Accueil » Et cela était beau !

Par Tassot Dominique

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Résumé : Dans le refrain bien connu du premier chapitre de la Genèse : « Et cela était bon », il est important de noter que l’adjectif hébreu  tov  prend aussi le sens de « beau ». L’harmonie du Cosmos se présente ainsi comme un trait majeur dans la vision biblique du monde. Or l’harmonie – Pythagore l’a bien montré – est régie par des nombres et tout spécialement par des nombres entiers. Au fond, il n’était donc pas surprenant que des nombres à l’œuvre en Physique, qu’il s’agisse de cosmologie, de physique des particules ou de biophysique, se retrouvassent parmi les nombres « bibliques », en particulier 17, 137 et 153. Et comme c’est par l’homme que s’achève la Création de l’univers, il était tout naturel que des données anthropiques soient au centre des grandeurs caractéristiques dont l’harmonie fait la beauté du Cosmos.

Le leitmotiv qui rythme les premiers versets de la Genèse est généralement traduit ainsi : « et cela était bon. » Tel est en effet le sens le plus courant du mot hébreu טוב tov. Le Créateur de toutes choses se devait en effet de qualifier ses œuvres par un trait caractéristique, sa signature en quelque sorte. « Il a bien1 fait toutes choses » (Mc 7, 37), dit l’Évangile. Celui qui est le Bien suprême, celui dont tout bien procède, Celui que les philosophes antiques distinguaient déjà comme l’Être par excellence, ou encore l’Un-Bien, ne pouvait introduire le mal ou le désordre dans le monde puisqu’il s’agit de non-êtres, incapables de subsister par eux-mêmes sans disposer de quelque substance bonne à parasiter. Devrions-nous en déduire que ces mots (« et cela était bon ») sont superfétatoires, inutiles ? Non, sans doute ! Tout ce qui est a une raison d’être ; tout organe d’un être vivant obéit à une fin précise ; tout mot prononcé par la Parole recèle quelque sens à découvrir.

Une première remarque s’impose. « Cela était bon » établit une analogie entre les cinq premiers Jours, puis une différence avec le sixième au terme duquel s’achève l’œuvre créatrice.

Il est alors écrit en Gn 1, 31 : « Et cela était très bon » (טוב מאד tov mehod signale un superlatif). L’œuvre n’est plus alors simplement « bonne » ; elle est achevée, entière, complète, parfaite, d’une perfection désormais indépassable : elle est ainsi un « cosmos », un tout ordonné où chacun est prêt à remplir sa mission. Comme au théâtre, quand le régisseur frappe les trois coups, chaque personnage, chaque décor, chaque accessoire est à sa place : la pièce peut commencer !

Il en va de même aux premiers instants du septième Jour : l’univers est désormais au complet ; la machina Mundi peut s’ébranler, finement agencée par une multitude de causes secondes. Alors seulement la science devient possible, de par la permanence d’une nature des choses, de par la consistance voulue des lois et des paramètres de l’univers. Mais il y a plus. Ce vaste théâtre où se joue le drame humain n’est pas seulement fonctionnel ; il est beau. Il s’impose à nous par sa beauté plus encore peut-être que par son ordre et sa puissance.

Or le mot hébreu טובtov, « bon, beau »,a aussi ce sens. Il ne s’agit pas d’un hasard si les peintres ont longtemps trouvé leur inspiration dans les paysages ou dans les natures trop vite dites « mortes »2. « Mon Père travaille jusqu’à présent et moi aussi Je travaille » (Jn 5, 17), nous dit le Verbe créateur. Si le savant est porté à méditer sur les régularités des lois de la nature, s’il cherche à étendre notre connaissance des choses, l’homme simple s’enthousiasmera aussitôt devant l’harmonie manifestée par un beau spectacle ou une belle musique comme par un parfum indicible. Le microscope nous a révélé à quel point se vérifie littéralement ce verset de l’Évangile : « Le lis des champs est mieux vêtu que Salomon dans toute sa gloire » (Lc 12, 27)

Or le concept aussitôt évoqué par le mot « beau » est celui d’harmonie. Pensons aux vers du poète : « Comme de longs échos qui de loin se confondent/ Dans une ténébreuse et profonde unité, / Vaste comme la nuit et comme la clarté, / Les parfums, les couleurs et les sons se répondent3. »

Certes Platon, peut-être trop soucieux d’établir un gouvernement rationnel, se défiait des poètes dans ses Lois (livre VII, 801a) comme dans sa République (livre X, 608), mais il y honorait les mathématiciens, au premier rang desquels il faut compter Pythagore.

