Partager la publication "A-t-on bien lu Genèse 1,1-2,4 ? (1ère partie)"
Par Claude Éon
Résumé : Les six « jours » décrivant la Création, au premier chapitre de la Genèse, ont fait l’objet d’interprétations diverses, parfois contradictoires, dès les premiers pas de l’exégèse. L’école d’Alexandrie, suivie par saint Augustin, s’écarte de la lecture chronologique commune jusqu’à considérer toute l’œuvre divine comme instantanée. Un officier britannique, Percy J. Wiseman, se passionna pour les fouilles archéologiques en Irak, dans les années 1920-1930. Il fit le rapprochement entre le style des premiers versets de la Genèse et la technique babylonienne des « colophons ». A la fin de chaque tablette, on plaçait un mot ou une expression destinée à relier cette tablette à la suivante, en les classant dans l’ordre demandé par le récit. Wiseman publia ses conclusions en 1936 et 1946. Pour lui, les jours du récit biblique sont bien des jours de 24 heures, mais ils ne mesurent pas le temps d’œuvres divines successives : chaque jour Dieu montrait à Adam une partie de Son œuvre, lui laissant la nuit, du soir au matin, pour se reposer jusqu’à la présentation suivante. Cette interprétation, on le verra, répond à nombre des objections couramment soulevées contre le récit biblique.
Selon l’exégèse traditionnelle la première page de la Genèse décrit « l’œuvre des six jours », c’est-à-dire la création du monde par Dieu. Les essais de conciliation entre cette description et son interprétation scientifique ont donné lieu à une vaste littérature. Ainsi de la signification du mot « jour » : période de 24 heures ou longue durée indéterminée ? Que signifie le repos du septième jour ? D’où provenait la lumière du premier jour, alors que le soleil et la lune ne furent créés qu’au quatrième jour ? N’est-il pas étrange de voir Dieu respecter une sorte de loi Lui interdisant le travail de nuit pour reprendre, chaque matin, son œuvre créatrice ?
Les sceptiques et autres athées ont eu beau jeu de dénoncer les invraisemblances scientifiques du texte alors que les réponses apportées manquent souvent de force de conviction.
Dès l’origine de l’exégèse catholique, il n’a pas manqué d’auteurs pour ne pas attacher de valeur littérale aux six jours, ou plutôt pour leur donner une autre signification que celle d’une création étalée sur six journées. Ainsi, dans l’École d’Alexandrie, Philon, Clément, Origène, saint Athanase, pensaient que la création fut instantanée, obéissant à un même et unique commandement. Plus tard saint Augustin consacrera à la Création de nombreux écrits dans lesquels il exprime sa conviction d’une simultanéité de la création : dès le premier instant, tout était déjà créé. « Il en résultera qu’il n’y aura plus dans la suite de productions absolument nouvelles, et c’est pourquoi les jours du récit ne doivent pas être compris comme désignant des jours réels, ou des laps de temps successifs… Ils signifieraient, selon l’interprétation la plus plausible, les illuminations successives par lesquelles Dieu aurait progressivement découvert aux esprits angéliques, l’œuvre qu’Il avait accomplie en un instant… »1 Saint Thomas d’Aquin expose avec objectivité les thèses en présence, mais marque une préférence pour saint Augustin « qui est plus conforme à la raison et plus apte à garantir la Sainte Écriture des moqueries des infidèles. » C’était bien vu !
À la suite de ses premiers travaux publiés sous le titre Ancient Records and the Structure of Genesis en 1936,2 P.J. Wiseman3 publia en 1946 un second volume intitulé Creation Revealed in Six Days. Dans ce livre, l’auteur montre : 1) que les six jours, séparés par un matin et un soir, ne peuvent pas se rapporter au temps mis par Dieu pour ses actes de création ; 2) que les six jours, séparés par un soir et un matin, se réfèrent au temps employé à la révélation de la création à l’homme ; 3) que le repos du septième jour n’était pas pour le bon plaisir de Dieu, mais pour celui de l’homme, parce que la révélation de la création était terminée le sixième jour, et non parce que la création du monde s’était achevée ce jour là.
