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Par Murat Louis Dr
REGARD SUR LA CRÉATION
«Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil nu quand on Le considère dans ses ouvrages. »
(Rm1, 20)
De la diffusion des graines1
Résumé : La manière dont les végétaux diffusent leurs graines, spores ou pollens est d’une diversité admirable. Déjà la profusion des graines portées par une seule plante est parfois très grande : 360 000 graines sur un seul pied de Tabac ! Puis la forme très élaborée des graines légères permet leur dissémination sur d’immenses distances, ainsi la graine du Pissenlit, avec son aigrette plumeuse ou la graine d’Érable avec ses ailerons membraneux. Les spores du lichen Lecidea geographica volent jusqu’au cap Horn et aux îles Hawaï ! La fleur à hélice de Counani, en Guyane, présente trois pales comme les hélices des bateaux, mais avec une double torsion : sur elles-mêmes et autour de l’axe central. Des graines volent ou flottent par l’effet du fin duvet qui les entoure, ce qui augmente leur prise au vent et capte l’air pour s’en faire des flotteurs avec les bulles. Des graines résistent à la digestion par les animaux qui vont ainsi pouvoir les disséminer. Oui, le céleste Jardinier n’est pas à court de procédés tous plus admirables les uns que les autres !
Voyons quelques-unes des précautions employées par le céleste Jardinier pour assurer, à la maturité de la graine, sa dissémination.
Et d’abord les semences sont produites par certaines plantes avec la plus riche profusion. « L’incommensurable fécondité du Lycopode gigantesque est telle que c’est par millions de milliards qu’il faut compter ses graines microscopiques. » (MARION)
Remarquons que chacune de ces « millions de milliards » de graines a été produite par toute la série des actes admirables que nous avons décrits.
On trouve 2 000 graines sur un pied de Maïs, 30 000 sur un pied de Pavot, et jusqu’à 360 000 sur un pied de Tabac.
C’est l’excès de graines du Blé, du Riz, du Maïs.., et l’excès de fruits de la Vigne, du Pommier, du Châtaignier, du Noyer, de l’Olivier, du Fraisier, etc…, qui nourrissent l’homme.
Si les graines sont produites en tel excès, c’est, comme on l’a dit, qu’il y a encore la part des innombrables oiseaux granivores.
Les organes qui contiennent les graines sont souvent des plus gracieux et la peinture aime à les reproduire : belles grappes de raisin, pêches duvetées, rameaux d’Oranger chargés de fruits d’or…
Le fruit de la Jusquiame forme un récipient rempli de graines et surmonté d’un couvercle mobile. L’élégante pyxide du Mouron rouge s’ouvre en boîte à savonnette. Les graines du Pavot sont contenues dans une petite urne couverte et présentant une collerette régulière d’orifices livrant passage aux graines mûres.
Louis Veuillot nous décrit dans Çà et là le soin avec lequel sont disposées les graines dans ces malles minuscules que constituent beaucoup de fruits. Nous parlant des graines du Catalpa, il nous dit : « Mais ce qui faisait réfléchir Jérôme, c’était l’art avec lequel les graines ailées étaient entassées, disposées dans l’étui encore vert : chacune avait sa cellule tapissée de ouate, où ses ailes délicates, soigneusement étendues, étaient garanties de tout froissement. Il n’y avait ni trop-plein, ni place perdue, ni un faux pli. Jérôme était en admiration devant cet emballage, lui qui venait de se donner tant de peine pour le sien… Alors il comprit que la main de l’Ouvrier était trop visible. »
Quant à ce qui est de la dissémination elle-même des graines, les semences légères, celles de la famille des Composées par exemple, ont de curieux appareils aérostatiques : aigrettes, panaches…, qui les allègent et leur permettent de s’envoler.
C’est de la sorte qu’au moindre souffle de l’air les graines d’une plante des plus vulgaires, le Pissenlit, surmontées d’une aigrette plumeuse, la déploient, se détachent et flottent mollement dans l’atmosphère. Le fruit de la Laitue a de même une couronne de petites aigrettes. La graine du Peuplier est couverte de poils soyeux, la graine du Cotonnier est noyée dans un duvet qui forme le coton, duvet léger qui donne prise au vent.
Certaines graines ont des sortes d’ailes membraneuses, d’aéroplanes, de parachutes, de volants, d’hélices aériennes qui les emportent en les soutenant dans les airs.
À la faveur de leurs expansions membraneuses, les graines de la Giroflée jaune atteignent ainsi les corniches des monuments, les fentes des rochers escarpés, et germent dans les débris provenant des Mousses antérieures ou de l’effritement des pierres et dans la poussière apportée par le vent.
