Partager la publication "L’Intelligent Design ou Intelligence intentionnelle"
Par Claude Éon
« Il a plu à Dieu qu’on ne pût faire aucun bien aux hommes qu’en les aimant. » (P. Le Prévost)
Résumé : Le mouvement appelé « Intelligent Design » parvient aujourd’hui à la une des grands journaux, et il importe que les lecteurs du Cep en aient une idée précise et fondée sur les faits eux-mêmes. Compte tenu des multiples sens du mot « design », l’ID sera mieux rendu en français par « intelligence intentionnelle ». Car c’est bien la réfutation du hasard par Murrey Eden et Marcel Schutzenberger, en 1965, qui allait peu à peu fragiliser (et maintenant abattre) l’édifice de l’évolution darwinienne.
Déjà en 1973, Pierre-Paul Grassé avait montré combien la sélection naturelle restait insuffisante pour expliquer l’origine et l’évolution supposée du vivant. Mais c’est vers les années 1980, dans les universités anglo-saxonnes, que le mouvement devait se constituer puis se structurer. En 1988, paraît Of Pandas and People, sorte de manuel rectificatif des erreurs couramment enseignées. Puis Phillip Johnson, un juriste de Berkeley, comprit que les « preuves » du darwinisme ne pourraient emporter la conviction d’un juge, et que le fond du débat était en réalité philosophique : le présupposé naturaliste (qui exclut Dieu de la science par principe) est-il recevable en biologie (ou dans les autres disciplines) ? Telle fut la genèse de l’ID dont cet article donne la première description objective publiée en langue française.
« Eh bien! Il paraîtrait que si, quand nous faisons les choses de manière à ce qu’elles concordent pour un but déterminé, nous disons qu’il y a une intelligence intentionnelle de notre part, nous devons reconnaître dans l’ensemble des phénomènes naturels et leurs rapports déterminés pour des buts déterminés une grande intelligence intentionnelle. » (Claude Bernard: Cahiers de notes (1850-1860), Paris,Gallimard 1965, pp. 58-59)
En anglais, le mot « design » signifie dessein, intention, projet, conception, but, finalité et leurs synonymes. Dans la mesure où, comme nous le verrons, ce mouvement de l’Intelligent Design (ID) se définit par opposition au mécanisme aveugle de la sélection naturelle de Darwin, la traduction la meilleure nous semble être celle qui souligne l’intentionnalité plus encore que la finalité. La citation mise en épigraphe montre que Claude Bernard, confronté au même phénomène, avait trouvé l’expression qui nous paraît être la plus fidèle à ce qu’entend exprimer le mouvement de l’Intelligent Design: l’intelligence intentionnelle. Nous l’adopterons.
Son étude se fera en deux étapes : la première sera une histoire du mouvement, permettant de faire connaissance avec ses principaux initiateurs et avec leurs œuvres ; la seconde procédera à une évaluation critique des thèses avancées et de leurs mérites.
I. Origine du mouvement :
La théorie de Darwin, depuis sa parution en 1859, et malgré une ascension foudroyante, n’a jamais fait l’unanimité chez les savants. Mais le courant d’opposition, parfois exposé devant les tribunaux (le procès Scopes en 1925), demeura sporadique et inorganisé jusqu’au début des années 1960. En 1961 parut aux États-Unis un livre qui fit beaucoup de bruit: The Genesis Flood, (« Le Déluge »). Il marqua véritablement la naissance d’un mouvement créationniste biblique et protestant, aujourd’hui en plein essor. C’est ainsi qu’en 1963 la Creation Research Society (CRS) vit le jour, suivie en 1972 par l’Institute for Creation Research. Beaucoup d’autres organismes similaires devaient se créer par la suite, surtout dans les pays anglo-saxons.
À cette opposition d’inspiration religieuse allait se joindre une autre contestation, cette fois, de nature entièrement scientifique. En 1965 Murray Eden, professeur au MIT (Massachusset Institute of Technology), et Marcel Schutzenberger, médecin et mathématicien français, construisirent un modèle de sélection naturelle des mutations aléatoires basé sur la théorie des probabilités. Malgré de nombreux essais de simulation du mécanisme darwinien, le résultat fut totalement négatif. Leur scepticisme sur la validité du mécanisme de mutation – sélection, parvint aux oreilles des biologistes évolutionnistes. Ceux-ci organisèrent alors une confrontation avec le groupe du professeur Eden en juillet 1966 au Wistar Institute, sur le campus de l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie. La discussion ne manqua ni de chaleur, ni de confusion. Mais il en sortit une transcription des débats très instructive sous le titre bien scientifique de Mathematical Challenges to the Neo-Darwinian Interpretation of Evolution. Trois ans après Wistar, en 1969, Arthur Kœstler organisait le Symposium d’Alpbach rassemblant des biologistes confirmés, insatisfaits de l’orthodoxie darwinienne. A. Kœstler publia sous le titre même du Symposium, Beyond Reductionism (« Au-delà du Réductionnisme »), la synthèse des travaux de cette réunion.
On peut dire que Wistar et Alpbach marquent la naissance d’un scepticisme motivé envers l’évolution, scepticisme cette fois complètement indépendant des objections bibliques.
La bombe suivante fut française. En 1973 le professeur Pierre-Paul Grassé publiait L’Évolution du Vivant dont la traduction anglaise parut en 1977. En raison de la réputation du savant (« sa connaissance du monde vivant est encyclopédique« , reconnaissait Dobzhansky1 dans sa recension), ce livre, qui attaquait vigoureusement le mécanisme de la sélection naturelle, jeta un grand trouble chez les darwiniens.
Durant la même période (fin des années 1960 et début des années 1970) La Structure des révolutions scientifiques de Kuhn2 (1962) était largement lu, cité, discuté. Cela ne pouvait qu’encourager tous les contestataires du « paradigme » darwinien.
