Partager la publication "Au sujet de la réincarnation…"
Par Abbé Francis Olakingal
Abbé Francis Olakingal1
Résumé : Divers sondages réalisés en Suisse montrent qu’un bon quart des Européens croient à la réincarnation. L’auteur, né en Inde, était bien placé pour dénoncer cette croyance fondée sur un malentendu. Les Hindous la perçoivent comme un échec, l’obligation de devoir vivre encore alors qu’ils aspirent à la délivrance pour se fondre dans le Brahman ; les Européens s’imaginent qu’ils reviendront jouir de la vie terrestre. Mais le chrétien languit en attendant la vraie vie : dans le Royaume, pour le Christ.
Avant de plonger dans le monde de la réincarnation, je voudrais vous préciser mon origine : je suis né en Inde dans une famille catholique. Je ne suis donc pas « hindouiste », mais Indien. Ayant grandi en Inde, baigné dans la majorité hindouiste (80% de la population), la conception de la réincarnation m’est familière. Vivant en Europe depuis seize ans, je suis frappé de la curiosité que les Occidentaux portent à ce sujet, bien plus qu’en Inde. Certes pour un hindouiste la réincarnation est une évidence. Les différentes écoles et sectes hindoues convergent en cette croyance.
Intérêt et incompréhension
J’ai été surpris que, paradoxalement, la réincarnation passionne plus les Occidentaux que les Hindous ! Combien de fois ai-je été interrogé sur ce thème de la réincarnation, ici en Europe, par des jeunes et même par des grand-mères, catholiques pratiquantes ? Bien sûr, la question de la vie après la mort a toujours été une préoccupation existentielle. Mais ce thème jadis réservé aux philosophes, théologiens et spiritualistes, est devenu pour beaucoup un débat d’actualité.
Les sondages effectués il y a quelques années (1978-1982) par le groupe EVSSG (European Value System Study Groups) ont donné à ce sujet des informations étonnantes : environ 25% de la population européenne croit en la réincarnation.
L’Institut de sociologie pastorale de Saint-Gall et l’Institut d’éthique sociale de Lausanne ont réalisé une enquête en 1990 en Suisse alémanique : « Y a-t-il une renaissance de l’âme dans une autre vie ? » Ont répondu par « oui » :
a) pour les pratiquants réguliers : 27 %
b) pour les pratiquants irréguliers : 29 %
c) pour les non-pratiquants : 29 %
En Suisse romande, une enquête semblable (1987) a donné les résultats suivants. En faveur de la réincarnation :
– les catholiques : 26,3%
– les protestants : 23,1 %
Cela signifie qu’un quart des Européens n’est pas sûr de la foi traditionnelle en l’unicité de la vie.
Pour ces personnes, « la réincarnation » est devenue une alternative. Mais en quelle « réincarnation » croient-elles ? Beaucoup de termes sanskrits comme « karma », « nirvana », « avatar », « gourou », etc., font partie du vocabulaire courant de l’Européen ; mais souvent ils ont une signification erronée pour l’Occidental. Par exemple, le mot « gourou » a une connotation très négative ici. Alors que, dans les langues indiennes, c’est un terme positif. D’ailleurs dans la traduction indienne de la Bible, ce mot « gourou » désigne Jésus-Christ lui-même. Le même malentendu persiste pour la conception de la réincarnation. Pour un hindou, la réincarnation est négative ; tandis qu’en Occident elle évoque une nouvelle chance.
Réincarnation dans l’hindouisme
En résumé, qu’entendent au juste les Hindous par cette doctrine de la réincarnation ? Les texte les plus souvent cités en faveur de la réincarnation se trouvent dans le « Bhagavad-Gita » : « L’âme incarnée rejette les vieux corps et en revêt de nouveaux comme un homme échange un vêtement usé contre un neuf. » (Gita, II, 22) La loi du « karma » détermine fatalement la loi de la réincarnation.
Selon cette loi, tout acte, toute pensée produit un effet bon ou mauvais dont le responsable aura à s’acquitter un jour, dans cette vie ou dans une autre. La vie actuelle de chaque individu, conditionnée par la précédente, conditionne la suivante.
L’enchaînement des existences successives se nomme le « samsâra ». Le but même de la religion hindoue est de permettre l’accès à la délivrance, à la libération du « samsâra », par l’absorption de l’âme individuelle (âtman) en l’Absolu (Brahman). Pour arriver à rompre la fatale transmigration, il convient de détruire d’abord tout désir, car le désir contient la racine de l’être. Là où il n’y a plus de désir, l’âtman délivré des liens terrestres retourne au Brahman (l’Absolu). C’est la délivrance (Moksha).
Réincarnation à l’occidentale
Quand on analyse la doctrine de la réincarnation dans l’hindouisme, nous constatons que la conception « occidentalisée » de la réincarnation n’est ni hindoue ni chrétienne. Elle est plutôt « matérialiste » et « terrestre ». Pour un hindouiste, la réincarnation est un échec à se résorber en Dieu. Pour lui la réincarnation est une punition, une souffrance, un temps d’épreuve et de purification. L’âme de l’hindou est « fatiguée » ; et elle est lasse de renaître des milliers de fois et de vivre cette situation d’épreuve sur la terre. Son désir est de sortir de cette « roue de la renaissance », de se libérer de l’enchaînement des naissances successives, de rompre la fatale transmigration et d’atteindre la délivrance en retournant au Brahman. Alors qu’en Occident la réincarnation est considérée positivement comme une chance, la joie de revenir sur la terre pour jouir toujours des plaisirs matériels et sentimentaux. Est-ce le résultat de l’insatisfaction du temps trop court pour en profiter ? Le temps d’une seule vie terrestre serait-il dérisoire ? En tout cas, dans la conception occidentalisée de la réincarnation, la finalité de l’homme est d’aspirer à la vie terrestre plutôt qu’à la vie céleste.
Réincarnation et christianisme
Pour justifier et consolider sa position, une certaine société occidentale déchristianisée, surtout des personnes en recherche d’une nouvelle spiritualité, entre autres, sous l’influence du Nouvel Age, prétendent que l’Eglise primitive croyait en la réincarnation. Elle décrit Origène comme « docteur chrétien de la réincarnation ». Origène a enseigné la « préexistence » des âmes et leur incarnation dans des corps, mais non leur réincarnation . « La réincarnation, une folie païenne dont on est guéri par la foi chrétienne » : telle est la position du célèbre maître alexandrin. L’Eglise n’a d’ailleurs jamais accepté la doctrine de la réincarnation.
Ces partisans de la réincarnation citent aussi volontiers quelques passages de l’Ecriture comme des « preuves bibliques » de cette doctrine. Par exemple : les passages concernant l’identité entre le prophète Elie et Jean-Baptiste (Matthieu 11, 14 ; Luc 1,17, etc.). Sortis de leur contexte, ces versets sont interprétés de façon erronée et tendancieuse. L’Eglise ne flirte pas avec la doctrine de la réincarnation. Selon la foi chrétienne, il n’y a qu’une vie terrestre.
L’homme est une créature, voulue par Dieu, avec son âme mais aussi avec son corps. Le corps n’est pas « la prison de l’âme ». Il est en effet destiné à une vie éternelle de plein épanouissement grâce à la « résurrection de la chair ».
La réincarnation n’a pas sa place dans le christianisme, parce que la communion avec la vie du Christ dans le Royaume de Dieu est notre objectif final.
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1 L’Abbé Olakingal est curé d’Isérables, dans le Valais Suisse.