée par la conviction que la société à venir, quelle qu’elle soit, était nécessairement préférable : quand on a rien à perdre, on a tout à gagner.
Mais si tant est que ces sentiments puissent être considérés comme pérennes, et en quelque sorte inscrits dans la nature humaine, il reste à savoir pourquoi, il n’y a pas un siècle à moins qu’il n’y en ait un peu plus de deux, ils sont soudain devenus si puissants qu’ils ont pu ébranler le monde contemporain. À ce point il faut faire appel à l’histoire, à la vraie, qui n’est pas séparable de la philosophie.
Car ce qu’il s’agit, me semble-t-il, de comprendre et de défendre, c’est cette idée simple que ce ne sont pas des hommes particuliers qui ont inventé le communisme théorique et pratique, mais qu’il procède d’une mentalité, d’un esprit général et que ce dernier n’est autre que celui même de la modernité occidentale : osons porter une main sacrilège sur un tabou éminemment sacré.
Cette modernité comporte visiblement au moins trois caractères.
a. Le premier est le refus de toute religion. Ceux qui croient la modernité compatible avec la foi religieuse en général et a fortiori avec le catholicisme en particulier, se trompent absolument. Le pape Pie IX n’est peut-être pas le dernier à l’avoir compris, mais le dernier du moins à l’avoir explicitement enseigné. La raison en est aussi simple que fondamentale : la modernité commence, dans l’histoire de l’Occident, avec la conviction que l’homme peut se passer de Dieu, donc que la religion n’est qu’une superstition, funeste aussi bien à la liberté de l’homme qu’au développement de l’esprit humain, l’homme étant conçu comme un être doué de raison et à ce titre capable de se suffire à lui-même, capable d’être absolument auto-nome. Le déisme n’enseigna rien, sinon à remercier Dieu d’avoir fait l’homme capable de se passer de sa grâce (je remercie Dieu, je ne le prie pas, dit le Vicaire savoyard).
Et la Déclaration des Droits de l’Homme, ne fut jamais, en son fond, que la déclaration du droit de chaque homme à être son propre Législateur.
On objectera peut-être que Robespierre a, dans une cérémonie célèbre, fêté l’Être suprême. La cérémonie était ridicule, mais révélatrice dans son intention : ce qu’il s’agissait de célébrer n’était pas un Dieu créateur mais un dieu conçu comme Raison, et une Raison conçue elle-même comme l’essence de l’homme, ou pour mieux dire de chaque homme, l’expression suprême et le signe de l’humanité de l’homme étant en chacun la possession d’une faculté de raisonner et le libre usage de sa raison. De sorte que le culte de l’Être suprême n’était finalement rien sinon le culte voué par l’homme à lui-même, rien sinon la reconnaissance publique du fait que l’homme pouvait être, en tant qu’être rationnel, un dieu d’abord pour l’homme.
Mais, la raison étant considérée comme fondant la capacité de l’individu à être à lui-même sa propre loi, son aptitude à se gouverner non selon des principes reçus d’ailleurs mais des principes issus de sa raison, c’est-à-dire rationnellement, l’homme qui est un dieu pour chaque homme, c’est d’abord lui-même : le vrai sens du culte de l’Être suprême, c’est donc le culte de soi, la divinisation de l’égoïsme ou de l’égocentrisme individuel. On a cru que le libre usage de leur raison mènerait les hommes au respect mutuel, à la paix et à la prospérité, mais on n’a pas compris que cette raison n’était plus faculté d’accéder à la vérité, c’est-à-dire de comprendre chaque homme comme une simple partie d’un tout, mais était souveraineté du jugement individuel et rationalité, c’est-à-dire calcul des meilleurs moyens pour chaque homme de parvenir à ses fins, science, c’est-à-dire capacité d’asservir la nature aux désirs des individus, et par là-même refus de toute vision du monde qui ferait de l’homme en général et de chaque homme en particulier une partie seulement du monde et non son seigneur et possesseur. Cette raison là autorisait en somme chaque homme à se prendre pour le nombril du monde.