Dans cette rapide revue des précurseurs de l’intelligence intentionnelle, il faut encore citer Michael Polanyi, chimiste et philosophe qui, en 1967, affirma que « les machines ne peuvent pas se réduire à la physique et à la chimie » et que « les structures mécaniques des êtres vivants semblent y être également irréductibles. » Le biochimiste Michael Behe développera plus tard cette intuition avec son concept de « complexité irréductible. »
Polanyi influença aussi le premier ouvrage relevant de l’ID, The Mystery of Life’s Origin, (« Le mystère de l’origine de la vie ») paru en 1984 sous la triple signature de Charles Thaxton, chimiste, et de deux autres scientifiques, Walter Bradley et Roger Olsen. Ce livre démontrait l’impossibilité chimique des théories alors proposées (imposées ?) pour expliquer l’origine de la vie. En effet, depuis l’expérience, en 1952, de Miller qui avait produit un acide aminé à partir d’un mélange d’hydrogène, d’ammoniac, de méthane et de vapeur d’eau soumis à une décharge électrique, les espoirs de démontrer la possibilité d’une origine « abiotique » de la vie étaient très vifs. On imaginait qu’au sein d’une soupe chimique primordiale, des acides aminés se formeraient pour créer quelques macromolécules dont l’assemblage serait à l’origine de la première cellule vivante. Thaxton, Bradley et Olsen, voyant de très sérieux obstacles à de tels scénarios, procédèrent à une analyse quasi exhaustive de tous les aspects scientifiques de l’évolution chimique: l’atmosphère primitive, la géologie et la géochimie, les protocellules, la théorie de l’information, la thermodynamique et l’entropie, et même les protocoles des expériences récentes.
La conclusion des auteurs fut qu’ »un flux spontané d’énergie passant au travers d’une atmosphère et d’un océan primitifs est actuellement une explication terriblement inadéquate de la complexité incroyable des organismes vivants, mêmes les plus simples, et qu’elle est probablement fausse. »3 Malgré la remarquable modération de cette conclusion, ce livre donna lieu à une belle cacophonie d’appréciations. Les créationnistes déploraient l’adhésion des auteurs aux 4 milliards d’années supposées de la terre. Quant aux évolutionnistes, certains furent troublés par l’épilogue, dans lequel, après avoir démontré que « l’évolution chimique était extrêmement improbable » (highly implausible) les auteurs proposaient cinq alternatives: 1) la découverte de nouvelles lois naturelles; 2) la panspermie, c’est-à-dire une origine extra-terrestre de la vie; 3) une panspermie dirigée…par quelque intelligence d’une galaxie; 4) une création spéciale par un créateur immanent au cosmos; et enfin 5) une création spéciale par un Créateur extérieur au cosmos. On imagine la levée de boucliers que la seule évocation de cette dernière hypothèse souleva ! Mais courageusement Thaxton n’hésita pas à rappeler quelques vérités, dont celle-ci qui se trouve dans le dernier paragraphe du livre: « …à moins qu’il ne soit fait quelque progrès pour reconnaître le rôle de la métaphysique et de son usage correct, le débat sur l’origine continuera à faire rage, comme il l’a fait dans le passé, les représentants de chaque camp ne parvenant ni à s’entendre ni à se comprendre. » 4
Mystery of Life’s Origin appartient déjà au mouvement de l’ID car il en exprimait les deux caractéristiques. La première était l’approche purement scientifique du problème, sans aucune référence à une problématique religieuse. La seconde était le recours à la théorie de l’information. Ce qui caractérise les organismes vivants, c’est leur complexité et non pas simplement leur l’ordre. Mais la complexité requiert un grand nombre d’instructions pour spécifier la structure.
Or Thaxton montrait que le flux d’énergie supposé frapper la soupe (hypothétique!) de monomères ne pouvait pas apporter l’information indispensable pour créer une molécule aussi complexe que l’ADN ou une protéine. Ces composants du vivant sont nécessaires à sa reproduction, et il est généralement admis que la sélection naturelle ne peut agir que sur des organismes capables de se reproduire. Par conséquent, la formation du système ADN – enzymes par un procédé autre que la sélection naturelle devient une exigence évidente.
À partir de 1987 plusieurs savants, de plus en plus sceptiques envers l’Évolution, commencèrent à se réunir sous l’égide d’un Ad Hoc Origins Committee, dont la direction fut confiée à Charles Thaxton. Ce Comité décida d’organiser une conférence ayant pour thème: « Le mystère de l’origine de l’information génétique », à laquelle furent invités des spécialistes de plusieurs disciplines. Cette conférence de trois jours, intitulée « Les sources de l’information dans l’ADN », eut lieu à Tacoma (Washington) en juin 1988 avec environ 80 participants. Un des principaux buts de ces travaux était de tester les thèses de Thaxton pour qui les séquences d’information dans l’ADN incitent fortement à rechercher une cause intelligente que les scientifiques devraient avoir la liberté d’invoquer. Plusieurs conférenciers firent une profonde impression, et particulièrement Michael Denton, venu tout exprès d’Australie.
Michael Denton, biochimiste et médecin anglais résidant en Australie, avait publié en 1985 en Angleterre Evolution: a Theory in Crisis. La conclusion du livre donne la mesure de cette crise: « Depuis 1859, pas une seule découverte empirique ni un seul progrès scientifique n’ont apporté la moindre validation aux deux axiomes de base de la théorie macro-évolutionniste de Darwin : d’une part le concept de continuité de la nature, c’est-à-dire l’idée d’un continuum fonctionnel de formes de vie enchaînant toutes les espèces et remontant jusqu’à la cellule primordiale; et, d’autre part, l’idée que le projet adaptatif de la vie est entièrement le résultat d’un processus aléatoire aveugle.« 5 Nous verrons plus loin que l’ID présente une double face : la critique du darwinisme et la proposition d’une alternative. De ce point de vue le livre de Denton, plus encore que celui de Thaxton, car plus général et très accessible, est véritablement le livre fondateur de tout le mouvement de l’intelligence intentionnelle. Rejetant l’hypothèse de la création intelligente de la vie comme un concept métaphysique a priori et donc dépourvu de toute valeur scientifique… »au contraire, l’inférence de l’intelligence intentionnelle6 (design) est une induction a posteriori qui procède inéluctablement de la logique de l’analogie. Même si la conclusion peut avoir des implications religieuses, elle ne dépend pas de présupposés religieux. » (p.352)
Denton ne prétend pas être un théoricien de l’ID, mais cette citation va au cœur de la différence entre le créationnisme et la théorie de l’intelligence intentionnelle. Celle-ci, faisant abstraction de toute préoccupation religieuse, se contente d’affirmer qu’une cause intelligente est la meilleure explication de certains phénomènes de la nature.
