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Par le Pr Roberto de Mattei
Considérations bioéthiques sur la “mort cérébrale”1
Pr Roberto de Mattei2
Résumé : La définition de la mort clinique fut modifiée à l’été 1968 par la Harvard Medical School, alors que la première greffe du cœur venait d’être réalisée par le Dr Chris Barnard. Pour de semblables opérations, il faut en effet ôter l’organe vital encore fonctionnel à un corps juridiquement « mort » afin que ce geste ne puisse être qualifié d’homicide. La « mort cérébrale », l’encéphalogramme plat, sembla la solution et fut adoptée par nombre de pays. Mais ce critère demeure contestable, car il ne correspond pas à la disparition de ce principe unificateur mystérieux qui distingue effectivement un corps vivant et un être inerte. Il y a ici une question bioéthique fondamentale : l’arbitrage entre la vie du donneur d’organe et celle du greffé. La société est-elle en droit de décider que la qualité de l’une l’emporte sur la qualité de l’autre ?
L’intolérance des médias à l’encontre de l’éditorial de Lucetta Scaraffia, Les signes de la mort, paru dans les colonnes de L’Osservatore Romano le 3 septembre 2008, suggère quelques
considérations sur le thème tellement délicat et crucial de la mort cérébrale.
Tous peuvent convenir de la définition négative de la mort comme “fin de la vie”. Mais qu’est-ce que la vie ? La biologie attribue la qualification de ‘vivant’ à un organisme qui a en soi un principe unitaire et intégrateur qui en coordonne les parties et en dirige l’activité. Les organismes vivants sont traditionnellement répartis en végétaux, animaux et humains. Les différentes formes de vie: de la plante, de l’animal et de l’homme, même si elles sont de nature différente, présupposent dans tous les cas un système intégré animé par un principe actif et unificateur. La mort de l’individu vivant, sur le plan biologique, est le moment où le principe vital qui lui est propre cesse de fonctionner.
Laissons de côté le fait que, pour l’être humain, ce principe vital, défini comme âme, est de nature spirituelle et incorruptible. Arrêtons-nous au concept, accepté de manière unanime, selon lequel l’homme ne peut être dit cliniquement mort que lorsque le principe qui le vivifie s’est éteint et que l’organisme, privé de son centre ordonnateur, entame un processus de dissolution qui le conduira à la décomposition progressive du corps. La science n’a pas encore pu démontrer que le principe vital de l’organisme réside en tel ou tel organe. Le système intégrateur du corps, considéré comme un “tout”, n’est en effet localisable dans aucun organe particulier, aussi important soit-il, comme le cœur ou l’encéphale. Les activités cérébrales et cardiaques présupposent la vie mais ce ne sont pas proprement elles qui sont la cause de la vie. Il ne faut pas confondre les activités avec leur principe. La vie est quelque chose d’insaisissable qui transcende les différents organes matériels de l’être animé et qui ne peut être mesurée matériellement et encore moins créée. Il s’agit d’un mystère de la nature sur lequel il est juste que la science enquête, mais dont la science n’a pas la maîtrise. Lorsque la science prétend créer ou manipuler la vie, elle s’érige elle-même en philosophie, voire en religion, s’embourbant alors dans le “scientisme”.
Le volume Finis Vitae. La mort cérébrale est-elle encore vie ? Publié en anglais et en italien par le Conseil National des Recherches (italien) et la maison d’édition Rubbettino, avec la contribution de dix-huit chercheurs internationaux, expose ces concepts en près de cinq cents pages. Non seulement le critère neurologique, qui fait référence à la “mort cérébrale”, ne peut être accepté puisqu’une partie de l’encéphale demeure intacte et que demeure active la capacité de réglage central des fonctions homéostatiques et végétatives, mais, de plus, on ne peut accepter le critère qui ne se réfère qu’à la mort du tronc cérébral, alors qu’il n’est pas prouvé que les structures se trouvant au-dessus du tronc aient perdu la possibilité de fonctionner si elles sont stimulées d’une autre manière.
N’est pas plus acceptable le critère de ce qu’il est convenu d’appeler “mort cérébrale”, entendue comme cessation permanente de l’ensemble des fonctions encéphaliques (cerveau, cervelet et tronc cérébral) ayant pour conséquence un état de coma irréversible.
Le Pr. Carlo Alberto De Fanti, neurologue et auteur d’un livre dédié à ce thème (Soglie (Seuils), Bollati Boringhieri, Turin 2007), a admis que la mort cérébrale peut être éventuellement considérée comme un « point de non retour» mais « ne coïncide pas avec la mort de l’organisme entendu comme un tout (qui se vérifie seulement après l’arrêt cardiovasculaire)» (in L’Unità, 3 septembre 2008). Il est évident que le « point de non retour », si tant est qu’il soit réellement tel, représente une situation de très grave diminution mais ne signe pas la mort de l’individu.