Il s’ensuivit ce qui ne pouvait pas ne pas s’ensuivre. Sous prétexte que tous les hommes sont censés être doués de raison, on a cru que l’amour de la raison porterait à l’amour de l’humanité, mais on n’a pas compris que cet amour n’était plus rien que l’amour de l’homme pour quelque chose d’humain, et que l’humanité même de cet amour ôtait à l’individu toute raison d’aimer l’humanité elle-même. Car si les autres ne sont rien que ce qu’il est lui-même, c’est-à-dire des hommes, pourquoi aimerait-il les autres plus que lui-même ? De quels ressentiments une société n’est-elle pas au contraire grosse, dès l’instant qu’elle autorise chaque citoyen à se prendre pour mesure de toute chose et à juger, dès l’instant que leur moindre caprice n’est pas satisfait, être victimes d’une injustice, dont ne peuvent évidemment être coupables que « les autres » ? Dès l’instant que les hommes ont tous le même droit à tout ce à quoi ils sont tentés de prétendre, et qu’il y en a à ne pouvoir faire valoir le leur, c’est que la société est mal faite parce qu’elle est faite par des méchants : l’Enfer c’est les autres. On voit ainsi que si de l’athéisme au culte de soi, le lien est direct, il l’est tout autant de l’amour de soi à l’animosité de l’homme pour l’homme, de sorte que finalement l’athéisme, c’est la guerre de tous contre tous. L’athéisme est ainsi comme la charnière autour de laquelle l’histoire européenne va tourner et changer de cours. Ramassons les choses : le refus de Dieu, c’est l’affirmation de l’autonomie de la subjectivité et celle du droit de tout à tous, c’est donc la guerre de tous contre tous, et singulièrement le droit à l’appropriation de tout ce que l’on ne possède pas, c’est-à-dire le communisme.
On objectera peut-être que les révolutionnaires communistes ont souvent fait preuve d’une abnégation étonnante dans leur soumission à la cause du communisme. Mais dans la fidélité perinde ac cadaver que le communiste voue à son parti, faut-il voir le signe d’une improbable kénose[4] ou bien tout au contraire la preuve de la conviction, exaltante pour le Moi le plus médiocre, de ne faire qu’un avec l’histoire, d’en être en quelque sorte un moteur, et finalement de donner ainsi au Moi qui n’est rien le sentiment d’être Tout ?
On cite souvent la dernière lettre de Boukharine à Staline, où le premier assure le second qu’il comprend et approuve sa propre condamnation à mort, pour montrer à quel point les hommes et les esprits étaient asservis à Staline, au point de perdre même leur propre instinct de conservation. Mais n’y pourrait-on pas voir la preuve que ces hommes, qui n’auraient rien été sans la Révolution, ne pouvaient s’en dissocier sans cesser d’être quelque chose à leurs propres yeux ? Il en va de Boukharine comme du supporter qui s’identifie à son équipe favorite, ou du citoyen de Rousseau qui se reconnaît dans le Législateur. Rien de plus exaltant pour le médiocre que de croire être un agent de l’histoire, que d’éprouver le sentiment d’être au centre d’une société qui auparavant le méprisait, perinde ac cadaver précisément.
b. Il y eut en Europe des siècles où le corps social tout entier était ordonné à une finalité qui le dépassait, où les rapports des citoyens entre eux à l’intérieur de cette société n’étaient pas dominés exclusivement par la considération de leurs conditions matérielles d’existence respectives, parce qu’il leur paraissait plus important de se préoccuper d’être ce qu’ils croyaient que Dieu avait voulu qu’ils fussent : ils croyaient en une Providence divine. À mesure qu’ils cessaient d’y croire, ils devinrent naturellement sans cesse plus portés à ne désirer être que ce qu’il leur semblait bon d’être. Ils se dirent libres parce qu’ils crurent n’avoir à obéir à d’autres lois que celle de leur bon plaisir. Mais à quoi son bon plaisir pouvait-il conduire l’homme normal sinon à vivre une vie aussi dépourvue que possible de souffrances, de contrariétés, de contraintes, une vie qui lui plaise, une vie plaisante ? Les hommes se mirent donc tout naturellement, et très logiquement, à rêver d’un nouveau Paradis, terrestre et matériel.