Dans le camp évolutionniste la perplexité fut extrême, mais le paradigme darwinien absorba plutôt bien le choc. Contre l’évidence même du livre –les critiques peuvent toujours espérer que leurs lecteurs ne liront pas le livre qu’ils recensent infidèlement– on essaya de faire de Denton un créationniste ! À court terme le livre n’eut pas l’impact que l’on aurait pu croire, mais par la suite son influence devint considérable, surtout à partir du jour où il tomba entre les mains de Phillip Johnson, comme nous le verrons…
Encouragé par les résultats de la Conférence de Tacoma, Thaxton édita sans tarder un livre rédigé par Dean Kenyon, professeur de biologie à l’Université de San Francisco, et Percival Davis, professeur des sciences de la vie à Tampa (Floride), sous le titre Of Pandas and People (Des Pandas et des Hommes, 1989).
Traitant successivement de l’origine de la vie, de la génétique et de la macroévolution, de l’origine des espèces, des fossiles, de l’homologie et des similarités biochimiques, ce livre superbement illustré visait le public des étudiants et de leurs professeurs, comme un complément rectificatif du manuel officiel.
L’originalité d’Of Pandas and People était de présenter pour la première fois, ouvertement, dans un livre, l’intelligence intentionnelle comme une alternative légitime au modèle évolutionniste. Inutile de dire que l’ouvrage souleva quelques approbations, mais surtout de véhémentes protestations jusque dans Newsweek et en première page du Wall Street Journal.
À partir de 1990 le mouvement de l’ID va prendre une tout autre dimension avec l’entrée en scène de Phillip Johnson. En octobre 1987, Johnson, professeur de Droit pénal à Berkeley, débarquait à Londres pour une année sabbatique. Passant devant une librairie, il remarqua deux livres côte à côte: The Blind Watchmaker (L’Horloger aveugle) de Richard Dawkins et Evolution: a Theory in Crisis de Denton. Piqué par la curiosité, il constata, simplement en lisant les commentaires de la quatrième page de couverture, que ces deux auteurs soutenaient des positions diamétralement opposées. Anticipant une délicieuse joute dialectique dans un domaine qu’il ne connaissait pas vraiment, il fut surtout intéressé, en bon pénaliste qu’il était, par les méthodes d’argumentation des deux adversaires. Il acheta donc les deux livres.
Il comprit très rapidement l’importance de l’enjeu sur le plan socioculturel, et fut particulièrement impressionné par la qualité des arguments de Denton. Le livre de Dawkins, professeur à Oxford et athée militant, se référait à l’argument de « l’horloger » avancé par Paley, en 1802, dans sa célèbre Natural Theology7, pour en contester la validité. Pour Dawkins, le grand mérite de Darwin avait été « de permettre à un athée d’être intellectuellement comblé » (to be an intellectually satisfied atheist).
Johnson réalisa très vite que le fondement du darwinisme n’était pas les preuves empiriques mais son présupposé métaphysique naturaliste.
Très désireux d’intervenir dans le débat, Johnson était parfaitement conscient de son manque de crédibilité. Que venait faire un professeur de Droit pénal dans un débat scientifique ? Il consacra donc son année sabbatique à s’informer, par la lecture et par des rencontres avec des scientifiques, de tous les aspects du problème de l’Évolution. Bien que chrétien, Johnson fut très soucieux de se démarquer des créationnistes et surtout de l’interprétation littérale de la Bible. : « Permettez-moi de m’appeler « théiste », avec l’espoir, sans doute futile, d’éviter la culpabilité par association.«
En août 1988, Johnson était de retour à Berkeley avec un manuscrit intitulé Science et naturalisme scientifique dans la controverse sur l’évolution. Il y traitait également des décisions judiciaires intervenues aux États-Unis à propos de l’enseignement de la création dans les écoles.
Dès le mois de septembre, Johnson organisait un séminaire à Berkeley, où étaient invités des juristes et des scientifiques, afin d’y discuter son texte sur la science et le naturalisme, préalablement envoyé à tous les participants. Laissons Johnson lui-même donner la conclusion de cette réunion: « Finalement je considère que cette session fut un succès pour mon point de vue: l’affirmation auparavant impensable – que la théorie générale de l’évolution n’était pas vraie – fut mise sur la table, prise au sérieux et débattue comme s’il s’agissait de n’importe quel autre sujet académique. » Du fait que l’essentiel de la discussion avait porté sur le naturalisme dans la science, Johnson y vit une confirmation de sa thèse. Cette première réunion inaugurait une innombrable série de colloques, conférences et séminaires, poursuivie jusqu’à ce jour, où Johnson contesterait la validité scientifique de l’évolutionnisme. Elle fut également à l’origine de ce qui allait être publié en 1991 sous le titre de Darwin on Trial (Darwin en jugement).
Quelques mois plus tard, en décembre 1989, dans le Campion Center de Boston, Johnson affronta Stephen Jay Gould, le prestigieux défenseur de l’évolutionnisme, ainsi qu’une douzaine de savants de différentes disciplines. Gould fit preuve d’une agressivité qui étonna ses amis, mais Johnson sut répondre de façon convaincante aux attaques de son adversaire.
