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Par Richard von Sternberg Ph.D, Ph.D
Pourquoi les catholiques ne doivent pas transiger sur la prétendue nature scientifique de la théorie de Darwin1.
Richard von Sternberg Ph.D, Ph.D2
Résumé : Les théoriciens du darwinisme focalisent leurs études sur la manière dont les variations observées deviennent héréditaires. Mais ils éludent une question plus fondamentale : l’origine de la nouveauté. Ou plutôt, le mot « hasard » ou la référence vague à « l’aléatoire » sont tenus par eux comme la seule réponse acceptable. Le darwinisme se révèle ainsi comme l’anti-dessein, le refus de toute forme préexistante ou de toute intention intelligente. C’est pourquoi il est impossible de séparer la « science » darwinienne de son présupposé matérialiste. Le refus du Créateur est le fondement même de la théorie telle que la développent tous ses grands avocats. Plutôt que d’espérer une réconciliation impossible (et de plus non souhaitée), l’Eglise devrait s’intéresser aux scientifiques qui ont pris position contre l’évolutionnisme.
Toute théorie vraiment complète de l’évolution doit expliquer trois choses: l’origine des nouvelles spécifications génétiques, le développement de l’organisme, et comment les nouveaux gènes deviennent permanents dans la lignée. La théorie évolutionniste darwinienne postule formellement que seul ce dernier point est important, c’est-à-dire la variation aléatoire et le tri des gènes dans les populations par sélection ou par dérive génétique. Ceci peut être vérifié par l’étude détaillée de n’importe quelle œuvre universitaire sur les fondements mathématiques de la théorie.
Il n’y a pas « d’équations de forme », ni « d’algorithmes de développement », ni de « formules de mutation-génération » dans la génétique évolutionniste classique. L’organisme est réduit à un ensemble de gènes. Une des raisons de cette omission est que la théorie s’est « solidifiée » longtemps avant l’âge de la biologie moléculaire. Une autre raison est que la théorie fut délibérément construite pour évincer les autres modes d’évolution, tels que les mutations dirigées non aléatoires, les « propensions au développement », l’orthogenèse, le néo-lamarckisme, ou la reconnaissance « d’espèces naturelles » ou types. De nombreux essais ont été faits pour « élargir la synthèse » – la biologie du développement évolutionniste en est un exemple – et bien que ces essais soient louables, l’examen attentif montre que les expansions reviennent toujours finalement à la variation aléatoire et à la sélection naturelle ou à la dérive génétique.
C’est pourquoi, toute donnée qui ne cadre pas avec la théorie, comme les mutations non aléatoires ou les règles de forme qui transcendent l’ADN et même la cellule, est soit ignorée soit « retaillée » pour s’adapter au cadre. Je dis cela seulement parce que j’ai étudié la théorie darwinienne avec quelque précision. Cependant l’écart entre ce que la théorie peut expliquer et ce qu’elle doit expliquer devient de plus en plus grand. Aussi, lorsque Gerd Müller et Stuart Newman présentèrent en 2003 une liste de « questions ouvertes » en biologie évolutionniste, plusieurs d’entre nous comprirent ce que cela voulait dire : presque tous les aspects de l’évolution restent des « questions ouvertes ». Se rendre compte des limites de la théorie moderne de l’évolution pour expliquer bien des phénomènes provoqua mon étonnement et mon inquiétude devant les appels presque incessants pour que le darwinisme soit reconnu comme la seule théorie prouvée des origines de la vie.
L’étroitesse conceptuelle de la théorie évolutionniste contemporaine n’est pas due au hasard. Ce qui me conduit au soubassement philosophique et théologique bien connu du darwinisme, dont la génétique évolutionniste est l’extension statistique. Le cœur de la théorie de l’évolution est le contraire du dessein; c’est-à-dire l’anti-dessein.
