A propos des grottes préhistoriques en Dordogne

Par le Dr Hautvilliers Pierre-Florent

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Les dessous de la préhistoire


Résumé : On trouve en Périgord, à flanc de vallées, nombres de petites grottes privées. Le Dr Hautvilliers nous en décrit deux, visitées l’été 2003. Dans la première, une sépulture néandertalienne fut dispersée par un violent courant d’eau, pénétrant par une cheminée très au-dessus du niveau de la rivière. Comment ne pas évoquer le Déluge dans ce type de grottes où le Cro-Magnon se trouve toujours au-dessus du dépôt diluvial ? Sur un second site, le compte-rendu officiel a été arrangé : les vestiges de pierres taillées, trouvés près de tombes mérovingiennes, ont été « déplacés » de plusieurs dizaines de mètres, afin de pouvoir les attribuer au Cro-Magnon, seul valorisant pour la découverte.

Les flancs de vallées du Périgord sont truffés d’abris sous roche et de grottes dont bon nombre ont été longtemps occupés depuis les temps préhistoriques.

C’est d’ailleurs un des sports préférés des spéléologues périgourdins, que d’explorer systématiquement les flancs accidentés des vallées dans l’espoir de trouver des restes préhistoriques, à défaut de découvrir une grotte magnifique. Chaque anfractuosité est dégagée pour y pénétrer. C’est ainsi qu’un certain nombre de trouvailles  ont pu être réalisées, comme la grotte de Cussac(cf. Le Cep n°29).

Beaucoup de propriétaires ont eux aussi, sur leur terrain, de petites grottes avec des traces d’occupation préhistorique, mais ils se gardent bien de les déclarer, pour éviter les ennuis. C’est comme cela que notre ami Roger Constant5 avait mis au jour le site du Regourdou à côté de Lascaux.

L’été 2003, j’avais pu pénétrer dans une grotte préhistorique privée située entre Les Eyzies et Sarlat. Bien qu’elle fût peu spectaculaire, son intérêt devait être d’identifier la population qui avait occupé la grotte et de reconstituer son passé jusqu’à notre époque. Les fouilles menées à l’extérieur avaient permis de retrouver quelques traces d’occupation gauloise (des rouelles ‑monnaie gauloise) et les restes d’une coulée de fonderie de bronze.

Pour la petite histoire, un terrier de renard creusé au fond d’un petit abri sous roche situé sur l’un des flancs accidentés d’une colline boisée bordant un ruisseau, fut à l’origine de la découverte de la grotte. Intrigué, le propriétaire pensa, compte tenu de la nature de la paroi rocheuse sous‑jacente, qu’il trouverait peut‑être, derrière le trou du terrier, l’entrée d’une grotte. Son intuition fut confirmée.

Il dégagea une entrée large d’un petit mètre carré, qui communique avec une petite grotte de 5 m2 de surface au sol et de 2 mètres de haut. La salle était comblée presque à mi‑hauteur de sable mélangé à de l’argile totalement sèche. Ce comblement était recouvert en surface d’une couche de calcite de 2 à 3 cm d’épaisseur, qui s’est détachée du plafond lors du dégagement.

Cette calcite, comme le dépôt de sable  argileux, avait été formée par de l’eau provenant d’une cheminée de 5 mètres de hauteur (avant d’atteindre la surface du sol extérieur) située juste au-dessus.

A son dégagement, on retrouva presque intacte une rangée de stalactites cassées volontairement par les occupants préhistoriques pour être plantées dans le sol de manière à délimiter, avec les parois de la grotte, un enclos contenant une dépouille humaine.

Nous étions en présence d’une sépulture préhistorique. L’eau, qui s’était introduite dans les lieux, avait déplacé et dispersé le squelette dont certains éléments étaient restés prisonniers des stalactites enfoncées dans le sol. A l’examen, il devenait évident qu’un fort courant d’eau avait pénétré avec violence par cette cheminée pendant une période assez courte, voire unique, apportant du sable alluvial (eau douce) mélangé à de l’argile, avant de déposer la calcite par‑dessus, puis de s’assécher… Un petit boyau horizontal, long d’une quinzaine de mètres, débouchait au fond de cette petite grotte. On pouvait s’y engager en rampant, avant de pénétrer dans une salle plus vaste, haute de 8 mètres, au plafond constellé de jolies petites stalactites. L’ensemble était sec et la formation de stalactites stoppée. Le sol, comme le boyau, était recouvert d’une faible couche du même sable argileux, sec et sans dépôt de calcite. Au fond de cette salle, on pouvait retrouver, par l’épaississement et l’inclinaison du sable, une entrée par laquelle il avait pénétré, entraîné par l’eau qui s’y était engouffrée, mais avec moins de violence.