Cette confrontation démontrait que Johnson était capable de survivre aux attaques les plus virulentes de ses opposants, ce qui était de bon augure pour la suite de la bataille. Dans les numéros d’octobre et novembre 1989 de la revue catholique First Things, Johnson publia un résumé de la réunion de Boston sous le titre « Evolution as Dogma : The Establishment of Naturalism » qui fut immédiatement republié sous forme de brochure. Cette publication inaugurait les œuvres écrites de Johnson sur le thème de l’évolution et destinées au grand public. À cette époque il avait déjà rédigé un manuscrit plus important, sans lui trouver d’éditeur. Il dut attendre jusqu’en 1991 avant d’en trouver un qui voulut bien éditer Darwin on Trial.
Jusqu’alors les critiques de l’évolution, qu’ils fussent créationnistes ou non (comme Denton), s’étaient attachés à montrer la faiblesse des « preuves » du darwinisme en biologie. L’ambition de Johnson allait bien au-delà, car il voulait démontrer que le darwinisme n’était qu’une pseudoscience. La question était de savoir si le darwinisme se fondait sur une évaluation honnête des faits scientifiques, ou bien s’il ne s’agissait que d’une autre forme de fondamentalisme. Redoutable accusation ! Cette fois, c’était bien le paradigme tout entier qui était visé. On peut résumer en quatre thèses les accusations développées par Johnson dans son Darwin on Trial.
- Les preuves biologiques et paléontologiques et les autres données scientifiques, à quelques très rares exceptions près, tendent à montrer la fausseté de la théorie darwinienne de la macroévolution et de l’origine chimique de la vie.
- La macroévolution darwinienne repose finalement sur l’option philosophique du naturalisme.
- Lorsque le darwinisme est contesté, il est défendu par le collage d’une étiquette au contestataire, par des manipulations sémantiques et par une logique fautive.
- Par conséquent, le darwinisme se comporte comme le mythe cosmologique central de la culture moderne, comme le centre d’un système quasi religieux, vrai a priori, plutôt que comme une hypothèse scientifique devant être soumise à des tests rigoureux.
Le livre de Johnson abordait déjà deux des préoccupations majeures de ce qui deviendra le mouvement de l’ID. La première consiste à souligner la place culturelle centrale du problème de l’origine du monde, par création ou par génération spontanée. Il ne s’agit pas seulement d’une curiosité purement scientifique, mais d’un présupposé à toute vision globale du monde, avec toutes ses conséquences sociales et morales. Le renversement du paradigme darwinien constituerait une révolution intellectuelle comparable, mais de sens inverse, à ce que fut l’avènement des « Lumières ». Un des piliers de l’athéisme en serait durablement ébranlé. C’est d’ailleurs parce qu’ils sont bien conscients de ce danger que les scientifiques marxistes et athées, tel Gould, se battent contre tous les sceptiques envers l’évolutionnisme, créationnistes ou non.
La seconde ambition, d’ordre plus tactique, consiste à semer le doute, Johnson dit « introduire un coin », dans l’éducation à tous ses niveaux, mais surtout dans les universités, pour faire admettre que le matérialisme scientifique n’est pas forcément vrai et qu’il est donc légitime d’introduire une perspective théiste dans les programmes.
Cette dimension globale de la critique est la clé pour comprendre l’expansion de la rhétorique de l’intelligence intentionnelle au cours des années 1990. Pendant cette décade la diffusion du livre de Johnson se poursuivit activement, donnant lieu à de très nombreux articles, débats et autres conférences. Une aide précieuse provint des vidéos et tout particulièrement de celle de 1994 relatant le débat à Stanford entre Johnson et William Provine, historien de la biologie à l’université de Cornell. Ce débat fit avancer la cause de l’ID de deux manières.
D ‘abord en donnant un nouveau moyen de diffusion des preuves de Johnson contre l’évolution ; ensuite à cause du rejet par Provine du libre arbitre et de ses railleries envers la foi en Dieu de Johnson, illustrant ainsi que le darwinisme est tout autant un parti pris philosophique athée, qu’un cadre de recherche scientifique. Plusieurs collègues de Johnson commencèrent à s’exprimer sur les campus de plus en plus souvent, surtout après la parution du livre de Behe Darwin’s Black Box en 1996, que nous retrouverons plus loin.
Toutes ces conférences et vidéos renforcèrent beaucoup l’effet persuasif des livres s’inspirant du « design » et donnèrent finalement naissance à un véritable mouvement. En effet, de nouvelles recrues se manifestèrent dans le sillage de Johnson. Pour ne citer que les principales, mentionnons Michael Behe, biologiste, destiné à devenir un pilier de l’ID, David Berlinski, logicien; Alvin Plantinga, philosophe; Henry Schaeffer, célèbre chimiste.
En août 1992, la revue Scientific American publia une recension venimeuse du livre de Johnson signée par Gould. Celui-ci demanda aussitôt un droit de réponse qui lui fut refusé. Ce qui ne fit qu’accroître la stature de Johnson comme victime d’une « police de la pensée » scientifique. Le Ad Hoc Origins Committee décida alors d’envoyer à 5 000 universitaires professeurs de science la réponse en 4 pages de Johnson intitulée « The Religion of the Blind Watchmaker » (La religion de l’horloger aveugle) accompagnée d’une lettre signée par plus de 45 professeurs.
À la même époque, quatre jeunes étudiants achevaient leur doctorat dans des universités prestigieuses: Steven Meyer à Cambridge, William Dembski et Paul Nelson à Chicago, et Jonathan Wells à Berkeley. Baptisés « les 4 cavaliers », ils travaillaient ensemble, affûtant leurs idées, coordonnant leurs recherches et leurs écrits. Ils faisaient partie du groupe de discussion de Johnson sur Internet, où le nombre des participants passa de 75 en 1995 à plus de 200 en 2003 et par lequel transitaient tous les textes traitant de l’ID. Les 4 cavaliers devaient jouer un rôle décisif dans l’essor du mouvement.
