La chute de Napoléon III et la question romaine (2ème partie)

Par l’Abbé Marie-Léon Vial

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Si l’homme est libre de choisir ses idées, il n’est pas libre d’échapper aux conséquences des idées qu’il a choisies.” (Marcel François)

Résumé : Après l’étonnante et brutale défaite de Napoléon III à Sedan (cf. Le Cep n°15), l’écrasement de la France par la Prusse apparaît avec le recul comme un autre jugement divin. La France avait renié les commandements de Dieu, en particulier la sanctification du dimanche ; son anticléricalisme la poussait à déposséder l’Eglise et ses congrégations. Or les défaites de l’armée française se produisent jour par jour, aux moments mêmes où les bataillons français abandonnent le Latium au colonnes italiennes. Qui ne verrait dans ces étonnantes coïncidences de dates, le “doigt de Dieu”, le signe indiscutable d’une justice immanente qui viendra pourtant à s’infléchir dès que la France se repentira.

Le compte de la France :

[Si le régime devait s’écrouler moins de quatre mois après avoir été plébiscité par l’immense majorité des Français, le 19 septembre 1870, anniversaire de l’apparition de La Salette, les Piémontais arrivent devant Rome, et les Prussiens sont devant Paris.]1

Le lendemain de Sedan, 3 septembre, la République, “le pire des malheurs pour la France“, disait Louis-Philippe , est proclamée à Hôtel-de-ville par les députés de la Seine.

Mais la République n’empêche pas les Prussiens d’arriver à Paris, le 18 septembre, d’inaugurer ce siège fameux qui va durer cinq mois (18 septembre-29 janvier) !

Elle n’empêche pas, le 24 septembre, la capitulation de Toul ! le 28 septembre, la capitulation de Strasbourg, après un bombardement de 50 jours !

Elle n’empêche pas, le 27 octobre, la capitulation de Metz où Bazaine livre à l’ennemi : 173.000 soldats, y compris les malades, les mobiles et les corps francs ; 1.665 pièces de canon ; 278.289 fusils, une quantité considérable de drapeaux qu’on a oublié de détruire : chevaux, fourgons et munitions de guerre à l’avenant !

Elle n’empêche pas, à partir du 30 décembre, un mois durant, le bombardement de Paris, par des obus de 94 kilos, lancés par ces canons dont le type nous avait tant amusés à l’Exposition de 1867.

On avait bien ri des canons, on ne riait plus… des obus ! Et c’était un feu roulant, de jour et de nuit, dont l’intensité, variable suivant les quartiers, atteignit 30 obus à l’heure aux environs du Luxembourg dans la nuit du 8 au 9 janvier 1871.

La République n’empêcha pas cet hiver extraordinaire, où le thermomètre marqua moins vingt degrés et où le froid fit, dans les rangs de nos armées improvisées, presque autant de ravages que les balles ennemies. Le lendemain de l’héroïque et inutile bataille du Bourget (21 décembre), on constata dans les tranchées, 900 cas de congélation. Et ce ne fut pas un froid d’un jour ! Il dura deux mois ! le R.P. Blanchet, présent à la bataille du Mans (10 et 11 janvier 1871), raconte ainsi, comment le capitaine adjudant-major Lallemant, commandant la place transmit l’ordre d’attaque de l’armée du prince Frédéric Charles : “Mes enfants, comme il fait trop froid pour charger le fusil, nous allons nous procurer le plaisir de nous escrimer à la baïonnette !”

Il faisait si froid qu’on ne pouvait charger son fusil ! Pour se réchauffer, on chargeait à la baïonnette !… Et on y allait gaiement à la française, comme toujours ! “Nous allons nous procurer le plaisir, etc…” C’est par un froid de 18 degrés, que Bourbaki livra sur une épaisse cuirasse de neige durcie son effroyable bataille d’Héricourt, qui dura trois jours (15-18 janvier) et aboutit à la désastreuse retraite de Besançon.

[S’il faut en croire Freycinet2 : “Il semblait que la nature eut fait un pacte avec nos ennemis.