Il restait à déterminer si la sépulture était de l’époque de Cro‑Magnon (15.000 à 35.000 ans avant Jésus-Christ6) ou de Néandertal (80.000 ans pour le moustérien périgourdin).

Des restes crâniens laissent supposer une sépulture néandertalienne.

Dans toutes les grottes néandertaliennes, et en particulier dans le Périgord, les vestiges préhistoriques sont toujours recouverts de plusieurs mètres de comblement sous des formations de calcite.

Le comblement se compose toujours de sable parfois mêlé à de l’argile, déposé en plusieurs couches d’un dépôt sédimentaire presque toujours stérile mais qui, bien que d’origine alluviale (eau douce), contient parfois des restes marins fossilisés (oursin, corail, dents de requin, etc.). Cet aspect est le plus souvent occulté dans la description des fouilles. Pour cette petite grotte, on retrouvait le scénario classique : une grotte préexistante dont l’occupation fut interrompue par l’intrusion massive et courte d’une énorme quantité d’eau douce… ce qui n’est pas sans évoquer le Déluge, surtout lorsqu’il s’agit de grottes situées en sommet de colline où aucune eau fluviale ne pourrait couler en l’absence de mouvement géologique majeur (cas des grottes de Bara‑Bahau, Proumessac, Regourdou, Lascaux et Rouffignac par exemple, pour la Dordogne)­. L’occupation Cro‑Magnon (Bara‑Bahau, Lascaux , Rouffignac) des grottes s’est toujours faite dans un second temps, sur le niveau des sols postérieur aux dépôts. Ce scénario n’est pas propre au Périgordet s’applique aussi aux autres grottes ayant eu les mêmes occupations préhistoriques.

Il y a deux ans, j’ai visité un autre site préhistorique (Cro‑Magnon) privé, lui aussi non loin des Eyzies. Il y a une cinquantaine d’années, le père du propriétaire actuel avait assisté attentivement aux fouilles sur un terrain situé juste derrière sa maison. Il n’était absolument pas d’accord avec ce qu’il avait pu lire dans le rapport de fouilles qu’il avait fini par se procurer : la localisation de certains objets trouvés n’était pas la bonne : elle avait été décaléede plusieurs dizaines de mètres. La cause de ce «changement » était que, lors des fouilles, des tombes mérovingiennes furent mises au jour. Ainsi l’activité lithique trouvée ne devait plus être attribuée au Cro‑Magnon comme on le pensait initialement mais bien au mérovingien. Le site perdait alors tout son intérêt car, à l’époque, seul le Cro‑Magnon comptait dans cette région.

Pour valider une présence Cro‑Magnon, il devenait nécessaire de faireapparaître les deux époques comme séparées par quelques dizaines de mètres, afin de faire ressortir dans le rapport une activité Cro­-Magnon et d’occulter le Mérovingien.

Sinon, le site fouillé perdait le charme d’une grande ancienneté et tout son intérêt touristique…
Comme les visites payantes de ces sites arrondissent les fins de mois de leurs propriétaires, ces derniers ne s’en plaignent pas au grand jour, même si en privé ils se livrent à des confidences en émettant les plus grands doutes sur leur authenticité. Ceci révèle une réalité soigneusement tue : il y a encore quelques siècles, ceux qui n’avaient pas les moyens de s’acheter des couteaux et des pointes de flèches en fer se les fabriquaient en taillant des silex… activité qui disparut avec la généralisation du fer, devenu meilleur marché. L’activité lithique n’avait donc jamais cessé depuis les temps préhistoriques car, même à l’époque de l’utilisation du bronze ou du fer, le métal restait un matériau rare et coûteux. Ceci explique pourquoi on retrouve très souvent, presque à même le sol, des silex taillés et des déchets d’activité de taille lithique à proximité des abris sous roche (qui servaient de refuges naturels et de début d’habitation) que l’on croit préhistoriques mais qui ne le sont pas.

Pour conclure, je livre une anecdote concernant une grotte jadis étudiée par l’abbé Breuil. Dans son rapport, il n’était fait aucune allusion à des gravures sur les parois de la grotte, pourtant soigneusement étudiées. Il y a quelque temps la grotte fut réinspectée par les spéléologues d’un club local. Quelle ne fut pas la surprise du propriétaire en lisant sur le rapport publié par la suite, que les spéléologues avaient trouvé des gravures sur les parois. Le propriétaire eut beau clamer qu’il n’y avait jamais eu de gravures et qu’il ne les avait jamais vues dans sa grotte, le texte ne fut jamais modifié…
Ainsi le club put-il s’enorgueillir d’avoir fait une nouvelle « découverte préhistorique », et enrichir aussi son palmarès.


5 Nous avons évoqué ses découvertes dans Le Cep (cf. n°4 et 6) et ses quelque quarante années de démêlés avec les préhistoriens officiels.

6 Il s’agit, bien sûr, des âges officiellement donnés pour le Périgord.

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