Le préfixe « anti » est utilisé ici dans ses deux sens :
1) la théorie nie le dessein,
2) la théorie fut conçue pour remplacer le dessein. Pour éviter toute confusion, laissez-moi dire que le mot « dessein » comme je l’emploie ici vient de sa définition tirée de la Philocalie :
« Logos….l’Intelligence, la Sagesse et la Providence de Dieu en Qui et par Qui toutes choses furent créées. En tant que principe cosmique unitaire, le Logos contient en Lui-même les multiples logoï (principes intrinsèques ou essences intrinsèques, pensées de Dieu) selon lesquels toutes choses viennent à l’existence aux moments et aux lieux et dans les formes choisis pour elles, chaque chose contenant ainsi en elle-même le principe de son propre développement…Ces logoï sont contenus principalement dans le Logos et se manifestent dans les formes de l’univers créé »…[Volume 1, page363; soulignements de moi]
Ceci est, comme vous le savez, la signification patristique de l’Intelligent Design.
Mais c’est justement cette notion du dessein – sous son aspect « vertical » comme essences créées ou archétypes, et son mode « horizontal » comme téléologie – que le darwinisme défiait. De nombreux auteurs ont étudié en profondeur ce sujet. Par exemple, Adrian Desmond dans Archetypes and Ancestors et dans The Politics of Evolution. Ce que la théorie a réalisé se trouve brièvement décrit dans The New Encyclopedia Britannica (1979) sous l’entrée « évolution » :
« Darwin fit deux choses ; il montra que l’évolution contredisait en fait les légendes de l’Écriture sur la création et que sa cause, la sélection naturelle, était automatique, ne laissant pas de place à une gouverne ou un dessein divin. » (C’est moi qui souligne).
Les grands adeptes de la théorie, les Darwin, Huxley, Haeckel, Haldane, Fisher, Mayr, Maynard-Smith, Simpson, Stebbins, Gould, Dawkins, Williams, Provine et autres, ceux qui décrivirent le cadre scientifique et le codifièrent en formules et modèles mathématiques, tous soulignèrent que la théorie niait délibérément à la fois les logoï dans la Pensée de Dieu et tout principe de création.
Ceci m’amène à la tentative que certains font de fabriquer un darwinisme « métaphysiquement neutre », c’est-à-dire une théorie que l’on pourrait considérer comme scientifiquement valide une fois dépouillée de son attirail idéologique. Ce genre de discours me rappelle le langage utilisé par les théologiens de la libération et les marxistes à la fin des années 1970 et au début des années 1980. J’ai lu et entendu beaucoup à propos du marxisme « métaphysiquement neutre » en tant que théorie économique et anthropologie / sociologie. Ils disaient que c’étaient simplement les « interprétations idéologiques » de la théorie qui avaient causé tant de résultats mortels. Inutile de préciser que personne ne pouvait montrer comment dissocier l’idéologie et la philosophie matérialiste de la théorie marxiste. Parce que les deux aspects sont inextricablement liés, l’un est l’envers de l’autre. La même chose est vraie du darwinisme. Si la théorie évolutionniste était vraiment « métaphysiquement neutre » elle ne se serait pas montrée aussi réfractaire aux efforts pour élargir ou modifier son cadre. On peut le voir en suivant simplement les réponses théoriques aux critiques scientifiques constructives de Baer, Driesch, Goldschmidt, McClintock, Mendel, Naef, Owen, Portmann, Schindewolf, Thom, Troll, et Vavilov, pour en nommer quelques uns.
Je ne dis pas que « l’équation de Hardy-Weinberg », « le ratio dN/dS », le « modèle d’équilibre mouvant » ou n’importe laquelle des formules techniques de la théorie sont en elles-mêmes anti-Logos. Mais je dis, par exemple, que même si chaque mutation était et est commandée par une cause formelle, les instruments de mesure de la théorie traiteraient quand même ces changements génétiques comme s’ils étaient ou sont aléatoires. Entre parenthèses : en fait on connaît beaucoup de telles mutations organisées. On peut voir cela même par un examen superficiel du cadre darwinien. Ainsi, ceux qui plaident pour un darwinisme scientifique qui serait opposé au darwinisme soulignant le hasard et l’absence de finalité, ne sont pas seulement en désaccord avec 2000 ans d’enseignement de l’Église, mais ils ignorent aussi la théorie. C’est juste du bavardage. Ce n’est pas viable. C’est une vaine tentative pour échapper à l’inéluctable.