Ils publièrent leurs premières œuvres, avec d’autres auteurs, dans trois livres essentiels: Darwinism: Science or Philosophy ? (1993); The Creation Hypothesis (1994) et Mere Creation (1998). Très rapidement, Dembski, titulaire d’un PhD (doctorat) en mathématiques et d’un autre en philosophie, ainsi que de divers diplômes en statistique, théologie et psychologie, devait s’avérer le chef de file du mouvement.
Ces années 1991-92 furent les années charnières dans la formation de l’ID. Dans le numéro du 8 août 1991 de la célèbre revue Nature fut publiée, sous le titre The God of Galapagos, une recension très critique de Darwin on Trial.
Le professeur de philosophie des sciences David Hull y mettait l’accent sur l’aspect prétendument théologique de la thèse de Johnson. Hull assurait que les scientifiques » ne peuvent pas avancer l’idée d’une cause divine: s’ils admettent une seule fois une référence à Dieu ou à des forces miraculeuses pour expliquer l’origine de la vie ou l’évolution des espèces, ils n’ont plus aucun moyen de limiter ce genre d’explication.«
Johnson n’eut aucun mal à dénoncer cette caricature de la position théiste : ce n’est pas parce que la science ne peut pas étudier Dieu que seules des forces matérielles aveugles peuvent être à l’origine de la création des vivants. Et il est évident qu’aucun théiste ne songe à faire appel à Dieu pour expliquer le magnétisme terrestre ou tout autre phénomène naturel.
Beaucoup plus intéressante fut la publication d’un article anonyme dans la revue Science (26 juillet 1991). Cette revue est publiée par l’ American Association for the Advancement of Science (AAAS), repaire de scientisme sectaire. Le livre de Johnson y était qualifié de « potentiellement dangereux ». Les arguments sont toujours les mêmes: Johnson ne comprend rien à la science, ses convictions religieuses expliquent son hostilité au pur matérialisme et, d’ailleurs, les créationnistes aiment son livre! Mais l’article fut lu par un biologiste que nous avons déjà rencontré, Michael Behe. Très irrité, celui-ci envoya une réponse à la revue, qui la publia dans la livraison du 30 août. Behe déplorait qu’une fois de plus on attaquât avec des arguments ad hominem plutôt que de répondre aux objections.
Retournant les propres arguments de Science, Behe soulignait que des gouvernements fascistes avaient adopté le darwinisme, que la plupart des scientifiques ne sont pas des logiciens et que de nombreux évolutionnistes ont un préjugé en faveur du pur matérialisme. L’article disait, pour conclure, que « la communauté scientifique ferait beaucoup mieux de faire patiemment la liste des faits confirmant [l’évolution] et de reconnaître franchement les lacunes en fait de preuves.
Et ce plutôt que de soutenir avec paternalisme que la compréhension de la théorie de l’évolution est réservée aux prêtres de la science officielle ». (!)
Naturellement Johnson fut très content de cette réplique et Behe fut immédiatement adopté par les membres du club.
Michael Ruse, anglais d’origine, est un des plus célèbres philosophes de la biologie, qu’il enseigne à l’Université de Floride. Comme le montrent ses nombreux articles et ouvrages, c’est un défenseur acharné de Darwin. Il édite une revue intitulée Biology and Philosophy. Lorsqu’en 1988 Johnson envoya à la revue le texte qu’il avait écrit en Angleterre, la publication en fut (naturellement) refusée. Cependant, lorsque trois ans plus tard, les amis de Johnson l’invitèrent à être le principal orateur opposé à ce dernier dans un symposium académique sur Darwin on Trial, Ruse accepta la proposition. Ainsi, en mars 1992, onze scientifiques, cinq darwiniens et six représentants de l’ID, se réunirent à Dallas pendant trois jours pour un « Darwinism Symposium » officiellement intitulé Darwinisme: Inférence scientifique ou Préférence philosophique ? Les dix conférences présentées furent d’un haut niveau et firent l’objet d’un livre, Darwinism: Science or Philosophy ?8 Ce fut aussi la première apparition en public de Behe et de deux des « 4 cavaliers », William Dembski et Steven Meyer. Mais le plus intéressant allait être la suite de cet événement.
En février 1993, lors de l’Assemblée Générale de l’AAAS à Boston, Michael Ruse fut invité à faire une présentation au séminaire d’Eugénie Scott (redoutable virago évolutionniste) intitulé « The New Anti-evolutionism », destiné à comprendre ce mouvement naissant de l’Intelligent Design et à étudier comment faire face au défi qu’il représentait. Ruse fut invité à expliquer comment traiter le « problème lancinant de Phillip Johnson ». Il parla alors de son expérience de Dallas qu’il qualifia de très constructive, parce qu’on y avait surtout parler de métaphysique, des bases philosophiques, et très peu du créationnisme.
Puis Ruse figea son auditoire en déclarant qu’il avait examiné à nouveau le problème des bases philosophiques et qu’après sa participation au symposium, il avait changé d’avis sur un point crucial.
Les savants et autres intellectuels « devraient reconnaître, à la fois historiquement et peut-être philosophiquement, que l’élaboration de la science implique des hypothèses métaphysiques, qu’il n’est peut-être pas bon d’admettre devant un tribunal9, mais que, honnêtement, nous devrions reconnaître ».
Il poursuivit en disant son accord avec Johnson sur un autre point, le rôle quasi religieux du darwinisme pour certains évolutionnistes. Sans renier le darwinisme, Ruse n’en conclut pas moins que « l’évolution, analogue à la religion, suppose que l’on fasse certaines hypothèses métaphysiques a priori, qu’il n’est pas possible de prouver empiriquement…Et je crois que la façon de traiter le créationnisme, mais aussi l’évolution, n’est pas de nier ces faits, mais de les admettre et de voir où nous pouvons aller en partant de là. » Un silence glacial lui répondit.
