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Par Henri Charlier
L’art et la transfiguration à venir1
« La Création, elle aussi, nous dit saint Paul (Romain 8, 21-23), doit être affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Car nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière gémit et souffre les douleurs de l’enfantement.«
Ces paroles de saint Paul sont très mystérieuses, mais la nature l’est aussi. La lumière de Dieu nous guide sans tout éclairer. D’après saint Paul, la nature entière attend quelque chose qui dépend de la volonté de l’homme. Il n’y a aucune raison de limiter le sens de ce texte ou de l’affaiblir en le prenant pour une simple figure de rhétorique. Les arbres sont malades, les animaux souffrent sans qu’il y ait d’autre explication naturelle qu’une lutte pour la continuation de la vie ; c’est-à-dire qui oblige d’admettre une fin transcendante à la matière inorganique elle-même. La vie s’arrête-t-elle aux végétaux ? La vie des cristaux, les mouvements des molécules métalliques, est-ce une vie ? Bien différente de la nôtre, mais vie tout de même ? N’est-ce pas une certaine organisation ? Le texte de saint Paul nous dit que l’état actuel de la nature sur la terre est passager et comme anormal et que l’homme peut détourner les créatures de leur vraie fin pour satisfaire aux désirs de sa volonté dépravée. Esclave de ses passions, l’homme rend la nature esclave. L’homme est donc associé à l’œuvre de cette création continue qui mène le monde à sa fin voulue de Dieu. Dieu lui donne pour cela l’intelligence et la liberté. Or l’homme dans l’erreur ne peut être libre ; il est soumis sans le savoir à ce qu’il ne comprend pas. L’homme qui fait de ses passions la règle de sa vie est le moins libre et le moins heureux de tous. L’homme ardent et volontaire qui semble un champion du mal n’est qu’un homme manquant d’amour et qui ne sait où placer ses désirs. C’est un malheureux.
Ainsi Dieu nous aide, sa grâce sauve notre liberté. Ces grâces surnaturelles nous font entrer dans la connaissance que Dieu a de Lui-même et de son œuvre.
Au dernier jour, une terre nouvelle remplacera celle-ci : elle sera faite de celle que les hommes auront amenée par leur travail en un certain état. La science nous a donné des ouvertures sur la constitution de la matière ; elle ne cessera de nous en ouvrir d’autres. Rien d’étonnant pour l’intelligence dans cette transformation rapide de notre monde telle que nous la décrit saint Paul ; elle semble être liée à une catastrophe astronomique. Quel sera ce nouvel état de la matière ? Il nous est bien impossible de le savoir, mais c’est « un état de gloire » nous dit saint Paul. Ainsi, le plan de l’achèvement du monde est entre les mains des penseurs, savants, philosophes, artistes, et des ouvriers et du laboureur. C’est d’ailleurs, toujours par l’intermédiaire d’un art que le savant, ou l’homme politique, ou le paysan agissent sur le monde. Mais les beaux-arts et la poésie échappent mieux que les autres œuvres de l’esprit à la fascination de la quantité. Ils vont droit à l’essentiel, à l’amour, à la liberté dont dépend le bonheur de l’homme et le droit achèvement du monde. Enfin ils ne séparent pas le vrai de cet état du vrai qui est la promesse, le gage et le germe de la transfiguration à venir.
Le six août de l’an 29, Notre Seigneur, prenant avec lui sur le Mont Thabor Pierre, Jacques et Jean, se transfigura devant eux ; c’est-à-dire ouvrit leurs yeux à l’éclat véritable de la nature humaine unie à Dieu. Mais Notre-Seigneur jouissant de la vision béatifique, cette gloire que les apôtres voyaient pour la première fois n’était pas un accident ajouté pour quelques minutes au corps de Jésus. Il était au contraire surprenant qu’on ne la vit point depuis la Nativité. Ce jour-là c’est un voile qui fut levé.
Ainsi les beaux-arts décèlent les assises naturelles de la gloire future dans la beauté de la création, les beautés de l’Amour, l’harmonie providentielle des âmes, des corps et des choses. Suivant la révélation de saint Paul, ils préparent le monde à la liberté de la gloire. L’art, surtout l’art chrétien, est chargé de lever le voile qui cache à l’esprit les grandeurs de l’esprit. Son œuvre n’est pas une simple imitation faite par jeu ; elle n’est pas non plus un pur symbole idéaliste, mais, pour l’accomplissement de nos destinées, elle est une transfiguration.
1 L’Art et la Pensée, DMM, 1972. Pp.266-268.