Le caractère irréversible de la perte des fonctions cérébrales, mise en évidence par “l’encéphalogramme plat”, ne démontre pas la mort de l’individu. La perte totale de l’unicité de l’organisme, entendu comme capacité d’intégrer et de coordonner l’ensemble de ses fonctions, ne dépend en effet ni de l’encéphale ni même du cœur. La constatation des cessations de la respiration et du battement cardiaque ne signifie pas que le cœur ou les poumons soient la source de la vie. Si les traditions juridique et médicale, pas seulement occidentales, ont depuis toujours, considéré que la mort devait être vérifiée au travers de la cessation des activités cardiovasculaires, c’est parce que l’expérience montre qu’à l’arrêt de ces activités fait suite, après quelques heures, le rigor mortis et le début de la désagrégation du corps. Ceci n’advient en aucun cas après la cessation des activités cérébrales. Aujourd’hui, la science permet à des femmes présentant un encéphalogramme plat de porter à terme une grossesse, mettant au monde des enfants sains. Un individu en état de “coma irréversible” peut être tenu en vie, avec le soutien de moyens artificiels, alors qu’un cadavre ne pourra jamais être réanimé, pas même en le reliant à des appareils sophistiqués.
La vérité est que la définition de la mort cérébrale fut proposée par la Harvard Medical School au cours de l’été 1968, quelques mois après la première greffe de cœur du Dr Chris Barnard (décembre 1967), afin de justifier sur le plan éthique les transplantations de cœur au cours desquelles le cœur explanté continue de battre, c’est-à-dire, selon les canons de la médecine traditionnelle, qu’il est encore vivant.
L’explantation, dans ce cas, était équivalente à un homicide, même s’il était commis pour une bonne cause. La science mettait la morale face à une question dramatique : est-il licite de supprimer un malade, même condamné à mort ou présentant des lésions irréversibles, afin de sauver une autre vie humaine, de “qualité” supérieure?
Face à ce dilemme, qui aurait dû imposer une confrontation serrée entre des théories morales opposées, l’Université de Harvard prit sur elle la responsabilité de “redéfinir” le concept de mort afin qu’il permît les greffes d’organes, contournant ainsi les hauts fonds du débat éthique. Il n’était désormais plus nécessaire de déclarer licite la mise à mort du patient vivant. II était suffisant de déclarer ce dernier « cliniquement mort ». Suite au rapport scientifique de Harvard, la définition de la mort fut modifiée dans presque tous les États américains et aussi, par la suite, dans la plupart des États connus sous le nom de “ pays développés”.
La nature du débat n’est donc pas scientifique mais éthique. Que tel soit le cas, le sénateur du Parti démocrate italien, Ignazio Marino le confirme dans un article paru dans La Repubblica du 3 septembre 2008, dans lequel le parlementaire définit l’article de L’Osservatore Romano comme «un acte irresponsable qui risque de mettre en danger la possibilité de sauver des centaines de milliers de vies grâce au don d’organe.»
Ces paroles contiennent d’abord et avant tout un mensonge: l’affirmation selon laquelle le refus de la mort cérébrale pourrait aboutir à la cessation de tout type de don, alors que le problème éthique ne concerne pas la majeure partie des transplants mais se pose seulement dans le cas des prélèvements d’organes vitaux qui comportent la mort du donateur, comme dans le cas de l’explantation du cœur. Ceci explique que Benoît XVI, qui a toujours exprimé des réserves envers le concept de mort cérébrale, s’était, en son temps, déclaré favorable au don d’organes3.
Le vrai problème est que le prix à payer pour sauver ces vies consiste à en supprimer d’autres. On cherche par là à remplacer la maxime occidentale et chrétienne selon laquelle il n’est pas permis de faire le mal, même pour obtenir un bien supérieur, par le principe utilitariste selon lequel il est permis de faire le mal pour obtenir un bien. Si jadis les “signes” traditionnels de la mort devaient s’assurer qu’une personne vivante ne puisse être déclarée morte, aujourd’hui, le nouveau critère harvardien prétend traiter la personne encore vivante comme un cadavre, afin de pouvoir explanter ses organes. En amont de tout cela se trouve un profond mépris de la vie humaine, le même que celui qui, après avoir réussi à faire imposer la législation sur l’avortement, veut ouvrir toutes grandes les portes à la légalisation de l’euthanasie.
1 Repris de Correspondance Européenne n° 188 (Septembre 2008)
2 Titulaire de la chaire d’Histoire moderne à l’Université de Cassino, Président de la Fondation culturelle Lepanto, le Pr Roberto de Mattei est aussi Vice-Président du Conseil National des Recherches (CNR) à Rome.
3 (cf. Sandro Magister, Transplantations et mort cérébrale. L’Osservatore Romano a brisé le tabou). http://chiesa.espresso.repubblica.it/?fr=y).