Chaque fois qu’ils se mettaient en marche, ils étaient favorisés par un temps admirable, tandis que tous nos mouvements étaient contrariés par la pluie et le froid. La rigueur de l’hiver a été certainement pour moitié dans l’insuccès de la campagne de l’ouest. Le froid a contribué à la défaite d’Orléans, et même à celle du Mans, c’est la pluie qui a retardé une première fois la marche de l’armée de la Loire ou qui même a permis de justifier son inaction.

Nos ennemis au contraire, ont toujours été secondés dans leurs mouvements. Qui ne se rappelle le temps exceptionnel qui a régné pendant tout le mois de septembre et la première quinzaine d’octobre, alors que l’armée prussienne marchait sur Paris et installait les travaux du siège. Qui ne se rappelle également la température printanière qui a régné dès la fin de janvier, aussitôt que l’armistice a clos les hostilités ? Autant l’hiver avait été rude pour les mouvements de notre armée de l’Est, autant il a été propice pour le retour des prisonniers en Allemagne“.

Freycinet aurait pu faire d’autres remarques. La France a surtout deux fautes à expier : l’une est générale à la nation, l’autre est particulière à l’empereur. Il s’agit de l’oubli du repos du dimanche et de l’abandon de la cause du souverain Pontife.

A La Salette, Notre-Dame avait dit aux bergers : “Mon fils vous a donné six jours pour travailler, se réservant le septième et vous ne le lui accordez pas… Il ne va à la messe que quelques femmes un peu âgées, les autres travaillent le dimanche pendant tout l’été. L’hiver, quand les hommes ne savent plus que faire, s’ils vont à la messe, ce n’est que pour se moquer de la religion“.

C’est le dimanche que les Français connaissent les nouvelles les plus catastrophiques. Le dimanche 7 août, Paris apprend la défaite de Froeschwiller, le dimanche 4 septembre, c’est la nouvelle de la capitulation de Sedan, le dimanche 2 octobre, Strasbourg  est pris par les Prussiens, le dimanche 16, Soissons capitule, le dimanche 30, on apprend la chute de Metz, le dimanche 4 décembre, le prince Frédéric-Charles pénètre dans Orléans, le dimanche 29 janvier, l’ennemi entre à Paris et son drapeau est arboré sur le mont Valérien.

Ainsi le fer, le feu, les éléments, tout est ligué contre nous ! C’est la colère divine poursuivant, implacable, le crime de la France révolutionnaire !

Le châtiment particulier de l’abandon de Rome :

[En abandonnant le Souverain Pontife, le France de Napoléon III n’a pas seulement renié son passé, elle s’est livrée elle-même à l’ennemi.]

Quelques coïncidences de dates vont faire ressortir le châtiment spécial de cet abandon :

4 août 1870 
Annonce officielle de    l’évacuation de Rome par nos soldats.Premier désastre des Français à Wissembourg ; 5.000 Français écrasés par 30.000 Allemands ; général Douai tué.
5 août 
Le corps expéditionnaire abandonne Viterbe, seconde ville des Etats du Pape.Les Allemands envahissent la frontière française.
6 août 
Le général Dumont s’embarque pour la France, à 2 heures de l’après-midi… Le drapeau est descendu des bastions de Civita-Vecchia, à 5 heures.Ecrasé à Woerth, Froeschviller, Reischsoffen, Mac-Mahon opère sa retraite à 2 heures de l’après-midi. Nombre considérable de drapeaux français tombent aux mains des Prussiens à 5 heures.
7 août 
Départ des derniers 4.000 Français qui défendaient le Saint-Siège4.000 Français faits prisonniers par les Prussiens

[Œil pour œil, dent pour dent, jusqu’à la date du 4 septembre qui éclate comme un quadruple coup de tonnerre avec la capitulation de Sedan, la captivité de Napoléon III, la déchéance de l’empire, et la proclamation du gouvernement de la défense nationale.]

