Partager la publication "Le vrai message du cristal de neige"
Par Dominique Tassot
Résumé : A partir de gouttelettes d’eau quelconques, le gel fait apparaître de magnifiques cristaux. C’est, aux yeux des évolutionnistes, la preuve que des formes peuvent apparaître spontanément en des lieux précis de l’univers, même si la quantité globale d’information est restée inchangée. A première vue, cet argument semble puissant. En y réfléchissant, il s’effondre : en effet la congélation est une réaction exothermique qui, en réalité, diminue la quantité locale d’énergie. Surtout, l’idée qu’une goutte d’eau soit « informe » provient d’un aveuglement aujourd’hui presque universel sur la complexité et la perfection de tout ce qui existe. C’est pourquoi l’évolution des êtres vivants est impossible : tous sont complets ; aucun ne manque, sauf défaut congénital ou accident individuel, du moindre organe ou de la moindre fonction. L’univers est depuis toujours un « cosmos » ordonné, dans lequel tout a sa place et sa mission bien définie. L’homme aussi, mais il peut l’accueillir avec reconnaissance ou bien s’en détourner (pour son malheur) : c’est toute la différence !
Un argument fréquemment invoqué en faveur du transformisme est celui des cristaux de neige. Si l’on regarde au microscope des flocons de neige, l’on découvre avec stupéfaction de belles formations cristallines comportant des arborescences régulières, des symétries, bref de véritables « formes ». Ainsi de l’ordre et de l’harmonie ont-ils pu surgir du chaos, dès lors que certaines conditions de température et de pression se trouvèrent réunies. Ainsi la nature elle-même possède la propriété de faire passer un liquide (considéré comme « informe » puisqu’il se prête à tous les récipients) à un état ordonné supérieur. Il n’y aurait donc qu’une différence de degré entre l’apparition spontanée de la vie et la cristallisation de l’eau. Certes les cellules vivantes sont plus complexes ; elles rassemblent des matériaux plus variés, mais l’exemple de la glace suffit à montrer qu’un progrès des formes est à la portée des lois naturelles. Il n’est donc pas nécessaire d’imaginer un être surnaturel à l’origine de la vie.
On pourrait objecter que l’extrapolation est hardie, que les phénomènes sont trop différents pour être rapprochés et que comparaison n’est pas raison. Il n’en reste pas moins qu’un seul précédent suffit à plaider une cause et que l’apparition d’une forme vivante est un événement unique qui peut rester hautement improbable sans cesser d’avoir été possible.
Si l’on veut soutenir l’impossibilité d’une évolution progressive, c’est donc ce précédent lui-même qu’il faut examiner plus attentivement. L’idée est ici qu’on est passé de l’informe à la forme, et du chaos à l’ordre. Mais l’eau est-elle bien simple chaos ? Pour être déformable à volonté, comme tous les liquides, est-elle pour autant dénuée de ces propriétés bien définies qui, selon les philosophes, caractérisent en tout corps l’élément formel, proprement essentiel, qui le distingue de tout autre corps matériellement semblable. L’eau, en effet, n’est pas le seul liquide incolore ; mais elle est de plus inodore, tandis que l’alcool à 90° est, lui, facilement reconnaissable à l’odeur. Enfin sa densité, sa capacité calorifique lui sont propres, en font une « espèce » déterminée au sein du « genre » des liquides incolores. L’eau oxygénée, ou dioxyde d’hydrogène H2O2, pourtant très proche puisqu’elle n’en diffère que d’une unité dans le nombre affecté au composant oxygène, a, elle, des propriétés désinfectantes bien connues qui attestent une « forme » différente.
Ainsi, en passant de l’eau liquide à la glace, on ne va pas de l’informe vers la forme mais d’un état à un autre état au sein de la même forme « eau ».
La question devient alors la suivante : ce passage est-il un progrès ? Apporte-t-il un supplément d’information, d’ordre ou d’énergie ? Certainement pas d’information, puisque l’eau ne change pas de nature dans ses différents états : la transformation est réversible et le glaçon qui fond nous restitue l’eau liquide dont il s’était formé ! En revanche la congélation de l’eau est une réaction exothermique : le compresseur d’un frigidaire réchauffe l’air ambiant ; de l’énergie calorifique est sortie de l’eau, cette même énergie qu’il faudra refournir au glaçon pour le faire fondre.