La première réaction est naturellement de penser qu’il est bien présomptueux de présenter une telle thèse en 1946 après tant d’auteurs, d’exégètes, de Pères de l’Église qui ont vu dans ce premier chapitre de la Genèse un récit de la création elle-même et non le récit de sa révélation à Adam et Ève. Mais cette nouvelle interprétation est une conséquence directe de la connaissance des méthodes littéraires en usage à l’époque lointaine où la Genèse fut rédigée, et il ne peut guère être reproché aux anciens exégètes de les avoir ignorées. Toutes les critiques avancées contre le texte de la Genèse sont antérieures à la connaissance de ces méthodes. Il n’est donc pas surprenant que ces découvertes archéologiques du début du XXème siècle conduisent à réviser le sens d’un texte qu’on lisait comme s’il provenait d’un livre contemporain.
On remarquera aussi que Wiseman n’est pas le premier à voir dans cette page de la Genèse un récit, saint Augustin disait une illumination, de la révélation à l’homme par Dieu Lui-même de ce qu’il devait savoir des actes divins. Qui d’autre que Dieu aurait pu lui expliquer l’origine de tout ce qu’il voyait ?
Le projet de Wiseman consiste donc à élucider comment la révélation à l’homme fut faite et non comment l’univers fut créé. La Genèse ne nous dit rien des méthodes utilisées par Dieu pour créer le monde, non plus que du temps qu’Il y consacra. Sauf pour la création de l’homme pour laquelle nous avons quelques précisions.
Rappelons brièvement la structure très particulière de ce premier chapitre de la Genèse. Les deux premiers versets sont une introduction où le v.2 donne la clé de la structure: « la terre était informe et vide. » Les trois premiers jours décrivent la formation de la terre et du ciel, les trois jours suivants montrent le peuplement de ce vide. D’où le découpage en six jours et le parallélisme entre les deux parties : (1,3-31)
Jour 1 : Lumière Séparation de la lumière des ténèbres: le jour, la nuit | Jour 4 : Luminaires Soleil, lune, étoiles pour séparer le jour de la nuit et pour les saisons, les jours et les années |
Jour 2 : Eau et atmosphère Atmosphère sépare les eaux du bas de celles du haut | Jour 5 : Eau et atmosphère Vie dans l’eau (poissons); vie dans l’atmosphère (oiseaux) |
Jour 3 : Terre et végétation Terre, végétation et arbres | Jour 6 : Terre, végétaux, homme Animaux terrestres, homme. Régime végétarien pour animaux et hommes |
Les quatre derniers versets (2,1-4) sont ce « colophon » que nous examinerons par la suite.
Le seul autre endroit de la Bible où il est question de six jours de travail et d’un jour de repos en rapport avec la création est celui qui enjoint le troisième Commandement, dans Exode 20, 8-11. Ce commandement demande que l’homme travaille six jours et se repose le septième parce que Dieu fit quelque chose pendant six jours et cessa de le faire le septième. Il est donc très important de savoir ce que fit Dieu pendant ces six jours.
Le troisième Commandement dit : « Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier. Pendant six jours tu travailleras, et tu feras tout ton ouvrage. Mais le septième jour est le jour du repos de YHWH, ton Dieu….Car en six jours l’Éternel a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, et il s’est reposé le septième jour: c’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié. »
Il semble bien que les « jours » de ce texte soient des jours ordinaires. Pourquoi alors y aurait-il une différence de sens entre les jours du 3ème Commandement et les jours de la Genèse ? Une sérieuse erreur d’interprétation a conduit à croire que tant la Genèse que le texte de l’Exode voulaient enseigner que Dieu a créé le ciel, la terre et tout ce qu’ils contiennent, homme compris, en six « jours » de quelque durée. À cause de cette fausse supposition, certains rejettent les « jours », quelle que soit leur longueur, d’autres nient le sens littéral des six jours ou celui du septième, d’autres transforment ces jours en millions d’années. Mais tous interprètent les six jours de travail des israélites et le jour du sabbat comme des jours ordinaires. Wiseman propose que chaque fois que les jours sont mentionnés dans l’un et l’autre texte ils soient pris au sens littéral de jours ordinaires.
À cause de la supposition inexacte que ce que Dieu fit en ces six jours fut de créer le monde, la vie et l’homme, plusieurs interprétations ont été adoptées pour essayer d’harmoniser le récit de la Genèse et le 3ème Commandement avec les idées scientifiques sur l’origine du ciel et de la terre. La plus célèbre de ces interprétations assimile les « jours » à des durées géologiques de millions d’années permettant ainsi de concilier le texte de la Genèse avec la très longue durée nécessaire à la théorie de l’évolution. Le principal défaut de cette exégèse est de rendre inexplicable l’affirmation du texte répétée six fois: « et il y eut un soir, et il y eut un matin. »
D’une façon générale, toute exégèse de ces textes doit s’accorder avec :
1. toutes les affirmations du récit de la Genèse.