16 septembre  
Les Piémontais s’emparent de Civita-VecchiaLes Prussiens s’emparent de Versailles. 
19 septembre 
Investissement complet de Rome par les Piémontais.Investissement complet de Paris par les Prussiens. 
20 septembre 
La canonnade italienne frappe les remparts de Rome.La canonnade prussienne réduit en cendres la résidence impériale de Saint-Cloud. 
24 septembre 
L’armée pontificale obligée de capituler devant les bandes piémontaises.Toul capitule devant les Prussiens. Effarement de Paris. 
28 septembre 
Le général piémontais agit en souverain dans Rome.Strasbourg, bombardée depuis 50 jours par une pluie de boulets et d’obus, capitule : 17.000 prisonniers. 
11 octobre 
Victor-Emmanuel accepte officiellement le plébiscite qui lui donne Rome.Orléans, la ville de Jeanne d’Arc, prise d’assaut par les Prussiens.   
22 octobre 
Le ministre italien répond à la lettre de l’ambassadeur français, qui le félicitait d’avoir pris Rome  !… Il en avait le temps… et le courage !Saint-Quentin canonné, pris et imposé de 2 millions. Cinq jours après, Metz capitule : 173.000 soldats, 1.665 canons, 278.289 fusils, quantité de munitions, de drapeaux, livrés à l’ennemi. 
30 décembre 
Victor-Emmanuel part pour Rome.Les Français abandonnent leur artillerie aux Prussiens, sur le plateau d’Avron. 
  [Le 18 janvier 1871, jour de la fête de la chaire de Saint-Pierre à Rome, dans la galerie des glaces à Versailles , l’empire est proclamé par les princes confédérés au profit du roi de Prusse.   L’unité allemande, l’œuvre que les rois de France ont voulu empêcher pendant tout le cours des siècles, est une réalité. L’Allemagne acquiert l’unité politique qui est la première de toutes les puissances, la source de toutes les autres. Il lui sera possible de n’avoir plus qu’une seule armée, et cette unité est réalisée au profit du militarisme prussien. Une menace terrible plane désormais sur le France, sur tous les états voisins et sur toutes les nations. La courses aux armements et deux guerres mondiales en sortiront. L’Europe ne connaîtra plus la paix et la tranquillité. L’unité allemande, surtout sous la direction de la Prusse, a fait beaucoup de mal, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit là d’un effet, non d’une cause, et que si l’Allemagne a acquis tant de puissance temporelle, c’est parce que le Saint-Siège n’en avait plus.]   
23 janvier 1871 
Le Prince Humbert entre à Rome et s’installe au Quirinal.Jules Favre s’humilie devant Bismark, à Versailles, pour négocier la capitulation de Paris. 
1er février 
La Chambre italienne déclare la dépossession du Pape, un fait accompli.L’armée de l’Est (80.000 hommes) non comprises dans l’armistice du 28 janvier, passe en Suisse. Les Prussiens reprennent Dijon et déclarent définitive la défaite de la France. 

Oui, la défaite est définitive et répétons-le, unique : Jamais en France, on ne vit rien de pareil ! ni en 1815, où l’épopée napoléonienne finit du moins glorieusement à Waterloo, ni dans la guerre de la succession d’Espagne, où la série de nos désastres fut jalonnée quand même, de quelques grandes victoires ; ni dans la guerre de Cent ans, où nos malheurs, si grands fussent-ils, ne furent jamais acceptés comme définitifs et furent, d’ailleurs, réparés par Jeanne d’Arc ! Le désastre national qui se rapproche le plus – quoique à cent degrés au-dessous-  de celui de l’Année terrible, fut la malheureuse guerre de la succession d’Espagne (1701-1714).

Après les défaites d’Hochstoedt (1704) ; de Ramillies (1706) ; d’Audenarde, suivie de la prise de Lille (1708), il y eut en 1709, comme en 1870, un hiver terrible qui arracha des larmes à Louis XIV, avec ce cri de détresse et de repentir : “Dieu me punit, je l’ai bien mérité !”.

C’est ce cri qui marqua la fin de ses revers !