On n’est donc pas passé du chaos à l’ordre, mais d’un état de haute énergie à un état de moindre énergie. C’est tout le contraire d’un progrès; c’est un amoindrissement de la capacité vitale : le gel ralentit la décomposition du cadavre, précisément parce que les fermentations font partie des réactions fondamentales de la vie.
Surtout, le chaos initial ne se rencontre jamais. C’est le talon d’Achille de l’évolutionnisme. Nous vivons dans un « cosmos » où tout ce qui existe est déjà doté d’une forme merveilleuse. Nous pensons à admirer les cristaux de neige parce que nous les voyons apparaître et disparaître, comme un coucher de soleil sur la mer. La beauté éphémère nous paraît plus précieuse, parce que nous savons que nous allons la perdre, ainsi de la fleur qui se fane ; mais il n’est rien dans l’univers qui ne reflète la beauté et l’harmonie que le Créateur a mises en chaque parcelle de son œuvre.
John Ray (1627-1705), le fondateur de la classification moderne des végétaux avec Linné (1707-1778), publia en 1691 un livre, maintes fois réédité et traduit, au titre significatif : L’Existence et la Sagesse de Dieu manifestée par les œuvres de la Création. Il y écrit : « L’homme corrige et change continuellement ses ouvrages. Mais la Nature est constante, parce que ses œuvres sont parfaites, et qu’on ne peut rien y ajouter, ni trouver à redire… Rien que l’on pût améliorer ; ou que l’on pût changer sans le gâter1.»
L’observation au microscope, tout juste inventé, le transporte d’admiration : « Les choses naturelles, vues de cette manière, paraissent d’une forme exquise, ornée de toute la justesse et de toute la beauté convenable. On trouve un polissage inimitable dans les plus petites semences des plantes, et surtout dans les parties des animaux, dans la tête et dans les yeux d’une petite mouche : une exactitude, un ordre et une symétrie inconcevable sans la voir, dans la forme des plus petites créatures, soit d’un pou, soit d’un vermisseau.
Au lieu que les productions les plus parfaites de l’art examinées de cette manière, paraissent très grossières : par exemple une aiguille la plus pointue et la mieux polie paraît semblable à une barre de fer émoussée, sortant du fourneau ou de la forge. (…) Il faut même ajouter que plus il y a de lumière, de perfection et de justesse dans les microscopes, dont on se sert pour examiner les productions de la Nature, plus on y découvre de beauté et d’exactitude, au lieu que plus on regarde celles de l’art, plus on y trouve d’imperfections et de difformité2.»
Or, avec l’esprit des Lumières, l’idée s’imposa peu à peu qu’il existait des êtres rudimentaires, imparfaits, qui gagneraient à devenir autres. Diderot méprise le vermisseau (susceptible de génération spontanée) et admire l’éléphant. Il écrit de l’œuf d’oiseau, en 1769 : « Voyez-vous cet œuf ? Une masse insensible avant que le germe y soit introduit ; et après que le germe y est introduit, qu’est-ce encore ? Une masse insensible, car ce germe n’est lui-même qu’un fluide inerte et grossier. Comment cette masse passera-t-elle à une autre organisation, à la sensibilité, à la vie ?..Par la chaleur… »3
Bientôt on distinguera des degrés dans l’organisation des êtres vivants. Les uns sont simples, « peu évolués », destinés à se transformer. Les autres sont plus complexes, plus évolués : ce sont des « organismes supérieurs ». Le transformisme, au fond, n’est que la projection sur la nature du mythe du progrès.
Mais le message, oublié, que le microscope optique avait inspiré à Ray, nous revient en force avec le microscope électronique et tous les appareils d’imagerie médicale. Le simple a disparu de l’horizon : la complexité apparente du vivant n’a plus d’autres bornes que celle de nos instruments d’observation.
La moindre bactérie, cet être simple car monocellulaire, qu’on disait avoir pu surgir de la « soupe primitive », se révèle d’une telle complexité physiologique que l’imagination elle-même n’en peut désigner le terme. C’est l’infini, qu’on aurait voulu comparer à un autre infini, également incommensurable !