Mais il fallait en créer les conditions qui manifestement n’étaient pas réunies. Il apparut aussitôt que plus ses désirs se multipliaient, moins l’individu était capable d’y subvenir tout seul. La société ne parut plus être que le moyen de se procurer ensemble ce qu’ils étaient conscients de ne pouvoir se procurer chacun à soi seul.
Les sociétés modernes étaient nées, comme autant de manières d’additionner et d’organiser les forces individuelles, c’est-à-dire comme des sociétés industrielles et de consommation (ce n’est pas un hasard si l’économie, administration par chacun de sa maisonnée, se fit alors économie politique). Ce qu’on ne vit pas est qu’alors les rapports entre les hommes avaient changé de sens : chacun entendant vivre à sa guise, ils n’eurent plus besoin les uns des autres qu’autant que chacun concevait ne pouvoir faire tout seul ce pourquoi l’aide d’autrui lui était nécessaire.
Dès lors les sociétés humaines se trouvaient revêtir deux caractères parfaitement contradictoires : d’un côté nul n’entre en société que pour son avantage propre (et non plus, par exemple, pour parfaire un monde voulu par Dieu) ; mais de l’autre, tous sont soumis à tous, puisque par définition nul n’est capable de se suffire à soi-même, et chacun se voit donc contraint de servir en quelque manière les autres alors que sa seule fin est de se servir lui-même. En l’absence d’un principe d’unité extérieur à tous ou pour mieux dire d’un intérêt éminemment commun à tous, l’unité du corps social ne tient plus qu’à se qu’il se présente comme une sorte de vaste coopérative dont tous les membres touchent les dividendes, mais dont chaque membre est intéressé, non aux dividendes des autres, mais d’abord aux siens propres. Les sociétés industrielles placent les individus dans la situation de forçats qui voudraient chacun s’échapper du bagne, mais seraient tous rivés à la même chaîne, et par là-même empêchés de se déclarer ouvertement la guerre[5], tout en haïssant les autres d’être enchaînés à lui. Or on n’a encore jamais réussi à faire que des individus asservis à leurs désirs, et n’œuvrant donc que pour eux-mêmes, œuvrent pourtant de bon cœur et de manière désintéressée pour autrui. Il faut donc qu’ils s’y contraignent les uns les autres, cependant que tous cherchent à donner le moins pour obtenir le plus, à travailler le moins pour gagner le plus et que la pénurie progressive rend la lutte sans cesse plus âpre : c’est tout le communisme.
c. Enfin l’idéologie démocratique, en accentuant les effets de l’égocentrisme économique, a accéléré la genèse de la mentalité communiste. Conjugaison qui n’a rien que de naturel : à une société civile vouée à des satisfactions individuelles essentiellement égoïstes, il ne pouvait correspondre qu’une société politique proclamant le droit naturel de chaque individu à la souveraineté. Mais il n’a pas été assez aperçu, à moins qu’on n’ait pas voulu le voir, qu’en conférant à tous les individus, ou du moins à tous les citoyens, une égale souveraineté, on leur reconnaissait évidemment le droit à être obéi comme des souverains. Un bon souverain, commande pour le bien de son État, mais le citoyen d’une démocratie est comme un souverain dont le seul État est sa personne, et le bien de cet État est ce qui est ou lui paraît être l’intérêt de sa personne.
Si la démocratie est une idée éminemment populaire, c’est qu’elle dissimule non le souci du bien public, prétendument détourné autrefois par les rois, mais le désir de chaque citoyen de voir le corps social tout entier subordonné à son intérêt particulier. Si le citoyen est suffisamment intelligent, il peut sans doute concevoir que son bien propre n’est pas sans relation avec le bien des autres : l’intérêt éclairé, ou la réciprocité, est le ressort des démocraties dites bourgeoises où chacun poursuit librement ses fins individuelles, en comprenant que, s’il veut être libre de le faire, il a intérêt à laisser les autres l’être aussi.
