Lettre au Pape Benoît XVI

Par Dominique Tassot

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Résumé : La hiérarchie de l’Eglise catholique fut d’abord réticente face à la théorie de l’évolution1 avant de s’y rallier sous l’influence, notamment, du P. Teilhard de Chardin. Il serait navrant qu’à la honte (aux yeux du monde) d’avoir pris le train en marche, s’ajoutât le ridicule d’être parmi les derniers à quitter les wagons abandonnés sur une voie de garage. Le paradoxe des théologiens est en effet le suivant : affirmer d’une part que les vérités de la foi se situent dans un monde si éthéré que les thèses de la science ne sauraient les atteindre ; mais d’autre part remanier si complètement l’interprétation de la Bible pour l’adapter au « paradigme » évolutionniste, qu’il leur devient presque impossible d’accepter l’idée que cette théorie est fausse.
Or le pape récemment élu est des rares théologiens qui ont conscience des problèmes de l’évolution : dans son dernier ouvrage Foi, Vérité, Tolérance (Parole et Silence, 2005) il consacre plus de 3 pages à cette question, distinguant soigneusement micro-évolution (suscitant des variétés au sein de l’espèce et seule attestée) et macro-évolution (passage trans-spécifique, avec apparition d’organes nouveaux, jamais observé, et dont la simple possibilité reste indémontrée).
De plus Guy Berthault eut plusieurs occasions d’entretenir le cardinal Ratzinger de ses travaux et des publications scientifiques correspondantes, le dernier entretien  ayant eu lieu en marge du Symposium International sur la Création organisé par le Centre Maximilien Kolbe à Rome les 24 et 25 octobre 20023.
Devant des circonstances aussi favorables, il a paru utile que le CEP intervînt auprès du pape. On trouvera ci-après la lettre remise à Rome par Mgr Brincard2, évêque du Puy-en-Velay, ainsi que la réponse.   

Centre d’Etudes et de Prospective sur la Science CEP 

A Sa Sainteté Benoît XVI

Le 25 novembre 2005
(Sainte Catherine d’Alexandrie)

Très Saint Père,

Dès Son homélie inaugurale, prononcée le dimanche 24 avril, Votre Sainteté a pris Ses distances avec les théories naturalistes sur l’origine de l’homme, en jouant avec humour sur les mots : « evoluzione » –«  é voluto ». Puis à différentes reprises, mais en particulier lors de Sa catéchèse du 9 novembre sur le psaume 135, y citant saint Basile, Votre Sainteté nous a invité à rompre avec l’athéisme obscurcissant notre intellect, pour nous tourner avec reconnaissance vers Celui qui fut réellement Lui-même, par Sa parole créatrice, le commencement de tous les êtres.

En qualité de Président d’un cercle voué à l’étude des sciences dans une perspective chrétienne, je voudrais ici me permettre d’encourager Votre Sainteté à libérer la théologie (et tout l’enseignement de l’Eglise) d’un évolutionnisme qui, sur le strict plan scientifique, s’avère aujourd’hui de plus en plus contestable et contesté.

Il en résulterait, ce me semble, deux grands avantages pour l’Eglise :

1° Enjeu culturel. L’intelligence chrétienne se satisfait aujourd’hui d’ajouter artificiellement un « supplément d’âme » (Bergson) à une culture élaborée au sein d’une vision naturaliste du monde. En retrouvant une origine de l’homme et par là une anthropologie cohérente avec la Révélation et avec l’enseignement des Pères, la pensée chrétienne, redevenue autonome,  pourrait reprendre l’initiative dans le domaine de la culture.

Il est compréhensible que les athées soient évolutionnistes ; il est poignant de voir de grandes intelligences chrétiennes faire des contorsions pour s’adapter artificiellement à ce moule déformant. Car le mystère de l’homme, le surnaturel et l’action divine ici-bas méritent, dans nos pensées aussi, une place d’honneur : celle qui leur revient dans la perspective de la Création par une Intelligence supérieure qui, Votre Sainteté vient de le redire, nous veut et nous aime personnellement. 

2° Question d’autorité. Le « concordisme à l’envers » pratiqué à la manière du P. Teilhard de Chardin (même si sa personne a pu jeter un pont entre la communauté scientifique et l’Eglise), eut finalement pour effet l’affaiblissement du contenu de la foi de par « la disparition presque totale, dans la théologie, de la doctrine de la création » (adresse de Votre Sainteté à la Commission théologique des évêques européens en 1989) et, partant, de la doctrine du péché originel.

