Partager la publication "L’Empire du mensonge"
Par Maurice Bonnet
« Donoso Cortès avait remarqué que le monde se divise en deux camps, celui des endormis et celui des endormeurs. Apparemment, il comptait pour rien la catégorie des réveillés et celle des réveilleurs dont il était. » (p. 86) Le petit bataillon des réveilleurs a fait, avec Maurice Bonnet, une recrue de valeur qui écrit dans son avant-propos : « La plus grande injustice, le plus intolérable de toutes, est le mensonge ». Injustice, dans toute sa dimension sociale, car le mensonge est devenu aujourd’hui, sinon la substance, du moins une manière d’être ordinaire de la vie publique. Et l’auteur, s’appuyant sur l’expérience et les méditations de toute une vie, nous trace une large fresque des mots truqués qui, loin de nous servir à comprendre servent à nous asservir. L’empire du mensonge n’est empire que parce qu’il requiert (et obtient) l’unanimité dans la “bien-pensance”.
C’est toute sa force terrifiante : le consensus apparent, l’immédiate marginalisation du déviant. Mais c’est aussi – au fond – sa faiblesse congénitale : car cette vérité qui libère (Jn 8, 32) n’a nul besoin de gros bataillons : il lui suffit pour exister d’un seul esprit, mais qui pense droit. Maurice Bonnet a le don de l’aphorisme, avec une langue acérée et précise qui va chercher l’adversaire à la jointure de sa cuirasse, là où le sophisme est béant. Il sait nous faire partager son plaisir de la formule juste, ce qui donne beaucoup de charme à sa défense du penser vrai.
Citons quelques bonnes formules : « L’ennui, c’est qu’on ne sait en réalité qui est sage. On pense généralement que c’est celui qui parle selon nos vœux » (p. 49). À propos de Churchill (Dresde) et de Truman (Hiroshima) : « Il est vrai que c’était pour le bon motif, ce qui permet de constater que l’on peut faire des choses monstrueuses sans être traité de monstre. » (p. 59). « Le slogan démocratique se reconnaît à ce que c’est en général un sophisme, une formule primaire et lapidaire, dont l’efficience est à la mesure de sa stupidité : considérable. » (p. 82) « Or, penser, ce qui s’appelle réellement penser est un exercice difficile et fatiguant, c’est pourquoi la plupart des gens adoptent le prêt-à-penser que leur mâchent à la fois l’enseignement instrumentalisé et les médias omniprésents. » (p. 113)
Mais cette lucidité à pourfendre notamment l’histoire enseignée, la démocratie à la française et le féminisme, ne fait pas de l’auteur un être désabusé. Avec le recul de l’histoire, il sait que les pires époques ont une fin et son livre nous aidera à tenir bon, même par gros temps, même sans avoir encore aperçu le port, car « l’observation politique est nécessairement à courte vue, et l’avenir heureusement imprévisible. » (p. 120)
(Paris, éditions de L’Æncre, 2012, 190 p., 23 €)