Partager la publication "Le génocide ukrainien"
Par W. Kosyk
« Si l’homme est libre de choisir ses idées, il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies. » (Marcel François)
Le génocide ukrainien1
Résumé : La famine organisée par les communistes en Ukraine au cours des années 1932 et 1933 a fait de 5 à 7 millions de victimes. Il s’agit donc d’un génocide majeur du vingtième siècle, d’autant que l’Union soviétique a pu exporter 1,7 millions de tonnes de blé pour chacune de ces deux années. Se basant notamment sur le témoignage de Vassili Grossman, W. Kosyk montre qu’il s’agissait bien d’un acte délibéré pour briser le peuple ukrainien (la paysannerie avait déjà eu près de 2 millions de massacrés ou de déportés lors de la « dékoulakisation » de 1930-1931). De tels faits méritent d’être connus et médités.
« Le XXe siècle a connu plusieurs génocides. L’opinion internationale se souvient généralement de deux d’entre eux : le génocide arménien et le génocide juif. Mais en 1932-1933 eut lieu un autre génocide de la même importance : le génocide ukrainien. Ce fut un génocide des plus atroces car, par la famine, une mort lente et horrible, ayant conduit des gens à la folie et des actes de cannibalisme.
En un peu plus d’un an, du printemps 1932 à septembre 1933, la Russie communiste a réussi à exterminer de cinq à sept millions d’Ukrainiens.
La famine fut organisée d’une façon efficace. En 1931, l’Etat s’empara de la récolte et ordonna la réquisition de tous les produits alimentaires se trouvant chez les paysans. Ces réquisitions durèrent tout au long de l’hiver 1931-1932. En hiver 1932, les villages d’Ukraine n’avaient plus rien à manger. Avant la fin de l’hiver, les gens ont commencé à mourir en masse.
Pour obtenir les résultats escomptés, le régime communiste empêcha la population ukrainienne d’aller chercher de la nourriture dans les villes (fortement russifiées) ou dans les autres régions de l’Union soviétique, notamment en Russie où il n’y avait pas de famine. Les perquisitions continuèrent en 1932 et pendant l’hiver 1933. Pour interdire aux gens de profiter de la récolte, le gouvernement communiste russe adopta une loi sur la « protection de la propriété socialiste », qui permettait de tuer ou de déporter des gens pour avoir ramassé ne serait-ce qu’un épi de blé. Le blé ukrainien et les produits alimentaires furent stockés et gardés par la troupe. Et alors que des millions d’Ukrainiens mouraient de faim, l’URSS exporta 1,7 million de tonnes de blé en 1932 et autant en 1933 !
En 1932-1933, sur la riche terre d’Ukraine, le peuple ukrainien connut des souffrances inimaginables. Pour survivre, les gens mangeaient tout, même les rats, l’herbe, l’écorce. De nombreuses personnes perdirent la raison avant de mourir.
Pourquoi cette famine-génocide ?
Les révisionnistes procommunistes ou prorusses, comme Nicolas Werth, l’expliquent généralement par la résistance du paysan ukrainien à la collectivisation. Mais cette explication est un faux-fuyant. En 1932, plus de 77% des exploitations paysannes d’Ukraine étaient déjà collectivisées (contre 60% en Russie et 48% en Biélorussie ; c’est donc dans ces deux pays que le pouvoir communiste aurait dû se venger des lenteurs de la collectivisation). Par ailleurs, la paysannerie ukrainienne était déjà brisée et terrorisée par la dékoulakisation (liquidation des paysans aisés), qui eut lieu en 1930-1931.
Entre 300 et 500 000 paysans, y compris des enfants, avaient été massacrés en Ukraine pendant cette première étape de la collectivisation, et environ 1 500 000 furent déportés en Sibérie. Dans son récit Tout passe, Vassili Grossman, témoin des évènements en Ukraine, a livré la réflexion suivante à propos de cette action : « Les koulaks sont des parasites…il faut soulever les masses contre eux et les anéantir tous en tant que classe, ces maudits…Et pas de pitié ! Ce ne sont pas des hommes, ces créatures-là…
Pour les tuer, il fallait déclarer que les koulaks n’étaient pas des êtres humains, tout comme les Allemands disaient que les Juifs n’étaient pas des êtres humains. C’est ce qu’ont dit Lénine et Staline : les koulaks ne sont pas des êtres humains… ».
Ce sont des raisons politiques qui ont conduit les gouvernants communistes moscovites à organiser le génocide du peuple ukrainien. Décidé de faire de la nouvelle Russie (« patrie du socialisme » !) une puissance économique et militaire d’envergure mondiale, ils voulaient accélérer la construction de cette puissance par l’industrialisation et la collectivisation. Pour cela, ils avaient besoin de l’Ukraine qui représentait plus de 60% de toute la production industrielle de l’Union Soviétique. Or, l’Ukraine se souvenait encore de son indépendance, perdue en 1920. Il fallait donc briser le peuple ukrainien, empêcher ses aspirations à la liberté et à l’indépendance de se faire jour, et par conséquent détruire ce que le pouvoir appelait le « nationalisme ukrainien bourgeois ». C’est à cela qu’a servi la famine-génocide.
On a isolé la campagne ukrainienne des villes, et l’Ukraine des autres républiques soviétiques et du monde extérieur. Une triple isolation. Certains affamés des villages réussirent à atteindre les villes. Vassili Grossman relate : « …au milieu de tout ce monde (de la ville), les affamés rampent : enfants, hommes, jeunes filles. On croirait voir des sortes de chats ou de chiens décharnés, à quatre pattes, et non des êtres humains ». Il existe des témoignages également sur l’aspect ethnographique de la tragédie : le pouvoir communiste a voulu changer le « matériel ethnographique » (selon l’expression d’un diplomate étranger en poste à Kharkiv) de ce peuple qui ne voulait pas du communisme et n’acceptait pas la domination russe.
Vassili Grossman a rappelé comment se vidait le village. « La famine était totale, la mort frappa. D’abord les enfants et les vieillards, ensuite les personnes d’âge moyen. Au début, on les a enterrés, ensuite on a cessé de le faire. Il y avait des cadavres partout, dans les rues, dans les cours…Ceux qui sont morts les derniers sont restés couchés dans leurs maisons.
Le silence se fit. Tout le village mourut… Nous autres qui travaillions dans l’administration, on nous a ramenés en ville ».
En pleine famine, quand les villages ukrainiens se sont vidés des paysans, morts de faim, Moscou envoya en Ukraine non seulement des dizaines de milliers de fonctionnaires de l’appareil de l’Etat et du parti, mais également des colons russes. Selon les archives, à la date du 28 décembre 1933, 21 856 familles (plus de 117 000 personnes) ont été envoyées en Ukraine avec leurs chevaux, vaches, etc.
Le communisme s’est avéré un instrument efficace pour la politique de colonisation et de russification de Moscou. Le monde civilisé se doit de se souvenir de ce génocide.
1 Repris de L’Est européen, n° 256, oct-déc. 1999