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Par P. Pierre Faure s.j.
La crémation est un acte d’une violence inouïe1
P. Pierre Faure s.j.2
Résumé : La crémation en Occident est un rite inventé par les anticléricaux pour affirmer qu’ils ne croyaient pas à la résurrection des corps. Aussi est-elle refusée par les orthodoxes, les juifs et les musulmans, tout comme par les animistes africains. L’Église catholique, en 1963, a cru bon de l’autoriser. Mais on minimise souvent les drames liés à cette pratique : la violence du spectacle au crématorium, la répartition des cendres au sein de la famille, l’impossibilité – pour ceux qui ont connu le défunt – de trouver un lieu pour se recueillir. La crémation traduit un manque de confiance envers les descendants, la conviction que personne ne s’intéressera plus à vous après la mort. C’est le rite funéraire d’une société où les relations humaines sont déliquescentes.
Quelle est la position de l’Église catholique sur la crémation ?
Les chrétiens ont traditionnellement privilégié le rite de l’inhumation. Ils manifestent ainsi leur foi dans le corps que Dieu a fait. De plus, l’Ancien Testament dit que l’homme a été fait de terre3 dans laquelle Dieu a insufflé la vie. À la mort, le corps retourne dans cette terre.
Au XIXème siècle, les anticléricaux ont pris l’habitude de se faire incinérer ; c’était une façon de couper court à toute idée de résurrection des corps. En 1963, le Vatican autorise la crémation à condition qu’elle ne soit pas choisie pour des raisons contraires à la foi chrétienne. Après tout, Dieu est bien capable de ressusciter tous les individus qu’il a créés, qu’ils soient noyés ou brûlés ! Il n’en reste pas moins que l’Élise préfère l’inhumation.
Vous-même, que pensez-vous de la crémation ?
On arrive, avec la crémation, à des situations terrifiantes, qui n’ont rien de « spirituelles ». Imaginez-vous des enfants réunis après le décès de leur mère, qui se partagent ses cendres à la cuillère…Je ne pense pas que la crémation favorise le travail de deuil. Une des premières souffrances est la mise en flammes du cercueil, au crématorium. C’est un moment d’une violence inouïe. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les malades du sida ont choisi, pour la plupart, d’être incinérés. C’était une façon, pour eux, de mettre le feu à cette société qui ne tolère pas l’homosexualité.
Que deviennent les cendres ?
L’Église demande qu’elles aient une destination définitive. Les entreprises de pompes funèbres sont très attentives. Elles proposent aux familles de garder les cendres dans un colombarium provisoire, le temps de réfléchir à la suite des événements en famille. Choisir de disperser les cendres est, à mon sens, la pire des solutions. L’imaginaire ne peut plus se reposer sur un lieu. Surgit également le problème de la privatisation. Au nom de quoi peut-on garder chez soi les cendres d’un proche ? Le défunt pouvait avoir des amis, inconnus de ses proches, et qui aimeraient se recueillir sur sa tombe.
Enfin, pour moi, la crémation traduit un déficit de relations. Les gens meurent comme s’il n’y avait personne après eux. Souvent, la décision de se faire incinérer est prise par des gens qui se sentent seuls. Ne voulant pas être à charge, ils préfèrent disparaître en cendres, pour éviter à leurs descendants de devoir venir sur leur tombe. Quel manque de confiance !
Que disent les autres religions de la crémation ?
Les juifs, les musulmans, les chrétiens orthodoxes et les animistes africains refusent la crémation. Quant aux hindouistes qui la pratiquent, ils y attachent une symbolique très précise. La fumée qui se dégage du corps qui brûle est un lien entre le défunt et les divinités. Une fois la crémation terminée, les cendres sont jetées dans le fleuve sacré, le Gange, au milieu des prières.
L’Église propose-t-elle un rituel autour de la crémation ?
Elle est consciente du vide rituel autour du phénomène. Elle propose cependant, comme pour tout autre défunt, trois étapes : à la maison ou en chambre funéraire, à l’église, et au crématorium (en lieu et place du cimetière). Il existe de belles prières à la fermeture du cercueil, au moment où l’on voit le visage pour la dernière fois.
À la suite des attentats aux États-Unis, des familles ont reçu une urne remplie de la terre du World Trade Center…
Le problème, c’est que les familles ne peuvent pas dire : « C’est mon mari, ou mon père, qui est là-dedans. » Les villages bretons ont trouvé mieux en installant dans les cimetières des pierres où sont gravés les noms des marins morts en mer. Je pense que les New-Yorkais dresseront, de la même façon, un mémorial avec les noms de leurs disparus.
1 Pèlerin Mag. 26 octobre 2001
2 Membre du Centre national de pastorale liturgique, le P. Pierre Faure a participé à l’élaboration du rituel proposé pour les cérémonies de crémation.
3 Ndlr. Le mot Adam, en hébreu, est de même racine que le mot « terre » : adamah. Adam est en quelque sorte « le terreux », selon la remarque du P. Marcel Jousse.