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Par Céline Caron et Gilles Lemieux
Le bois raméal pour la régénération des sols agricoles et forestiers1(1ère partie)
Céline Caron1 et Gilles Lemieux2
Résumé : Lorsque nous lui avions envoyé cet article technique, Marcel François4 était dans sa centième année. Il nous répondit aussitôt qu’il avait pris grand intérêt à cette lecture. Il faut savoir que la plupart des sols sont en voie de désertification (lente ou rapide), suite à la diminution régulière de leur matière organique. Savoir comment les sols agricoles pourraient être régénérés est peut-être aujourd’hui la seule idée scientifique vitale pour l’avenir de l’humanité.
Historique :
L’utilisation du bois raméal fragmenté a commencé au milieu des années 1970 lorsque M.C. Edgar Guay, autrefois sous-ministre des Terres et Forêts à Québec, commença à chercher de nouveaux produits dérivés des énormes empilements de résidus de coupes forestières. Les premières expérimentations avec du bois raméal de feuillus ont commencé à l’été 1978. Une équipe de recherche fut alors formée avec MM. Lionel Lachance et Alban Lapointe. En 1982, M. Gilles Lemieux, professeur à la faculté de Foresterie de l’Université Laval, s’est joint à l’équipe pour trouver des réponses concernant les mécanismes en cause.
Le nom et la description de « bois raméal » furent donnés en 1986 (Lemieux). Puisque la méthode avancée par MM. Guay, Lachance et La pointe (1981) était basée sur la fragmentation, ce nouveau matériaux fut alors appelé Bois Raméal Fragmenté ou BRF. Le terme de bois « raméal » se réfère aux branches ayant moins de 7 cm de diamètre. Elle contiennent de la lignine soluble ou peu polymérisée, la base pour des agrégats et un humus hautement réactif. Il faut savoir que les petites branches ne sont pas utilisées comme bois de chauffage, même dans les régions tropicales les plus pauvres.
La production d’un humus stable :
Il y a des substances humiques de courte durée et d’autres de longue durée (plus de 1000 ans). Ces substances jouent un rôle important dans l’équilibre du sol. Les steppes d’Asie, les pampas de l’Amérique du Sud et les prairies nord-américaines, étant couvertes de plantes herbacées, ont un humus de courte durée. Les sols dérivés d’arbres feuillus climaciques5 possèdent un humus de longue durée.
Dans les sols cultivés intensivement et exclusivement avec des engrais minéraux, une flore bactérienne modifiée et fongique finit par consommer l’humus de longue durée. L’utilisation de fumiers de ferme et/ou de compost dans lesquels la seule source de lignine est la paille, ne peut produire un humus résistant qui stabilisera le sol à long terme. Ce type d’amendement organique rend le sol semblable à celui des prairies de l’Amérique du Nord, un sol dérivé de la lignine des graminées au cours des millénaires et qui n’a pas résisté longtemps à une agriculture intensive. Ces sols sont maintenant sujets à une forte érosion. L’apport de bois raméal fragmenté peut redonner au sol sa condition forestière originale et lui restituer, en trois ans, un humus de longue durée.
Humification plutôt que minéralisation :
Le manque de connaissance des écosystèmes forestiers naturels, du sol en particulier, est si profond que toutes les pratiques sylvicoles utilisent l’agriculture comme modèle et la recherche forestière a été dirigée en grande partie vers l’aménagement d’un système agricole en forêt. En agriculture, de même qu’en foresterie, l’accent a été mis entièrement sur la minéralisation.6 Peu d’intérêt s’est manifesté, pour l’humification7 qui régit la minéralisation et la fertilité. Pourtant la lignine des arbres des Angiospermes et des Gymnospermes est responsable de l’humification et des contrôles biologiques de la fertilité ; elle a un impact profond sur la plupart des sols mésiques (bien pourvus en humidité mais sans excès), de par la vie en chaînes et paliers multiples qu’elle provoque et maintient.
