Accueil » Il faut rendre l’ancien Testament au peuple chrétien

Par Claudel, Paul

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Résumé : Le raz-de-marée de l’exégèse critique a eu pour effet d’éloigner la Bible du peuple chrétien, de la dévaloriser et de faire oublier que rien ne peut la remplacer. Dans cette vigoureuse défense, Claudel en exalte la beauté, la valeur pédagogique, et surtout l’accès qu’elle nous ouvre vers l’amour du Père céleste. Car l’homme transfiguré par la Bible ne fait que vivre selon la vérité de son être.

Il faut rendre l’Ancien Testament au peuple chrétien. Il n’y a pas d’œuvre plus nécessaire et plus urgente. Il faut rendre au peuple chrétien cette moitié de son héritage dont on essaie de le dépouiller, cette Terre promise toujours ruisselante du même lait et du même miel dont on essaie de l’expulser, et qui lui appartient. Il faut rendre au peuple chrétien pour son usage ce grand édifice, débarrassé de tout cet appareil pseudo-scientifique de conjectures arbitraires et d’hypothèses frivoles qui ne sert qu’à décourager, à déconcerter, à rebuter les fidèles ; à les assourdir tellement qu’il n’entendent plus au milieu du ridicule caquet des scribes incapables d’aboutir à quoi que ce soi d’articulé et de positif le grand cri des prophètes : Sitientes, venite ad aquas1 ! Il faut leur montrer dans cette œuvre magnifique de l’Esprit Saint, de la Sagesse de Dieu, non pas un amas confus de matériaux hétéroclites à demi dévorés par le temps, mais un monument superbe sur lequel les siècles n’ont eu aucune prise et qui s’offre encore à nous, intact et vierge, dans sa composition sublime et profonde, dans sa signification originelle, dans l’invitation qu’il adresse, aussi puissante aujourd’hui qu’autrefois, à notre cœur, à notre intelligence, à notre imagination, à notre sensibilité, à tous nos besoins d’amour et de beauté. De ce texte sacré nous avons le bonheur de posséder une transcription incomparable, sanctionnée depuis des siècles par l’autorité et par la pratique de l’Eglise, en qui je vois le chef-d’œuvre, le sommet, la gloire de la langue latine : je veux parler de la Vulgate.

S’il ne tenait qu’à moi, elle formerait la base de l’éducation des enfants, comme les poèmes d’Homère, qu’elle domine d’une telle hauteur, l’étaient autrefois de celle des jeunes Grecs. Du moins, s’il faut se contenter de traductions françaises, que ces traductions prennent leur principale orientation, en ne le complétant qu’avec prudence, dans ce canon vénérable où il me semble reconnaître le timbre, l’accent même de la Divinité. Quel bonheur alors d’avoir recouvré notre bien ! Quel bonheur d’admirer à cœur libre, à cœur ouvert, notre Dieu, notre Créateur, qui n’est pas moins, qui est infiniment davantage, dans cette parole vivifiante à nous distinctement adressée, qu’Il ne l’est dans la radieuse confusion de la nature. Nourrissons-nous de cette histoire qui a un sens, de cette suite d’événements conduits par Dieu pour notre enseignement et pour la révélation de Ses infinies, de Ses ingénieuses miséricordes. Dieu n’est plus cette froide entité des philosophes. Il est Quelqu’un. Moïse, David, nous le montrent tel qu’Il est, tel qu’Il vit Sa vie, tel que nous avons bien le droit de Le voir puisqu’on nous dit que nous sommes faits à Son image : les savants nous expliqueront ça comme ils voudront.

Mais quelle joie, quelle émotion de voir vivre là-haut notre Père, débordant de paternité à notre égard, tendresse, compassion, tous les sentiments qu’il faut, la colère même ! Oui, nous aimons cette colère, cette sainte colère, nous aimons qu’on nous prenne au sérieux dans nos transgressions comme dans nos essais de bien faire. Et tous ces imbéciles qui nous parlent d’un Dieu féroce ! Un Dieu jaloux, oui, tant que vous voudrez! C’est comme ça que nous l’aimons.

Jetons-nous donc sans crainte, la tête la première, dans cet océan d’amour et de beauté, l’Ancien Testament, où tant de saints, tant de génies, ont trouvé un aliment inépuisable. Refaisons connaissance, dans leur réalité vivante et typique, avec ces personnages vraiment surhumains, je veux dire chez qui une humanité intégrale est tout entière transfigurée par la signification authentique, Abraham, Jacob, Joseph, Moïse, Job, Samuel, David. Ce ne sont point des héros de roman et de théâtre. Nous pouvons les prendre dans nos bras.

Ce sont nos frères et nos sœurs, mais des frères, des sœurs tout pleins de Dieu, tout débordants de la Volonté du Très-Haut. Lisons l’Ecriture Sainte, mais lisons-la comme la lisaient les Pères qui nous ont montré que c’était la meilleure manière d’en profiter, lisons-la à genoux ! Lisons-la non pas avec des intentions de critique, avec cette sotte curiosité qui ne va qu’à la vanité, mais avec la passion d’un cœur affamé ! On nous a dit que la vie est là, que la lumière est là, pourquoi n’essaierions-nous pas un petit peu par nous-mêmes de savoir le goût que ça peut avoir ? Ce n’est point seulement la Majesté du Sinaï qui nous convie à l’ascension ! C’est un sourire féminin, le sourire de cette Sagesse, de cette Vierge auguste dont le Seigneur a posé l’image devant lui pour s’encourager à créer le monde ! C’est elle que nous apercevrons à l’extrémité de cette longue perspective de monuments incomparables. Elle est depuis la Genèse, cette aurore progressive qui précède le soleil levant. Cette lumière divine, elle n’est absente, pour nous, chrétiens, d’aucune des parties du texte révélé, qu’il s’agisse de l’Ancien Testament ou du Nouveau. C’est à elle que peuvent s’appliquer ces paroles du Sauveur dans l’Evangile : « Quand on vous dira : il est dans le désert, ce n’est pas vrai ; il est dans un chambre fermée, ne le croyez pas ! Mais comme l’éclair part de l’Orient et se montre jusqu’en Occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. » C’est lui qui règne sur toutes les parties de l’Ancien Testament, dont il est l’inspirateur aussi bien que du Nouveau. C’est lui qui en a contresigné toutes les pages de ce serment solennel : « Ego vivo ! (C’est moi qui vis)».

1 « Vous les assoiffés, venez à la source »

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