Mais dans ce libre affrontement des projets individuels, comme dans toute compétition sportive, il y a des gagnants et des perdants, tous les individus n’en sortent pas également satisfaits.
À plus ou moins long terme, les démocraties bourgeoises se divisent en deux classes, composées d’un côté de ceux à qui le régime profite, et de l’autre de tous les insatisfaits. La démocratie bourgeoise appelle ainsi par nature la société sans classe, c’est-à-dire la révolution sociale – et tant mieux s’il y a dans le peuple des hommes prêts à le guider sur la voie de la révolution. C’est à fort juste titre que les régimes communistes s’intitulèrent eux-mêmes »démocraties populaires » : le communisme n’est pas né pour supplanter la démocratie, mais pour l’achever ; les véritables démocraties sont populaires, c’est-à-dire communistes.
Que dans les faits, le pouvoir du peuple devienne pouvoir sur le peuple est tout à fait secondaire dès lors que les autorités font constamment œuvre répressive. Car l’essentiel est en démocratie que tous pensent avoir une chance de manifester leur souveraineté, et il ne fait aucun doute que le communisme, étant un régime de suspicion, d’hostilité et de police réciproque, n’offre au dernier des citoyens plus d’occasions que les régimes bourgeois de nuire à son voisin, et par là-même d’avoir le sentiment d’exercer un réel pouvoir. Sans compter que pour devenir bourgeois, c’est-à-dire gagner un match de tennis, il faut savoir jouer, alors que pour devenir membre de l’avant-garde du prolétariat, il suffit de ne savoir rien faire, ce qui est à la portée du plus grand nombre. Le véritable communisme n’est jamais qu’un libéralisme pour les nuls.
Un dernier facteur a joué dans l’avènement du communisme en Occident, qui est le dévoiement du christianisme. Pendant des siècles, l’Église catholique se voua d’abord à redresser les âmes, persuadée que les injustices sociales étaient nécessairement moindre quand les âmes mêmes étaient portées à la justice ; depuis la Révolution française, un certain catholicisme se montre de plus en plus persuadé qu’il ne peut soutenir la concurrence des apôtres de la révolution sociale qu’en montrant un attachement de plus en plus explicite à la cause du progrès économique et social des peuples, mettant la charrue avant les bœufs en croyant que c’est par les corps qu’on réforme les âmes. Ce progressisme a ainsi poussé l’Église sur une pente de plus en plus glissante.
D’une sorte de socialisme modéré, trop tiède pour ne pas susciter constamment la surenchère, et la condamnant à un rôle redondant par rapport aux professionnels de la révolution sociale, un certain catholicisme a fini, sous le nom de théologie de la libération, par tenir un discours que rien ne permettait plus de distinguer du discours communiste. Le peuple a-t-il besoin de Dieu s’il ne s’agit pour lui que de s’approprier des richesses dont on le persuade qu’elles lui ont été volées ? Une Église socialisante se condamne elle-même à n’être que la cinquième roue du char dont les auriges les plus efficaces sont communistes : en courant après le socialisme, elle se perd elle-même tout en assurant la promotion de celui qui ne rêve que de la perdre.
5. Pour autant que cette esquisse schématique ait quelque chose de vrai, elle soulève évidemment la question de la survie ou de la mort de la mentalité communiste. Si elle s’enracine dans une modernité qui procède implicitement elle-même de l’esprit des Lumières, nul doute cependant que cet esprit ait aussi engendré une race d’hommes qui répugnent au communisme, ou professent de le faire, ce qui fait que la modernité apparaît être une réalité ambiguë.