Ceci m’amène à la question de savoir pourquoi tant de maîtres non théistes de la théorie évolutionniste désirent soudain que l’Église prenne une position favorable au darwinisme, ou tout au moins une attitude manifeste de neutralité. La raison de cette stratégie est claire. Ils veulent que l’Église abandonne toute prétention à la « réalité cosmique » et, en outre, qu’elle dirige le troupeau vers ceux qui détiennent les clés de la vérité empirique, disons un Francisco Ayala3 ou un P. George Coyne4. Alors, lorsqu’un jeune catholique demande si Dieu pouvait, en un sens quelconque, avoir été l’auteur des êtres vivants, une question venant peut-être de sa récitation du Credo de Nicée-Constantinople, on lui répondra:
» Le « dessein » des organismes n’est pas « intelligent », il est même tout à fait incompatible avec le dessein que nous attendrions d’un créateur intelligent ou même d’un ingénieur humain, il est si rempli de dysfonctionnements, de gâchis et de cruautés qu’il est injustifié de l’attribuer à un être doué d’une intelligence supérieure, de sagesse et de bonté. » (Ayala, 2004)
Étant observateur, le jeune verra immédiatement que la « position scientifique » de l’anti-dessein infirme la doctrine chrétienne du Logos. Mais dans quel camp se rangera-t-il alors ? Avec ceux qui prétendent avoir les preuves tangibles de leur côté, ou avec les théologiens qui n’ont que les transcendantaux à offrir ? Peut-être réconciliera-t-il les deux « vérités » avec une vague théologie du « Christ Évoluteur », Qui est tout aussi surpris du résultat de l’évolution qu’un Dawkins ou un Haeckel !
D’un point de vue tactique, donc, je ne pense pas que l’Église puisse se contenter d’attaquer les conséquences démoralisantes du darwinisme appliqué, tout en concédant qu’il existe « une façon » ou « un sens » dans lesquels l’évolution darwinienne « pourrait » être vraie. La réalité est que les ecclésiastiques essayant de bâtir un tel compromis ignorent les affirmations évidentes des avocats scientifiques du darwinisme les plus convaincus et les plus prestigieux, qui tous sont de fieffés matérialistes et dont beaucoup sont ouvertement hostiles au théisme. Tout ce qu’un essai de compromis obtiendrait, serait que la position actuelle de l’Église – celle qui a été nettement vue ces dernières années comme une reddition tacite à la théorie de Darwin – serait confirmée et renforcée dans les médias. La position de l’Église serait donc neutralisée et rendue inopérante dans la discussion faisant rage actuellement dans la science, juste au moment où les arguments scientifiques contre la théorie de Darwin deviennent chaque année plus forts! Il serait bien préférable de dire qu’il n’existe aucun moyen de conformer l’enseignement de l’Église aux interprétations les plus communes et autorisées de la théorie de Darwin, même si quelque évolution limitée (e.g. la microévolution) peut être reconnue.
Je ne pense pas non plus que saint Thomas d’Aquin puisse être cité comme opposé au dessein et favorable au darwinisme. En fait, son point de vue était à l’opposé. Saint Thomas contestait explicitement l’idée que Dieu permettait aux causes secondes de concevoir des organismes. Faire cela, disait-il, reviendrait à attribuer au hasard et aux processus naturels des pouvoirs qui n’appartiennent qu’à Dieu seul. De plus, il réfuta l’idée que des essences créées puissent de quelque façon résider dans des causes secondes; il affirmait que les logoï existent dans l’Esprit de Dieu. L’analogie qu’il utilisait était celle de l’architecte et de la maison, comme vous le savez certainement. L’architecte conçoit tous les aspects de la maison, jusqu’au plus petit détail (y compris la matière première). Pour atteindre ce but, l’architecte réalise son projet par sa volonté, en utilisant évidemment les causes secondes.
L’erreur serait de confondre l’opération des causes secondes avec le projet et le concepteur lui-même. En considérant simplement l’enseignement du seul saint Thomas sur la création, sans parler de celui de saint Bonaventure et de tous les Pères orientaux, il m’est impossible d’échapper à la conclusion que l’Église doit faire un choix entre la création uniquement par des causes secondes (théorie darwinienne et ses sous-théories telle que l’auto-organisation), et quelque forme d’Intelligence intentionnelle.