La graine de l’Érable a deux ailerons membraneux et ressemble ainsi à un insecte diptère. Les samares de l’Orme sont constituées par un large volant entourant la graine. Celle-ci, allégée de la sorte, est enlevée par le vent et emportée au loin. C’est ainsi que l’on voit non seulement des plantes herbacées diverses, mais encore des arbustes et même des arbres qui ont poussé au sommet de vieilles tours.
La fleur à hélice de Counani, à la Guyane, a un aéroplane ressemblant en tout point à l’hélice à trois branches des bateaux à vapeur, avec un minuscule “arbre de couche” le reliant à la fleur. Les branches possèdent une double torsion : torsion sur elles-mêmes et torsion autour de l’axe central.
« En dehors de toute question de botanique, dit Mathis qui a observé cette plante, n’est-il pas curieux que l’hélice, créée par le génie de Sauvage et qui devait révolutionner la navigation à vapeur, se trouvât déjà représentée dans la nature sous la forme d’un organe floral ? »
La dissémination des graines de la Rose de Jéricho, confiée à l’action du vent, se fait par un curieux procédé.
L’été la rose se dessèche, se détache de la plante, et on la voit courir, roulée en boule, sur le sable, au gré du vent. Lorsqu’elle rencontre une flaque d’eau ou de l’humidité qui la retient, son péricarpe s’ouvre, les graines tombent et germent.
Les courants aériens ou marins transportent les graines aux plus lointaines distances : un Lichen, Lecidea geographica, a des spores microscopiques qui ont été emportées depuis les régions circumpolaires jusqu’au cap Horn et aux îles Hawaï.
L’Elædacanadensis, commune maintenant en Europe, a été amenée sur des bois flottants par les courants du Gulf-Stream.
À la suite de naufrages, l’Amaryllis s’est développée à Guernesey et la Lampourde au Cap. Darwin a constaté que les graines germent encore après une immersion de trente jours dans l’eau salée.
Il y a des graines, dit Bernardin de Saint-Pierre, qui traversent le vaste Océan : « Tels sont les doubles cocos des îles Seychelles, que la mer porte régulièrement chaque année à 400 lieues de là, sur la côte malabare. »
À propos des graines des plantes aquatiques, Bernardin de Saint-Pierre dit encore : « Il y en a de façonnées en coquilles, d’autres en bateaux, en barques, en bacs, en pirogues simples, en doubles pirogues semblables à celles de la mer du Sud. Celle du Fenouil est un véritable canot en miniature, creusé en cale avec deux proues relevées. D’autres vont à la voile, comme celle d’une espèce de Scabieuse des marais. Il y en a d’autres de façonnées en grosses bouteilles, comme le fruit du Calebassier. D’autres graines sont enduites d’une cire qui les fait surnager : ces flottes végétales voguent le long des ruisseaux… »
D’autres graines peuvent « voler et nager à la fois. Tel est le Saule dont la semence est enveloppée d’une bourre araigneuseque les vents transportent au loin et qui surnage dans l’eau sans se mouiller comme le duvet des canards. Cette bourre est composée de petites capsules en cul-de-lampe et à deux becs, remplies de semences surmontées d’aigrettes, de sorte que le vent transporte ces capsules en l’air et les fait voyager aussi sur la surface de l’eau. »
D’autres graines ont des appareils propulseurs, sont contenues dans des capsules qui à la maturité éclatent au moindre contact, les projetant avec force à une assez grande distance.
Il en est ainsi pour la Balsamine, l’impatiente Noli me tangere, le “Concombre d’âne” des chemins, les fruits explosibles du genre Justitia, etc., qui s’ouvrent avec fracas et mettent en pièces les objets fragiles exposés à la portée de leurs carpelles brusquement projetées dans toutes les directions ; le Sablier des Antilles dont on ne peut, dans les collections, préserver les fruits des explosions qu’en les encerclant de fils de fer, etc.
Certaines plantes chassent leur graine au moyen d’un ressort, d’autres la font avancer comme par saccade avec le jeu d’un poil flexible plus ou moins distendu. Chez certaines Mousses le récipient qui renferme les spores vertes est fermé par un couvercle qu’au moment voulu des fibres étroites et allongées formant ressort font s’ouvrir, projetant dans toutes les directions les spores2.
Il faut mettre à part les graines fauves dansantes ou graines sauteuses du Mexique qui ont, il y a quelques années, si intéressé les habitués de certaines exhibitions parisiennes. Le mécanisme est assez curieux. Il y a toujours en réalité à l’intérieur une larve de Carpocapsa saltitans et parfois aussi à côté de celle-ci une larve d’ichneumonide.