2. toutes les affirmations du 3ème commandement.
3. tous les faits (pas forcément les théories !) scientifiques.
En réalité, aucune explication avancée jusqu’ici ne répond de façon satisfaisante à tous ces tests. Aucune ne nous dit clairement et raisonnablement ce que Dieu fit pendant ces six jours et ce qu’Il cessa de faire le septième jour. Pour trouver la réponse, commençons par examiner attentivement ce que dit l’Exode à propos du 3ème Commandement.
L’importance du septième jour apparaît très tôt dans la Bible: Gn 7, 4 « Car, encore sept jours et je ferai pleuvoir sur la terre…« ; Gn 8, 10 « Il attendit encore sept autres jours, et il lâcha de nouveau la colombe… » Dans Exode 16 à propos de la manne, il est dit au verset 26 : »Vous en recueillerez pendant six jours; mais le septième jour, qui est le sabbat, il n’y en aura point. » Nous verrons plus loin pourquoi le septième jour ne pouvait pas être le lendemain de la création du premier homme car plusieurs évènements importants ont eu lieu entre la création d’Adam et celle d’Ève. Mais à l’époque de l’Exode, le septième jour devait avoir perdu beaucoup de son sens car, sur le mont Sinaï, Dieu dit « Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier. » Et des directives précises sont données sur la manière de l’observer.
Les traductions courantes du verset 11 de Ex 20 disent : « Car, pendant[ou en]six jours l’Éternel a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, et il s’est reposé le septième jour : c’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié. »
Le mot hébreu traduit par « reposé », comme le même mot de Gn 2, 3, signifie simplement « cesser, s’arrêter de (faire quelque chose) ». Il n’implique pas nécessairement l’idée de relaxation pour laquelle existe un autre mot très différent en hébreu. Mais c’est surtout le mot « fait » qui doit être examiné de très près car la signification entière du texte dépend de la bonne compréhension de ce mot. Il traduit l’hébreu ‘asah, verbe très commun que l’on rencontre plus de 2500 fois dans l’Ancien Testament.
La plupart du temps il est traduit par « fait ou fit » sans exprimer quoi que ce soit sur ce que fait ou fit la personne, ni sur ce qui est fait. C’est une extension abusive du sens d’en faire l’équivalent du mot « créer » qu’il n’implique nullement. Il signifie simplement que Dieu « fit » quelque chose qui ne peut être découvert que par l’analyse du contexte. En tout cas il est très clair que le 3ème Commandement n’utilise pas le mot bara dont le sens indiscuté est « créer. » Or le contexte est très éclairant:
verset 9 : Pendant six jours tu travailleras et tu feras (‘asah) tout ton ouvrage.
verset 10 : tu ne feras (‘asah) aucun ouvrage.
verset 11 : Car, en six jours l’Éternel a fait [au sens de « créé »] (‘asah) le ciel et la terre…
Le texte anglais de ce passage est plus explicite en opposant « do » des versets 9 et 10 à « made » dans le verset 11. Mais même en français le changement de sens est perceptible entre les v. 9 et 10 d’une part, où l’idée de création est absente, et le v.11 où celle-ci est présente. Si la traduction du verset 11 avait conservé le sens vague de « faire » des versets 9 et 10, on aurait cherché à comprendre ce que Dieu « fit » pendant ces six jours et pourquoi Il se reposa le septième. Au lieu de quoi il a été incorrectement affirmé que pendant ces six jours Il avait créé le monde. La traduction de ‘asah dans d’autres passages de la Bible pourrait nous aider à formuler une autre traduction du texte examiné :
Gn.18,8 : …le veau qu’on avait apprêté
Il est évident que ‘asah ne veut pas donner à croire qu’Abraham a créé le veau
20,9…tu as fait avec moi[ou à mon égard] des choses qui ne se font pas
20,10 À quoi as-tu pensé en agissant de la sorte ? ou : qu’avais-tu en vue pour faire cette chose là ? (Osty)
21,23 …la même bienveillance dont j’ai usé envers toi ou la même fidélité que j’ai témoignée envers toi
27,17 …le bon plat et le pain qu’elle avait préparés
Ex.19, 4 Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Égypte
23,22 …si tu écoutes ma voix et si tu fais tout ce que je dirai
Dans d’autres passages de la Genèse, ‘asah se traduit plus volontiers par « montrer, témoigner »:
19,19 …Vous avez fait (=montré) un grand acte de bonté à mon égard ou c’est une grande faveur que tu as témoignée envers moi (Osty)
24,14 …je connaîtrai que vous avez usé (=montré) de bonté envers mon maître
32,11 …Je suis trop petit pour toutes les grâces et pour toute la fidélité dont vous avez usé (=que vous avez montré) envers votre serviteur.