L’activité biologique d’un écosystème forestier :
L’observation minutieuse d’un écosystème forestier montre une transformation rapide des tissus végétaux en nutriments par les micro-organismes du sol. Les nutriments sont liés au complexe organo-minéral et sont rendus disponibles pour la croissance de la plante. Dans la forêt tempérée, sous un couvert de feuillus, ce complexe chimique organo-minéral est stable à l’intérieur d’un cycle biologique interne. Il devient fragile en climats tropicaux.
Les mécanismes de base concernent le rôle joué par les pourritures blanches. Celles-ci produisent les systèmes enzymatiques (Leisola et Garcia 1989) aboutissant aux acides humique et fulvique à partir de la lignine, base de la formation d’agrégats. Les meilleurs résultats sont obtenus avec des feuillus, à cause de la proportion de leurs lignines. Les conifères ont un tout autre rendement car leur lignine est transformée par les pourritures brunes qui donnent des polyphénols se repolymérisant souvent en composés aliphatiques (Swift 1991).
Essences d’arbres à utiliser :
Certaines essences sont digérées rapidement (en quelques mois) par le sol, d’autres le sont en quelques années, même si elles semblent avoir disparu. Les conifères, en climats froids et tempérés, génèrent un mécanisme de blocage de la pédogénèse (processus de formation et d’évolution des sols). Leur lignine, une fois dans le sol, produit une grande quantité de polyphénols inhibiteurs.
Ce type de lignine se retrouve aussi dans plusieurs essences tropicales mais les hautes températures du sol arrêtent l’effet inhibiteur. En climats froids et tempérés, le bois raméal de conifères doit être évité ou limité à 20 % en volume. Les conifères sont caractérisés par une lignine asymétrique (guaiyacyle), ne possédant qu’un seul groupement méthoxyl.
Les conifères réduisent la compétition en rendant le sol impropre à la germination des compétiteurs. Les feuillus cumulent nutriments et énergie dans le sol et suscitent ainsi la biodiversité. Cette stratégie permet aux feuillus de remplacer les conifères dans certaines conditions climatiques. Les forêts de feuillus climaciques sont assez stables et de durée indéfinie, tandis que les forêts de conifères envoient des messages aux ravageurs qui viennent et détruisent les populations, puis le feu nettoie le tout et les nutriments sont libérés. Les essences à employer sont déterminées sur une base écologique. Les arbres qui croissent en association avec les plantes supérieures sont favorisés. Les riches peuplements de chênes rouges, d’érables à sucre, de hêtres, de bouleaux jaunes, de tilleuls et de frênes d’Amérique donnent de meilleurs résultats que les peuplements d’érables rouges et de peupliers faux-trembles, qui ne sont que de transition. Un mélange d’espèces donnera un amendement aux effets positifs à court et à long terme.
Parties de l’arbre à utiliser :
Le rapport carbone sur azote du bois raméal varie de 30/1 à 170/1, tandis que celui du bois caulinaire (tronc) va de 400/1 à 750/1. Les branches de 7 cm de diamètre ou moins sont les meilleures pour la fragmentation.
Pour les espèces nord-américaines, les nutriments essentiels (N, P, K, Ca, Mg) augmentent quand le diamètre décroît. Ces concentrations atteignent un minimum avec des branches de 7 cm et plus ; par conséquent, les branches ayant un diamètre de plus de 7 cm ont un intérêt moindre avec peu de bénéfice pour le sol. Pour un premier traitement, le bois raméal ne devrait pas comporter de feuilles vertes parce que les feuilles vertes contiennent des éléments chimiques facilement accessibles aux bactéries, et des polyphénols difficilement transformables.
Ces bactéries peuvent inhiber les pourritures blanches (basidiomycètes). Quand les feuilles sont mortes, les éléments chimiques liés aux pigments bruns peuvent être libérés par l’activité des pourritures blanches. Notons ici que les personnes suivant ces règles ont obtenu de bons résultats.