Dans d’autres cas, comme dans les cônes du Cèdre, les graines se détachent à la maturité comme les cartes d’un jeu.
D’autres graines, munies de crampons, de crochets, d’épines, harponnent la toison des troupeaux ou se fixent aux poils des bêtes sauvages. Le Gaillet grateron, la Bardane font aussi transporter leurs graines par les animaux ou les cramponnent à nos vêtements mêmes 3.
Les drupes, les baies et les divers fruits lourds dont la dissémination au loin paraît bien difficile, sont souvent ceux dont les graines parviennent aux distances les plus lointaines.
Lorsqu’ils restent sous l’arbre, ils forment en se décomposant un fumier humide où ils trouvent à germer et à se développer.
La dissémination des graines dans tous les fruits charnus se fait principalement par les oiseaux.
Ces fruits dont les graines sont, dans ce but, entourées d’une partie comestible, servent de nourriture aux mammifères et surtout aux oiseaux. Mais les graines que contiennent ces fruits, revêtues d’une coque indigestible, après avoir séjourné parfois longtemps dans le jabot des oiseaux, résistent à l’action de l’estomac et sont rejetées intactes, prêtes à germer, dans la fiente qui est rejetée avec elles, parfois à de très grandes distances par-delà les montagnes et les mers, dans des îles désertes.
Les oiseaux transportent aussi au loin les graines très petites de certaines baies, graines qui restent adhérentes à leur bec, à cause de la substance mucilagineuse dont elles sont entourées.
« C’est par ce moyen qu’un oiseau des Moluques repeuple de Muscadiers les îles désertes de cet archipel malgré les efforts des Hollandais qui détruisent ces arbres dans tous les lieux où ils ne servent pas à leur commerce. » (Bernardin de Saint-Pierre)
D’autre part, il y a de petits quadrupèdes, comme les loirs, les hérissons et les marmottes, qui transportent dans les parties les plus élevées des montagnes les glands, les faînes et les châtaignes, assurant ainsi, d’une manière fort curieuse, le reboisement des sommets.
Que d’habileté et d’ingéniosité déployées par la nature en vue de la dispersion et de la propagation des espèces végétales !
Les hommes disséminent eux aussi les graines indirectement, par le fait du commerce des fruits et des graines ou par les transports d’objets multiples entre des pays éloignés, et, enfin, directement par la culture :
Oh ! le premier jour où la plaine,
S’entr’ouvrant sous sa forte main,
But la sainte sueur humaine
Et reçut en dépôt le grain ;
Pour voir la noble créature
Aider Dieu, servir la nature,
Le ciel ouvert roula son pli,
Les fibres du sol palpitèrent,
Et les anges surpris chantèrent
Le second prodige accompli !
Et les hommes ravis lièrent
Au timon les bœufs accouplés ;
Et les coteaux multiplièrent
Les grands peuples comme les blés ;
Et les villes, ruches trop pleines,
Débordèrent au sein des plaines ;
Et les vaisseaux, grands alcyons,
Comme à leurs nids les hirondelles,
Portèrent sur leurs larges ailes
Leur nourriture aux nations4 !
Combien de temps peut enfin durer le pouvoir germinatif des graines, c’est-à-dire la possibilité d’assurer par une même graine la reproduction de la plante ?
Des grains de Blé, trouvés dans les tombeaux gallo-romains, ont parfaitement germé après dix-sept siècles. Des grains de Blé, trouvés récemment dans les tombeaux égyptiens des Pyramides et datant de trois ou quatre mille ans, ont germé et produit de beaux épis. Enfin le Galium anglicum, dont on a retrouvé la semence en remuant les sables du diluvium auprès de Dôle, a germé et est ressuscité des dépôts diluviens de la période quaternaire du globe, parfaitement vigoureux et semblable à celui d’aujourd’hui.
1 Extrait de Le Firmament, l’atome, le monde végétal, Paris, Téqui, 1911, pp. 433-443.
2 A. Acloque, Ressorts végétaux chez les Mousses.
3 Ndlr. C’est par imitation de cette propriété que fut inventée la bande auto-aggripante dite « velcro » (velours-crochets). L’idée en est venue en 1941 à l’ingénieur suisse George de Mestral (1907-1990 ; il obtint son premier brevet à 12 ans, pour un avion-jouet !) lorsqu’en revenant d’une promenade à la campagne, il remarqua qu’il était difficile d’enlever les graines de grande bardane accrochées à son pantalon et à la fourrure de son chien.
4 Lamartine, Lectures pour tous, extraits de Jocelyn, Hachette, éditeur.