Le discours de Ruse fut rapidement connu dans le camp du Design où il fut célébré comme une belle victoire. Chez les évolutionnistes, la riposte consista à distinguer entre ce que les savants doivent présupposer pour faire leur travail, un naturalisme méthodologique, et ce que certains savants affirment sur l’existence ou l’inexistence de Dieu, un naturalisme métaphysique, illégitime cette fois, à la différence de l’autre. À quoi les partisans de l’ID répondirent que cette distinction était sans valeur, puisqu’exclure les causes intelligentes dans la science revient à les exclure du monde réel. Le débat se poursuivit au cours des années suivantes, mais l’accent se déplaça vers la question de savoir comment prouver le « design » par des données factuelles et comment détecter empiriquement l’intelligence intentionnelle.
La réponse devait être donnée par Behe en 1996 avec son livre Darwin’s Black Box, suivi d’autres livres, articles et conférences ; puis par Dembski dans The Design Inference (1998), Mere Creation (1998) et Intelligent Design (1999).
Michael Behe est professeur de biologie à l’université Lehigh. La thèse de son livre Darwin’s Black Box (La Boîte noire de Darwin) est que certains faits biologiques ne peuvent pas être expliqués par la théorie darwinienne et qu’il faut nécessairement faire appel à une « causalité intelligente ».
Pourquoi cette notion librement discutée dans d’autres sciences, telle que l’astronomie ou la cosmologie, ne pourrait-elle pas être admise en biologie ? Allant donc bien au-delà d’une simple critique de la théorie de Darwin, Behe proposait un véritable nouveau paradigme en biologie: l’admission d’un recours à une intelligence intentionnelle pour expliquer certaines complexités observées chez les êtres vivants.
Pour désamorcer à l’avance les accusations de créationnisme, Behe, qui est catholique, prit soin de déclarer: »Je n’ai aucune raison de douter que l’univers a les milliards d’années que les physiciens lui attribuent. En outre, je trouve l’idée de descendance commune (que tous les organismes partagent un ancêtre commun) plutôt convaincante et je n’ai aucune raison particulière d’en douter. »10 Précaution bien inutile auprès de très nombreux censeurs ! Le succès de librairie fut immense : plus de 45.000 exemplaires vendus au cours de la première année, et en l’an 2000 il s’en vendait encore plus de 20.000 par an. Il fut traduit en quinze (15) langues, mais, curieusement (!), pas en français. Le livre fit l’objet de plus d’une centaine de recensions dans des revues savantes ou non.
Une bonne partie de sa popularité venait, malgré la difficulté technique de certaines pages, de la clarté et de la familiarité du style de l’auteur. Comment oublier l’exemple du piège à souris comme modèle de « complexité irréductible » ?
L’histoire de la biologie est une succession de « boîtes noires » où, dès que l’une est ouverte, la suivante apparaît. Par « boîte noire » il faut entendre un appareil ou système qui accomplit quelque fonction mais dont le fonctionnement interne demeure mystérieux, soit qu’on ne puisse pas le voir, soit qu’il reste incompréhensible. Les évolutionnistes pouvaient allègrement proposer leurs scénarios matérialistes parce qu’ils n’avaient aucune idée du fonctionnement de ces réalités biologiques: la cellule était pour eux une boîte noire. Or, Darwin a écrit: « s’il pouvait être démontré qu’il existe quelque organe complexe qui n’aurait pas pu être formé par de légères modifications successives, ma théorie s’effondrerait complètement. »11 Ce que Behe va montrer, c’est qu’il existe en biologie beaucoup de boîtes noires, dont la complexité exclut la possibilité d’une formation progressive. Pour les désigner Behe a forgé l’expression de complexité irréductible. Par « complexité irréductible » je désigne un système unique composé de parties interactives bien ajustées contribuant à la fonction même du système, dans lequel la disparition de l’une quelconque de ces parties entraînerait l’arrêt du fonctionnement. »12
Dans son livre, Behe consacre cinq chapitres aux structures cellulaires ou intracellulaires particulièrement complexes comme le flagelle bactérien13 ou la coagulation du sang. La question importante est de savoir comment discerner et reconnaître pour telle une complexité irréductible ? Il faut d’abord spécifier la fonction du système et de toutes ses parties: l’œil par exemple, qui est fait pour voir. Ensuite il faut vérifier que toutes les parties sont bien indispensables au bon fonctionnement de l’organe.
Alors, la complexité constatée conduit à la question de savoir si elle est compatible avec une formation progressive, évolutive, sachant qu’aucune partie n’a de sens en dehors du système et que celui-ci ne peut fonctionner que si toutes les parties sont en place.
L’intérêt de cette approche est que la conclusion d’une intelligence intentionnelle découle des faits eux-mêmes et non d’un livre sacré ni d’une croyance religieuse. L’intention intelligente se manifeste tout simplement par l’organisation des parties en vue d’un résultat. Et il n’est même pas nécessaire de connaître l’architecte. L’archéologue qui découvre des objets faits de main d’homme n’en connaît presque jamais l’auteur. La constatation d’une finalité peut être faite indépendamment de la connaissance de son créateur. La science déborderait d’ailleurs de ses limites si elle cherchait à déterminer celui-ci. Il revient en effet à la philosophie de réfléchir sur les implications de cette preuve de finalité et de chercher à connaître la nature de l’intelligence qui en est la source.