Le même cri de détresse et de repentir fut alors poussé dans toute la France, au milieu du silence atterré des Voltairiens qui ne ricanaient plus, en hurlant : “A Berlin ! A Berlin !”

Le doigt de Dieu est là !

C’est qu’alors tout le monde sentait ce “bras de Dieu” que Notre-Dame de la Salette, en 1846, nous disait ne pouvoir plus “retenir” ! cette “justice irritée” dont nous menaçait Notre-Seigneur en 1843 :

Il te sera donné, ô France ! de voir les jugements de ma justice irritée, dans un temps qui te sera manifesté et que tu connaîtras sans crainte d’erreur !”3

Le temps était venu, bien venu ! personne ne s’y trompait ! tout le monde le reconnaissait, “sans crainte d’erreur !”

Freycinet, l’organisateur de la défense Gambetta, écrivait, au lendemain du désastre :

Et cet ensemble a été tel que véritablement, quand on l’envisage, on est tenté de se demander s’il n’y a pas eu là quelque raison supérieure aux causes physiques, une sorte d’expiation de fautes nationales, ou le dur aiguillon pour un relèvement nécessaire.

En présence de si prodigieuses infortunes, on ne s’étonne plus que les âmes religieuses aient pu dire : Digitus Dei est hic!4

Freycinet reconnaît “le doigt de Dieu” ! mais cette “raison supérieure” qu’il soupçonne et appelle vaguement “expiation de fautes nationales… dur aiguillon pour un relèvement nécessaire”, cette “raison supérieure”, il ne la connaît pas, nous allons la lui dire5 :

La grande “faute nationale” que nous “expions”, c’est, après avoir répudié le Christ par la Révolution, l’Evangile par les Droits de l’homme, de nous endurcir, depuis plus d’un siècle6, obstinément, dans notre crime.

Le “relèvement nécessaire”, où nous pousse “le dur aiguillon” de la colère divine, c’est le retour à l’Evangile, c’est-à-dire aux Droits de Dieu, sur les ruines des Droits de l’homme, le retour au Christ sur les ruine de la Révolution !

Et ce “relèvement” n’est dit “nécessaire”, que parce qu’en effet il est l’unique remède à cet immense mal, l’unique réparation de cet irréparable crime ; l’unique moyen, en un mot, d’arrêter les coups de la justice divine, irritée contre la France apostate !

Tant que ce remède ne sera pas employé, cette réparation effectuée, ce moyen utilisé, inutile d’attendre la fin de nos malheurs !


1 Les textes entre crochets sont reprise de Gilles Lameire, Le Déluge de sang, TRC, 1972.

2 Charles Louis de Saulces de Freycinet (1828-1923), polytechnicien et ingénieur des Mines, protestant, fut le délégué personnel de Gambetta au département de la guerre. Sénateur de la Seine jusqu’en 1920, il fut ministre des Travaux Publics en 1877 et contribua au développement des canaux et des chemins de fer. Habile conciliateur, il fut quatre fois Président du Conseil. Anticlérical, on lui doit (avec Jules Ferry) le décret sur (c’est-à-dire contre) les Congrégation du 28 mars 1880.

3 Vie et Œuvres de Marie Lataste, t. III, p.405, 2ème édition

4 La guerre en Province pendant le siège. Paris, 1872, p.350

5 Ndrl. Devant cette prodigieuse accumulation de coïncidences entre l’évacuation de Rome et la défaite française, le sens spirituel des événements n’apparaît donc pourtant qu’aux “âmes religieuses”. C’est dire l’aveuglement des historiens qui depuis un siècle, compilent les faits et les dates de cette guerre de 1870 sans apercevoir l’évidence. Ils ressemblent par là, écrivait le Baron Alexandre Guiraud, “à ces commis télégraphes qui reproduisent et propagent au loin les signes qui leur sont faits sans avoir le mot des événements qu’ils transmettent. La plupart des historiens tant anciens que modernes en sont là” (Philosophie catholique de l’Histoire, 1841, p.354)

6 L’Abbé Vial écrivait en 1908.

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