On entend dire communément aujourd’hui que le communisme est mort, terrassé par un libéralisme ayant définitivement fait la preuve de sa supériorité technologique et économique et unissant les masses dans un hédonisme consumériste dont le confort aurait rendu les individus incapables d’un individualisme égoïste, férocement agressif, toujours prêts, borgnes au milieu des aveugles, à arracher à autrui le peu qu’il y a à posséder.
L’idée que l’abondance réelle ou supposée offerte par le libéralisme ait séduit des masses essentiellement matérialistes n’est probablement pas fausse, mais ce serait, me semble-t-il, une erreur de croire que la mentalité communiste a disparu sous prétexte des vertus dormitives du bien-être matériel.
(Ce qui serait d’ailleurs abonder dans le sens de Marx : la société sans classe n’est jamais qu’une société où l’abondance règne pour tous parce que les accapareurs en ont été éradiqués).
Car, encore une fois, la modernité ne me paraît pas avoir consisté d’abord en la promesse d’une machine à laver pour tous, mais dans le dogme de la souveraineté de l’individu, dont l’exigence de posséder une machine à laver n’est qu’un des effets possibles ; encore une fois, la mentalité moderne est née lorsque la conviction s’est répandue massivement que chaque homme était par nature un être essentiellement autonome – n’obéissant qu’à soi-même – et accidentellement contraint à subir, mais dans son propre intérêt, une loi commune. Il est donc de l’essence de la modernité que les individus n’y puissent jamais être heureux pour la très simple raison qu’aucune subjectivité, proclamée souveraine, ne peut jamais l’être effectivement dans la réalité quotidienne.
En d’autres termes, le communisme n’est pas mort, parce que, dans la logique de la modernité, chacun étant réputé souverain est spontanément porté à croire que tout lui est dû, à commencer par un bien-être matériel qui lui paraît être de droit et qu’il n’a aucune raison de trouver jamais assez satisfaisant puisqu’aucune norme ne peut légitimement l’emporter sur des désirs subjectifs, c’est-à-dire essentiellement indéterminés. C’est d’ailleurs pourquoi, comme le disait fort bien Staline, la lutte des classes se fait d’autant plus âpre que les classes ont disparu : quand il n’y a plus de classe riche à piller, il ne reste plus aux individus qu’à se piller les uns les autres. Certes, le communisme sanguinaire pratiqué en URSS a appris aux Occidentaux à ne plus aimer ouvertement s’entretuer, mais pourquoi, ayant droit à tout et ne l’obtenant naturellement pas, l’individu ne serait-il pas inévitablement porté à juger que ce qu’il n’a pas, et que d’autres ont, lui est injustement retiré et que les auteurs de cette injustice sont précisément ceux qui ont ce qu’il n’a pas et ne songent pas à partager avec lui ? C’est toujours aux autres que par nature l’esprit moderne est porté à imputer son malheur, réel ou supposé.
De sorte que les politiques de redistribution de plus en plus pratiquées en Occident ne sont que la forme faible du communisme, comme l’indifférence à autrui est la forme faible de l’animosité dont le communisme soviétique offrait la forme forte.
Sous sa forme faible, le communisme c’est la propension à vivre aux dépens d’autrui, sous sa forme forte, c’est le désir qu’autrui n’ait pas plus que soi, le prix en fût-il de se priver soi-même de ce qu’on retire à l’autre. Le communisme sanglant est la forme achevée et extrême de l’égolâtrie, la social-démocratie sa forme supportable. Dans l’un et l’autre cas, on a affaire à deux formes de sanctification de la préférence pour soi, deux manifestations d’un amour de soi qui l’emporte sur tout autre, et naturellement d’abord sur un éventuel amour de Dieu : le communisme procède d’un athéisme dont il est le stade suprême. À ce titre, le communisme est le revers de la modernité, aussi indissociable d’elle que sur une médaille l’endroit l’est de l’envers.
