Partager la publication "L’agriculture eubiotique et la santé (II)"
Par Jean Boucher
« Les rationalistes fuient le mystère pour se précipiter dans l’incohérence »
(Bossuet)
Résumé : Après l’équilibre minéral du sol, la santé humaine suppose l’équilibre organique de la fertilisation. Les études menées aux Indes par Howard, puis en France par l’auteur, ont permis de chiffrer le rapport optimal entre paille et déjections dans la litière des animaux. Un fumier réalisé avec cette proportion, puis composté, devient inodore, preuve de sa haute qualité sanitaire. D’où la nécessité sociale de retrouver un équilibre -déjà connu des romains – entre la forêt, les prés et les champs.
Dans un précédent article, nous avons défini deux équilibres indispensables à la défense de la santé des cultures et de l’homme.
Le premier équilibre, déjà étudié, est de nature minérale ; il vise à généraliser les conditions existant dans les régions de haute vitalité : régions volcaniques et apparentées ; il repose sur une forte dominance du magnésium, élément protecteur, sur le potassium, élément radioactif, clé du monde animal.
L’autre équilibre à réaliser, que nous allons étudier maintenant, est de nature organique : l’équilibre carbo-azoté défini par l’agronome anglais Howard vers 1930 (méthode d’Indore).
Pour qu’une masse de matière organique brute soit susceptible d’être assainie par une fermentation dirigée, elle doit répondre à un rapport carbone/azote de 332 . Cela signifie, pour l’agriculteur-éleveur qui pratique la stabulation libre, l’abondance de la paille comme litière pour absorber les déjections : 7 à 9 kg de paille par UGB3 et par jour. Sous cette réserve, et dans les conditions optimales créées par la stabulation libre4 , l’éleveur obtient une fumure organique brute qui va bénéficier, après homogénéisation, d’une fermentation d’assainissement d’une étonnante rapidité.
Le compostage
L’homogénéisation, sorte de mixage, est réalisée par un passage à l’épandeur de fumier travaillant « à poste fixe », avançant à mesure que le tas se forme derrière lui.
Dans ces conditions, si l’émiettage est bien conduit, il nous arrive d’avoir une fermentation décisive en 4 jours. Nous pratiquons ensuite une retourne suivie de 2 jours de fermentation, après quoi le fumier a complètement changé de couleur, d’odeur, de toucher et de pouvoir fertilisant. Le rapport C/N doit être alors de 14 à 17. Il pourra descendre à 10 ou 12 dans une terre en bon état de fertilité : l’humification est un processus dynamique et non statique. La matière carbonée est un carburant renouvelable. La matière végétale, que sa consommation fait naître, doit retourner au sol, au moins partiellement, enrichie et dynamisée par le travail de l’homme. C’est l’art du praticien de bien nourrir sa terre avec ce qu’elle produit. De gluante, la matière cellulosique de la paille est devenue onctueuse, se mettant en motte aussi facilement qu’elle s’effrite sous la pression des doigts. Le pouvoir fertilisant du compost ainsi obtenu est remarquable.
Il ne dégage pas d’ammoniaque, mais la fermentation se limite au stade « acides aminés », et ceux-ci sont directement assimilables par les racines5 .
L’épandage du compost, au début d’une période de pluie sur une repousse de prairie après le passage des bestiaux, donne des résultats spectaculaires, visibles parfois dans un délai de 2 jours.
Notons que le compostage de courte durée a le grand intérêt de consommer peu de matière nutritive (cellulose).
Il présente aussi l’intérêt de solubiliser l’apport du phosphate insoluble que l’analyse peut révéler nécessaire. Il nous dispense donc de l’utilisation des phosphates solubilisés chimiquement (superphosphates).
Dans notre méthode, par l’intermédiaire de la microflore abondante et variée, la formation de l’humus dans le compost s’accompagne de la formation du complexe phospho-humique, clé de la fertilité.
Il faut préciser que l’apport de magnésium explique :
– l’absence d’odeurs nuisibles à l’étable, et
– la réussite de la fermentation d’assainissement.
Aussi, tant que le niveau souhaitable de MgO dans le sol n’est pas atteint, les animaux de nos élevages « bio » reçoivent en moyenne 10 grammes par jour de chlorure de magnésium, le sel d’origine marine dont le Professeur Delbet a fait connaître les étonnantes propriétés anti-infectieuses et stimulantes.
Signalons enfin un dernier point :
L’équilibre carbo-azoté de notre fumure organique mûre est à rapprocher de l’équilibre glucides-protides qui est une base de la diététique. On nous enseignait il y a soixante ans la règle de Lapique et Richet, qui définissait les besoins alimentaires : 5/0,5/1 par kg de poids, pour l’espèce humaine, soit :
- 350 g de glucides (= 140 g de carbone),
- 35 g de lipides, et
- 70 g de protides ((12gN) soit C/N (12. Ces quantités correspondent à peu près au métabolisme basal (entretien de l’être humain au repos)).
Ces données se sont précisées quant à la qualité des sucres, des lipides, des protides. Mais l’essentiel y était déjà. Ces règles d’une saine diététique vont de pair avec les lois de la vie saine : le frugalité, la prédominance du régime végétarien (il est 6 fois moins coûteux en surface cultivée de se nourrir de matière végétale que de matière animale). Remarquons encore que la règle de Howard : C/N=33, correspond aussi au vieil adage d’équilibre entre la silva (l’arbre), le saltus, (la prairie), l’ager, (la terre cultivée, cultivée en céréales). La production végétale doit toujours garder la primauté sur la vie animale. C’est en grande partie pour avoir transgressé ce principe – en donnant la primauté à l’élevage – que les vieilles civilisations, du Proche-Orient à l’Espagne, ont amené le monde méditerranéen au bord du désert. La civilisation française – chrétienne – avait assez bien maintenu l’équilibre, mais l’extension de l’élevage du mouton dans le Sud-Est, avec la transhumance alpine, est en train de rompre un équilibre séculaire.