Surtout s’impose à nous l’idée de perfection. Que l’on puisse caractériser tel ou tel individu par ses «défauts » : boiterie, myopie, bec de lièvre, etc., est au fond la preuve que la perfection est l’état normal des types vivants. Cette perfection se voit partout : dans la pince du homard comme dans la main humaine, dans l’œil multiple de la mouche comme dans notre unique cristallin, dans le pommier dont le fruit porte la graine comme dans le groseillier qui se multiplie par les racines. Qui pourra décrire l’organe dont manque le moindre animal pour atteindre sa perfection ? Tout ce qui nous entoure est achevé, complet, magnifiquement adapté à son environnement et donc « par-fait » (fait jusqu’à son terme). Pourquoi devrait-il « évoluer » ? De quel perfectionnement est-il démuni ?
Le besoin d’évoluer est une projection maladive, sur la Création divine, d’un besoin psychologique propre à l’homme quand, en comparaison, il regarde en face l’imperfection de tout ce qu’il fait. La marque du péché originel n’est pas sur notre front comme pour Caïn, elle paraît dans l’imperfection de nos actes, de nos pensées et de nos sentiments, ce qui suffit à montrer d’où vient le désordre qui néanmoins existe dans ce monde créé parfait.
L’évolutionnisme nie ces deux grandes évidences : la perfection omniprésente dans une nature harmonieuse, le cœur de l’homme comme agent des maux passés ou à venir. Or il suffit d’une seule fausse note pour détruire l’harmonie d’une mélodie.
Les désordres qui s’accumulent sur la terre ne prouvent pas qu’il faudrait dénigrer ce qui existe pour rêver, à l’unisson, au mythique « point oméga » du père Teilhard : l’ordre n’est pas à inventer ni à fabriquer de toute pièce ; il est partout visible, depuis l’origine ; rien ne subsisterait une seconde sans lui, comme une seule carence suffit à engendrer la maladie.
L’évolutionnisme est donc d’abord un aveuglement, qui peut prendre plusieurs formes.
En ce sens on a pu dire que le teilhardisme était une hérésie : haïrésis, en grec, veut dire ‘choix’ : en l’occurrence celui d’éliminer l’idée de la perfection initiale du ‘cosmos’; celui d’oublier ces mots pourtant répétés sept fois dans la page la plus dense de toute la littérature mondiale : « Et Dieu vit que cela était bon ! » ( Gn 1, 4 à 31 ) Le bien est l’ennemi du mieux. La perfection initiale dément totalement tout ce « besoin » d’évoluer dans lequel les transformistes voient le moteur d’un progrès dans la nature. Mais le mythe du progrès, quand bien même serait-il projeté sur la nature, ne cesse pas d’être un mythe. Il est grand temps que les biologistes rejettent ces lunettes déformantes qui leur font apercevoir des manques imaginaires, pour retrouver l’esprit d’émerveillement qui agit comme le plus fécond soutien à la recherche scientifique.
En 1980, le Pr Giuseppe Sermonti écrivait dans l’épilogue de Dopo Darwin : « Qui s’est libéré du pesant conditionnement de l’évolutionnisme éprouve un sens de sereine réalité. Cet état de caractère transitoire, provisoire, inaccompli, qui obsède tout le monde de l’évolution, se transforme en un grand repos en face de la dignité, de nouveau acquise, des formes. On n’est plus troublé par le cauchemar d’être laissés en arrière de l’existence, de devoir poursuivre l’avenir. »4
Nous ajouterons seulement à cette profonde pensée d’un biologiste qu’en renouant avec la vision biblique d’un cosmos créé parfait à l’origine, l’homme retrouvera aussi le sens de sa mission spécifique. En cessant de s’admirer lui-même à force de se prendre pour un animal parvenu, il comprendra que son bonheur est à la mesure de sa conscience d’une dépendance envers Celui qui l’a créé à Son image.
En ce sens encore l’homme n’est grand qu’à genoux !
1 John Ray, L’Existence et la Sagesse de Dieu manifestée dans les Œuvres de la Création (1691), trad. J. Bradelet, Utrecht, 1723, pp. 277-278.
2 Ibid., p. 55-56.
3 Diderot, Le Rêve de D’Alembert (1769), rééd., Paris, Marcel Didier, 1951, p. 25.
4 G. Sermonti, R. Fondi, Dopo Darwin, Milan, Rusconi, 1980, Épilogue, trad. inédite par Henri Chirat.