Après le « tremblement de terre culturel » du livre de Behe, publié en août, l’étape suivante fut, en novembre 1996, le rassemblement de 200 partisans de l’Intelligent Design à l’université Biola, à Los Angeles, pour la première grande conférence internationale sur la nouvelle théorie. Le point commun des participants était leur rejet du naturalisme pour la science et leur recherche d’une vision commune sur la création, unifiée par l’ID. Bien que la plupart d’entre eux eussent des convictions religieuses, aucun n’était un « créationniste » au sens, souvent péjoratif, de la presse et de l’opinion. Relevant de disciplines très diverses, l’objectif qui leur était proposé comportait : (1) la création d’une communauté de pensée; (2) le partage des idées et des connaissances; (3) l’unité sur une base commune; et (4) la communication avec les autres. Sous le titre de Mere Creation, « Simple Création », les 18 conférences furent ultérieurement publiées dans un volume de 475 pages édité par William Dembski14.
Nous y retrouvons plusieurs noms déjà connus: Behe, les « quatre cavaliers »: Stephen Meyer, Paul Nelson, Jonathan Wells et William Dembski, et naturellement Johnson dont le discours de clôture s’intitulait « Comment couler un cuirassé. »
Une des contributions significatives fut celle de Dembski sur la manière de détecter la finalité : Dembski proposa un « filtre » à trois étages. «Soit un objet que nous suspectons de finalité, nous le soumettons au filtre. S’il passe avec succès les trois étapes du filtre, alors nous avons le droit d’affirmer qu’il a été intentionnellement voulu. En gros, le filtre pose trois questions: Est-ce qu’une loi l’explique ? Est-ce que le hasard l’explique ? Est-ce que l’intelligence intentionnelle l’explique ? »15
L’auteur développa son idée dans The Design Inference publié en 1998, mais d’une lecture indéchiffrable pour le lecteur non mathématicien de haut niveau. L’année suivante Dembski publia son Intelligent Design, nettement plus accesssible!
Dembski fait remarquer que sa méthode est déjà utilisée par la médecine légale, l’instruction criminelle, l’archéologie et un programme de la NASA, le « SETI » (Search for Extra-Terrestrial Intelligence). C’est pour ce programme que des milliards de dollars sont dépensés dans l’espoir de trouver une trace de vie ou d’êtres intelligents quelque part dans l’univers…Dans tous ces cas il s’agit de discerner entre un événement fortuit, ou « naturel », (c’est-à-dire conséquence d’une loi déjà connue), et un événement délibérément causé par un agent intelligent. L’auteur affirme que son détecteur d’intelligence intentionnelle a une validité universelle, applicable à toutes les sciences et à toutes les situations ici-bas. Partageant l’enthousiasme pour cet instrument, un philosophe de l’Université du Texas, Rob Koons, n’a pas hésité à qualifier Dembski d’« Isaac Newton de la théorie de l’information et, puisque nous sommes dans l’Âge de l’Information, ceci fait de Dembski l’un des penseurs les plus importants de notre époque »16(sic !).
Au printemps de 2001, l’ID fit l’objet de deux articles en première page du Los Angeles Times et du New York Times, marquant ainsi la reconnaissance par les grands media de ce mouvement de pensée dans ses deux aspects de critique du darwinisme et de proposition d’un nouveau paradigme.
Encore plus importante fut la diffusion de deux documentaires vidéos, Unlocking the Mystery of Life et Icons of Evolution. Le premier montre en 65 minutes l’origine de l’ID en insistant sur l’aspect positif, sur les faits biologiques qui ont conduit à la formulation de la théorie. Le second, plus scolaire, relate les malheurs d’un professeur de biologie qui voulait montrer à ses élèves les faiblesses empiriques de la théorie de Darwin.
Icons of Evolution (Emblèmes de l’Évolution), sous-titré « Science ou Mythe? Pourquoi beaucoup de ce que nous enseignons sur l’évolution est faux », est aussi le titre d’un livre publié en 2000 par Jonathan Wells, l’un des « quatre cavaliers ». Dans ce livre, Wells passe en revue une dizaine de livres de biologie scolaire et en relève les erreurs et mensonges.
Sont ainsi examinées les prétendues « preuves » de l’évolution: l’expérience de Miller, l’homologie des membres chez les vertébrés, les embryons de Haeckel, l’archæoptéryx comme chaînon manquant, les pinsons de Darwin, l’évolution du cheval, etc., et pour couronner le tout, le passage du singe à l’homme! Sur la base des critères retenus et avec une échelle d’évaluation allant de 0 à 4, sept des manuels méritaient 0, et les trois autres 1 ! En étalant au grand jour la malhonnêteté intellectuelle des partisans de l’évolution, Wells faisait ressortir l’urgence d’une théorie alternative respectueuse de la réalité biologique. De façon typiquement américaine, Wells ne manquait pas, en outre, d’attirer l’attention des contribuables qui aimeront savoir que leurs deniers sont utilisés pour endoctriner leurs enfants avec un mythe.
Après toutes ces publications, le mouvement de l’ID se trouvait solidement implanté, tant dans les milieux scientifiques et intellectuels que dans le grand public. Beaucoup d’autres livres et articles ont paru à ce jour, suscitant toujours des réactions, parfois violentes et judiciaires. Le lecteur anglophone intéressé pourra consulter trois sites internet particulièrement riches, où il trouvera de très nombreuses références:
- Access research network (arn): www.arn.org
- Discovery Institute: Center for Science and Culture (site de S. Meyer) www.discovery.org/csc
- International Society for Complexity Information and Design (ISCID) : www.iscid.org
L’histoire du mouvement de l’Intelligent Design met en avant quatre noms, ceux des « Pères fondateurs »: Denton, Johnson, Behe, et Dembski, auxquels on peut joindre celui d’un précurseur, Thaxton. Tout était parti de la critique du darwinisme par Denton. Johnson comprit très vite que l’adhésion au darwinisme ne tenait pas à ses mérites scientifiques, notoirement défaillants, mais à un engagement préalable en faveur du naturalisme philosophique. D’ailleurs, dès son deuxième livre Reason in the Balance: the Case against Naturalism in Science, Law and Education (La Raison en cause: contre le naturalisme dans la science, le droit et l’éducation) publié en 1995, Johnson élargissait le débat.