Juges 6,17 …donnez-moi (=montrez-moi) un signe que c’est vous qui me parlez ou tu me feras voir par un signe que c’est toi qui me parles (Osty)
Si le 3ème Commandement était traduit selon ces exemples, on lirait : » Car en six jours YHWH a montré le ciel et la terre et tout ce qu’ils contiennent et il s’est reposé le septième jour. » Les israélites comprenaient certainement le 3ème Commandement ainsi: puisque que Dieu fit quelque chose pendant six jours et cessa le septième, eux aussi devaient travailler pendant six jours et se reposer le septième jour. Il n’existe pas la moindre indication ou impression que le Créateur du ciel et de la terre ait eu besoin d’un jour de repos après six jours de travail, ou que le Commandement se rapportait à six longues périodes géologiques, ni que le jour de repos du Créateur était également une longue période géologique. Ni ici ni ailleurs, rien ne pouvait les inciter à croire que la création s’était accomplie comme dans un flash, ou qu’elle avait pris un temps donné. Ils acceptaient le sens obvie selon lequel Dieu fit quelque chose pendant six jours ordinaires et s’arrêta le septième jour. Lu dans le sens des autres passages de la Bible, le mot ‘asah ne leur suggérait pas le sens de création en six jours, mais de quelque chose accomplie en six jours. On pourrait aussi, peut-être, supposer que le rédacteur d’Ex 20,11 savait parfaitement qu’en disant que l’Éternel avait fait (‘asah) « le ciel, la terre… », ses lecteurs penseraient spontanément au livre (aux tablettes) de ce titre dans lequel Dieu révélait sa création.
Quoi qu’il en soit, si Dieu n’était pas en train de créer le monde au cours de ces six jours, que faisait-Il ? Le récit de la Genèse va nous donner la réponse.
Vers la solution :
Dans la première page de la Bible il est déclaré que chacun des six jours est séparé par « un soir et un matin. » Par conséquent toute interprétation qui ferait de ces jours autre chose que des jours ordinaires de 24 heures semble impossible et doit être écartée. Pour le lecteur moderne comme pour celui d’autrefois, ces jours avec leur matin et leur soir, désignent six jours de durée ordinaire. Alors se pose une double question : 1: Que fit Dieu pendant ces six jours ? et 2 : Pourquoi cessa-t-Il le septième jour ?
Les réponses données à ces questions jusqu’ici ne sont pas très convaincantes. Ceci est d’autant plus surprenant qu’il est possible de donner à la seconde question une réponse entièrement satisfaisante parce que Notre Seigneur Lui-même a répondu. Il a, en effet, déclaré « le sabbat a été fait pour l’homme. » (Mc 2,27) En tant que « maître du sabbat » (v.28) Il en connaissait l’origine et la finalité. Et l’origine se situe au commencement de l’humanité, et non pas au temps de Moïse sur le Sinaï, où il ne s’agissait que d’un rappel. Il est donc clair que le septième jour fut initialement institué par Dieu afin que l’homme puisse se reposer pendant un jour et non pas pour que Dieu se repose. Le Créateur n’avait nul besoin d’un repos ; son institution, dit le Seigneur, était au profit de l’homme, non à celui de Dieu. Cela ressort clairement du 3ème Commandement : c’était un jour de repos après six jours de travail ; il s’appliquait même au bétail. La preuve qu’il ne s’expliquait que par le bien-être de l’homme, c’est qu’il pouvait être enfreint en cas de nécessité.
