Partager la publication "Histoire diocèse de Saint-Claude (1817-1977). Renaissance et épreuves. 160 ans de vie religieuse dans le Jura"
Par Renaud Marie-Paule
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En 1817, Louis XVIII abroge les articles organiques du Concordat de 1801 et l’évêché de Saint-Claude va renaître par découpage de l’immense diocèse de Besançon qu’avait créé Napoléon. C’est ce repère logique qu’a choisi Marie-Paule Renaud pour débuter son livre, d’autant qu’elle découpe judicieusement l’histoire du diocèse à raison d’un chapitre pour chacun des règnes épiscopaux qui se sont succédés. On aurait pu penser qu’un tel ouvrage n’intéresserait que les Franc-comtois. Il n’en est rien. De 1817 à 1977, l’Église connaît en France bien des péripéties, et les manuels qui s’en tiennent aux généralités ne permettent guère de connaître et moins encore de comprendre ce qui s’est passé.
L’Histoire se fait peut-être dans les capitales, mais elle se vit dans les bourgades. Le minutieux travail d’archives de l’auteur, notamment grâce au dépouillement de la Semaine religieuse (du diocèse de Saint-Claude), retrace une réalité parfois éloignée des schémas théoriques.
On apprend ainsi que les troupes de Garibaldi, appelées en renfort de l’armée Bourbaki contre les Prussiens, leur reprenant Dijon et occupant Mont-Roland, en profitent pour expulser les jésuites : la guerre n’arrête pas l’antichristianisme1.
Le Concordat avait permis à l’Église de reprendre son souffle et les « missions » diocésaines furent un outil décisif pour la rechristianisation des campagnes. Mais ce même Concordat mettait les curés sous la tutelle du gouvernement. En 1903, Combes, ministre des Cultes, interdit la prédication aux missionnaires des congrégations non « autorisées ». On vit les missionnaires instruire les enfants et confesser mais sans prêcher, afin de ne pas exposer les curés à la suppression de leur traitement. À Besain, en revanche, le curé Charnier, qui a déjà perdu son traitement, demande 8 jours de prédication à l’abbé Guy. En janvier 1904, la gendarmerie se déplace pour vérifier que le drapeau du Sacré-Cœur n’a pas été arboré en public.
On voit bien les constantes de l’anticléricalisme traverser les siècles, et ce jusqu’à nos jours. Le repos du dimanche, rétabli par Napoléon, est aboli pour les travaux administratifs en 1880. Le combat pour l’école libre fut une préoccupation majeure des évêques du XIXe siècle : la loi Falloux (1850) autorisait mais ne finançait pas. L’Église ne gagna vraiment que la bataille des écoles de filles, grâce au dévouement des multiples congrégations de religieuses enseignantes. Ainsi les petites sœurs franciscaines de Jésus prenaient-elles soin des femmes infirmes ou handicapées mentales. En 1894, elles s’occupaient aussi dans leur maison d’Aromas de plus de 200 orphelins et subvenaient à leurs besoins grâce aux « sœurs quêteuses » passant dans les villages. Ces sœurs ne furent jamais inquiétées lors des lois anticléricales : pas fous les laïcards !
La chapelle du « Soleil » à Salins, tout juste bénie en 1899, fut saisie par la préfecture en 1903 et mise aux enchères. Ce fut un fiasco : personne ne voulut renchérir et les sœurs franciscaines de l’Immaculée Conception redevinrent propriétaires !
On lira une longue lettre du Sous-préfet de Dôle, en 1882, que le Préfet avait chargé d’enquêter sur les associations (catholiques) laïques.
Il se plaint à son supérieur des maigres informations recueillies auprès du maire et du commissaire de police et, surtout, que la même question a déjà été posée deux fois et que ses informateurs s’interrogent à juste titre sur l’utilité de leurs efforts.
La guerre au porte-monnaie ne connaît pas de bornes. En 1906, contre le désir des familles, les fondations de messes pour les trépassés et legs pieux furent reversées aux œuvres municipales. Avant comme après la séparation, les sonneries de cloches firent l’objet de nombreux procès et incidents, mais la jurisprudence sera finalement favorable aux curés.
La période de la guerre de 1940 jusqu’à l’après-Concile ne manque pas d’intérêt. En 1971, on y voit le préfet du Jura protester auprès de l’évêque de Saint-Claude contre les « transformations d’éléments artistiques » dans les édifices religieux. Deux photos comparatives de la nef de l’église de Bellefontaine (p. 214, cliché de l’auteur) sont particulièrement parlantes et se passent donc de commentaires.
Pour chaque règne épiscopal, des notices biographiques font découvrir les personnages remarquables de la période, y compris ceux qui quittèrent le Jura (évêques, missionnaires, religieux), et montrent la vitalité du christianisme des montagnes et ses capacités à se redresser après chaque tempête venue de l’extérieur (c’est peut-être moins vrai pour l’actuelle tempête endogène).
Ainsi, à lire cette histoire détaillée des confiscations, tracasseries administratives, expulsions, impositions, etc., qui dure depuis 1791 malgré quelques accalmies (loi Falloux, Vichy), on comprend que la « laïcité apaisée » est une vue de l’esprit. Un tel ouvrage rendra lucide bien des lecteurs.
(À commander chez l’auteur : 2 rue des Trois-Fontaines, 39 600 Abergement-le-Grand, 25€)
1 Dans le même ordre d’idée, lire l’article repris de la Semaine religieuse du diocèse de Valence montrant les interdictions, en pleine guerre de 1914-18, pesant sur les soldats catholiques, au moment où les soldats musulmans recevaient un traitement de faveur de la part du Haut-Commandement : la guerre religieuse a toujours passé avant la guerre extérieure (cf. Le Cep n° 36, pp. 26-31).