Au-delà du seul darwinisme, il visait les ravages du naturalisme dans la science en général et dans bien d’autres domaines, théologie incluse. « Pour les modernistes, le concept important n’est pas la vérité mais la connaissance, et la connaissance vient de l’interprétation des données accessibles à nos sens d’après les critères d’une autorité comme celle des pontifes de la science (the scientific establishment). Les modernistes ne se demandent guère si le théisme est vrai; ils préfèrent se demander si un Créateur surnaturel est compatible avec la science. Mais évidemment il ne l’est pas, puisque la science s’est définie en excluant le surnaturel. »17
On ne peut pas blâmer Darwin d’avoir ignoré les découvertes de la microbiologie faites à partir des années 1950, mais celles-ci mirent finalement en évidence la faiblesse irrémédiable de sa théorie. C’est dans cette brèche que devait s’engouffrer Behe avec ses « complexités irréductibles. »
En un sens, l’ID est le fruit direct de l’incapacité pour le mécanisme darwinien, pour une évolution progressive aveugle, à rendre compte des réalités biologiques complexes dont tous les composants doivent exister simultanément.
Comme nous l’avons vu, Darwin lui-même pressentait la vulnérabilité de toute sa théorie à une démonstration de ce genre. Puisque des mutations aveugles suivies d’une sélection aveugle ne peuvent pas expliquer l’existence de ces réalités biologiques complexes, force est de recourir à une intelligence organisatrice. C’est exactement ce qu’affirme l’Intelligent Design en se gardant bien de désigner quelle est plus précisément cette intelligence. « L’ID est l’étude des structures de la nature dont la meilleure explication est d’être l’effet d’une intelligence. » (Dembski)
Mais cela suffit pour remettre en cause le fondement de la science positiviste qui ne veut connaître que la seule matière. L’objectif de l’ID n’est pas d’introduire Dieu de force dans l’enseignement ; il est d’obtenir la liberté d’envisager toutes les hypothèses explicatives, y compris la possibilité « Dieu ». Ce qui est en jeu c’est un combat entre la science empirique authentique et la philosophie matérialiste déguisée en science.
Est-ce que la « Science » doit être simplement, par définition, la philosophie naturaliste appliquée? Si oui, le naturalisme est-il essentiellement la même chose que « la raison », ou peut-on rationnellement critiquer le naturalisme18? Selon Johnson, le réalisme vaincra! Reality will win !
Pareille remise en question de « La Science » elle-même, on s’en doute, ne saurait laisser indifférents ni les scientifiques ni le public en général, ni surtout les parents d’élèves. Avant de prendre parti, il est indispensable de procéder à un examen attentif des thèses de l’Intelligence Intentionnelle. La question est essentiellement philosophique, car elle implique une certaine idée de la causalité: la cause finale n’existerait-elle (ou ne serait-elle décelable) que dans les phénomènes biologiques complexes ? Et d’ailleurs, s’agit-il vraiment de cause finale dans la mesure où une intelligence se substitue à une cause efficiente défectueuse, le mécanisme aveugle de la sélection ?
Que penser de la trilogie de Dembski: hasard, ou loi, ou bien intelligence intentionnelle ? Parti d’une critique de l’évolutionnisme darwinien, le mouvement n’est-il pas englué dans cet évolutionnisme qu’il ne renie pas vraiment ?
Une autre difficulté tient à l’incapacité du monde anglo-saxon protestant (et de quelques autres !) à distinguer entre le Dieu de la Foi et le dieu de la philosophie. D’où ces accusations de « religion », là où il n’y a qu’un raisonnement métaphysique rationnel. L’ID se voit ainsi accusé par les créationnistes de trahir la cause, et par les athées de vouloir introduire Dieu, pire encore la religion, dans la science! En vérité, à la base de ces difficultés on trouve une théorie de la connaissance intellectuelle déficiente, infectée de nominalisme, ainsi qu’une ignorance, entretenue depuis Descartes, de toute la philosophie de la nature. Mais, comme disait Kipling, ceci est une autre histoire, qui fera l’objet d’un prochain épisode.
(à suivre)
1 Biologiste américain ; et l’un des fondateurs du “néo-darwinisme”.
2 Épistémologue, Kuhn a lancé l’idée que les thèses scientifiques sont élaborées au sien d’une vision d’ensemble, ou « paradigme », qui reste incontesté (du moins jusqu’à son renversement) car toute l’interprétation des phénomènes est donnée au sein du paradigme. Ainsi l’on ne peut que passer brutalement d’un paradigme à un autre, comme l’a montré la « révolution » copernicienne.
3 The Mystery of Life’s Origin; p. 186
4 ibid. p. 214
5 Publié aux Etats-Unis en 1986; traduction française chez Londreys en 1988, puis chez Flammarion en 1992, p.356.
6 La traduction française dit: « l’inférence de la création » ce qui ici est un vrai contresens, car Denton pense justement que la création relève de la métaphysique!
7 Dont on pourra lire des passages significatifs dans Le Cep n°32 et n° 33.
8 Buell, Jon and Virginia Hearn, eds. Foundation for Thought and Ethics, 1993
9 Ruse avait été expert en 1981 dans le procès Scopes II à Little Rock.
10 Darwin Black Box, p. 5. De Michael Behe, on pourra lire l’article suivant : Le flagelle bactérien, Le Cep n°7(Avril 1999).
11 Darwin, Origin of Species (6ème édition) N.Y.Univ.Press (1988) p.154
12 Op.cit. p.39
13 Cf. Le Cep n° 7, Avril 1999, Le flagelle bactérien, p. 81 et ss.
14 W.Dembski, edit. Mere Creation. Science. Faith & Intelligent Design ; InterVarsity Press ; 1998.
15 Mere Creation : p.94
16 4ème de couverture d’Intelligent Design.
17 Reason in the Balance; p. 197
18 Darwin on Trial; p. 209