Cet effacement suicidaire résulte d’une inversion : en attribuant à la science une certitude absolue qu’elle ne possède pas, on a relativisé à tort le légitime magistère fondé sur la Révélation. Or la science est une activité humaine sujette, elle-aussi, à la finitude, à l’incomplétude et à l’erreur. Le consensus de façade entre les spécialistes sur le « mot » évolution, masque en fait l’incapacité où demeurent les partisans de cette thèse philosophique à démontrer la simple effectivité des mécanismes qu’elle invoque. En 1877 déjà, le biologiste Antoine Béchamp, premier Doyen de l’Institut Catholique de Lille, notait à ce propos : « On suppose toujours et de supposition en supposition, on finit par conclure sans preuves. » Cette observation a gardé toute sa valeur depuis plus d’un siècle !…La vérité ne passe pas.

Au regard d’un enfant de Dieu, l’actuelle vision scientifique du monde se révèle plate,  insignifiante et réductrice, en dépit de ses prétentions totalitaires. En lui opposant une vision chrétienne du monde, l’Eglise rendrait aux scientifiques eux-mêmes un service éminent : celui d’un regard extérieur, d’un recul permettant une approche critique de la science et une plus saine appréciation de ses acquis.

Car si on  ne relativise ni ne remet à sa juste place épistémologique le pseudo-magistère exercé par les scientifiques (avec la complicité des médias), on ne pourra pas rétablir dans les esprits l’autorité intellectuelle de l’Eglise. L’affaire de la datation radio-carbone du Linceul de Turin, en 1988, a démontré surabondamment l’erreur qu’avait constituée cette abdication d’autorité, face à celle du British Muséum.

Déjà conscient de ces enjeux, Votre prédécesseur Pie XII avait demandé, dans Humani Generis, un débat au sein de l’Eglise entre les tenants de l’évolutionnisme et leurs opposants. Ce débat n’a jamais eu lieu, pour diverses raisons parmi lesquelles la peur de susciter une nouvelle « affaire Galilée » ne fut sans doute pas la moindre.

Aujourd’hui la situation a bien changé. Il est aisé de trouver, dans chaque discipline, des spécialistes reconnus qui n’acceptent plus ce paradigme évolutionniste auquel tous les matérialistes, inévitablement, se cramponnent. Votre Sainteté connaît par exemple le Professeur Joseph Seifert et le sédimentologiste Guy Berthault. Mais ils sont désormais nombreux les catholiques qui, suite à des études poussées et depuis des années, se sont convaincus que les faits bien établis conduisent à rejeter cette théorie des origines. Suivant à leur manière le conseil de II Pierre 1,16, n’accordant plus foi au mythe et « libérés du pesant conditionnement imposé par l’évolutionnisme » (G.Sermonti dans Dopo Darwin), ils ont pu renouer avec une vision spontanément chrétienne du monde.

En octobre 2002, Votre Sainteté avait pris connaissance du Symposium Catholique International sur la Création organisé à Rome par le Centre Maximilien Kolbe. Ces journées ont depuis éveillé un vif intérêt dans l’Eglise orthodoxe russe, et plusieurs intervenants furent invités officiellement à présenter leurs travaux à Moscou les 25 et 26 janvier de cette année. De son côté, le séminaire de l’Eglise russe « hors-frontières » de Jordanville (New-York) a manifesté le même souci de collaboration.

N’est-ce pas ici un signe que la question délicate des rapports avec les Eglises orthodoxes y gagnerait à montrer que, dans l’Eglise catholique également, certains valorisent la vision patristique de la Création et en font une arme contre un ennemi commun : le relativisme (cf. message de l’évêque Hilarion Alféiev du 22 avril). Car la théorie de l’Evolution, passée en « dogme », est peut-être aujourd’hui le principal pilier du relativisme, non seulement dans les sciences humaines, mais en philosophie et en théologie : elle tend à expliquer l’homme par l’animal, à nier la transcendance de l’âme ; et nos capacités spirituelles en sont inévitablement rabaissées à un prolongement épiphénoménal de fluctuations matérielles.

Vision certes dérisoire de l’imago Dei que nous sommes, mais surtout vision scientifiquement réfutable ; et ce champ du combat intellectuel chrétien ne devrait pas être déserté en son point central.

Malheureusement, par réflexe prudentiel, la plupart des séminaires et des universités catholiques ne cherchent comme référents que les scientifiques cautionnés par le courant évolutionniste encore dominant. De là un blocage, et aussi un déni de justice à l’égard de ceux qu’on exclut des hauts lieux de la pensée catholique en raison même de leur fidélité à une vision foncièrement chrétienne du monde. De là une situation paradoxale en vérité, puisque cette vision fut précisément celle où s’est forgée la science occidentale : pas de lois (de la nature) sans un Législateur ! 