Tous les commentateurs ont ressenti la difficulté d’un septième jour institué par Dieu pour Son propre repos. L' »explication » la plus usuelle est que Dieu ne se repose pas vraiment depuis ce 7ème jour, mais qu’Il a cessé toute création depuis lors. Cette idée est-elle bien conforme à l’Écriture ainsi qu’à la science ? Si l’on se souvenait de la parole du Seigneur Lui-même, on ne s’engagerait pas dans l’impasse d’un 7ème jour institué par Dieu parce qu’Il en aurait eu besoin ! L’Écriture ne déclare-telle pas:
Ne le sais-tu pas, ne l’as-tu pas appris ?
C’est le Dieu d’éternité, l’Éternel,
Qui a créé les extrémités de la terre,
Il ne se fatigue ni ne se lasse point ! (Is 40,28)
Alors la réponse à notre seconde question : pourquoi Dieu cessa-t-Il le septième jour ? est très simple. Il cessa pour que l’homme puisse se reposer. Et cette réponse va nous aider à répondre à la première question : que fit Dieu au cours de ces six jours ? Puisque le septième jour fut incontestablement institué pour le bénéfice de l’homme, il est raisonnable de penser que ce qui fut fait pendant les six jours précédents concernait aussi l’homme. Mais alors, si l’homme était concerné, Dieu, au cours de ces six jours n’était pas en train de créer le monde et toute vie, parce que l’homme n’était pas au monde quand toutes ces choses furent créées. Heureusement il n’est pas besoin d’avoir recours à des hypothèses « raisonnables », car il est expressément dit que chacun des six jours fut séparé par « un soir et un matin. »
Les soirs et les matins :
Pourquoi ces six « soirs et matins » ? Au bénéfice de qui furent-ils établis ? Il semble qu’aucun commentateur n’ait songé à se poser la question. Des difficultés sans fin ont été créées en supposant que Dieu tout-puissant, le Créateur, cessait son travail de création le soir pour le reprendre le lendemain matin au lever du jour.
Manifestement cette période entre le soir et le matin était une période de repos, mais de repos pour qui ? Si le 7ème jour fut institué pour le bien de l’homme, devons-nous supposer que les six périodes de repos nocturne furent instituées pour le besoin de repos de Dieu ? Lui qui n’avait pas besoin d’un repos du 7ème jour, avait-il besoin d’un repos nocturne ? De simplement poser la question en montre le ridicule. Mais puisque le 7ème jour fut institué pour l’homme, il est évident que durant les six jours précédents Dieu doit avoir fait quelque chose qui occupait l’attention de l’homme et que si Dieu s’arrêtait le soir c’était pour le bien de l’homme. Comment peut-on avoir eu l’idée que ce récit de la création voulait enseigner que, au coucher du soleil, Dieu tout-puissant cessait de créer pour reprendre son travail à l’aube suivante ? Les soirs et les matins concernent les habitants de la Terre. Dieu n’est pas limité par les périodes d’obscurité sur une moitié de la terre, mais l’homme, si! De Dieu, le Psaume 139, 12 dit : Les ténèbres mêmes n’ont pas pour toi d’obscurité; pour toi la nuit brille comme le jour, et les ténèbres comme la lumière. Mais de l’homme, le Psaume 104, 23 dit : le soleil se lève….l’homme sort alors pour sa tâche et pour son travail jusqu’au soir. Il aurait dû être évident, par la simple mention d’un soir et d’un matin pendant ces six jours et par la cessation du 7ème jour, que Dieu faisait quelque chose avec l’homme pendant chacun de ces six jours. Il est donc clair qu’Il n’était pas en train de créer le ciel et la terre.
Lorsqu’Il créa la lumière à partir des ténèbres, lorsqu’Il fit le firmament, lorsqu’Il fit reculer les eaux pour faire apparaître la terre, l’homme n’était pas là pour en connaître quoi que ce soit, les soirs et les matins étaient inconnus et l’homme n’était pas encore créé. Les activités durant les jours de ce premier chapitre de la Genèse ne peuvent donc pas concerner la période occupée par Dieu à la création du monde. Les six périodes de repos nocturne, de même que le repos du 7ème jour furent introduits après la création de l’homme.
Par conséquent, la première page de la Bible doit se référer à six jours au cours desquels Dieu fit quelque chose en rapport avec la création après que l’homme fut sur la terre.