De l’œuvre de ce dernier, aucun écrit authentique ne nous est resté, mais tous les historiens s’accordent pour lui attribuer la loi des cordes vibrantes, qui établit un rapport entier entre les longueurs des cordes lorsqu’elles ont la faculté de « s’accorder ». De là ce testament : « tout est nombre », c’est-à-dire que tout est régi par des nombres entiers4 ou par des fractions entières (moitié, tiers, quart, etc.). Lorsque Kepler s’attaqua au système solaire, son premier réflexe fut de relier les orbites des planètes aux polyèdres réguliers. Il ne pouvait qu’échouer, puisqu’il y a plus de planètes que de polyèdres réguliers, et il revint plus tard à Bode d’énoncer une loi pertinente classant la taille des orbites selon une progression numérique.

Mais l’intuition pythagoricienne n’a cessé de porter des fruits dans tous les domaines. La table de Mendeleïev manifeste bien cette pertinence des nombres entiers : les éléments classés par leur masse atomique retrouvent périodiquement des propriétés chimiques analogues (les colonnes du tableau). Malheureusement, les chercheurs contemporains, obnubilés par la puissance de leurs calculatrices, accoutumés grâce à l’algèbre à manier des nombres à tort dits « réels » – nombres alignant une multitude de décimales –, faisant même de cette précision « astronomique » un critère de scientificité, ont perdu de vue la divine simplicité vers laquelle tendait la pensée pythagoricienne.

Or il s’est produit, lors du récent colloque du CEP (les 2 & 3 octobre dernier), une étonnante convergence entre deux approches à première vue sans aucun lien : la physique et l’exégèse.

Déjà à Angers, en 1999, un astronome, Christian Bizouard, sous le titre « l’harmonie du cosmos », avait montré comment les grandeurs physiques usuelles étaient reliées entre elles. Il s’appuyait alors en bonne partie sur les travaux de Francis Sanchez. Cette année, ce dernier est venu exposer lui-même les surprenants résultats auxquels il est parvenu, réunis en un vaste tableau dit « axe anthropocosmique ».

On y constate que, de l’infiniment petit (les particules subatomiques) à l’infiniment grand (le cosmos invisible), des relations simples s’établissent entre les grandeurs ou les constantes de la Physique, se traduisant par des points rigoureusement alignés.

C’est bien la revanche de Pythagore sur les algébristes qui en oubliaient la leçon depuis le XIXe siècle. Surtout, les grandeurs liées à l’humain, ainsi le poids de l’ovocyte, figurent au centre même de l’axe, l’homme apparaissant ainsi comme tenant une place remarquable dans l’univers. Depuis Galilée (et surtout ses successeurs) un « principe copernicien d’insignifiance (de la Terre) », gratuit, avait imposé de toujours raisonner comme si la Terre et l’Homme n’avaient ni place ni rôle particuliers : c’était substituer partout le hasard à l’intelligence intentionnelle qui découle naturellement du concept de Création.

Perturbé par cette vision scientiste du monde, Einstein s’interrogeait bien inutilement lorsqu’il écrivait : « Ce qui est le plus incompréhensible, c’est que l’univers soit compréhensible. » Rien de paradoxal ici, pourtant, dans la vision biblique du monde, avec la perspective d’un Dieu qui a tout réglé « avec mesure, nombre et poids » (Sagesse 11, 20). Alors c’est le contraire qui eût été surprenant : qu’il existât des lois ou des phénomènes incompréhensibles, non du fait des limites de notre intelligence, mais en eux-mêmes, de par leur nature propre !

Or, outre les nombres entiers, apparaissent sur l’axe anthropocosmique des nombres remarquables tels que π, e ou φ, le nombre d’or (1 + √5)/2 (presque égal à 1,618), qui correspond à une relation géométrique très simple : le carré tracé sur le petit côté d’un rectangle d’or y laisse comme reste un nouveau rectangle d’or. Relation arithmétique également : l’unité ajoutée à φ en donne le carré φ2 (2,618)5. Or un facteur φ est associé à la croissance des êtres vivants, donnant par exemple les tailles successives des compartiments d’un coquillage, selon la fascinante suite cumulative de Fibonacci : 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21…

Cette conclusion – une harmonie numérique régnant dans le cosmos – ne pouvait nous surprendre, même si elle choque les « esprits forts » et les rationalistes qui voudraient substituer le hasard à Dieu. Leur seule défense, qui n’est pas un argument, consiste à étiqueter ce genre d’approche de l’univers comme du « pythagoricisme » (sic) ! Mais « contra factum argumentum non datur6 ». En 1973, à un congrès tenu à Cracovie, pour le 5e centenaire de Copernic, un « principe anthropique » avait d’ailleurs été avancé par Brandon Carter à l’encontre du « principe d’insignifiance » copernicien : avec le réglage fin de l’univers, avec la valeur précise des constantes de la physique, tout se passe comme si l’homme était le but visé. La terre seule, en effet, avec ses mers, ses sols et son atmosphère, présente les caractéristiques de composition et de température permettant l’éclosion et l’entretien de la vie7.