Il importe, dira-t-on, de ne pas déconsidérer l’Eglise aux yeux du monde, en soutenant une thèse aventureuse. Mais la critique scientifique de l’évolutionnisme a justement pour elle le mérite de s’attacher aux faits sans avoir à défendre un a priori philosophique (nominalisme, actualisme, gradualisme, saltationnisme, etc.). La difficulté est bien plutôt la suivante : la pensée chrétienne authentique se doit de rester  ouverte à l’action divine, donc au surnaturel. Or il s’agit là d’une « folie aux yeux des païens ».

Le conflit avec l’athéisme épistémologique auquel souscrivent les théories naturalistes sur l’origine des êtres, ne pourra donc être évité jusqu’au bout, à moins de renier en pratique un dogme essentiel, celui de la Création ex nihilo, même si par ailleurs on en maintient en théorie le concept.

Loin de mélanger les genres et de confondre les démarches intellectuelles propres à la science ou à la foi, le but est d’obtenir que chaque discipline scientifique demeure effectivement dans son ordre de vérité, limite la portée de ses affirmations au domaine des faits explorés, et cesse de nier sans raison avouable la toute-puissance et la liberté créatrice de Dieu dans l’univers.

Au terme d’une longue nuit suscitée par l’Adversaire, le moment n’est-il pas venu, pour le successeur de Pierre, de « jeter le filet à droite de la barque » (Jn 21,6) afin que l’abondance du poisson donne le démenti aux sectateurs de l’ère du Verseau ?…Si l’on veut voir refleurir de toutes ses couleurs le jardin de la culture chrétienne, pourquoi ne pas effacer ce lemme : « Que nul n’entre ici s’il n’est évolutionniste !», écrit à l’encre invisible au fronton des universités, mais peu conforme à la liberté académique et difficile à fonder en raison ?

Dans un récent article confié au New York Times (7 juillet) dont nous l’avons félicité (ce dont il a accusé réception à notre Vice-Président, M. Guy Berthault), le cardinal Christoph Schönborn laisse entrevoir que l’Eglise pourrait bientôt s’exprimer plus clairement contre le néo-darwinisme. Par ailleurs Votre Sainteté Elle-même, dans le livre  Foi, Vérité, Tolérance  récemment publié en France, distingue soigneusement micro et macroévolution, et souhaite que « la discussion sur la portée de la théorie de l’évolution… (soit) abordée dans une grande disponibilité d’écoute, ce qui a jusqu’à présent fait défaut » (p.190). Il serait donc navrant qu’un examen d’une telle importance au regard des affirmations essentielles du christianisme, puisse se limiter à confronter diverses modalités, plus ou moins acceptables, d’une évolution toujours supposée.

Un débat au sein de l’Eglise portant sur l’hypothèse même de l’évolution, tel que demandé par Pie XII, seule Votre Sainteté, dans les circonstances présentes, est en mesure de lui donner toute son ampleur. Elle saura mieux que moi s’il est vraiment souhaitable ; mon rôle était de signaler qu’il est devenu possible. Et Se gardant d’en abandonner à d’autres l’arbitrage, Votre Sainteté rétablirait aussi la légitime autorité intellectuelle de la théologie, à son niveau architectonique s’entend.

En priant Votre Sainteté de bien vouloir excuser la témérité d’une telle demande, mue par une conscience aiguë d’enjeux importants  pour l’Eglise et pour les âmes, j’ose toutefois espérer que ce projet retiendra Son attention et demeure,

de Votre Sainteté, le très humble et très dévoué serviteur.

Dominique TASSOT
Président du CEP

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Monsieur Dominique Tassot
Président du CEP  

SECRÉTAIRERIE D’ÉTAT          

Du Vatican, le 2 mars 2006

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PREMIÈRE SECTION – AFFAIRES GÉNÉRALES

Monsieur,

Par l’intermédiaire de Monseigneur Henri BRINCARD, Évêque du Puy-en-Velay, vous avez fait parvenir au Saint-Père votre travail de réflexion sur les dangers d’une théorie de l’évolution éloignée de toute référence à la vision chrétienne du monde.

Appréciant votre souci d’associer ce qui a trait à la foi et à la raison, et de mettre au centre le mystère de l’incarnation, qui aide à « comprendre l’énigme de l’existence humaine, du monde créé et de Dieu lui-même » (Encyclique Fides et Ratio, n. 80), le Saint-Père vous invite à approfondir votre démarche et à poursuivre le dialogue avec le monde scientifique.

Le Pape vous confie à l’intercession de la Vierge Marie, Mère du Christ et notre Mère, et il vous accorde bien volontiers, ainsi qu’à tous les membres du Centre d’Études et de Prospective sur la Science, la Bénédiction apostolique.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mon cordial dévouement dans le Seigneur.

Mgr Gabriel Caccia, Assesseur

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