Si vous pardonnez mon audace, l’Église ne peut pas se permettre de succomber à la vaine tentation de séparer cette question comme philosophique ou théologique – abandonnant ainsi le terrain scientifique – en espérant tout de même gagner un jour le débat contre le matérialisme, lorsque le monde s’intéressera de nouveau à la philosophie.
Certains peuvent protester qu’une fausse dichotomie est ici présente. Et c’est vrai, mais ce n’est pas la distinction darwinisme / dessein. Non, la fausse dichotomie est l’idée souvent affirmée que l’anti-dessein est de la science, alors que son revers conceptuel, le dessein, ne l’est pas. Des recherches ont cours actuellement pour falsifier expérimentalement un ou plusieurs aspects de la théorie de l’Intelligent Design. Il ne se passe guère de mois sans qu’apparaisse une publication scientifique, relue par des censeurs, contenant l’affirmation que le Dessein a été réfuté (sur la base d’un pseudo-gène, d’une protéine mutée ou d’une simulation sur ordinateur). Et la littérature technique est pleine de déclarations affirmant que toutes les données anatomiques, embryologiques et moléculaires démentent l’existence ou un rôle quelconque d’un créateur. La recherche anti-dessein est clairement dans le domaine étudié par les laboratoires; les investigations pro-dessein ne le sont pas. La question non posée, cependant, est celle-ci: comment peut-on tester scientifiquement un concept purement philosophique ou théologique, le Dessein ? Pour cette raison (contre le grand nombre), je pense que l’Intelligent Design (au sens large) est fondamentalement une question scientifique. C’est la suite logique de la théorie évolutionniste formellement anti-dessein.
A mon avis de scientifique, l’Église devrait au moins montrer de l’intérêt pour l’Intelligent Design en tant que proposition scientifique et elle devrait au moins demander la liberté intellectuelle pour que cette théorie soit explorée et discutée. Ce point de vue devrait être communiqué tout spécialement aux institutions éducatives liées à l’Église. Sinon, l’Église abandonnera effectivement non seulement la science, mais beaucoup de catholiques comme moi qui sont des scientifiques, ainsi que d’autres chrétiens qui sont des scientifiques (et quelques juifs et musulmans), des scientifiques qui ont bien voulu prendre position contre le darwinisme malgré des pressions sur leur carrière. Beaucoup de croyants que je connais accueilleraient aussi la bénédiction de l’Église de toute position darwinienne sur la création comme comparable à la recommandation du marxisme en guise de théologie de la libération. Cela compromettrait aussi les perspectives d’union avec les orthodoxes.
(Traduction Claude Eon)
1 Ce texte, joint à deux autres que nous publierons dans les prochains numéros, a été adressé au pape Benoît XVI par le Pr Maciej Giertych.
2 Spécialiste réputé, docteur en génétique et en paléontologie, R. von Sternberg a été longtemps attaché à la prestigieuse Smithsonian Institution de Washington. Mais lorsqu’il rendit public son refus de la théorie évolutionniste, la direction des musées et ses collègues lui rendirent la vie intenable et le poussèrent à la démission. Ce cas de « harassement moral » fut reconnu par le Sénat américain. Cf. www.discovery.org/csc/ R. von Sternberg collabore aujourd’hui au Discovery Institute, centre nerveux de l’Intelligent Design Movement.
3 Elève de Dobzhansky, E.Ayala a enseigné la biologie puis la philosophie des sciences à l’université de Californie. Ancien Président de l’Association Américaine pour l’Avancement de la Science, il a pris position contre toutes les restrictions à la recherche sur les cellules embryonnaires.
4 Le P. George Coyne fut longtemps Directeur de l’Observatoire du Vatican. Il s’était signalé le 31 janvier 2006 par une conférence à l’Université de Palm Beach où il déclarait que Dieu n’intervenait pas dans l’évolution du cosmos et que le Dessein Intelligent n’était pas de la science. Quand il fur mis à la retraite, six mois plus tard, la presse a considéré qu’il s’agissait d’une sanction pour avoir attaqué la position anti-darwinienne prise par le cardinal Schönborn dans le New York Times du 7 juillet 2005.