Mais il semblait facile de contourner ce principe anthropique par la théorie des multivers : il existerait une multitude d’univers, tous régis par des constantes physiques aléatoires et, par pur hasard, nous nous trouvons dans celui qui a permis la vie. Ce grossier sophisme avait déjà été réfuté par Aristote pour qui il ne peut exister qu’un seul univers : s’il y en avait plusieurs, alors c’est leur ensemble qui constituerait l’unique univers. L’axe anthropocosmique réfute lui aussi le sophisme, mais grâce à l’étonnante précision des relations constatées, souvent au millionième, voire au milliardième : une précision telle qu’elle suffit à exclure le hasard.

La seconde grande surprise du récent colloque survint lors de la dernière conférence, donnée par Benoît Gandillot sur le thème « La Bible, un message intemporel à déchiffrer ». Des nombres entiers significatifs parsèment l’univers de la Bible, tels que 17 et 153. Or ces mêmes nombres – et d’autres encore – se trouvaient en bonne place dans les équations du cosmos qui avait été présentées la veille ! Une telle coïncidence non recherchée, découverte parallèlement par deux chercheurs ignorant tout l’un de l’autre, donne à penser : ne serait-ce pas l’indice d’une source commune ? Le « Dieu des philosophes et des savants » ne serait-il pas aussi, pour reprendre la distinction faite par Pascal, le « Dieu d’Abraham, d’Isaac et Jacob », ce Dieu qui intervient dans l’Histoire des hommes et qui se présenta sous ce nom à Moïse depuis le Buisson Ardent (Ex 3,6).

Le Créateur du cosmos ne serait donc pas qu’un simple dieu-calculateur, agençant les lois de la physique pour faire apparaître sur la Terre quelques molécules biochimiques puis les doubles brins de l’ADN. Il est aussi et surtout le Dieu incarné, Celui par lequel la beauté de l’univers nous parle bien mieux encore que la beauté d’une courbe mathématique. Et puisque le Créateur de l’univers a pris figure humaine, on comprend pourquoi la subtile beauté du corps humain nous touche plus encore que l’harmonie d’un paysage. On mesure aussi tout ce dont se privent les religions ou les civilisations iconophobes8 ou iconoclastes : l’interdiction avait un sens chez le peuple hébreu, régulièrement tenté par l’idolâtrie. Elle ne l’a plus depuis la venue du nouvel Adam, Lui que le psalmiste annonçait comme « le plus beau des enfants des hommes » (Ps 45, 3), Lui que ne défigurait aucune séquelle du péché9.

Depuis la création du premier Adam, à la fin du sixième Jour, le premier chapitre de la Genèse ne nous murmure plus seulement : « et cela était beau », mais il affirme : « cela était très beau », de cette beauté insurpassable qui, plus encore qu’à notre intelligence, parle à nos sens et enthousiasme nos cœurs. Nous mesurons mieux alors tout ce que la vision scientiste du monde fait perdre à notre malheureuse génération. Nous entrevoyons aussi le chemin à prendre pour redonner à l’harmonie du cosmos toute sa largeur, sa longueur, sa hauteur, sa profondeur et sa portée.


1 Notons au passage que dans le verset grec (καλῶς πάντα πεποίηκεν kalôs panta pépoïêkèn) l’adverbe est kalôs, dont le sens premier serait plutôt « bellement » que « bien », comme le traduit la version latine : Bene omnia fecit.

2 À tort peut-être, car l’artiste a justement pour mission de faire vivre (à nos yeux) même ces objets de la vie courante que Celui qui est le Vivant par excellence maintient à chaque instant dans l’existence.

3 Ch. BAUDELAIRE, « Correspondances », Les Fleurs du mal (1857).

4 Au fond, les seuls véritables nombres : ceux qui permettent de « numéroter ».

5 Un tableau à l’usage des architectes et donnant un ensemble de proportions harmoniques avait été présenté il y a un an. Cf. Alain FOURNIER, « À la recherche de l’étalon universel », Le Cep n°93, décembre 2020, p. 27.

6 Aucun argument ne tient à l’encontre des faits.

7 La vie organique n’est pas propre à l’homme. En ce sens, seul le calcul de Francis Sanchez donnant le temps de réflexe humain – et le diapason musical à 443 Hz – à partir de 3 constantes fondamentales, est véritablement « anthropique ». Avec un autre choix de 3 constantes, tout aussi inéluctable, il obtient le demi-rayon de l’Univers, donc sa masse critique. Ces calculs, vérifiables par tout lycéen, confirment la beauté, la simplicité et l’ordre du Cosmos.

8 L’art chrétien s’amputerait du meilleur des ses œuvres à suivre cette interdiction de représenter la figure humaine : on le ressent immédiatement devant maintes productions d’un art contemporain – soit abstrait, soit déformant – que l’on pourrait qualifier de « défiguratif » !

9 Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est constant, dans les apparitions mariales, que ce qui frappe d’emblée les voyants soit la beauté de la « Dame ».

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