Résumons : nous savons ce que Dieu n’a pas fait pendant ces six jours ; Il ne créait pas le ciel et la terre ; le récit n’enseigne certainement pas cela ; mais positivement nous savons que Dieu fit quelque chose après la création de l’homme et qui concernait l’homme. Que fit donc Dieu en présence de l’homme pendant six jours ?
Que fit Dieu pendant les six jours ?
Le récit donne une réponse très simple : Dieu parlait de sa création. Chacun de ces six jours commence par Dieu dit et dans le verset 28 on constate qu’Il parlait à Adam et Ève: « Et Dieu les bénit et il leur dit… » Il s’agit donc d’un récit de ce que Dieu dit des choses qu’Il avait faites. En d’autres termes, il s’agit de sa révélation aux hommes des actes de création qu’Il avait déjà accomplis. Ce chapitre de la Genèse est un récit des six jours utilisés par Dieu pour révéler à l’homme l’histoire de la création. Ce texte nous raconte ce que Dieu dit au premier jour à propos de la séparation entre la lumière et les ténèbres, puis vint le soir et le matin, le soir d’abord comme il sied. Le second jour, Dieu dit comment Il fit l’atmosphère et la séparation des eaux, et ainsi de suite pour chaque jour. Il s’agit d’un récit de ce que Dieu dit, décrivant ce qu’Il avait déjà fait ; et il n’y a aucune suggestion que ces six jours décrivent les actes de Dieu en train de créer le monde.
Il va de soi que le texte de la Genèse ne nous donne que le titre du sujet traité par Dieu chaque jour. Au cours d’une journée entière, Dieu donnait à ses auditeurs de nombreux détails que la Genèse ne rapporte pas, mais qui faisaient partie de la révélation primitive que Dieu voulait transmettre à l’humanité, comptant déjà sur la Tradition pour compléter le texte écrit. Adam savait donc sur la création beaucoup plus de choses que n’en connaissent aujourd’hui les savants.
Loin d’être un quasi-animal stupide, le premier homme, créé à l’image de Dieu, était doué d’une intelligence supérieure et il connaissait sans erreur possible les secrets de la création.
Il faut noter un autre fait significatif. En parlant de sa création, Dieu donnait un nom aux choses dont Il parlait. Le premier jour Il appela la lumière jour, et les ténèbres nuit. Le deuxième jour Il appela le firmament ciel. Et ainsi de suite. Pourquoi Dieu donna-t-Il un nom à ces choses ? Il n’en avait certainement pas besoin, mais c’était nécessaire pour l’homme à qui Il s’adressait. L’idée que Dieu ait donné un nom aux choses avant la création de l’homme a plongé dans la perplexité tous les commentateurs. Mais le problème disparaît lorsqu’on comprend que les noms furent donnés au profit de l’homme. Ainsi, durant chacun des six jours, Dieu révèle à l’homme quelque chose de nouveau sur sa création en lui donnant le nom de ces choses. Au terme des six jours, ayant terminé sa révélation, Dieu institua le septième jour pour le repos de l’homme.
Une question se pose alors tout naturellement: quand et à qui la révélation de la création fut-elle faite ?
(Suite et fin dans le prochain numéro)
1 H.D. Gardeil : St Thomas d’Aquin, Somme Théologique, « L’œuvre des six jours », Appendice II, p. 294, Éd. du Cerf (souligné par nous).
2 Cf. C. Éon , « La structure de la Genèse« , Le Cep n° 39, p. 65 ss.
3 Percy John Wiseman (1888-1948). P.J. Wiseman était un officier de l’Armée de l’air britannique. Son intérêt pour la Bible fut aiguisé par ses séjours au Moyen-Orient, spécialement pendant les années 1923-25 et 1931-33 lorsqu’il était en Irak. Il lisait beaucoup et visita les principales fouilles, notamment l’expédition à Ur du British Museum et de l’University Museum de Pennsylvanie sous la direction de sir Leonard Woolley; et celle de l’Ashmolean Museum de l’Université d’Oxford à Kish, dirigée par le Pr S.H. Langdon. Il eut de nombreuses discussions avec ces savants et avec d’autres, notamment le Pr Cyril Gadd. Il pensait que son œuvre offrait une alternative à la « théorie documentaire » de Wellhausen, laquelle n’aurait, sans doute, jamais vu le jour si les méthodes de composition avaient été connues à l’époque.
En 1936 il publia ses New Discoveries in Babylonia about Genesis, puis, en 1946, Creation Revealed in Six Days.