Quand bien même les Européens d’origine seraient victimes d’une sorte d’entropie, donnant un tour de plus en plus mou à leurs revendications, à la manière de ces vampires épuisés qui assaillent le dernier homme dans le livre prophétique d’un auteur de science-fiction, ne doutons pas que la mentalité communiste ne retrouve une nouvelle vigueur grâce à une immigration massive animée non plus par la volonté de s’intégrer, mais par le désir de mettre l’Occident à sac et à genoux. On a déjà affaire à une nouvelle lutte des classes, les Européens de souche étant les nouveaux bourgeois : leurs richesses, ou ce qu’il va sous peu en rester, une fois partagées, on verra les allogènes, parvenus à mettre en œuvre la solution finale de la civilisation européenne, s’entre-déchirer sur ce qui aura été notre sol avec l’ardeur que mettaient à le faire, à l’apogée du stalinisme, les plus détraqués des émules de Babeuf. Puis, un jour, Dieu se fâchera.
[1] Prolongement libre d’une conférence donnée par le Pr Claude POLIN à la journée régionale du CEP à Paris, le 27 mars 2010 : La vraie nature du totalitarisme et de son hostilité à l’Église (CD 1004).
[2] En vérité, on pourrait presque se demander si cette vision du communisme n’est pas le produit d’une curieuse inversion de l’ethnocentrisme occidental, si répandu dans une intelligentsia persuadée d’apporter la lumière aux populations primitives peuplant le reste de la planète. Tout se passe comme si, dans l’esprit de la secte intellectuelle, la meilleure explication du communisme résidait dans le refus du modèle occidental et dans l’adoption, contre-nature pour des Occidentaux, d’un modèle oriental, le despotisme si souvent dénoncé tant en Chine qu’en Russie devenant le mode de gouvernement monstrueux d’un Occident dénaturé, « orientalisé ». Il est remarquable que des esprits aussi soucieux de rigueur historique n’aient même pas songé que communisme à l’orientale et communisme occidental pouvaient très bien n’avoir rien en commun, sinon la dénomination choisie et la référence à un marxisme que Marx lui-même eût désavoué (le communisme marxiste, cela est bien connu, ne pouvant se produire que dans des pays industrialisés et non dans des sociétés agraires).
[3] Si bien d’ailleurs que la chute du mur de Berlin, au-delà de multiples causes adjuvantes, a pu avoir pour cause première, tout simplement, non la réprobation publique, mais une certaine fatigue. En instituant la guerre de tous contre tous, le communisme exige que tous les citoyens soient constamment sur pied de guerre et ne connaissent jamais le repos mais toujours l’insécurité. Mais la haine elle-même devient moins virulente lorsqu’elle exige une dépense d’énergie qui dépasse les forces de l’individu moyen : la mort de Staline fût le Thermidor du communisme. Cependant, de même que sous le Directoire, on ne cessa de guillotiner, quoique plus posément (lire Vigny), il reste à montrer que la haine réciproque ne s’est pas faite tout simplement plus discrète, chacun apprenant à agir plus insidieusement contre les autres. (Cf. la conclusion de cet article).
[4] Ndlr. Issu du verbe grec κενόω kenoô : »vider, évacuer » ; saint Paul dit que le Fils, en s’incarnant, a accepté de se »vider » de la gloire divine qu’il possédait en propre dès sa préexistence (Ph 2, 7).
[5] Les socialistes, de l’espèce saint-simonienne par exemple, furent à l’origine les apôtres d’une simple organisation des efforts individuels par le moyen d’une coopération volontaire profitant à tous, et d’abord aux plus déshérités ; au contraire, les partisans du libéralisme économique n’ont cessé de soutenir que la plus grande rentabilité – pour chacun – de l’effort collectif résultait du libre jeu des initiatives individuelles poursuivant chacune des fins égoïstes. Tout se passe comme si le communisme, en rendant les individus en quelque sorte interchangeables pour leur attribuer des dividendes uniformes, avait voulu constituer la synthèse improbable du principe de coopération et du principe de concurrence. En l’absence d’une finalité transcendante à tous, cette synthèse était condamnée à n’avoir d’existence que dans la langue de bois officielle, cependant que la guerre de tous contre tous ne pouvait que se faire plus âpre que jamais en devenant officieuse.