Les outils :
La fragmentation ou le broyage du bois raméal est nécessaire pour permettre l’entrée massive des micro-organismes, la barrière que représente l’écorce se trouvant ainsi écartée. De plus, la fragmentation augmente la surface du matériel, ce qui accélère la digestion. Sous les tropiques, de gros morceaux fragmentés grossièrement avec une machette seront rapidement digérés par le sol. Une fourragère à maïs usagée peut s’avérer utile sur la ferme. Une machine à fragmenter ou à broyer peut être fabriquée de manière artisanale ; une fragmenteuse peut être achetée en groupe. Plusieurs types de fragmenteuses sont disponibles sur le marché, certaines utilisant un tracteur de ferme. Le broyage mécanique est coûteux en main d’œuvre et en argent. Quinze heures sont nécessaires pour produire la quantité de BRF nécessaire à couvrir un hectare à raison de 150 mètres cubes épandus par hectare. C’est la quantité nécessaire pour améliorer la qualité du sol et les cultures pour les cinq années suivantes dans les climats tempérés. Un amendement de BRF doit être vu comme un investissement dont les bénéfices s’étaleront sur une période de 10 à 15 ans.
Entreposage :
Si le BRF n’est pas épandu immédiatement après la fragmentation ou le broyage, il peut être mis en andains. Si l’empilement est trop haut ou trop dense, ce procédé peut déclencher des conditions anaérobies qui peuvent devenir nuisibles après quelques semaines. Après trois mois d’entreposage, le BRF est considéré comme du compost. Il peut constituer un excellent amendement organique. Cependant ses constituants chimiques et son impact sur la biologie du sol sont différents de celui du BRF fraîchement fait.
Quand utiliser le BRF ?
En climats froids et tempérés, l’automne semble être la meilleure saison pour appliquer le BRF. Ajouté au sol, ce matériel riche en carbone et pauvre en azote peut favoriser l’immobilisation de l’azote par les micro-organismes pendant les premiers mois. Ce genre d’effet peut durer deux mois, après quoi les chaînes trophiques deviennent actives et la disponibilité des nutriments augmente avec le temps. Les sols traités avec le BRF au printemps peuvent montrer des signes de faim d’azote durant la saison de croissance mais ceci ne sera pas nuisible à la production et ne causera pas de nécrose au feuillage. Ce phénomène ne se répétera plus si du BRF est appliqué au cours des années qui suivent. Si le BRF est appliqué en paillis (mulch) au lieu d’être mélangé en surface, il n’y aura pas faim d’azote mais l’intégration au sol cultivé sera beaucoup ralentie. L’épandage en automne favorise la multiplication des basidiomycètes. Ils restent actifs à des températures inférieures au point de congélation tandis que les bactéries meurent et s’enkystent massivement au froid.
[Suite et fin au prochain numéro]
1 Repris du bulletin Echo MO, n°18 et 19, 1999. (Orgaterre. BP 16, 84160 Cucuron)
1 Agro-écologiste, Château-Richer, Québec, Canada (celine.caron@sas.ulaval.ca)
2 Professeur au Département des Sciences du Bois et de la Forêt, Université Laval, G1K 7P4 Québec, Canada (gilles.lemieux@sbf.ulaval.ca)
4 Après avoir lancé en France la culture des plantes d’aquarium, peu avant la dernière guerre, Marcel François fut le créateur et longtemps le directeur des Jardins Exotiques de Rabat (Maroc). Il avait su faire surgir une végétation luxuriante sur un sol désertique (mais muni d’une source) confié par la municipalité. Il donnait un cours d’écologie à l’Université de Rabat. Pour en savoir plus sur l’écologie chrétienne telle qu’il l’envisageait, on peut lire
« La Nature est sacrée » (Ed. Saint Albert, F-08310 Annelles,
18 Euros Franco).
5 Ndlr. « Climacique » (du grec Klimax, escalier) désigne l’état optimal d’équilibre de l’écosystème climat-sol-végétaux.
6 Ndlr. Minéralisation ; décomposition de la matière organique en éléments minéraux assimilables par les plantes.
7 Ndlr. Humification : production d’humus (stable) à partir de la matière végétale présente dans le sol.